Titre original :  Memorable Manitobans: Miles MacDonell (1769-1828)

Remerciements : Archives of Manitoba, Personalities - MacDonnell, Miles.
Provenance : Lien

MACDONELL, MILES, officier, fonctionnaire, juge de paix et administrateur colonial, né vers 1767 dans l’Inverness-shire, Écosse, fils de John McDonell of Scothouse ; il se maria trois fois et eut au moins deux fils et quatre filles ; décédé le 28 juin 1828 à Pointe-Fortune, Haut-Canada.

On ne peut guère donner de détails sur les premières années de Miles Macdonell. Sa famille, catholique et respectable, avait une longue tradition militaire. Son père, surnommé Spanish John, s’était distingué en combattant les Autrichiens aux côtés des Espagnols dans les années 1740. En 1773, sur l’invitation de sir William Johnson*, il immigra en Amérique du Nord et s’installa dans la colonie de New York, plus précisément dans la vallée de la Mohawk, avec sa famille et environ 600 membres du clan Macdonell of Glengarry. Lorsque la Révolution américaine éclata, le clan se rallia à la couronne. Spanish John combattit avec les Butler’s Rangers et, en 1783, il s’établit à St Andrews, dans le comté actuel de Stormont, en Ontario.

Miles Macdonell, qui s’était intéressé tôt à la vie militaire, fut nommé en 1782 enseigne dans le King’s Royal Regiment of New York. Il y servit jusqu’à la réduction de l’effectif en 1784. Par la suite, il retourna peut-être en Écosse, et ce fut probablement là qu’il épousa Isabella McDonell, originaire de Morar. Avec sa femme, il exploitait dès 1791 une ferme dans le canton d’Osnabruck, au Haut-Canada. Trois ans plus tard, il fut nommé lieutenant dans le Royal Canadian Volunteer Regiment. En 1795, Spanish John écrivait à un autre de ses fils, John*, employé de la North West Company, qu’il espérait que cette commission « sortira[it] quelque peu [Miles] de la mélancolie » où l’avait plongé la mort de sa femme, survenue l’année précédente. Veuf et père de deux garçons et de deux filles, Macdonell se consacra avec ardeur, semble-t-il, à sa carrière militaire et fut promu capitaine dès 1796. Il se remaria deux ans plus tard, cette fois avec sa petite-cousine Catherine (Kitty) McDonell of Collachie, sœur d’Angus* et d’Alexander* McDonell (Collachie). Cependant, le malheur continua de le frapper : Catherine mourut l’année suivante. Aucun enfant n’était né de leur mariage. Pendant cette période, Macdonell se mêla aussi de politique : il tenta de se faire élire député de la circonscription de Glengarry mais, selon son père, la « faction presbytérienne » contrecarra ses ambitions politiques.

En 1800, Macdonell fut mis en garnison au fort George (Niagara-on-the-Lake) ; en 1802, son régiment ayant été licencié, il retourna dans sa ferme et recommença à songer au mariage. En épousant une lointaine cousine, Nancy (Anne) Macdonell, sœur d’Alexander Macdonell (Greenfield) et de John Macdonell* (Greenfield), il se trouva lié encore plus étroitement aux grandes familles écossaises du Haut-Canada. Nancy et une de leurs deux filles allaient, elles aussi, mourir avant lui. Tout en s’appliquant énergiquement, semble-t-il, à mettre ses terres en valeur, lesquelles avaient été négligées par un tenancier, Macdonell continua de chercher à réintégrer l’armée ou à obtenir d’autres postes qui lui assureraient la sécurité financière. « Si je n’ai que ma ferme, écrivait-il en 1804, j’aurai du mal à donner à ma famille le train de vie que je souhaite. » Comme il ne lésinait pas sur l’éducation de ses enfants, il était fréquemment endetté. Souvent, il empruntait à son frère John en tirant sur le compte que celui-ci avait à la North West Company, ce qui irritait le représentant de la compagnie, William McGillivray. Entre 1802 et 1811, il écrivit de nombreuses lettres à ses amis et connaissances pour leur demander d’intervenir afin qu’il obtienne une charge dans l’armée, puis il leur demanda d’intercéder pour lui-même et son fils Donald Æneas*. En 1807, il devint greffier de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments et, sur la recommandation de son cousin Alexander McDonell*, vicaire général du Haut-Canada, il fut nommé shérif du district de Home. La même année, il tenta d’obtenir la permission de recruter des gens du comté de Glengarry pour former une unité de miliciens dans laquelle il aurait un poste permanent et rémunéré, mais il se buta au refus du lieutenant-gouverneur Francis Gore*. Enfin, en juin 1811, l’avenir s’ouvrit devant lui : par suite des démarches de lord Selkirk [Douglas*], le gouverneur et le comité de Londres de la Hudson’s Bay Company firent de lui le premier gouverneur d’Assiniboia. Ses parents et amis, pour la plupart associés depuis longtemps à la North West Company, ne durent guère priser sa nomination. Mais, pour lui, le poste de gouverneur et de représentant de Selkirk était intéressant à plus d’un titre : on lui promettait un salaire régulier, une grande concession dans le Nord-Ouest et quatre ou cinq actions d’une société qui serait fondée par la suite. Bref, grâce à cette nouvelle situation, il escomptait ne plus être un homme endetté.

C’était en janvier 1804, au cours d’une tournée dans le Haut-Canada, que Selkirk avait fait la connaissance de Macdonell. Il l’avait rencontré dans le canton d’Osnabruck et avait été impressionné par cet homme qu’il trouvait « très gentleman dans ses manières et ses sentiments » et « si populaire [auprès de ses voisins] qu’il n’a[vait] pas son pareil pour obtenir que le travail soit fait ». Apparemment, Selkirk n’avait pas eu l’occasion de découvrir les traits de caractère moins attrayants de Macdonell, l’arrogance et la vanité par exemple, ou avait-il été trop impressionné pour les voir. Leur rencontre fortuite avait donc marqué le début d’une correspondance suivie, et Selkirk avait tenté par la suite de trouver un emploi à Macdonell. Dans une lettre datée de décembre 1809, il lui disait avoir entendu parler d’un poste qui « offrirait des avantages permanents ». Sans doute faisait-il allusion à la colonie qu’il projetait de fonder à la rivière Rouge. Son voyage en Amérique du Nord en 1803–1804 avait eu quelque chose à voir avec la création d’établissements à l’Île-du-Prince-Édouard et à Baldoon, dans le Haut-Canada. En 1804, il avait engagé comme représentant à Baldoon le petit-cousin et beau-frère de Macdonell, Alexander McDonell (Collachie). Cependant, pour créer une colonie dans le Nord-Ouest, il devait, en 1809, surmonter un obstacle de taille : le monopole exercé par la Hudson’s Bay Company sur Rupert’s Land. Et il ne pourrait mettre son projet à exécution qu’en obtenant le parrainage de la compagnie ou, à tout le moins, sa coopération.

Inévitablement donc, le projet de Selkirk se trouva mêlé aux tractations des marchands de fourrures et à la rude concurrence que se livraient la Hudson’s Bay Company et la North West Company. En juillet 1808, Selkirk se mit à acheter des actions de la Hudson’s Bay Company ; l’année suivante, le frère de sa femme, Andrew Wedderburn, et le cousin de celle-ci, John Halkett*, firent de même. Ainsi tous trois pouvaient influer sur les orientations de la société. Puis, en 1810, pour assurer sa survie, la compagnie dut se réorganiser et rationaliser ses ressources. Le plan qui fut finalement adopté fut élaboré et présenté à la General Court (assemblée des actionnaires) de la compagnie en mars par Wedderburn. Baptisé « programme de compression », il visait à rendre l’exploitation plus efficace, à recruter des employés plus « dynamiques », à reconnaître aux fonctionnaires des droits acquis sur la rentabilité de la compagnie en les faisant participer aux bénéfices, et à approvisionner les postes de l’arrière-pays à partir de récoltes locales plutôt que de produits agricoles importés d’Europe à grands frais. Ce programme ouvrait la voie à la fondation, sur le territoire de la compagnie, d’une colonie permanente qui pourrait devenir une source de main-d’œuvre et un endroit où l’on cultiverait des denrées comestibles. Selkirk avait demandé une concession foncière à la rivière Rouge en échange d’un montant symbolique et de la promesse de fournir des employés à la compagnie ; cette proposition fut acceptée le 30 mai.

Même si en principe la colonie de la Rivière-Rouge était l’affaire de Selkirk et non de la Hudson’s Bay Company, les Nor’Westers, qui voyaient une menace pour la traite des fourrures, tentèrent dès le début d’en empêcher l’établissement. Elle chevaucherait les deux principales rivières qui reliaient le pays des fourrures aux prairies où les Nor’Westers se procuraient leur aliment de base, le pemmican. Mais plus que d’être coupés de leur source de vivres, ceux-ci craignaient que la colonie ne fasse partie d’un plan conçu conjointement par Selkirk et la Hudson’s Bay Company pour s’insinuer dans la région de l’Athabasca, où la North West Company réalisait ses profits les plus importants. La colonie, en effet, pourrait fournir la main-d’œuvre et les approvisionnements nécessaires à cette implantation. Dans une lettre d’avril 1812, Simon McGillivray* de la North West Company presserait les associés hivernants de s’opposer vigoureusement à la colonie de Selkirk : « Il faut l’obliger à abandonner [son idée] parce que, s’il réussit, l’existence même de notre commerce sera en jeu. » Les Nor’Westers se dirent peut-être qu’ils avaient raison de craindre le pire lorsque, le 15 juin 1811, Macdonell reçut sa commission des mains de Joseph Berens, gouverneur adjoint de la Hudson’s Bay Company. Même si auparavant Macdonell avait obtenu de Selkirk des instructions détaillées en vue de l’établissement de la colonie, l’événement semblait montrer clairement, encore une fois, quel lien existait entre Macdonell, la colonie et la compagnie.

Dès ses débuts, non seulement l’entreprise fut-elle poursuivie par la malchance, mais elle souffrit d’une piètre administration et de l’inaptitude de Macdonell à gagner la loyauté et la confiance de ses subordonnés. L’intention de Selkirk, en 1811, était de détacher d’un groupe de recrues de la compagnie quelques ouvriers qui feraient tous les préparatifs en vue de l’arrivée des colons en 1812. Macdonell et William Hillier, depuis peu fonctionnaire à la compagnie, devaient rencontrer les recrues à Stornoway, en Écosse, et les conduire à la baie d’Hudson. Là, Macdonell choisirait les hommes qu’il emmènerait sur l’emplacement de la future colonie, tandis que Hillier s’occuperait de ceux qui allaient demeurer sur place à titre d’employés de la Hudson’s Bay Company. Les navires des deux hommes ayant été retardés, ils n’arrivèrent à Stornoway que le 17 juillet. Plus de 100 hommes recrutés par les représentants de la compagnie les y attendaient depuis le début de juin, sans avoir eu guère autre chose à faire pour tuer le temps que de boire, de se plaindre de leur logement et de s’inquiéter de la traversée. Sans doute leur mécontentement fut-il alimenté par un article de l’Inverness Journal dans lequel McGillivray leur dépeignait ce qui les attendait : voyage pénible, climat rigoureux, nourriture rare, Indiens hostiles. Non seulement Macdonell ne fit-il rien pour les rassurer, mais il se montra maladroit. Ayant découvert que des hommes de Glasgow avaient été recrutés à des conditions différentes de celles qui avaient été offertes à d’autres employés, il tenta de réduire leur salaire. Il refusa également d’honorer les promesses qui avaient été faites à d’autres recrues, de sorte que plusieurs parmi ces hommes se mirent à craindre de ne pas être traités comme il avait été convenu. Certains désertèrent et, à mesure que les autres attendaient au port, les problèmes s’aggravaient. Il fallut ensuite passer aux douanes, où les papiers et la cargaison furent examinés minutieusement, ce qui retarda encore le départ. Enfin, les navires mirent les voiles le 26 juillet 1811 ; jamais encore un départ pour la baie d’Hudson n’avait eu lieu aussi tard dans la saison.

En raison des vents contraires, la traversée fut la plus longue de toutes celles qui figurent dans les annales : elle dura 61 jours. Lorsque les navires arrivèrent à destination le 24 septembre, la saison était trop avancée pour que les hommes se rendent à l’intérieur des terres avant le printemps. Comme ils étaient trop nombreux pour loger à York Factory (Manitoba), ils durent tous, y compris le groupe de Hillier, passer l’hiver à plusieurs milles en amont, sur les rives du fleuve Nelson, dans des cabanes en bois rond.

Ce fut un dur hiver. Les aliments étaient rares et, même si, pour accroître son influence dans le Nord-Ouest, on avait nommé Macdonell juge de paix du Territoire indien en novembre 1811, il continuait d’avoir du mal à affirmer son autorité sur ses hommes. Ils se querellaient entre eux et une mutinerie dut être réprimée. Les glaces du fleuve empêchèrent son groupe de lever le camp avant le 22 juin 1812. Enfin, le 6 juillet, Macdonell commença à remonter la rivière Hayes avec 22 hommes qui devaient préparer l’arrivée des colons. Le 30 août, les bateaux parvinrent au confluent des rivières Rouge et Assiniboine.

Au cours des 30 mois qui suivirent, Macdonell affronta une série de problèmes qui auraient poussé à bout bien plus ingénieux que lui. Pour établir sur les bords de la rivière Rouge une colonie durable, qui pourrait vivre en autarcie, il était essentiel de gagner la loyauté des colons et de pouvoir les nourrir. Il fallait également nouer et maintenir de bonnes relations avec les représentants locaux des compagnies rivales de traite ainsi qu’avec les populations métisse et indienne, qui avaient des raisons d’être mécontentes de l’établissement d’une colonie. Des qualités de diplomate étaient donc indispensables.

Au début, Macdonell sembla s’employer surtout à établir des relations cordiales avec la North West Company. Alexander Macdonell (Greenfield), qui commandait le fort Gibraltar (Winnipeg), poste de la North West Company, était son beau-frère et son lointain cousin. Le 1er septembre 1812, celui-ci l’invita, avec Hillier, à dîner en compagnie des Nor’Westers et, plus tard, mit deux chevaux à sa disposition. Pour lui rendre la politesse, Miles Macdonell crut bon de le convier, avec les employés de la North West Company ainsi que des Métis et Indiens de la région, à assister le 4 septembre à une imposante cérémonie au cours de laquelle Selkirk fut proclamé propriétaire de la colonie au milieu des coups de feu et des acclamations.

Les hommes de Macdonell étaient arrivés trop tard pour construire des maisons, cultiver la terre et, surtout, avoir une récolte qui assurerait leur propre subsistance et celle des colons qui allaient venir ensuite. C’est pourquoi Macdonell envoya la plupart d’entre eux passer l’hiver au sud, près du fort de la Hudson’s Bay Company à Pembina (Dakota du Nord), à l’intérieur des limites de la concession de Selkirk et à proximité des prairies et des abondantes réserves de viande de bison. Demeuré sur place avec le reste de ses hommes, Macdonell dressa les plans du fort Douglas (Winnipeg) et entreprit de défricher la terre et de construire des maisons, après quoi il rejoignit son groupe à Pembina, où il édifia le fort Daer.

À Pembina, Macdonell s’efforça encore de cultiver de bonnes relations avec les Nor’Westers et avec les Métis, qu’il embaucha comme chasseurs pour poursuivre le bison. Cependant, il ne s’occupa pas avec autant de soin des représentants locaux de la Hudson’s Bay Company. Quelques jours après son arrivée, il s’était querellé avec le responsable du poste de Pembina, Hugh Heney, au sujet d’achats de viande qu’il avait faits directement auprès des Métis. Même si Macdonell avait payé le prix courant, Heney lui avait reproché de s’immiscer dans le commerce de la compagnie. La tension que l’incident suscita entre les représentants locaux de la compagnie et la colonie ne se dénoua que lorsque Hillier prit la direction du poste.

Le 27 octobre 1812, sous la direction d’Owen Keveny*, le premier contingent de colons arriva à Pembina, ce qui compliqua encore la situation. Ils étaient malades et les maisons n’étaient pas terminées. Hillier logea une partie des femmes et des enfants à l’intérieur du poste, où ils pourraient être mieux traités ; lui et Macdonell écrivirent également aux autres postes de la compagnie dans la région pour leur demander d’emmagasiner des provisions de pemmican pour l’hiver. L’obtention de vivres en quantité suffisante devint la préoccupation première du gouverneur comme des colons. L’hiver de 1812–1813 fut particulièrement éprouvant pour tous, et de nouveaux problèmes surgirent au printemps. Non seulement la nourriture était-elle rare, en partie parce que les Métis avaient refusé de livrer la viande qui leur avait été payée, mais Macdonell avait appris que les Nor’Westers tentaient de semer le désordre parmi les tribus autochtones. En outre, peu après son arrivée à Pembina, John Dugald Cameron*, associé de la North West Company et responsable du département du lac Winnipeg, s’était mis à susciter du mécontentement parmi les colons et à pousser les employés locaux de sa compagnie, dont Alexander Macdonell (Greenfield), à s’opposer à la colonie. Cameron obéissait aux instructions de ses supérieurs, mais les maladresses de Miles Macdonell empiraient la situation. À la moindre occasion, il rappelait qu’il était le chef et que le territoire appartenait à Selkirk. En avril 1813, convaincu que même son beau-frère s’était tourné contre lui, il ordonna que cessent tous les rapports avec la North West Company. L’ère de la conciliation était révolue.

Un mois plus tard, les colons remontèrent au nord pour commencer à construire des maisons et à faire les semailles. De nouveaux colons devaient arriver vers la fin de l’été, et il faudrait les nourrir. En juillet, Macdonell se rendit à York Factory pour accueillir les colons écossais, originaires de Kildonan, qui étaient accompagnés par Archibald McDonald*, et pour les conduire à la Rivière-Rouge. Une déception l’attendait. La fièvre s’était déclarée à bord du navire, et on avait dû jeter l’ancre au fort Churchill (Churchill) plutôt qu’à York Factory : les colons devraient donc hiverner à la baie d’Hudson. De retour dans la colonie le 15 octobre, Macdonell constata que les récoltes étaient très mauvaises et qu’il faudrait encore envoyer les colons au sud, à Pembina.

Le 8 janvier 1814, dans l’espoir de régler une fois pour toutes le problème d’approvisionnement de la colonie, Macdonell publia une proclamation « qui [était] à l’étude depuis quelque temps ». Elle interdisait d’exporter des provisions de toute nature à partir d’Assiniboia sans permis spécial du gouverneur. De son point de vue, cette restriction était essentielle pour assurer des vivres suffisants aux colons et prévenir toute pénurie. Alors seulement la colonie pourrait se développer. Par contre, du point de vue des Nor’Westers et des Métis, la « proclamation sur le pemmican », ainsi qu’on la surnomma, était une véritable déclaration de guerre. Elle touchait au moyen de subsistance des Métis, qui fournissaient le pemmican, et menaçait les activités des Nor’Westers, qui avaient besoin de cet aliment pour leurs équipes de traite.

La crise s’aggrava dans les mois qui suivirent. La proclamation fut distribuée dans tous les postes tenus par l’une ou l’autre compagnie dans l’Assiniboia, et des stocks de pemmican furent saisis. John Spencer fut nommé shérif et chargé de faire respecter la proclamation. Des constables armés, soutenus par de l’artillerie, furent postés le long de la rivière Rouge pour intercepter et confisquer les canots de pemmican. En guise de représailles, les Nor’Westers commencèrent à construire un fortin pour se réserver l’accès à la rivière. Dès la mi-juin, malgré plusieurs tentatives de négociation, un violent affrontement semblait imminent. Puis au dernier moment un compromis survint : Macdonell accepta de restituer des stocks de pemmican aux Nor’Westers, qui s’engagèrent en contrepartie à fournir des vivres pour l’hiver suivant et à cesser les hostilités. Le pire était évité, du moins pour quelque temps.

Juin et juillet 1814 furent pour Macdonell des mois d’épuisement et de dépression. La guerre du pemmican, les critiques prononcées par Selkirk à propos de sa conduite des affaires de la colonie, et surtout de la tenue des comptes, le peu d’appui qu’il avait reçu des hommes de la Hudson’s Bay Company, et particulièrement du surintendant du département du Nord, William Auld, tout cela le rongeait. Le 14 juillet, il écrivit à Selkirk : « que Votre Excellence ne se fasse pas scrupule d’envoyer une personne compétente pour me remplacer, car je suis incapable de concilier autant d’intérêts divergents ». Le 25 juillet, il se mit en route pour York Factory, où il devait accueillir un nouveau contingent de colons. Peu après son arrivée le 22 août, il souffrit apparemment de dépression nerveuse. Il n’avait donc probablement pas retrouvé son équilibre lorsque, le 20 octobre, il arriva dans la colonie où de nouveaux problèmes l’attendaient. Spencer avait été arrêté par les Nor’Westers et Duncan Cameron*, responsable pour la North West Company du département de la rivière Rouge, avait répudié l’entente du mois de juin. Le lendemain de son arrivée, Macdonell ordonna aux Nor’Westers de quitter le fort Gibraltar. Évidemment, ils refusèrent d’obtempérer, et de les voir toujours là rappelait constamment aux colons que leur gouverneur se tirait bien mal d’affaire. D’ailleurs, il dut encore une fois envoyer certains d’entre eux dans le Sud en raison de la rareté des vivres.

Tout au long de l’hiver et du printemps de 1815, les Nor’Westers intriguèrent contre la colonie et les Métis la harcelèrent. Duncan Cameron tenta de convaincre les colons de quitter les lieux en soulevant des doutes sur la légalité de la concession accordée à Selkirk, en évoquant la menace d’attaques indiennes et en faisant des comparaisons blessantes entre leur situation et celle des colons du Haut-Canada. Au printemps de 1815, plus d’une quarantaine d’entre eux se prévalurent de son offre et se firent conduire gratuitement dans le Haut-Canada. Le 17 juin, la colonie étant menacée d’une attaque imminente, Macdonell se livra aux représentants de la North West Company en leur faisant promettre que les colons ne seraient pas molestés. Toutefois, le 25 juin, en raison du harcèlement constant des Métis, qui étaient encouragés par la North West Company, Peter Fidler, arpenteur de la Hudson’s Bay Company temporairement chargé de la colonie, capitula au nom de celle-ci et se réfugia à Jack River House avec les colons. Macdonell fut conduit à Montréal par les Nor’Westers pour répondre de ses « crimes », et notamment de la confiscation « illégale » de pemmican, devant la justice. Il n’y eut jamais de procès.

Les luttes de la colonie ne prirent pas fin avec la reddition de Macdonell. Colin Robertson* convainquit certains colons de Jack River House de retourner sur les lieux et d’autres arrivèrent en août 1815 en compagnie de Robert Semple*, nouveau gouverneur des territoires de la Hudson’s Bay Company. Au printemps de 1816, Macdonell lui-même se remit en route pour la Rivière-Rouge. Au lac Winnipeg, il apprit que la colonie avait de nouveau été démembrée. Il rebroussa chemin pour avertir Selkirk, qu’il rencontra à Sault-Sainte-Marie (Saint Ste Marie, Ontario), et lui annoncer que Semple et une vingtaine d’hommes avaient été tués à Seven Oaks (Winnipeg) le 19 juin [V. Cuthbert Grant*]. Le 13 août, Macdonell prit part, avec Selkirk, à la prise du fort William (Thunder Bay, Ontario). Accusés d’« incitation et [de] complicité dans les meurtres commis à la Rivière-Rouge », William McGillivray et d’autres associés de la North West Company furent arrêtés et envoyés à York (Toronto) pour comparaître en justice. Les documents de la North West Company et toutes les fourrures emmagasinées au fort William furent saisis. En octobre, prétendant se faire le porte-parole de Daniel McKenzie, associé de la North West Company, Macdonell envoya à Roderick McKenzie*, employé de la North West Company au département de Nipigon, une lettre dans laquelle il pressait les associés hivernants de mettre fin à leurs relations avec Montréal et d’expédier leurs fourrures par la baie d’Hudson. À la mi-décembre, en compagnie de quelques membres du régiment de De Meuron, il quitta le lac à la Pluie (lac Rainy, Ontario) pour aller reprendre possession de la colonie. Le 10 janvier 1817, ils prirent le fort Douglas, alors aux mains des Nor’Westers. Macdonell resta quelques mois dans la colonie à titre de gouverneur, mais il retourna à Montréal pour participer aux procès. Il ne devait jamais revoir le Nord-Ouest.

Macdonell passa ses dernières années dans sa ferme du canton d’Osnabruck où il vécut dans une semi-retraite. Il consacra une bonne partie de son temps à essayer d’obtenir des exécuteurs testamentaires de Selkirk ce qu’il estimait être son dû, soit £300 par an qui représentaient son salaire, 50 000 acres de terre et les actions promises. Mais, incapable de recouvrer l’argent et de vendre une partie des vastes terres qu’il possédait dans le Haut-Canada, il demeura endetté jusqu’à la fin de ses jours. Il mourut le 28 juin 1828 à la ferme de son frère, à Pointe-Fortune, et fut inhumé à Rigaud, dans le Bas-Canada.

La plupart des historiens estiment que, en dépit des difficultés inhérentes à l’établissement d’une colonie à la rivière Rouge, au milieu de la concurrence féroce que les compagnies de traite se livraient là-bas, une part de l’échec initial de l’entreprise revient à Miles Macdonell. Ils soulignent ses défauts : incapacité d’inspirer la confiance et la loyauté à ses colons, entêtement, arrogance, intransigeance et manque de persévérance. Ce fut en raison de ces faiblesses, comme de son manque de finesse et de diplomatie, qu’il échoua. Ou bien il ne comprit jamais la situation dans laquelle il se trouvait, ou bien, ce qui est pire, il refusa de l’affronter. Sa décision de publier la proclamation sur le pemmican est, plus que toute autre chose, caractéristique de sa manière. Faite à une époque où la colonie était trop faible pour se défendre, elle offrait à la North West Company un excellent outil de propagande contre la Hudson’s Bay Company et contre Selkirk. À observer la conduite de Macdonell durant ces années, on a l’impression que pour lui la colonie n’avait absolument rien à voir avec la traite des fourrures. Pourtant, cela ne l’excuse pas d’avoir été insensible au point de ne pas avoir perçu la nature provocatrice de ses actes et de ne pas s’être rendu compte qu’il s’aliénait ses hommes en préférant la compagnie des « gentlemen » à la leur. En conséquence, une colonie permanente ne put être établie avant la fusion des deux compagnies de traite, en 1821.

Herbert Mays

Les papiers de Miles Macdonell sont conservés aux APC, sous la cote MG 19, E4. Un registre de lettres tiré de cette collection a été publié sous le titre de « Colonie Selkirk, livres de copies de lettres du capitaine Miles Macdonell », APC Report, 1886. On trouve également le journal de Macdonell aux APC, dans les papiers Selkirk (MG 19, E1, copie aux PAM, MG 2, A1 : 16500–17599).

AO, MU 1780, A-1-1–A-1-4 ; A-1-6 ; A-2 ; RG 22, sér. 155.— APC, MG 19, E1 ; E2 (copies aux PAM).— PAM, HBCA, A.6/18.— HBRS, 2 (Rich et Fleming).— Chadwick, Ontarian families.— Morton, Hist. of Canadian west (1939).— J. M. Bumsted, « The affair at Stornoway, 1811 », Beaver, outfit 312 (printemps 1982) : 53–58.— J. G. Harkness, « Miles Macdonell », OH, 40 (1948) : 77–83.— A.-G. Morice, « A Canadian pioneer : Spanish John », CHR, 10 (1929) : 212–235 ; « Sidelights on the careers of Miles Macdonell and his brothers » : 308–332.

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Herbert Mays, « MACDONELL, MILES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/macdonell_miles_6F.html.

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Auteur de l'article:    Herbert Mays
Titre de l'article:    MACDONELL, MILES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    17 déc. 2024