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McGEE, THOMAS D’ARCY (on retrouve les deux signatures McGee et M’Gee), journaliste, poète et homme politique, né le 13 avril 1825 à Carlingford, comté de Louth (République d’Irlande), cinquième enfant de James McGee et de Dorcas Catherine Morgan, assassiné le 7 avril 1868 à Ottawa, Ontario.
Thomas D’Arcy McGee passa sa jeunesse en Irlande. Sa famille du côté de sa mère avait la réputation d’avoir participé à la rébellion des Irlandais en 1798. Son père qui travaillait pour le Coast Guard Service fut transféré en 1833 à Wexford, où le souvenir de la rébellion sanglante de 1798 était des plus vivaces. D’Arcy perdit sa mère peu de temps après l’arrivée de sa famille à Wexford ; il reçut une instruction primaire tout à fait rudimentaire dans une « petite école catholique de rien du tout ». Le mouvement de tempérance mené par le père Theobald Mathew, la campagne de Daniel O’Connell pour obtenir l’abrogation de l’union entre l’Irlande et la Grande-Bretagne et les publications des celtistes dans le Dublin Penny Journal exercèrent sur lui une influence précoce.
D’Arcy McGee émigra en Amérique du Nord en avril 1842, et fut l’un des quelque 93 000 Irlandais qui traversèrent l’Atlantique cette année-là, ce chiffre battant tous les records par rapport aux autres années précédant la famine. Le père de McGee s’était remarié, et la belle-mère était assez mal acceptée par les enfants. McGee fit la traversée de Wexford à Québec à bord d’un bateau servant au transport du bois et continua jusqu’en Nouvelle-Angleterre où il fut accueilli chez la sœur de sa mère à Providence, Rhode Island. Puis il déménagea à Boston pour y chercher du travail. Peu après son arrivée, on lui demanda de prononcer un discours devant les Boston Friends of Ireland pour commémorer la fête du 4 juillet. C’est le premier que l’on connaisse de McGee sur le continent américain, et les mots qu’il prononça dénotent son hostilité vis-à-vis de l’autorité britannique en Irlande : « Les souffrances endurées par les gens de ce malheureux pays, livré aux mains d’un gouvernement cruel, sectaire et despotique, sont connues de tous [...] Nés dans l’esclavage, et élevés dans l’esclavage depuis le berceau, les gens de ce pays ne savent pas ce qu’est la liberté. » Son allocution reçut un accueil favorable et c’est ainsi qu’on demanda au jeune immigrant, âgé alors de 17 ans, de se joindre à l’équipe du Boston Pilot, le plus grand journal catholique de la Nouvelle-Angleterre.
McGee fut engagé comme agent itinérant du Pilot et, pendant les deux années qui suivirent, il alla recouvrer les comptes échus et chercher de nouveaux abonnés à travers la Nouvelle-Angleterre. Il fit également des conférences à la population irlandaise disséminée dans cette région, leur décrivant les mouvements lancés en Irlande par Daniel O’Connell et le père Mathew. Pendant la même période, il écrivit dans le Pilot 40 articles sur l’histoire de la littérature en Irlande. Ses articles furent accueillis avec enthousiasme, et on proposa à McGee de devenir rédacteur en chef du journal ; son premier éditorial parut le 13 avril 1844, jour de ses 19 ans.
D’Arcy McGee dirigea le Pilot pendant un an. Dans ses éditoriaux, il exhortait les Irlandais d’Amérique à soutenir la lutte nationaliste de l’Irlande, en alléguant que l’égalité des Irlandais ne serait jamais reconnue en Amérique tant que l’Irlande ne serait pas considérée comme une nation. Le jeune rédacteur en chef prit également la défense des immigrants catholiques irlandais contre l’hostilité des protestants et de certaines personnes qui voulaient favoriser exclusivement les autochtones (nativism). Il mena avec succès une campagne en vue d’instaurer des cours du soir pour les immigrants adultes. Pendant son premier séjour aux États-Unis, il publia deux livres à Boston : Eva MacDonald, a tale of the United Irishmen (1844) et Historical sketches of O’Connell and his friends (1845).
Lors de son séjour à Boston, McGee eut l’occasion de se prononcer sur la situation du Canada, ce qu’il fit d’un point de vue nettement irlandais. Au début, il exhorta les Irlandais du Canada à soutenir Robert Baldwin* et Louis-Hippolyte La Fontaine, et il écrivit dans un article : « « L’abrogation de l’Union » signifie pour les Irlandais « un gouvernement responsable ». » Lorsqu’un correspondant lui apprit que les tories se montraient plus tolérants à l’égard de l’Église catholique au Canada, McGee répliqua ceci : « Les tories ! puissent les catholiques du Canada s’écrier : « de grâce, protégez-nous de nos amis ! » » Plus tard, l’annexion du Texas et la querelle concernant la frontière de l’Oregon amenèrent McGee à reviser ses positions et à considérer le Canada sous un nouvel angle. Il confessa alors qu’il ne s’expliquait pas pourquoi le Canada demeurerait séparé des États-Unis : « Il est évident qu’avec le temps les États-Unis d’Amérique du Nord doivent absorber les provinces de l’Amérique du Nord britannique [...] Une seule et vaste Union fédérale s’étendra du Labrador à Panama. Un fleuve comme le Saint-Laurent ne peut pas rester sans risque entre des mains européennes [...] que ce soit sur les bases d’un achat, d’une conquête ou d’un traité, la Grande-Bretagne doit céder le Canada à cette République. »
En 1845 McGee se vit offrir un poste au Freeman’s Journal de Dublin et en juin il regagna l’Irlande. Il fit un rapport sur les travaux accomplis à Dublin par la Repeal Association, société organisée par Daniel O’Connell, puis s’en alla à Londres où il assura le compte rendu de la session parlementaire de 1846 qui abrogea les Corn Laws. Cependant, tandis qu’il travaillait pour le Freeman, McGee s’associa de près à un groupe de nationalistes irlandais passionnés, la « Young Ireland », qui était partisan convaincu de l’autonomie comme principe fondamental de la nationalité et qui s’efforçait de développer le sentiment d’une identité irlandaise par sa contribution au journalisme, à l’histoire et à la littérature. McGee écrivit deux volumes pour leur « Library of Ireland », Gallery of Irish writers en 1846, et A memoir of the life and conquests of Art MacMurrogh en 1847. Il commença également à écrire pour la Nation, journal de la « Young Ireland ». Finalement, on lui demanda de quitter le Freeman, et McGee passa au journal Nation juste après son 21e anniversaire.
En juillet 1846, Daniel O’Connell se déclara en faveur du nouveau gouvernement whig qui promettait une réforme pour l’Irlande ; McGee apporta son appui aux dirigeants de la « Young Ireland » lorsque ces derniers se retirèrent de la Repeal Association et fondèrent l’Irish Confederation, qui se donnait pour but d’obtenir ce qu’ils considéraient comme l’objectif de la Repeal Association à ses débuts, à savoir l’abrogation de l’union entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. McGee fut un des principaux orateurs à toutes les assemblées publiques de la nouvelle association dont il fut élu secrétaire en juin 1847. Le 13 juillet 1847, à Dublin, il épousa Mary Theresa Caffrey. Ils eurent un fils et cinq filles, dont deux seulement survécurent à leur père.
L’Irish Confederation subit un échec aux élections générales de 1847, ce qui donna naissance à une faction de radicaux qui voulaient recourir aux armes. Lorsque les radicaux furent chassés de l’Irish Confederation au début de 1848, McGee donna son appui au groupe conservateur. Mais lorsque la révolution française de février 1848 convainquit les conservateurs de la nécessité de recourir à des moyens d’action révolutionnaires, McGee contribua à élaborer les plans d’une rébellion irlandaise. Il fut arrêté de fait pour sédition la veille de son premier anniversaire de mariage, mais les charges contre lui furent rejetées le lendemain. Le gouvernement suspendit l’habeas corpus en Irlande vers la fin de juillet, et l’Irish Confederation fit un appel au peuple pour obtenir son soutien et des armes. McGee fut envoyé en Écosse où il devait organiser une expédition de sympathisants armés, mais le plus gros de la résistance ne dura pas deux semaines et l’expédition de McGee ne traversa pas en Irlande. McGee retourna dans son pays ; mais voyant qu’il était incapable de réunir un groupe de sympathisants dans le Nord-Est, il repartit pour les États-Unis.
McGee arriva à Philadelphie en octobre 1848 et il publia une lettre décrivant les événements qui venaient de se dérouler en Irlande. Il accusait le clergé irlandais d’être responsable de l’échec de la rébellion et signait d’un ton provocant « Thomas D’Arcy McGee, traître au gouvernement britannique ». Puis il gagna New York où il lança son propre journal, la Nation, dans lequel il s’efforça d’éveiller la sympathie de l’Amérique pour les révolutions libérales et nationalistes d’Europe et où il soutint le mouvement annexionniste au Canada comme faisant partie de la même cause. Son journal devint la tribune de l’opinion canadienne irlandaise sur le sujet. McGee s’attira cependant l’hostilité de l’évêque de New York en donnant son appui à la République romaine plutôt qu’au pape Pie IX et, à la fin de 1849, il s’était aliéné les républicains irlandais de New York lorsque, changeant encore une fois sa position, il se mit à appuyer un nouveau mouvement réformiste irlandais qui envisageait de travailler à l’intérieur de la constitution irlandaise déjà existante. Cela se transforma en une querelle personnelle, et deux républicains irlandais, qui allaient devenir des chefs féniens, provoquèrent McGee en duel. L’hostilité combinée du clergé et des républicains obligea McGee à quitter New York au printemps de 1850.
McGee retourna à Boston où il lança un nouveau journal, l’American Celt and Adopted Citizen, dans lequel il insistait sur les intérêts des Irlandais en Amérique et soutenait une campagne de naturalisation parmi les Irlandais de la Nouvelle-Angleterre. Il publia également A history of the Irish settlers in North America (1851) où il démontra le rôle important qu’avaient joué les Irlandais dans l’histoire de l’Amérique du Nord. En 1851, le pape instaura un épiscopat catholique en Angleterre, ce qui souleva une vague d’anticatholicisme en Angleterre et en Amérique, et McGee, incapable de supporter les accusations des catholiques comme quoi il jouait un rôle dans la campagne en faveur du nativism en attaquant le clergé, fit la paix avec l’Église catholique. Il déménagea à Buffalo les bureaux de l’American Celt à l’été de 1852, mais les affaires ne prospérant pas à cet endroit, McGee retourna à New York avec son journal à l’été de 1853.
Durant les quatre années qui suivirent, McGee défendit les intérêts des catholiques aux États-Unis, et dénonça le libéralisme révolutionnaire comme une menace pour le christianisme et la civilisation. Durant cette période, il acheva d’écrire trois livres : A history of the attempts to establish the Protestant reformation in Ireland (1853), The Catholic history of North America (1855) et A life of the Rt. Rev. Edward Maginn (1857). Peu à peu, McGee se montra plus critique vis-à-vis des États-Unis ; il démontra que la société américaine avait besoin de l’influence modératrice du catholicisme pour tempérer l’esprit anarchique régnant dans le Nouveau Monde. En 1855, il exhortait les catholiques irlandais d’Amérique à quitter les villes de l’Est et à fonder une colonie dans les nouveaux territoires de l’Ouest où ils pourraient retrouver leur véritable identité celtique et catholique. Il fut le principal organisateur de la Buffalo Emigrant Aid Convention de 1856, mais le projet souleva l’opposition de la hiérarchie catholique de l’Est qui prétendait que les Irlandais ne possédaient ni les aptitudes ni le capital nécessaires à la colonisation, et il échoua. McGee était cependant convaincu que la hiérarchie de l’Est craignait qu’un exode des catholiques ne mette en péril la situation financière de leurs diocèses.
Au printemps de 1857, McGee s’en alla à Montréal. Il y vint sur l’invitation des chefs de la communauté irlandaise de la ville qui comptaient sur lui pour défendre leurs intérêts. Son attitude à l’égard du Canada avait bien changé depuis l’époque où il soutenait l’annexion : après sa réconciliation avec l’Église catholique, McGee décrivait le Canada comme un pays où les droits des catholiques étaient reconnus. Il était venu au Canada à l’automne de 1852 et pendant l’hiver de 1856. Une fois l’amnistie accordée aux rebelles irlandais de 1848, McGee fit des conférences en Irlande en 1855, et encouragea les émigrants à choisir le Canada plutôt que les États-Unis.
