BOULTON, D’ARCY (baptisé George D’Arcy), avocat, fonctionnaire, homme politique et juge, né le 20 mai 1759 à Moulton, Lincolnshire, Angleterre, fils de Henry Boulton et de Mary Preston ; le 18 décembre 1782, il épousa à Bloomsbury (Londres) Elizabeth Forster, et ils eurent six fils et deux filles ; décédé le 21 mai 1834 à York (Toronto).
Lorsque William Lyon Mackenzie* dressa la liste des membres du family compact en 1833, le premier nom qu’il inscrivit fut celui de D’Arcy Boulton. Figuraient ensuite quatre des fils de Boulton, tous fonctionnaires comme leur père, puis le beau-frère de l’un des fils et, enfin, les frères de ce beau-frère. En soulignant ces liens familiaux et le népotisme qui en découlait, Mackenzie conféra un sens littéral à l’étiquette politique qu’il aida à populariser. Que la position occupée par chacun sur cette liste ne concorde pas avec sa véritable influence politique importait peu ; ce qui comptait, c’est qu’une relation avait été suggérée de façon non équivoque. Il semblait pour le moins justifié que Boulton soit placé en tête de liste. Dans les premiers temps de la province du Haut-Canada, il fut, à n’en pas douter, l’un des plus purs arrivistes.
Deuxième fils d’une vieille famille de la gentry du Lincolnshire, D’Arcy Boulton suivit les traces de son frère aîné, Henry, et s’inscrivit au Middle Temple en 1788. Il abandonna toutefois le droit pour se lancer dans les affaires et s’associa à la Woollen Yarn Company. Mais l’entreprise se trouva bientôt dans une situation difficile et les associés déclarèrent faillite en 1793. Nullement ébranlé par cet insuccès, Boulton écrivait à sa femme : « N’attache pas d’importance aux richesses de peur d’être déçue. Elles ont des ailes pour s’envoler [...] Nous pouvons, Dieu merci, être heureux en ayant seulement le nécessaire, alors que bien des gens peuvent être malheureux en possédant tous les biens imaginables. » La procédure de faillite traîna plusieurs années et, à la longue, les difficultés financières éprouvées par Boulton ont pu influencer sa décision de quitter l’Angleterre.
Boulton arriva aux États-Unis avec sa femme et ses deux fils vers 1797 et semble s’être établi dans la vallée de l’Hudson, dans l’état de New York. On ne sait pas au juste quel genre de travail il faisait à cette époque. Certains prétendent qu’il aurait ouvert une école à Schenectady, d’autres qu’il se serait engagé comme rameur sur un train de bois assemblé sur le lac Champlain. Cependant, au tournant du siècle, il avait décidé de se fixer au nord du Saint-Laurent ; son nom figure pour la première fois sur le rôle d’impôt du canton d’Augusta, dans le Haut-Canada, en 1802. Quelques années plus tard, il allait raconter dans Sketch of his majesty’s province of Upper Canada, publié à Londres en 1805, ce qu’il avait ressenti en changeant de milieu : « Les Anglais, non corrompus par les théories politiques, sont naturellement attachés à leur propre constitution. Quant à moi, j’avoue que la première fois que j’ai [...] mis le pied en territoire britannique après avoir séjourné aux États-Unis, j’ai éprouvé des sensations auxquelles je ne m’attendais pas. J’avais l’impression d’arriver tout à coup chez moi. Point n’est besoin de décrire mes sentiments à cet instant précis ; un Anglais de pure souche peut facilement les imaginer et, quant aux autres, ils me sont totalement indifférents. »
Si le Haut-Canada représentait aux yeux de Boulton un milieu social et politique plus conforme à son tempérament, il offrait aussi d’autres avantages plus tangibles. Ainsi, en 1802, la concession de terre qu’il avait demandée lui fut accordée. Il obtint 200 acres et reçut aussi la même concession pour chacun de ses enfants, qui étaient alors au nombre de cinq. L’année suivante, afin de pallier la pénurie d’avocats attitrés, le Parlement provincial autorisa le lieutenant-gouverneur à délivrer des permis aux attorneys. À la suite d’un examen que le juge en chef Henry Allcock* leur fit subir, Boulton et d’autres furent admis au barreau à la session de Pâques de 1803. Plus tard, des critiques les qualifièrent d’« envoyés du ciel ». Peu de temps après, Boulton commença à gravir l’échelle des promotions au sein de l’administration publique. La mort du solliciteur général Robert Isaac Dey Gray*, qui périt dans le naufrage du Speedy au début d’octobre 1804, lui permit d’atteindre le premier échelon. En effet, Boulton remplaça Gray en février suivant. Il succéda aussi à ce dernier comme député de la circonscription de Stormont and Russell, à la suite d’une élection complémentaire.
Sa deuxième chance d’avancement survint lorsque le lieutenant-gouverneur Francis Gore* suspendit le juge Robert Thorpe* en juillet 1807. En remplaçant Thorpe, Boulton s’acquitta des responsabilités dévolues au juge de la Cour du banc du roi en tournée, mais sans en avoir le titre. Il subit cependant un échec lorsqu’il fut défait par John Brownell aux élections générales de 1808. Un observateur favorable à Boulton fit alors la remarque suivante : « Vraiment, je n’aurais pu croire qu’il y avait en l’homme autant d’ingratitude qu’ont montrée à son égard ses anciens clients. » Boulton eut peut-être à souffrir de son association avec un gouvernement rendu impopulaire par sa lenteur à régler les demandes de concessions de terre. Il se peut aussi que dans l’exercice de ses fonctions Boulton ait mécontenté certains clients.
En fait, Boulton avait ses propres difficultés dans les cercles gouvernementaux. Déçu du manque de perspicacité de Boulton et du procureur général William Firth*, dont les opinions différaient sur des questions de droit, Gore avait commencé à s’appuyer sur les avis de William Dummer Powell, juge assesseur de la Cour du banc du roi. À la fin de l’été de 1810, lorsque Boulton manifesta son intention de solliciter le poste de juge (Thorpe avait reçu une autre affectation), Gore et Powell s’unirent pour lui barrer la route. Boulton décida donc de se rendre en Angleterre faire avancer sa cause. Toutefois, l’affaire prit une autre tournure après que la frégate à bord de laquelle il se trouvait fut capturée par un corsaire français, le 22 décembre 1810. Boulton se battit énergiquement au cours de la brève défense opposée par l’équipage, mais sa résistance lui valut une balafre au front causée par un coup de sabre. Fait prisonnier, il passa plus de deux ans à Verdun, en France. Pendant sa captivité, il écrivit plusieurs lettres aux autorités gouvernementales à Londres afin d’obtenir sa libération et fit aussi office d’avocat auprès des prisonniers britanniques. Il exaspérait même son fils Henry John Boulton*, qui déclarait à ce propos : « Les lettres de mon père parlent toujours d’affaires, car il y a un nombre infini de « pauvres diables » qu’il assiste comme avocat. »
Au printemps de 1813, Boulton avait été libéré sur parole et avait traversé la Manche. Il dut cependant oublier ses espoirs de devenir juge, car le poste avait été confié à William Campbell en 1811. Néanmoins, en août 1813, il obtint la permission de s’absenter de son poste de solliciteur général du Haut-Canada afin de s’occuper « d’affaires de famille de la plus haute importance pour [lui] et [ses] enfants ». Boulton fut admis au barreau d’Angleterre en mai 1814 ; maintenant qu’il faisait partie du barreau, l’argument que Gore et Powell avaient invoqué pendant leur campagne pour l’écarter de la magistrature ne tenait plus. En juin, Firth, que l’on avait relevé de ses fonctions de procureur général en 1812, prévint William Warren Baldwin* que Boulton faisait pression pour obtenir le poste. Boulton réussit dans ses démarches, mais son désir de voir son fils Henry John lui succéder comme solliciteur général fut contrecarré par le brillant avocat John Beverley Robinson*. Boulton fut nommé procureur général le 31 décembre 1814 et, moins de deux mois plus tard, Robinson devenait solliciteur général.
Robinson, qui était le beau-frère de D’Arcy Boulton fils, se révéla le pivot d’un autre remaniement au sein de l’administration publique coloniale, qui eut lieu trois ans plus tard. Gore et Powell désiraient en effet avoir un jeune et énergique procureur général, c’est-à-dire Robinson. Une réaction en chaîne avait été déclenchée par la retraite du juge en chef Thomas Scott en 1816. Ce dernier fut remplacé par Powell à qui succéda Boulton, nommé juge le 12 février 1818, Robinson héritant alors du poste de procureur général. Ce qui aurait dû être une procédure assez simple se compliqua par suite de la tentative de Boulton qui posait comme condition de sa nomination que Henry John succède à Robinson à titre de solliciteur général. Toutefois, son plan échoua. Henry John fut nommé solliciteur général intérimaire en 1818, mais sa commission de solliciteur général, bien que datée du 2 décembre de la même année, ne fut délivrée que le 1er mars 1820.
