BOYLE, PATRICK, typographe, imprimeur et éditeur, né en 1832 à Newport, comté de Mayo (république d’Irlande) ; il épousa Bridget Ellen Hynes (décédée en 1894), et ils eurent trois filles ; décédé le 1er août 1901 à Toronto.
Patrick Boyle émigra aux États-Unis avec sa famille en 1844. Deux ans plus tard, pour des raisons inconnues, il s’établit à Toronto. Au début des années 1850, il travailla comme typographe au Globe de George Brown*, puis comme compagnon typographe au Catholic Citizen. Ensuite, pendant un moment, il exerça son métier à New York et à La Nouvelle-Orléans, mais il regagna le Canada à l’aube de la guerre de Sécession.
Aux États-Unis, Boyle avait lu le Phoenix de New York et fréquenté les radicaux qui soutenaient ce journal nationaliste irlandais. Irrité par la domination que l’Angleterre exerçait sur l’Irlande et influencé par le climat d’animosité qui régnait à Toronto, il fonda l’Irish Canadian dans cette ville en janvier 1863. Comme la plupart des actionnaires, des typographes et des rédacteurs du journal faisaient partie de la Hibernian Benevolent Society of Canada, dont Boyle était secrétaire, on prenait l’Irish Canadian pour l’organe de cette association de travailleurs irlandais. Dans les premiers numéros de son hebdomadaire, Boyle préconisait pour l’Irlande une certaine forme d’autonomie politique, un statut semblable à celui du Canada, dominion au sein de l’Empire britannique. En outre, il réclamait l’avancement politique des catholiques irlandais du Canada. Étant donné leur nombre et leur influence, disait-il, il fallait, « dans tous les conseils des ministres », apporter à leur cas « toute l’attention qu’il mérit[ait] ». Il allait gagner l’appui d’une bonne partie de l’opinion en défendant les droits des Irlandais du Canada et de la « mère patrie ». En 1892, le tirage de l’Irish Canadian dépasserait celui de tous les autres journaux catholiques de l’Ontario.
Les événements ne tardèrent pas à mettre à l’épreuve les idées de Boyle. Dans les dernières phases de la guerre de Sécession et en plein débat sur la Confédération, les résidents du Canada se mirent à craindre une invasion irlando-américaine. Dans le courant de l’année 1864, Boyle manifesta de plus en plus de sympathie à la Fenian Brotherhood, dont le quartier général était aux États-Unis, ce qui ne faisait qu’alimenter les soupçons selon lesquels des révolutionnaires irlandais conspiraient au sein même de la société canadienne. Boyle et ses compagnons hiberniens souhaitaient l’indépendance de l’Irlande, comme les féniens, mais l’Irish Canadian s’opposait à ce que les féniens tentent d’envahir le Canada, car il jugeait que cela nuirait à la cause. Cependant, faute de désavouer entièrement les féniens, Boyle s’éloignait de Thomas D’Arcy McGee*, journaliste irlandais, député de Montréal à l’Assemblée législative et partisan d’un accommodement culturel, ainsi que des irlando-catholiques modérés de Toronto. Au début de 1864, James George Molyan, Irlandais d’origine et rédacteur en chef du Canadian Freeman de Toronto, rival de l’Irish Canadian, accusa le journal de Boyle d’être un organe fénien.
Ceux qui craignaient l’existence d’une cinquième colonne fénienne ne furent pas rassurés lorsque, en 1864, à la veille du 5 novembre (jour commémoratif de la conspiration des Poudres), les hiberniens de Toronto rôdèrent dans les rues à la recherche de prétendus manifestants orangistes. Condamné par la presse et par certains membres du clergé catholique, l’incident montrait combien Boyle et les hiberniens s’étaient distancés des nationalistes irlandais modérés et indiquait qu’ils étaient prêts à descendre dans la rue pour défendre les droits des Irlandais catholiques. Néanmoins, tout au long des années 1865 et 1866, Boyle continua de s’opposer à l’invasion et, tout en prônant la reconquête de l’Irlande par les féniens, protesta de sa loyauté envers le Canada. Sa position controversée et sa popularité auprès des nationalistes irlandais n’arrangeaient pas ses relations avec le clergé catholique de Toronto, et surtout pas avec l’archevêque John Joseph Lynch*. La lutte que se livraient le clergé et les laïques (chaque groupe espérant mener les catholiques irlandais de Toronto) en vint presque à se cristalliser autour de la rivalité entre Boyle et Lynch.
L’invasion fénienne de la péninsule canadienne du Niagara en 1866 [V. John O’Neill*] plaça Boyle dans une situation précaire. La défaite des féniens l’obligea à tempérer son discours nationaliste, mais il assuma la présidence de la Hibernian Benevolent Society après la capture de Michael Murphy* et continua de réclamer une meilleure représentation politique pour les Irlandais du Canada. Son arrestation en avril 1868, au cours des enquêtes menées sur les nationalistes irlandais après le meurtre de McGee, ne surprit personne. Boyle et James E. Hynes, son beau-frère et coéditeur, passèrent plus de trois mois en prison ; l’Irish Canadian ne parut pas pendant ce temps.
La carrière de Boyle prit un nouveau tournant après l’échec du fénianisme et sa propre libération. En 1863, même s’il attaquait le Parti réformiste et lui reprochait d’être dominé par des Écossais, qui manifestaient selon lui un esprit de clan et un manque de loyauté, il n’était affilié à aucun parti. Vers 1865, comme le clergé et les nationalistes irlandais modérés soutenaient le Parti conservateur, il se mit à associer nationalisme irlandais et libéralisme politique. En 1867, lorsque le « Congrès catholique » [V. sir Frank Smith] décida d’appeler les électeurs irlandais à serrer les rangs derrière le Parti réformiste, il appuya cette résolution. En 1871, il adhéra à la Catholic League, où prédominaient les réformistes. Enfin, en 1872, il était derrière le populaire homme politique torontois John O’Donohoe, et l’Irish Canadian soutenait officiellement la cause réformiste. O’Donohoe avait une bonne chance de se faire appuyer par un appareil irlandais bien huilé ; Boyle, lui, voyait en O’Donohoe un moyen de faire des gains sur le plan national. La victoire libérale au scrutin fédéral de 1874 resserra leur alliance, même si O’Donohoe, élu dans Toronto East, fut délogé par la suite.
Dans sa phase réformiste, Boyle eut à nouveau des affrontements verbaux avec Lynch. À cette époque, l’archevêque tentait de rester neutre face à la politique fédérale tout en soutenant les libéraux de l’Ontario, qui, selon lui, traitaient vraiment avec « justice » les catholiques irlandais de la province. Cependant, Boyle finit par être déçu que les libéraux ne dispensent pas de faveurs aux catholiques, ni au fédéral ni au provincial, et il s’éleva contre la politique libre-échangiste des libéraux fédéraux parce que, d’après lui, elle appauvrissait les travailleurs catholiques. En 1876, comme Boyle critiquait Christopher Finlay Fraser*, lieutenant catholique du premier ministre de l’Ontario Oliver Mowat, et reprochait au clergé de s’immiscer dans la politique provinciale et dans l’administration scolaire à Toronto, Lynch accusa l’Irish Canadian de fomenter la discorde parmi les catholiques. Dans une lettre adressée à l’archevêque en décembre 1876, Boyle déclara qu’il ne cesserait pas de « s’acquitter [...] honnêtement de [... son] devoir de journaliste ». L’Irish Canadian continua donc de critiquer l’ingérence du clergé en politique et retira son soutien aux libéraux. En 1878, Boyle et O’Donohoe appuyaient de nouveau officiellement les conservateurs, qui reprirent le pouvoir cette année-là à Ottawa.
Après avoir demandé en vain quelques faveurs, Boyle finit par avoir l’oreille du premier ministre du pays, sir John Alexander Macdonald*, et de ses lieutenants irlandais, Frank Smith, John Costigan* et O’Donohoe, sénateur à compter de 1882. Les conservateurs se mirent à financer l’Irish Canadian, accordèrent des contrats gouvernementaux à la Toronto Printing Company de Boyle et le persuadèrent de lancer une édition quotidienne, l’Evening Canadian, en 1882. Mais le quotidien ne se vendait pas et, dès 1884, Boyle demandait des fonds à Macdonald pour rembourser les créanciers de l’Irish Canadian. Pourtant, il reconnaissait que, malgré l’échec du quotidien, le tirage de son hebdomadaire, l’Irish Canadian, augmentait.
Lynch se rapprochait de plus en plus des libéraux ontariens, et l’Irish Canadian, financé par les conservateurs, devint une arme puissante dans la lutte que menaient Boyle et Macdonald pour saboter ce rapprochement. Toutefois, Boyle mit fin à ses attaques cinglantes en 1886, lorsque les conservateurs de la province, sous la direction de William Ralph Meredith*, lancèrent une campagne électorale sur le thème « Pas de papistes » dans l’espoir de briser le concordat que Lynch et Mowat avaient prétendument conclu. Sans appuyer ouvertement Mowat, Boyle servit un avertissement sévère à Meredith et au journal ultra-protestant Tory Daily Mail [V. Christopher William Bunting*] : les conservateurs s’aliéneraient les électeurs irlandais en adoptant une plate-forme électorale anticatholique.
À nouveau, en 1887, Boyle n’était affilié à aucun parti, même s’il allait demander à l’occasion des faveurs aux tories fédéraux. L’année suivante, l’Irish Canadian désavoua même toute mission religieuse, laissant « les questions de foi [...] aux voix autorisées ». De toute évidence, Boyle s’pprêtait à reprendre possession de son ancien territoire : il lutterait pour les droits politiques des irlando-catholiques et cultiverait, espérait-il, « un amour éternel [...] pour la verte Érin ». Le fait qu’il ait participé à l’organisation de la visite à Toronto en 1887 de l’activiste William O’Brien, rédacteur en chef du United Ireland de Dublin, montrait que telles étaient ces intentions. Lynch, Frank Smith et la Catholic Weekly Review étaient opposés à cette visite, qui coïncidait avec celle du gouverneur général lord Lansdowne [Petty-Fitzmaurice*], propriétaire fort connu en Irlande. Leur réaction ne fit qu’exacerber le nationalisme irlandais de Boyle et le pousser à lancer un dernier assaut contre Lynch.
En 1888, la guerre éclata entre l’archevêque et des membres nationalistes irlandais du Toronto Separate School Board. Le conflit avait commencé en 1876, soit au moment où d’audacieux conseillers laïques avaient accusé Lynch de mauvaise gestion financière et d’ingérence dans les affaires du conseil. En 1888, les conseillers nationalistes, appuyés par Boyle et l’Irish Canadian, réclamèrent que les élections scolaires se fassent au scrutin secret pour que l’archevêque ne puisse pas manipuler les électeurs. Soutenu par la Review, Lynch répliqua publiquement en traitant ses adversaires de « faux frères ». En avril 1888, son groupe réussit à faire élire Timothy Warren Anglin* au conseil. L’affaire suscita de violentes critiques de la part de Boyle, mais Lynch mourut en mai avant que la question ne soit résolue.
Les escarmouches entre Boyle et la Review se poursuivirent pendant encore quatre ans. Les deux journaux soutinrent tacitement les libéraux de Mowat en 1890, mais ils n’avaient guère d’autres points communs. Une fois, en 1888, le rédacteur en chef de la Review, Gerald Fitzgerald, salua en Boyle une « puissante figure égarée au milieu de politiciens de taverne » avec qui il serait « tout à fait avilissant » de ferrailler encore. En 1892, l’archevêque John Walsh*, successeur de Lynch, impatient de mettre fin à ces querelles intestines, fit en sorte de fusionner les deux journaux. En janvier 1893 naquit le Catholic Register, journal résolument catholique plutôt qu’ethnique. Boyle en devint l’imprimeur et en fut à compter de 1897 le secrétaire-trésorier, ce qui eut pour effet de le neutraliser.
Dans ses dernières années, Boyle vit la communauté irlando-catholique de Toronto s’assimiler peu à peu à la majorité anglo-canadienne. Cette tendance, particulièrement visible dans le Register, le décida à relancer l’Irish Canadian en juin 1900. Mal lui en prit, car ses lecteurs avaient soit vieilli, soit disparu. Son nationalisme était plus modéré qu’autrefois, ce dont témoigne l’attention surprenante qu’il accorda à la mort de la reine Victoria en 1901, mais son journal était un rejeton bien chétif de l’ancien Irish Canadian. Il paraissait depuis un an seulement lorsque Boyle mourut d’une crise cardiaque. Dans les semaines qui suivirent son enterrement, des amis et des rivaux de longue date constituèrent un fonds pour sa fille Harriet. Célibataire, elle avait vécu avec son père veuf, et l’effondrement de la deuxième version de l’Irish Canadian l’avait laissée dans une pénible situation financière.
Le combat que Patrick Boyle mena toute sa vie en faveur des droits des irlando-catholiques permit à sa communauté de gagner du poids politique et continua de les influencer en tant que catholiques même après que leurs caractères irlandais se soient estompés. Organe ethno-religieux et politique, l’Irish Canadian donna des bases solides au journalisme catholique contemporain et força les partis politiques du Canada à compter avec une présence catholique au Canada anglais.
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Mark G. McGowan, « BOYLE, PATRICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/boyle_patrick_13F.html.
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Auteur de l'article: | Mark G. McGowan |
Titre de l'article: | BOYLE, PATRICK |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |