Titre original :  Photograph C. W. Bunting, Montreal, QC, 1882 Notman & Sandham May 17, 1882, 19th century Silver salts on paper mounted on paper - Albumen process 15 x 10 cm Purchase from Associated Screen News Ltd. II-65212.1 © McCord Museum Keywords:  Photograph (77678)

Provenance : Lien

BUNTING, CHRISTOPHER WILLIAM, imprimeur, homme d’affaires, journaliste et homme politique, né le 11 septembre 1837 à Amigan, comté de Limerick (république d’Irlande), fils de William Bunting et de Jane Crowe ; le 5 novembre 1868, il épousa Mary Elizabeth Ellis, et ils eurent cinq fils et une fille ; décédé le 14 janvier 1896 à Toronto.

En 1850, Christopher William Bunting, sa sœur et leur mère, qui était veuve, immigrèrent au Canada et se fixèrent à Toronto. Bunting avait fait quelques études en Irlande et, à Toronto, il fréquenta l’école de la paroisse St James ; sa formation religieuse fut méthodiste et anglicane. Vers l’âge de 14 ans, il devint typographe au Globe, dont George Brown* était le rédacteur en chef. Il fut prote à l’atelier de mécanique et fit quelques reportages locaux avant de quitter le journal en 1866. Puis, pendant 11 ans, il travailla dans l’alimentation de gros ; il fut d’abord directeur financier de la John Smith and Company, ensuite associé en second de la John Boyd and Company, et enfin associé de Henry W. Bailey. En 1873, il s’installa à Clifton (Niagara Falls), où la Bailey and Bunting se spécialisa dans l’importation du sucre.

On ignore à quel moment exactement Bunting fit la connaissance de l’Irlandais John Riordon*, fabricant de papier et millionnaire de St Catharines, mais en 1877 Riordon réalisa un coup de force avec lui en exerçant ses droits d’hypothèque mobilière contre le Mail de Toronto, organe du parti conservateur. Avec Bunting comme associé en second, Riordon avait mis la main sur le Mail pour une somme dérisoire et, une fois la compagnie réorganisée, Bunting en devint le gérant. Tous deux convinrent de laisser au journal s’on étiquette conservatrice, et Bunting devint même un organisateur loyal et actif du parti. Cependant, la reprise du Mail lui offrait l’occasion de transformer le journal en une entreprise florissante.

Bunting se servit des nouveaux capitaux investis par Riordon pour défier la position dominante du Globe. Avec le temps, il embaucha pour animer les chroniques du journal de jeunes journalistes talentueux, dont Kathleen Watkins [Blake*], Philip Dansken Ross* et Edmund Ernest Sheppard*. Lui-même écrivait très peu d’éditoriaux, mais il exerçait toujours une supervision étroite sur le service de l’information, qu’il agrandit, et sur celui de la rédaction. Avec William James Douglas, il réorganisa les services commerciaux et acheta de nouvelles presses. Dès 1881, année de la construction d’un nouvel édifice, les innovations de Bunting portaient fruits : le tirage du Mail égalait celui du Globe.

Du côté politique, Martin Joseph Griffin (rédacteur en chef de 1881 à 1885) veillait à ce que le journal continue de donner une information rigoureusement partisane, tandis que Bunting cimentait ses liens avec sir John Alexander Macdonald : il siégea en effet aux Communes à titre de député conservateur de la circonscription de Welland de 1878 à 1882. Cette année-là, il perdit dans West Durham au profit du chef du parti libéral Edward Blake*. Macdonald tenta, sans succès, de lui assurer un siège en Colombie-Britannique. Bunting était devenu l’un des grands conseillers du premier ministre.

Toutefois, dès 1882, la priorité politique de Bunting fut de provoquer la défaite du premier ministre libéral de l’Ontario, Oliver Mowat*. Comme les libéraux avaient été réélus par une faible majorité en 1883, il étudia les possibilités d’attirer les indécis hors du caucus libéral. C’était une stratégie dangereuse, car quelques-uns de ses associés, imprudents, commirent la maladresse de l’impliquer dans des offres explicites de pots-de-vin. Quand, le 17 mars 1884, ce « complot de corruption » fut mis au jour à l’Assemblée législative, Bunting fit face à la crise de sa carrière. Il risquait d’être inculpé de conspiration criminelle et de mépris de l’autorité de l’Assemblée. En mai, il quitta le pays pour deux mois afin d’éviter de témoigner à l’enquête judiciaire. En janvier 1885, un rapport majoritaire conclut qu’il y avait bien eu complot. Par contre, un rapport minoritaire affirmait, en s’appuyant sur des questions de forme, qu’il était impossible de tirer des conclusions, ce qui réduisait le risque pour Bunting d’être blâmé par l’Assemblée. Des poursuites criminelles, qui se terminèrent en avril 1885, innocentèrent Bunting et ses acolytes.

Dès 1883, Bunting avait acquis la conviction que pour battre Mowat il fallait que le Mail en appelle aux sentiments de la majorité anglo-protestante, au risque d’éloigner les conservateurs catholiques. Les suites de la rébellion du Nord-Ouest, en 1885 [V. Louis Riel*], ne firent que le persuader davantage que l’abus d’influence des francophones, des catholiques et du clergé corrompait la politique, non seulement provinciale mais nationale. En choisissant de combattre les catholiques de tout le pays, il précipita le Mail et le parti conservateur dans une crise.

Pour mobiliser les Anglo-protestants, Bunting avait choisi (probablement à l’automne de 1884), sur la recommandation du député fédéral D’Alton McCarthy, un nouveau rédacteur en chef fort compétent, Edward Farrer*. Malgré tout l’embarras que le Mail causa à Macdonald jusqu’en 1886, Bunting demeura d’abord fidèle au parti conservateur. Quelles qu’aient été les motivations de Farrer ou de Charles Riordon*, son nouvel associé principal depuis 1882, il semble que Bunting ait considéré l’appel aux protestants comme la stratégie la plus susceptible de mener les conservateurs à la victoire en Ontario. En même temps, cet anticatholicisme intransigeant favorisait l’indépendance à l’égard du parti conservateur, ce qui, par ricochet, augmentait l’importance et l’influence du Mail dans toute la province. Bunting visait un objectif très semblable à celui de McCarthy : un regroupement du parti conservateur autour d’une classe dirigeante anglo-protestante. Macdonald continuait de l’exhorter à abandonner la partie, puis à l’automne de 1886 il se contenta de répudier les opinions du Mail sur l’influence des catholiques. Ce n’est qu’après les élections ontariennes de décembre remportées haut la main par Mowat, que Macdonald conclut à la nécessité d’une rupture publique. À sa demande, le Mail se proclama indépendant le 8 janvier 1887.

Le journal entreprit ensuite de définir ce que son indépendance signifiait. Tout en continuant de prôner, à grands cris, la résistance à l’influence des francophones et des catholiques, il donna son appui à une union commerciale avec les États-Unis. Il soutint la prohibition de l’alcool, entre autres panacées réformistes. Pendant l’été de 1888, il profita de l’adoption, par le gouvernement de Québec, de l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites [V. Honoré Mercier] pour manifester son inquiétude au sujet de l’« agression » française et catholique. Encore une fois, il tentait d’amener l’opinion ontarienne à affirmer les valeurs anglo-protestantes et prônait l’Equal Rights Association, fondée à Toronto en juin 1889, comme agent du changement de la politique en Ontario [V. Daniel James Macdonnell]. D’autres journaux avaient déjà tenté de ne pas se laisser dicter leurs opinions par un parti, mais aucun n’avait soutenu, dans sa page éditoriale, une position aussi ferme que le Mail sous la direction de Farrer. En 1891, le critique américain Walter Blackburn Harte émit l’avis que Bunting avait créé, au Canada, le seul journal du matin « de qualité » qui pratiquait l’« indépendance ».

Cependant, tout ne se passait pas comme le voulait le Mail, et Bunting trouvait l’indépendance aussi contraignante que l’affiliation à un parti. En 1886, l’édifice du journal avait subi un incendie coûteux. L’année suivante, les conservateurs se donnèrent un nouveau journal officiel, l’Empire, qui réduisit les profits du Mail. En outre, il semble que Charles Riordon ait laissé moins de latitude administrative à Bunting que son prédécesseur. Le journal abandonna la cause de l’union commerciale en 1889, presque aussi soudainement qu’il l’avait adoptée deux ans plus tôt. Aux élections provinciales de 1890, le chef conservateur William Ralph Meredith* orienta la rhétorique du parti dans le sens exigé par le Mail indépendant, mais encore une fois Bunting assista à une victoire des libéraux. Pendant l’été de 1890, Farrer passa au Globe. Aux élections fédérales de mars 1891, les occasions de provoquer une révolution électorale dans la politique canadienne en s’employant à renforcer le pouvoir anglo-protestant s’étaient envolées.

À l’automne, Bunting entama des négociations avec le gouvernement conservateur d’Ottawa dans l’espoir de parvenir à un compromis, et il en entreprit d’autres en 1893. Ces démarches débouchèrent sur un autre triomphe commercial pour lui. Le 7 février 1895, il se porta acquéreur de l’Empire, pour aussi peu, croit-on, que 30 000 $. D’un seul coup, Riordon et Bunting rationalisèrent le marché torontois des quotidiens du matin et lancèrent un nouveau journal officiellement conservateur : le Daily Mail and Empire.

En un sens, Bunting se retrouvait au même point qu’en 1877. Avec son jeune rédacteur en chef, Arthur Frederick Wallis, il revenait au journalisme partisan. Pourtant, ce recul apparent masquait des changements subtils. Certes, le Daily Mail and Empire s’efforçait d’interpréter l’actualité à l’avantage du parti conservateur mais, tout comme le Mail à l’époque de son indépendance, il visait à donner une information complète et à présenter des éditoriaux impartiaux. Un bon journal du matin ne pouvait plus se contenter de répéter comme un perroquet ce que disaient les chefs de parti. Cependant, Bunting n’eut pas l’occasion de superviser ce changement. À l’automne de 1895, il était en assez mauvaise santé, et il mourut du mal de Bright à sa maison de Queen’s Park, à l’âge de 58 ans, moins d’un an après avoir brillamment réalisé la fusion du Mail et de l’Empire.

Christopher William Bunting ne parvint pas à être un journaliste vraiment indépendant, et son importance tient à ce que sa carrière montre que la dernière génération de journalistes victoriens ne sut pas trouver une stratégie professionnelle qui l’aurait aidée à se dégager complètement de l’influence des partis. Surtout, en passant au journalisme indépendant, Bunting ne s’attaqua pas au problème des responsabilités et des droits professionnels des journalistes : il aurait pu reconnaître le rôle qu’ils jouaient dans la définition de l’information ou créer des mécanismes qui leur auraient permis d’établir une certaine distance entre eux et leurs éditeurs. Il reste que Bunting « capt[ait] vite l’humeur de l’opinion et [fut] toujours capable de faire un grand journal, respecté et influent », comme le notait en 1897 le rédacteur en chef du Globe, John Stephen Willison*. C’était un début. La volonté d’attirer de nouveaux lecteurs par une réputation d’intégrité éditoriale faisait partie d’un processus qui allait finir par donner aux journaux, devenus des médias de masse capables de compter sur d’énormes revenus de publicité, la base d’une indépendance plus authentique. Bien que son expérience du journalisme indépendant ait été brève, d’envergure limitée et se soit soldée par un échec, Bunting fut l’un des pionniers qui contribuèrent à transformer le journalisme quotidien en une profession. Mort prématurément, il devint un symbole d’idéaux journalistiques encore irréalisés.

Brian P. N. Beaven

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Brian P. N. Beaven, « BUNTING, CHRISTOPHER WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bunting_christopher_william_12F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
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