Au milieu des années 1820, les tournées que devait faire D’Arcy Boulton en tant que juge étaient devenues trop exigeantes pour lui ; en outre, il commençait à souffrir de surdité. En 1827, plusieurs mois après qu’il eut pris sa retraite, sa femme mourut. On s’attendait alors à ce que Boulton la suive dans la tombe, mais il n’en fut rien. Il lui survécut sept ans et mourut à Grange, la résidence de son fils aîné D’Arcy, le lendemain de son soixante-quinzième anniversaire de naissance. Boulton avait siégé à la Cour du banc du roi à l’époque où sir Peregrine Maitland* était lieutenant-gouverneur, c’est-à-dire pendant une période marquée par le traditionalisme. On peut dire que Boulton a exprimé l’esprit de son époque et de son milieu ; de ce fait, il a été utile à des réformistes tel Mackenzie en tant que symbole des griefs de la province. « Pourquoi les discours et allocutions du juge Boulton ressemblent-ils à la célébration d’une messe ? se demandait Mackenzie. C’est parce que les neuf dixièmes de son auditoire ne comprennent pas ce qu’il dit. » Henry Scadding* donne une description plus personnelle de Boulton, le présentant comme « un gentleman anglais mince comme Wellington, amateur de chevaux et intrépide cavalier comme le furent beaucoup de ses descendants, doué d’esprit et d’humour, aimant écouter et raconter des histoires bien trouvées ».
L’ouvrage de D’Arcy Boulton, Sketch of his majesty’s province of Upper Canada, parut d’abord à Londres en 1805, puis à Toronto en 1961.
AO, MS 88, William Firth à W. W. Baldwin, 8 juin 1813 ; MS 525, H. J. Boulton à D’Arcy Boulton, 11 sept. 1811, 7 janv. 1813 ; MS 537, John Small Jr à Samuel Ridout, 28 juin 1808 ; RG 21, United Counties of Leeds and Grenville, Augusta Township, assessment roll, 1802.— APC, RG 1, E1, 47, 6 juill. 1802 ; RG 5, A1 : 15645.— Art Gallery of Ontario (Toronto), Boulton papers, D’Arcy Boulton à Elizabeth Boulton, 3 sept. 1793 ; Boulton family tree ; corr. de la Lindsey & Holland County Library (Lincoln, Angl.), 9, 12 mars, 6 août 1973 ; corr. de la Middle Temple Library (Londres), 20 mars, 16 juin 1973, 10 juin 1980.— MTL, [Alexander] Card, « An account of the Boulton family of Toronto [...] », 20 janv. 1870 ; W. D. Powell papers, Mme Powell à George Murray, 13 févr. 1807 ; S. P. Jarvis à Powell, 1er oct. 1827 ; Alexander Wood papers, business letter-books, II, Wood à James Macaulay, 3 avril 1809.— PRO, CO 42/336 : 128 ; 42/349 : 169–170 ; 42/350 : 306–307, 361 ; 42/351 : 236–237 ; 42/354 : 192, 214 ; 42/357 : 361.— « The Boulton letters », Mme Marsh, édit., Women’s Canadian Hist. Soc. of Toronto, Trans. (Toronto), no 18 (1918–1919) : 48.— H.-C., Statutes, 1803, chap. 3.— « Journals of Legislative Assembly of U.C. », AO Report, 1911 : 61.— Colonial Advocate, 14 oct. 1824, 18 mai 1826, 20 sept. 1833.— Armstrong, Handbook of Upper Canadian chronology (1967).— John Burke, A genealogical and heraldic history of the commoners of Great Britain and Ireland enjoying territorial possessions or high official rank ; but uninvested with heritable honours (4 vol., Londres, 1833–1838), 2 : 377–378.— John Lownsbrough, The privileged few : the Grange & its people in nineteenth century Toronto (Toronto, 1980).— W. R. Riddell, The bar and the courts of the province of Upper Canada, or Ontario (Toronto, 1928), 53.— Scadding, Toronto of old (Armstrong ; 1966), 25.— « Hon. G. S. Boulton », Journal of Education (Toronto), 22 (1869) : 29.
John Lownsbrough, « BOULTON, D’ARCY (baptisé George D’Arcy) (1759-1834) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/boulton_d_arcy_1759_1834_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/boulton_d_arcy_1759_1834_6F.html |
Auteur de l'article: | John Lownsbrough |
Titre de l'article: | BOULTON, D’ARCY (baptisé George D’Arcy) (1759-1834) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |