FORBIN-JANSON, CHARLES-AUGUSTE-MARIE-JOSEPH DE, prêtre catholique, né le 3 novembre 1785 à Paris, second fils de Michel-Palamède de Forbin-Janson, comte de Forbin-Janson, et de Cornélie-Henriette-Sophie-Louise-Hortense-Gabrielle Galléan, princesse de Galléan ; décédé le 11 juillet 1844 dans le château de Guilhermy, près de Marseille, France.

Issu d’une des plus grandes familles nobles de Provence, Charles-Auguste-Marie-Joseph de Forbin-Janson émigra sous la Révolution française avec ses parents en Bavière puis en Suisse, séjourna à Paris en 1795, réintégra la Bavière et ne revint en France qu’en 1800. Sa famille était ardemment légitimiste. Toute sa vie, Forbin-Janson demeura convaincu que la révolution avait résulté des conspirations suscitées par les francs-maçons et les républicains.

Aussi Forbin-Janson se rallia-t-il avec bien des réticences au régime impérial en acceptant en 1805 un poste d’auditeur au Conseil d’État ; dans le même temps, il alla s’inscrire à la Congrégation de la Sainte-Vierge, association religieuse fondée à Paris en 1801. Lorsque cette dernière fut dissoute par Napoléon Ier en 1809, Forbin-Janson se joignit à la société secrète royaliste connue sous le nom de Chevaliers de la foi, que fonda à Paris en 1810 Ferdinand de Bertier.

Forbin-Janson était déjà séminariste. La lutte engagée par Napoléon Ier contre Pie VII lui avait fait abandonner sa carrière dans l’administration et, en 1808, il était entré au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, où il joignit une association secrète de piété d’inspiration jésuite. À Saint-Sulpice, il y avait alors un groupe de jeunes clercs dont les imaginations s’évadaient vers les missions, et l’impétueux ForbinJanson s’enflamma à ces perspectives. Il se lia d’une étroite amitié avec Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, qui partageait les mêmes rêves.

Ordonné à Chambéry le 15 décembre 1811, Forbin-Janson fut d’abord supérieur du grand séminaire de l’endroit. À titre de vicaire général, il se rendit à Rome en 1814 où, après avoir consulté Pie VII, il fut convaincu de renoncer à la Chine pour se consacrer à la ré-évangélisation de la France, devenue impie, à ses yeux, par suite des excès révolutionnaires. Avec l’abbé David de Rauzan il mit sur pied la Société des missions de France, dont le centre était le mont Valérien, situé à l’ouest de Paris. Ce fut l’origine des fameuses missions de la Restauration. Doué d’une facilité oratoire peu commune, capable de déployer une activité prodigieuse, légitimiste convaincu que la restauration de l’autel ne se séparait pas de celle du trône, Forbin-Janson utilisa toutes les ressources d’un zèle ardent et d’une imagination fertile pour multiplier les manifestations religieuses théâtrales où, selon son biographe Paul Lesourd, se donnait libre cours le « cléricalisme politique ». Le point culminant de la mission était l’érection d’un calvaire. Forbin-Janson avait une prédilection pour la croix gigantesque du mont Valérien, visible de Paris et devenue le lieu de pèlerinage favori des Parisiens.

L’historien ecclésiastique Jean Leflon caractérise excellemment l’action de Forbin-Janson dans la Société des missions de France : « Forbin-Janson, on doit en convenir, abusa plus que personne des procédés spectaculaires, bruyants, qu’on [lui] a souvent reprochés ; plus que personne, il chercha les gros effets, mêla la cause royale à la cause de l’Église, convaincu de bonne foi que sans la monarchie la religion ne pouvait subsister. La discrétion n’était point sa vertu majeure et la rectitude de son jugement se trouva plus d’une fois en défaut. Autoritaire, entier, absolu, il n’admettait ni tempéraments, ni précautions, ni nuances ; aucun obstacle ne l’arrêtait, aucune déconvenue ne l’instruisait. »

Fort en vue, Forbin-Janson fut nommé évêque de Nancy et de Toul, et primat de Lorraine, le 21 novembre 1823. On le sacra le 6 juin 1824 dans la chapelle du mont Valérien. Selon Lesourd, il n’avait rien de ce qu’il fallait pour faire un bon évêque. D’un tempérament à ne pas rester tranquille dans les limites étroites d’un diocèse, allergique aux contraintes administratives, autoritaire, cassant dans ses rapports avec ses prêtres auxquels il préférait ses confrères des missions de France, dont il continua à s’entourer, il s’attira, en plus de l’hostilité de son clergé, celle des autorités civiles et du public où dominaient les libéraux réfractaires à la politique « ultra » du gouvernement. Aussi dès l’annonce de la chute de Charles X, à la révolution de Juillet, les émeutiers saccagèrent-ils le séminaire et l’évêché, et Mgr de Forbin-Janson, en tournée de confirmation, dut se résigner à quitter le diocèse. Il croyait à une absence temporaire ; elle fut définitive, car malgré ses instances réitérées la monarchie de Juillet, qui le considérait à bon droit comme un adversaire déterminé, refusa constamment d’autoriser son retour à Nancy. Un autre coup sensible lui fut porté lorsque ses ennemis politiques ruinèrent les œuvres auxquelles il avait consacré beaucoup de soin et d’argent sur le mont Valérien.

Disponible, Forbin-Janson, à la demande des évêques et des supérieurs de communautés religieuses, parcourut la France pour prêcher des retraites. Très proche de l’œuvre de la Propagation de la foi, fondée précisément pour venir en aide aux missionnaires des États-Unis, sa pensée se tourna vers l’Amérique du Nord, où d’ailleurs des compatriotes, qui occupaient des sièges épiscopaux, ne cessaient de l’inviter. Il se rendit à Rome où le pape Grégoire XVI approuva son projet de voyage outre-océan et lui confia même une mission officielle.

Le 18 octobre 1839, Mgr de Forbin-Janson débarquait à New York. Les missions à grand spectacle, par lesquelles Forbin-Janson s’était illustré en France, avaient alors leur pendant aux États-Unis dans les « réveils » (revivals) soit protestants, soit catholiques. En effet, comme l’a démontré l’historien américain Jay Patrick Dolan, l’expérience « revivaliste ne fut pas seulement une entreprise protestante ; elle a aussi traversé le catholicisme américain » et a trouvé son expression, vers 1830, dans l’institution de la mission paroissiale, qui se déroulait en une ou plusieurs semaines. Comme les initiateurs de ces missions étaient pour la plupart des Européens, jésuites et rédemptoristes, la tradition catholique européenne, en ce domaine, rejoignit la pratique protestante américaine, de sorte que le message prêché était du type évangélique : dénonciation du péché, effroi de l’enfer, repentir, conversion ; mais cet évangélisme, dont les caractéristiques se retrouvaient dans le revivalisme protestant, comportait un éclairage spécifiquement catholique : le repentir devait conduire à la confession, puis à l’eucharistie. Il s’agissait d’un évangélisme sacramentel. Autre différence que souligne Dolan : la religion prêchée dans les missions, très individualiste, privilégiait surtout une morale de la soumission, de l’acceptation, de la passivité socio-politique, à l’inverse du réveil protestant, tourné plutôt vers une perspective de succès et de progrès.

L’activité de Mgr de Forbin-Janson en Amérique du Nord s’inscrivait donc dans une pratique qui allait se prolonger jusqu’aux abords du xxe siècle. Après s’être attardé un moment à New York, où il se rendit compte que ses compatriotes ne disposaient pas d’une église bien à eux, il prit l’initiative de faire construire un temple dédié à saint Vincent de Paul. En passant par Philadelphie et St Louis, il se rendit ensuite à La Nouvelle-Orléans, où il prêcha le carême de 1840. Malgré ses appréhensions, provoquées surtout, comme il l’écrivait à un ami, par l’existence de « huit ou dix loges de francs-maçons » qui, dans « cette Babylone du Nouveau Monde », tenaient « presque tous les hommes enchaînés », et dont l’opposition au prédicateur se traduisit par une presse hostile et des scènes d’« anti-prédication » aux portes mêmes de la cathédrale où il prêchait, le succès, à son propre témoignage, « dépassa toutes les espérances ».

Forbin-Janson reprit la direction du nord après avoir assisté au quatrième concile provincial de Baltimore, du 16 au 24 mai 1840. Il donna libre cours à sa frénésie nomade, qui s’alliait fort bien à son ardeur apostolique, et se rendit dans différentes villes des États-Unis et du Haut-Canada. Il gagna ensuite Québec, où il fit son premier sermon à la cathédrale le dimanche 6 septembre 1840. S’ensuivit une retraite de deux semaines, à laquelle participèrent 5 000 à 6 000 personnes, assidues aux prédications quotidiennes d’environ une heure et demie chacune, et qui se termina, comme aux États-Unis, par cet engagement social collectif, qu’était la formation d’une société de tempérance.

Bien des historiens ont analysé la situation du Canada français d’alors : prostration politique à la suite de la crise des années 1830, langueur religieuse attribuable surtout à l’insuffisance numérique et doctrinale du clergé, recrudescence du prosélytisme protestant à la suite du zèle que déployaient depuis 1834 des pasteurs suisses francophones et de la fondation en 1839 de la French Canadian Missionary Society [V. Henriette Odin*]. L’éloquence entraînante de Mgr de Forbin-Janson provoqua une réaction salutaire, plus exactement un réveil religieux tout à fait analogue, compte tenu des différences indiquées plus haut, à ceux que catholiques et protestants expérimentaient outre-frontière. Il faut ajouter que par sa seule présence le prélat français, victime des révolutions de 1789 et de 1830 (cette dernière ne fut pas sans influence sur le déclenchement à retardement des troubles de 1837–1838), ne pouvait qu’ancrer davantage dans les esprits l’appréhension des malheurs qui découlent des révolutions et, en sa qualité d’intransigeant réactionnaire, préparer la voie au cléricalisme ultramontain, dont l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget*, saura tirer tous les bénéfices sur les plans religieux et politique.

Dans le succès de la prédication à Québec de Forbin-Janson, qui avait déjà accepté de prêcher dans son diocèse, Bourget avait vu d’emblée un signe, comme il l’écrivait à son clergé le 6 octobre 1840 : « la divine Providence a dirigé vers nous Monseigneur l’Évêque de Nancy pour créer ici ce qu’il a fait avec tant d’avantage ailleurs ». Pour prolonger les effets et le souvenir des prédications à venir de Forbin-Janson, on suivit l’exemple français des relations publiées à l’occasion des missions de la Restauration, en fondant à Montréal, en décembre 1840, les Prémices des Mélanges religieux, hebdomadaire qui s’intitulera plus brièvement Mélanges religieux dès la fin de janvier 1841 [V. Jean-Charles Prince*].

Faire le décompte des activités multiples de Mgr de Forbin-Janson tantôt à Trois-Rivières, à Montréal ou dans les environs, tantôt à New York, où périodiquement il retournait prêcher et surveiller les progrès de la construction de l’église dédiée à saint Vincent de Paul, serait fastidieux. Qu’il suffise de dire que le prédicateur ne faisait que reprendre dans ses sermons les procédés spectaculaires mis en œuvre durant la Restauration. En voulant provoquer un geste de foi, il cherchait à l’obtenir comme une issue à l’angoisse, à l’épouvante qu’il créait, assentiment nerveux qui allait souvent à l’encontre d’une adhésion libre au message transmis.

L’éloquence théâtrale de Forbin-Janson suscitait d’immenses concours de peuple, et le prédicateur ne se faisait pas faute de relater en termes dithyrambiques dans des lettres à des amis et dans l’Ami de la religion, l’organe quasi officiel du clergé français, les prodiges de componction (on n’a jamais versé autant de larmes que durant ces semaines de retraite !), de docilité et d’ardente sympathie qui le consolaient des déboires essuyés dans son ingrate patrie.

Le suprême réconfort de l’apostolat de Forbin-Janson au Bas-Canada, comme sa plus douce revanche, fut l’érection, sur le mont Saint-Hilaire, d’une croix gigantesque, qui faisait un pendant heureux au désastre du mont Valérien. Il voulait en faire un monument grandiose, à la fois religieux et national. Grâce au savoir-faire d’un menuisier de Belœil et à des corvées, elle put enfin s’élever, haute de 100 pieds, large de 6 et épaisse de 4, et recouverte de métal. Des ouvertures éclairaient l’intérieur et des échelles permettaient d’en faire l’ascension. On l’inaugura et on la bénit en grande pompe le 6 octobre 1841.

C’était le couronnement d’un apostolat que Mgr de Forbin-Janson avait réalisé au pas de charge en une soixantaine de localités, du Bas-Canada aux Maritimes. Ce labeur forcené, ajouté aux courses qu’il avait accomplies sur l’immense territoire des États-Unis, l’avait épuisé. Il avait le pressentiment que ses jours étaient comptés lorsqu’il s’embarqua à New York, le 8 décembre 1841, pour regagner l’Europe.

Mgr de Forbin-Janson emportait avec lui un souvenir enchanté de ses « chers Canadiens aux cœurs d’or et aux clochers d’argent ». Lui, l’ardent légitimiste, le paladin des Bourbons, le tenant réactionnaire de l’Ancien Régime à l’encontre de ces libéraux révolutionnaires qui avaient multiplié les ruines dans sa patrie et brisé sa propre carrière épiscopale, il s’était penché, durant son séjour à Montréal, sur le sort des patriotes que des meneurs, animés des principes qui le rebroussaient, avaient égarés et qui, emprisonnés, avaient été condamnés à la déportation et avaient pris le chemin de l’exil le 28 septembre 1839. Avant son départ, le prélat français avait vainement attendu l’arrivée du gouverneur, sir Charles Bagot, pour plaider leur cause. De retour en Europe, il jugea que son intervention aurait des chances d’être davantage efficace, et, le 15 août 1842, il débarquait à Londres. Sa démarche auprès du secrétaire d’État aux Colonies, lord Stanley, en faveur de ses « pauvres Canadiens », fut probablement l’amorce, comme il le crut, des mesures de clémence qui ramenèrent sur le sol natal un premier contingent de 38 exilés en janvier 1845.

Avant ce voyage en Angleterre, Forbin-Janson s’était rendu à Rome en janvier 1842. Grégoire XVI, pour le récompenser des prodiges d’apostolat en terre nord-américaine, dont les échos lui étaient parvenus, le nomma assistant au trône pontifical et comte romain. Mais le pape refusa de s’immiscer dans les différends existant entre le gouvernement de Louis-Philippe et l’évêque, qui, d’une opiniâtreté aveugle à toutes les oppositions, s’obstinait à vouloir rentrer dans son diocèse. Il refusa de démissionner et il devait mourir avec le titre officiel d’évêque de Nancy.

À son retour de Rome, Charles-Auguste-Marie-Joseph de Forbin-Janson mûrit le projet de mettre sur pied une œuvre destinée à intéresser les enfants chrétiens d’Europe au sort des petits Chinois. Il songeait à en faire une annexe à l’œuvre de la Propagation de la foi, mais le conseil central de l’œuvre, à Lyon, y vit une concurrence à son influence. Il dut donc se résoudre à fonder, en toute indépendance, l’œuvre pontificale de la Sainte-Enfance, le 19 mai 1843. Désormais, il consacra ses forces déclinantes à parcourir la France et la Belgique pour recueillir des approbations épiscopales et des souscriptions. Seul l’épuisement total de ses forces mit un terme à ce zèle dévorant. Il se décida à partir pour le Midi, afin d’aller se reposer chez son frère, près de Marseille. Et lui qui, en tant de sermons terrifiants, avait prêché la nécessité de se préparer à la mort, il se laissa surprendre par celle-ci, sans sacrements ni testament, le 11 juillet 1844. On l’inhuma dans le cimetière parisien de Picpus, réservé aux nobles décapités, à leurs descendants et alliés. Jusqu’au tombeau Forbin-Janson protesta donc contre les crimes de la révolution. Par un singulier paradoxe, pour prononcer son éloge funèbre dans la cathédrale de Nancy, le 28 août 1844, on fit appel à un clerc, le dominicain Henri Lacordaire, dont le réalisme politique lui faisait prendre la contrepartie absolue de l’attitude réactionnaire à outrance qui avait été celle de l’évêque défunt.

Philippe Sylvain

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Philippe Sylvain, « FORBIN-JANSON, CHARLES-AUGUSTE-MARIE-JOSEPH DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/forbin_janson_charles_auguste_marie_joseph_de_7F.html.

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Auteur de l'article:    Philippe Sylvain
Titre de l'article:    FORBIN-JANSON, CHARLES-AUGUSTE-MARIE-JOSEPH DE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    20 nov. 2024