À Montréal, McGee se consacra tout d’abord à un nouveau journal, la New Era, qu’il publia pendant un an. Ce journal, qui devait servir de point de départ à sa carrière politique au Canada, s’appliquait surtout à dénoncer l’influence de l’ordre d’Orange et à défendre le droit de représentation des Irlandais à l’Assemblée. McGee consacra une partie considérable de la New Era à l’avenir du Canada, et y exposa les grandes lignes d’un programme de développement de ce qu’il appelait « une nationalité nouvelle ». Ce programme comportait différentes propositions relatives au développement économique intensif que rendraient possible la construction de chemins de fer, l’encouragement à l’immigration et l’application d’un tarif protecteur. McGee recommanda également la coopération économique entre le Canada et les colonies Maritimes en laissant entendre qu’elle mènerait à un « pacte fédéral » entre les provinces. D’après lui un système fédéral résoudrait les problèmes constitutionnels du Canada et permettrait au Canada français de survivre. McGee prôna la colonisation du territoire de la Hudson’s Bay Company par les Canadiens, mais préconisa également une politique d’intégration des Autochtones des territoires de l’Ouest au nouveau régime ; son plan comprenait un vaste programme d’aide économique du Canada.
Pour McGee, le concept de « nouvelle nationalité » était fondé sur la volonté de vivre en Amérique du Nord une expérience différente de celle des États-Unis. La caractéristique essentielle de l’expérience canadienne reposait sur ses relations avec la Grande-Bretagne. Le problème étant de trouver comment conserver un lien entre les deux pays tout en maintenant la souveraineté du Canada, McGee proposa que l’un des plus jeunes fils de la reine Victoria fonde une dynastie canadienne dans ce qui s’appellerait « le Royaume du Saint-Laurent ». Le développement d’une littérature canadienne bien distincte occupait une place tout aussi importante dans l’esprit de McGee. Après avoir demandé : « Nommez-moi un lecteur de livres canadiens », il suggéra des façons possibles d’encourager la littérature canadienne (en assurant aux éditeurs canadiens une protection douanière, par exemple). Le programme de McGee s’inspirait en bonne partie des théories nationalistes de la « Young Ireland » ; il appliqua ces théories à la situation particulière de Montréal et de l’Amérique du Nord britannique au cours de la récession économique de 1857. Il décrivit plus tard son programme comme étant sa « politique nationale », et les principes mêmes de ce programme eurent une influence sur sa carrière politique au Canada.
En décembre 1857, D’Arcy McGee fut l’un des trois membres élus pour représenter Montréal à l’Assemblée législative. Il avait été nommé par la St Patrick’s Society de Montréal et il obtint son cens d’éligibilité grâce à des souscriptions publiques au sein de la communauté irlandaise. Lorsque le gouvernement choisit de lui opposer Henry Starnes*, McGee appuya Luther Hamilton Holton* et Antoine-Aimé Dorion* contre John Rose* et George-Étienne Cartier*. Rose, Dorion et McGee l’emportèrent et, d’après l’opinion publique, c’est le vote des Irlandais qui avait décidé du résultat des élections.
À l’Assemblée, McGee appuya l’éphémère gouvernement réformiste de George Brown* et de Dorion durant la session de 1858 et, lorsqu’ils quittèrent leurs fonctions, il siégea parmi les membres opposés à la coalition de Cartier et de John Alexander Macdonald*. En dehors de l’Assemblée, McGee dota d’une organisation politique les catholiques irlandais du Haut-Canada et incita ces derniers à appuyer les réformistes de Brown. Il s’efforça également de transformer le parti réformiste de façon qu’il convienne aux deux parties de la province du Canada. Au moment même où la convention des réformistes de l’Ouest en 1859 adoptait une politique favorisant l’union fédérale, McGee, avec trois autres membres de l’opposition du Bas-Canada, émit un manifeste préconisant l’union fédérale des deux Canadas. La rumeur courut que McGee avait convaincu les réformistes de l’Ouest de considérer le système scolaire national irlandais comme un modèle et une solution aux problèmes scolaires du Haut-Canada.
McGee espérait gagner l’appui des catholiques irlandais à un parti réformiste remanié avec George Brown à sa tête, mais ses espoirs s’effondrèrent peu après les élections générales de 1861, lorsque la hiérarchie catholique du Canada attaqua dans un communiqué public la politique scolaire de McGee. Ce dernier fut réélu en 1861, mais Brown fut battu et mit cette défaite sur le compte de l’évêque catholique de Toronto, Mgr John Joseph Lynch*. L’alliance de McGee et de Brown prit fin lorsque Richard William Scott* présenta son projet de loi sur les écoles séparées auquel le Globe s’opposait catégoriquement et que McGee appuyait. McGee n’en continua pas moins de s’opposer aux conservateurs après les élections de 1861. Lorsque le gouvernement Cartier-Macdonald fut battu lors de la présentation du projet de loi sur la milice en 1862, McGee fut invité à se joindre au ministère du réformiste modéré John Sandfield Macdonald* comme président du Conseil exécutif. McGee se lança immédiatement dans un plan de réforme de l’administration publique et essaya de faire transférer à son bureau la direction de l’immigration. En dépit de la politique de réduction des dépenses adoptée par le gouvernement, McGee encouragea l’expansion économique et siégea comme président à la conférence sur l’Intercolonial qui se tint à Québec en septembre 1862. Dorion démissionna lorsque le ministère de Sandfield Macdonald appuya le projet de chemin de fer, mais lorsque le plan échoua, Dorion reprit ses fonctions et McGee fut évincé.
Aux élections générales qui suivirent, McGee annonça qu’il se présenterait comme indépendant et déclara : « J’ai l’intention d’adhérer à la politique nationale que j’ai toujours préconisée et appliquée. » Le gouvernement de Sandfield Macdonald et de Dorion décida d’opposer un candidat à McGee, et ce dernier appuya Cartier et Rose contre Holton et Dorion. À cette occasion, McGee, Cartier et Rose furent réélus.
En passant du groupe des réformistes à celui des conservateurs, McGee redoubla d’efforts pour faire accepter le programme déjà défini dans la New Era. Durant l’été de 1863, il écrivit plusieurs lettres publiques, ainsi que deux articles pour le British American Magazine, dans lesquels il définissait la destinée de l’Amérique britannique. L’Amérique britannique et les États-Unis, d’après McGee, jouissaient tous deux d’une liberté propre à leur continent et inconnue en Europe. Les Américains avaient beau avoir développé leur liberté dans un système gouvernemental républicain, cette liberté présentait de nombreuses imperfections, même si c’était une expérience magnifique. Les colonies de l’Amérique du Nord britannique, par contre, ne s’étaient pas séparées de la Grande-Bretagne et avaient fondé leurs institutions suivant des normes différentes. En conservant un système monarchique constitutionnel, elles étaient parvenues à établir un meilleur équilibre entre leur liberté naturelle et leur besoin d’autorité, faisant ainsi régner sur leur société un ordre meilleur et une plus grande liberté. Il déclara : « Au citoyen américain qui se vante de jouir d’une plus grande liberté aux États-Unis, je ferai remarquer que le citoyen a une plus grande liberté d’exprimer ses opinions personnelles, sociales, politiques et religieuses ici qu’à New York ou en Nouvelle-Angleterre. D’autre part, la tolérance et les libertés accordées aux minorités sont bien plus grandes au Canada qu’aux États-Unis. » McGee citait volontiers l’exemple des droits des minorités et attirait l’attention de la presse irlandaise sur cette question en comparant la situation des Irlandais en « Amérique du Nord britannique et [en Amérique] républicaine ». À l’été de 1863, McGee s’efforça de convaincre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse de l’utilité d’une nationalité américaine britannique. Il s’adressa au public de Saint-Jean et de Halifax, reprenant les arguments qu’il avait avancés au Canada. « Je m’adresse à l’heureux génie d’une Amérique britannique unie qui serait sanctionnée par la religion et qui couronnerait notre patrimoine de liberté par une autorité unique, indispensable et légale, de sorte que, main dans la main, nos descendants et nous-mêmes puissions marcher d’un pas assuré vers l’accomplissement d’une destinée commune. »
McGee devint ministre de l’Agriculture, de l’Immigration et des Statistiques sous le gouvernement conservateur qui fut formé après la défaite du deuxième ministère Sandfield Macdonald en 1863. Il continua d’occuper ces fonctions pendant la « Grande Coalition » et fut l’un des délégués canadiens aux conférences de Charlottetown et de Québec en 1864. À Québec, McGee soumit une résolution réclamant une garantie des droits scolaires pour les minorités religieuses dans les deux Canadas.
Les premières années de la Confédération coïncidèrent avec une période de crise en Irlande qui affecta beaucoup McGee. L’Irish Republican Brotherhood, communément appelée les Féniens, avait obtenu un large soutien parmi les Irlandais de Grande-Bretagne et des États-Unis et invoquait l’aide des Irlandais du Canada. McGee s’opposa ouvertement au mouvement et fonda son opposition sur deux arguments : tout d’abord, il désapprouvait le projet de faire de l’Irlande une république et encourageait les Irlandais à adopter le modèle canadien d’un régime autonome à l’intérieur de l’empire britannique ; ensuite, McGee attaqua le plan des Féniens d’envahir l’Amérique britannique et il somma les Irlandais du Canada de « donner la preuve la plus évidente possible qu’un Irlandais bien gouverné devient l’un des meilleurs sujets de la loi et du Souverain ». Lorsque McGee se rendit en Irlande en 1865 à titre de délégué du Canada à l’Exposition internationale de Dublin, il prononça un discours à Wexford, ville où il avait passé sa jeunesse, et parla de la situation de l’immigrant irlandais au Canada et aux États-Unis. Il décrivit également sa carrière de rebelle irlandais comme « une folie de jeunesse ». Ce « discours de Wexford » fit une forte impression en Irlande, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Canada et valut à McGee de se faire traiter de transfuge et de traître à l’Irlande.
En 1866, McGee avait perdu la confiance de ses électeurs irlandais de Montréal. Il les avait indisposés et était devenu un embarras dans la politique canadienne. Il ne fut pas invité à la conférence de Londres en 1866 et ne fit pas partie non plus du premier gouvernement du dominion. Alors que les élections générales fédérales de 1867 approchaient, McGee fut banni de la St Patrick’s Society, et c’est le président de la société, Bernard Devlin*, qui fut nommé comme candidat adversaire de McGee. McGee fut réélu dans Montréal-Ouest, mais il avait perdu les voix des Irlandais, et fut battu comme candidat dans Prescott aux élections provinciales en Ontario. Il fit alors part de son désir de se retirer de la scène politique. John Alexander Macdonald lui promit un poste de fonctionnaire pour l’été de 1868, et McGee songea à s’intéresser exclusivement à la littérature et à l’histoire du Canada, mais il mourut avant sa nomination.
McGee fut assassiné à Ottawa, le 7 avril 1868, aux premières heures du jour. Il fut enterré à Montréal une semaine plus tard, le jour de ses 43 ans. À l’époque, on crut généralement que ce crime faisait partie d’une conspiration des Féniens. Patrick James Whelan, un immigrant irlandais, fut accusé du crime, reconnu coupable, et pendu publiquement à Ottawa le 11 février 1869. On n’accusa cependant jamais Whelan d’avoir été un Fénien, et les charges retenues contre d’autres membres possibles de la conspiration furent rejetées.
Mis à part ses discours publics et ses articles de presse, Thomas D’Arcy McGee laissa derrière lui une masse importante d’écrits. Son premier ouvrage, Eva MacDonald, est un roman historique. Le seul ouvrage de fiction qu’il écrivit fut une pièce destinée aux écoles catholiques, Sebastian, or the Roman martyr (New York, 1861). Tout le reste de sa prose consiste en des écrits historiques, la plupart de propagande, visant à justifier une situation actuelle à travers une argumentation historique. Son ouvrage historique le plus intéressant est son dernier, A popular history of Ireland (New York, 1863). Le titre de cet ouvrage était significatif : même si McGee effectua des recherches de base, il fit appel aux travaux d’autres écrivains et se contenta de vulgariser leurs découvertes. Son livre fut bien reçu et McGee fut nommé membre de la Royal Irish Academy.
Pendant toute sa carrière, McGee publia également, sous le pseudonyme d’Amergin, un grand nombre de poèmes, dont 309 furent recueillis et publiés après sa mort par une amie intime, Mary Anne Sadlier [Madden*]. McGee usait en poésie d’un style lyrique pour exprimer des émotions personnelles ; il utilisa la ballade pour des sujets historiques et exprima une fois son ambition d’écrire une histoire de l’Irlande sous forme de ballade. En tant que poète, il fit partie de l’école de la « Young Ireland » qui publiait dans la Nation et qui comprenait Thomas Osborne Davis, James Clarence Mangan, sir Samuel Ferguson et « Speranza », future lady Wilde et mère d’Oscar Wilde. La poésie de McGee, son amour pour le passé celtique, l’intérêt qu’il portait à l’histoire et ses idées politiques concordaient parfaitement avec le milieu romantique dans lequel il évolua.
II est difficile de se faire une idée sur la personnalité et la vie privée de D’Arcy McGee, car ses documents personnels sont très peu nombreux. Il était bien connu pour son éloquence et considéré par la plupart comme le meilleur orateur de tous les hommes politiques de l’époque. Ce talent se révéla dès le début de sa carrière où il faisait des tournées comme conférencier pour subvenir à ses besoins. McGee n’eut jamais de fortune personnelle et vécut toujours de sa plume, du journalisme, de conférences, de souscriptions publiques et des émoluments du gouvernement. Il était presque toujours en dette, ce qui expliquerait les accusations portées contre lui comme quoi il changeait ses options idéologiques et politiques pour des questions d’intérêt, ce qui reste difficile à prouver. Sa première inclination pour le libéralisme révolutionnaire et l’anticléricalisme, suivie quelques années plus tard par une foi passionnée au catholicisme et au conservatisme, était chose courante parmi les romantiques du xixe siècle. De même était la tendance à recourir à des moyens d’évasion. Nombre de personnalités romantiques très en vue étaient des consommateurs de stupéfiants et McGee avait la réputation de s’adonner à la boisson. Ce genre de comportement se manifesta surtout pendant des périodes de forte tension telles que la crise qui précéda sa réconciliation avec l’Église, son conflit avec Sandfield Macdonald, et son affrontement avec les Féniens. Au moment de sa mort, il avait renouvelé son vœu d’abstinence totale, engagement qu’il avait pris la première fois avec le père Mathew en Irlande.
T. D’A. McGee, The Catholic history of North America ; five discourses, to which are added two discourses on the relations of Ireland and America (Boston, 1855) ; Eva MacDonald, a tale of the United Irishmen (Boston, 1844) ; Gallery of Irish writers ; the Irish writers of the seventeenth century (Dublin, 1846) ; Historical sketches of O’Connell and his friends [...] (2e éd., Boston, 1845 ; 4e éd., 1854) ; A history of the attempts to establish the Protestant reformation in Ireland, and the successful resistance of that people ; (time : 1540–1830) (Boston, 1853) ; A history of the Irish settlers in North America, from the earliest period to the census of 1850 (Boston, 1851 ; 5e éd., 1852) ; A life of the Rt. Rev. Edward Maginn, coadjutor bishop of Derry, with selections from his correspondence (New York, 1857 ; 2e éd., 1860) ; A memoir of the life and conquests of Art MacMurrogh, king of Leinster, from A.D. 1377 to A.D. 1417, with some notices of the Leinster wars of the 14th century (Dublin, 1847 ; 2e éd., [1886]) ; A plea for British American nationality, British American Magazine ; Devoted to Literature, Science, and Art (Toronto), I (1863) : 337–345, 561–567 ; The poems of Thomas D’Arcy McGee ; with copious notes ; also an introduction and biographical sketch, Mme James Sadlier [M. A. Madden], édit. (New York, 1869) ; Brady, édit. (2e éd., Boston, 1869) ; A popular history of Ireland [...] (2 vol., New York, 1863).
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Bibliographie de la version modifiée :
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Robin B. Burns, « McGEE, THOMAS D’ARCY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mcgee_thomas_d_arcy_9F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/mcgee_thomas_d_arcy_9F.html |
Auteur de l'article: | Robin B. Burns |
Titre de l'article: | McGEE, THOMAS D’ARCY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |