FISHER, CHARLES, avocat, homme politique et juge, né le 15 août ou le 16 septembre 1808 à Fredericton, N.-B., fils aîné de Peter Fisher et de Susanna Williams, décédé dans la même ville le 8 décembre 1880.

Peter Fisher, marchand et négociant de bois, d’ascendance loyaliste, est connu pour son ouvrage, Sketches of New Brunswick, qui parut en 1825 et qui est la première étude historique publiée dans cette province. L’ouvrage est une description plutôt qu’un récit et critique sévèrement les hommes d’affaires importants qui exploitaient alors la province sans en favoriser le progrès. Il semble que les opinions de Peter Fisher à ce sujet aient influencé son fils.

Charles Fisher fit ses études à Fredericton Collegiate School et à King’s College (University of New Brunswick) où il reçut un diplôme de bachelier ès arts en 1830. Il entreprit ensuite des études de droit sous la direction du procureur général, George Frederick Street*, et fut admis au Barreau du Nouveau-Brunswick en 1831. Après un stage en Angleterre dans une des écoles de droit, il devint avocat en 1833. Il commença à exercer sa profession à Fredericton où, en septembre 1836, il épousa Amelia Hatfield, qui lui donna quatre fils et quatre filles.

Presque aussitôt après avoir été admis au barreau, Fisher se lança dans la politique et brigua sans succès les suffrages dans le comté de York, lors des élections de 1834. Trois ans plus tard, il entra à l’Assemblée et devint un collègue de Lemuel Allan Wilmot, du comté de York également. Pendant les 10 ou 12 années qui suivirent, ces deux députés, militant surtout pour obtenir le gouvernement responsable, allaient être les piliers du mouvement réformiste au Nouveau-Brunswick. La postérité a fait de Wilmot le grand homme du mouvement réformiste, mais Joseph Wilson Lawrence*, observateur perspicace de l’époque, est d’avis, comme la plupart des gens, que « c’était Fisher qui taillait les flèches et Wilmot qui les lançait ». Il est certain que Fisher prévoyait les conséquences qu’entraîneraient les changements constitutionnels réclamés, et il est possible qu’il ait élaboré les thèses que Wilmot, plus habile, présentait ensuite.

À la suite de son élection en 1837, Fisher se mit au travail avec ardeur et, à maintes reprises, il coopéra avec le gouvernement. C’était un réformiste de tendance modérée, qui tenta d’opérer des changements dans la structure politique de l’époque, qui était dépourvue de partis organisés. Le Nouveau-Brunswick était alors dirigé, parfois bien, mais souvent sans discernement, par le lieutenant-gouverneur et par les conseillers exécutifs, dont aucun, dans les années 1830, ne siégeait à l’Assemblée. Fisher, insatisfait de vivre sous un régime politique qu’il considérait imparfait, réclamait des améliorations. En 1842, il présenta un projet de loi à l’effet d’obliger les députés nommés au Conseil exécutif ou à des emplois rétribués, à démissionner et à briguer de nouveau les suffrages. Il présenta un projet de loi proposant que les dépenses gouvernementales soient présentées en chambre par les membres du Conseil exécutif ; moyen qu’il considérait essentiel pour gouverner efficacement. La motion fut repoussée par 23 voix contre 12, sans doute parce que les membres de l’Assemblée n’étaient pas encore prêts à faire un tel sacrifice. Fisher demanda également avec insistance des législations fixant à £500 la valeur des biens d’un citoyen candidat au Conseil législatif, réduisant les obligations de la province aux termes de la loi sur la liste civile, limitant à £600 le traitement des chefs de départements et exigeant que toutes les redevances fussent versées dans le trésor public et non dans les poches de ceux qui occupaient des charges publiques. Les réformes proposées révélaient chez lui une tendance à la parcimonie.

Dans les années 40, Fisher entretenait des relations très cordiales avec Edward Barron Chandler et Robert Leonard Hazen, leaders du gouvernement. Ils le nommèrent secrétaire-archiviste de King’s College en 1846, sachant parfaitement bien que ce geste « déplairait » probablement au conseil de cette institution. À la même époque, dans ses lettres à son ami Joseph Howe, Fisher parlait de procédés malhonnêtes des membres du « Family Compact », de l’incurie du gouvernement et de sa politique. « Jusqu’à cette élection, écrivait-il en 1843, je n’aurais pu croire que des gens honnêtes iraient jusqu’à mentir pareillement pour imposer leurs opinions ; la violence de leurs propos dépasse tout ce que l’on peut imaginer. » Fisher espérait malgré tout éviter les conflits de partis dans la « petite » province du Nouveau-Brunswick, même s’il se réjouissait quand il s’en produisait ailleurs. D’un côté, il exultait devant « le triomphe libéral total » de 1847 en Nouvelle-Écosse et, de l’autre, « il redoutait de voir venir le jour où il faudrait organiser dans cette province des partis politiques violemment antagonistes [...] alors que nous avons déjà du mal à trouver des gens qualifiés pour former un bon gouvernement ».

Pour Fisher, l’idée de gouvernement responsable se situait en dehors de toute considération partisane. Il disait, en parlant du Nouveau-Brunswick : « Nous sommes trop loyaux et trop ignorants pour abolir le vieux [Family Compact]. » La meilleure méthode, selon lui, était une coalition qui, « dans dix ans, grâce à l’influence grandissante des libéraux leur donnerait le pouvoir, sans aucun recours à la violence ». C’est avec cette idée en tête que Fisher, qui connaissait très bien les conséquences théoriques de la responsabilité ministérielle, présenta en 1848 une motion demandant « que l’Assemblée approuve le principe du gouvernement colonial, tel qu’il est indiqué dans le message du comte Grey [Henry George Grey] [...] et son application dans la province ». La proposition fut adoptée par 24 voix contre 11, et, moins de trois mois plus tard, Fisher entrait dans le gouvernement formé par le nouveau lieutenant-gouverneur, sir Edmund Walker Head*. Pour avoir accepté d’entrer dans le gouvernement, Fisher et L. A. Wilmot, qui avait été nommé procureur général, furent accusés de défection et de manque de principes. On cite comme preuve de l’indignation de l’opinion publique le fait que Fisher fut battu aux élections de 1850. S’il fallait, pour parvenir au gouvernement responsable, dont Fisher s’était fait le théoricien et le principal avocat, avoir recours au système des partis, il s’était alors conduit de façon inexcusable. Si, au contraire, on pouvait obtenir la responsabilité ministérielle par la coalition et la collaboration, en conservant toute intégrité, Fisher alors avait été accusé injustement. Ce dernier, pour sa propre défense, déclara : « En entrant au gouvernement, je n’ai manqué aucun principe, je n’ai ni changé d’opinion ni abandonné aucune conviction dont je me suis fait l’avocat par le passé, en ce qui concerne le commerce [en particulier] ou la politique en général. »

Au conseil, Fisher ne joua pas un grand rôle. C’étaient Hazen, Chandler, John Roy Partelow* et même Wilmot qui avaient tendance à dominer. Dans une lettre, Fisher demandait à Howe comment fonctionnait le conseil. « Le Gouverneur tient-il compte des opinions de tout le conseil et agit-il suivant les recommandations d’une majorité ? » Fisher était d’avis que les nominations au Conseil législatif étaient « un aspect du favoritisme politique, indispensable au bon fonctionnement du Conseil exécutif », et qu’en fin de compte l’opinion du conseil devait l’emporter. Toutefois, le lieutenant-gouverneur Head n’était pas homme à se laisser mener par son conseil.

Fisher fut battu aux élections de 1850. Il aurait dû, tout naturellement, démissionner du conseil aussitôt après, mais il conserva ses fonctions jusqu’en 1851. Peu de temps avant cette date, le gouverneur Head venait de nommer un nouveau juge en chef en la personne de James Carter et avait fait entrer L. A. Wilmot à la Cour suprême. Ces deux nominations avaient été faites contre le gré du Conseil exécutif, ce qui poussa Fisher à démissionner, parce que, disait-il, le gouverneur n’avait pas agi « selon la conception que je me fais du gouvernement responsable ». Comme il aurait dû s’être retiré depuis longtemps, les sentiments qu’il exprimait sonnaient faux, et pourtant Fisher se rendait compte plus que tout autre que Head avait paralysé pour un certain temps le fonctionnement de la responsabilité ministérielle. Dès lors, Fisher se donna pour but de la remettre en marche. À cette époque, il avait perdu confiance dans le système de coalition. Après avoir été l’adversaire du système des partis, il s’en fit le champion et se consacra à former un parti qui obtiendrait le pouvoir et contrôlerait tous les organes du gouvernement, plus particulièrement les initiatives du gouverneur.

Fisher, en sa qualité de spécialiste en droit constitutionnel et comme homme politique respecté du Conseil exécutif, fut nommé membre d’une commission qui avait pour mandat de refondre et de codifier les lois de la province et d’étudier la question des tribunaux et des cours d’équité, ainsi que la loi concernant les preuves. Fisher fit partie de cette commission de 1852 à 1854, en compagnie de William Boyd Kinnear* et de James Watson Chandler*. Les conclusions de l’enquête parurent en plusieurs volumes en 1854.

Fisher se présenta aux élections de 1854 et fut réélu. La même année, un nouveau lieutenant-gouverneur, John Henry Thomas Manners-Sutton, entra en fonction, et la réciprocité avec les États-Unis devint la question politique à l’ordre du jour. Lorsque, à l’automne de 1854, l’Assemblée fut convoquée pour ratifier le traité de réciprocité, Fisher, sachant parfaitement qu’il détenait une majorité au sein de l’Assemblée, présenta le 20 octobre un amendement au cinquième paragraphe de l’adresse en réponse au discours du trône. Il déclara : « vos conseillers en droit constitutionnel n’ont pas servi le gouvernement de la province dans l’esprit de la constitution de la colonie ». Si le gouverneur croit, ajouta Fisher, « que les habitants de la province manquent de cran, que les nouveaux membres sont divisés et déchirés par des dissensions et des disputes internes et peuvent être facilement battus sur des questions de détail [...], il est préférable qu’il s’ôte ces illusions de l’esprit ». Le 28 octobre, l’amendement fut adopté par 27 voix contre 12 et Fisher fut appelé à former un gouvernement. Le conseil (compact council) fut finalement démis de ses fonctions et ainsi, grâce à la création d’un parti politique, le principe du gouvernement responsable fut sauvé.

Fisher devint procureur général et forma un gouvernement qui fut l’un des meilleurs qu’ait eus la province. Les membres de ce gouvernement étaient des hommes jeunes, compétents et promis à un grand avenir comme Samuel Leonard Tilley*, Albert James Smith*, William Johnstone Ritchie*, John Mercer Johnson*, James Brown* et William Henry Steeves. Quand on considère l’important travail législatif qu’ils réalisèrent, on ne peut que sourire du vieil adage selon lequel, avant 1854, les habitants du Nouveau-Brunswick n’étaient pas aptes à profiter de la responsabilité ministérielle. Le nouveau conseil ne comprenait aucun membre des anciennes familles et représentait en grande partie la classe moyenne. Ce gouvernement à tendance égalitaire, adversaire de l’establishment et favorable au commerce, amenait des changements « sociaux autant que [des changements] politiques ».

Fisher commença immédiatement à établir son programme de réforme. Tout d’abord le Conseil législatif, autrefois chasse gardée de l’establishment, se vit retirer ses pouvoirs. Son président fit partie du Conseil exécutif et perdit ainsi son indépendance. À peu près à la même époque, on persuada l’évêque de l’Église d’Angleterre d’abandonner son siège à la Chambre haute. Mais d’importance bien plus grande encore que celle de tous ces changements fut l’adoption du « Reform Bill de 1855 » qui prévoyait « le droit de vote pour d’autres couches de la population [...] afin d’assurer, lors des élections, une représentation équitable de gens compétents, aussi bien que de propriétaires fonciers ».

Fisher demandait avec insistance la suppression de la clause exigeant la possession d’une propriété d’une valeur d’au moins £25 pour voter. Mais comme il n’était pas partisan du suffrage universel, il désirait conserver la clause prévoyant que pour voter il fallait avoir un revenu annuel minimum de £100. Désormais, les élections se firent par scrutin. Fisher affirmait alors que le parti libéral serait toujours « réaliste [...] progressiste [...] attaché aux vraies valeurs [...] et serait l’ennemi de tout ce qui nuit à l’évolution de la condition sociale et politique de la population ». C’est en tenant compte de cette idée que l’on présenta par la suite une loi destinée à empêcher que toute personne faisant des affaires avec le gouvernement ne soit élue à l’Assemblée ou ne siège à la Chambre haute.

L’honnête maniement des finances avait toujours été un des thèmes favoris de Fisher. Aussi, en 1856, le gouvernement approuva-t-il un projet de loi émanant d’un simple député qui demandait que « le droit de présenter à la chambre les dépenses gouvernementales soit réservé au Conseil exécutif et, qu’à cet égard, on suive l’exemple du parlement de Westminster ». On créa un département des Travaux publics, chargé de faire exécuter les projets du gouvernement, notamment la construction des routes et des chemins de fer. On établit de nouveaux organismes municipaux destinés à « former des gens selon les principes d’un gouvernement autonome ». D’autres réformes adoptées avaient pour but de limiter le taux d’intérêt à six p. cent, d’établir une monnaie décimale, de légiférer sur la compétence exigée des médecins et de simplifier les procédures juridiques. Fisher voulait que l’instruction publique fût assurée par l’État, mais ne put faire adopter une loi dans ce sens. Il établit un système de formation des enseignants sur de nouvelles bases et nomma son frère, Henry Fisher, surintendant de l’Instruction publique de la province.

Deux lois adoptées sous son gouvernement, la loi sur la prohibition et la loi concernant l’University of New Brunswick, méritent qu’on s’y arrête. Le 3 mars 1855, Tilley, secrétaire de la province, présenta un projet de loi émanant d’un simple député qui voulait interdire, après le 1er janvier 1856, la fabrication et la vente des boissons alcooliques. Cette loi fut approuvée par 21 voix contre 18 et reçut la sanction royale. Les membres du gouvernement, bien que divisés sur la question, avaient la responsabilité de faire observer la loi. Cette dernière ne fut pas appliquée et ne pouvait pas l’être apparemment. L’opinion publique était tellement en faveur de son abolition que Manners-Sutton saisit cette occasion pour se défaire du gouvernement Fisher qu’il n’aimait pas. Le gouvernement ayant refusé d’abolir la loi, Manners-Sutton le força à démissionner et, dans les élections qui s’ensuivirent, il put constater avec satisfaction que ses méthodes, bien qu’inconstitutionnelles, avaient été approuvées. Le nouveau gouvernement, à la tête duquel se trouvaient John Hamilton Gray* et Robert Duncan Wilmot*, était majoritaire et abolit la loi en 1856. Moins d’un an plus tard cependant, Fisher était revenu au pouvoir. Il devint alors évident que Fisher et ses partisans, débarrassés de la question de la prohibition, étaient bien plus en accord avec la population du Nouveau-Brunswick que ne l’étaient les hommes soigneusement choisis par Manners-Sutton.

Le King’s College était une autre question épineuse. A. J. Smith et Charles Connell insistaient sans cesse pour qu’on l’abolisse parce que, selon eux, ce n’était que le jouet d’une classe privilégiée subventionné par le travail des petits propriétaires. Fisher, qui avait été formé à ce collège et en avait été longtemps le secrétaire-archiviste, s’en faisait le défenseur mais, en 1858, il ne put empêcher l’adoption d’un projet de loi abolissant le collège ; les autorités de Londres rejetèrent cette loi. En outre, l’entrée de Connell au Conseil exécutif, en qualité de maître général des Postes, amena le gouvernement à reconsidérer la question du collège et, en 1860, la loi concernant l’University of New Brunswick fut promulguée. Cette loi du gouvernement Fisher était basée sur le rapport d’une commission et créait une université non confessionnelle ayant un programme d’études beaucoup plus étendu que celui de l’ancien collège classique.

Au cours de ces années, Fisher avait pris une, part active au développement des chemins de fer. Bien qu’il ait été, certain jour, brûlé en effigie à Saint-Jean pour s’être opposé à la construction de la voie ferrée de Saint-Jean à Shédiac, il était un chaud partisan convaincu de l’European and North American Railway Company aussi bien que de l’Intercolonial. En 1855, après avoir consulté Joseph Howe, Fisher partit pour Londres en compagnie de John Robertson. En Angleterre, il eut des entretiens au sujet de la ligne de Saint-Jean à Shédiac, qui était alors en partie terminée. Cette ligne fut entièrement prise en charge par le gouvernement. Quand le projet de chemin de fer intercolonial revint sur le tapis, en 1858, Fisher, plein d’espoir, se rendit à Londres uniquement pour se faire dire que le projet de chemin de fer et l’union de l’Amérique du Nord britannique étaient deux choses irréalisables.

Au début des années 60, Fisher, malgré certains déboires, semblait avoir bien en main la province du Nouveau-Brunswick. Son gouvernement connaissait le succès et la popularité. Tilley, le secrétaire de la province, s’occupait de la plus grande partie du travail administratif ainsi que des affaires d’État en général. En 1859, ayant écrit à Fisher au sujet de problèmes financiers graves, celui-ci lui répondait : « Ne vous découragez pas. Tout s’arrangera », et il s’en remettait à Tilley pour trouver des solutions alors que lui-même se consacrait à l’étude des procès où les intérêts de la couronne étaient en jeu devant les tribunaux de la province. En sa qualité de procureur général, c’était sa responsabilité, mais il semble qu’il laissait beaucoup trop de travail à Tilley. Pour des raisons restées obscures, certains membres du conseil, A. J. Smith en particulier, voulaient se débarrasser de Fisher. Peut-être son leadership n’était-il pas assez ferme, peut-être prenait-il plus à cœur les besoins de sa famille et ceux de Fredericton que ceux de la province, ou encore était-ce à cause de sa personnalité. Un de ses contemporains a noté : « un manque de [...] franchise. En privé, il n’était pas toujours compris ; on constatait chez lui une répugnance à prendre position, même sur des questions importantes et beaucoup de ses amis ne pouvaient s’expliquer cette attitude ; on avait l’impression qu’il croyait ne pouvoir se fier qu’à lui-même et que moins il se confiait mieux il s’en portait ». Quoi qu’il en soit, un courant contre Fisher commença à se manifester en 1858 et, lorsqu’en 1861 il fut impliqué dans un scandale des terres de la couronne, ses collègues se débarrassèrent de lui immédiatement. Il est indéniable qu’il mettait à profit sa situation pour exploiter les terres de la couronne à des fins personnelles, pour ses amis et pour sa famille, et il disait pourtant que la plus grande partie des blâmes qu’il recevait, il aurait pu les partager avec beaucoup d’autres. Il refusait d’admettre qu’il eût commis une mauvaise action et ne voulait pas se démettre de ses fonctions de procureur général et « compromettre ainsi sa réputation et son indépendance ». Tilley, dont les qualités de chef se révélaient, parvint finalement à faire partir Fisher du conseil et le persuada de démissionner de ses fonctions de procureur général plutôt que d’avoir à subir d’autres humiliations.

Ainsi se termina la carrière de Fisher comme chef du gouvernement. Il pouvait être fier de la tâche accomplie, car on lui devait ces réformes urgentes qu’il avait menées à bien dans les domaines constitutionnel, politique, social et économique. La désagrégation complète de l’ancien « Family Compact » et de toute opposition politique nous donnent une idée de l’importance de sa réussite.

En 1861, après sa destitution, Fisher n’en conserva pas moins son siège à l’Assemblée et fut réélu sans difficulté au cours des élections générales qui eurent lieu plus tard la même année. Ses électeurs, ainsi que ses amis de longue date comme Joseph Howe et George Edward Fenety*, croyaient apparemment qu’il avait été traité injustement. Dans la province et au sein de l’Assemblée, les partisans de Fisher constituaient une grave menace pour Tilley. Sans doute ce dernier craignait-il que Fisher n’eût en main l’équilibre du pouvoir. Selon Tilley, en février 1862, Fisher aurait cherché à le renverser, mais la tentative aurait échoué et peut-être même n’eut-elle jamais lieu. Au cours des années suivantes, Fisher attendit, espérant disait-il « se réunir à Tilley » et redevenir procureur général « dans un avenir rapproché ». Peu de chose séparait les deux hommes puisqu’ils étaient entièrement d’accord sur la politique à suivre dans la question des chemins de fer, et particulièrement dans le cas de l’Intercolonial. C’est la Confédération qui devait les réunir.

En 1864, Tilley se rendit sans grand espoir à la conférence de Charlottetown, où l’on devait discuter de l’union éventuelle des provinces maritimes. De son côté Fisher, tout en étant opposé à ce projet, était partisan d’une fédération de l’Amérique du Nord britannique. Les conclusions inattendues auxquelles on parvint à la conférence et l’engagement de Tilley en faveur de la Confédération demandaient une refonte du parti libéral en un mouvement unioniste, car la question prêtait tellement à controverse que Tilley avait besoin d’un appui plus important que celui dont il disposait. C’est pourquoi Charles Fisher fut invité à se joindre à la délégation du Nouveau-Brunswick qui devait assister à la conférence de Québec. Il ne semble pas qu’il ait joué un grand rôle au cours de cette rencontre. Il « préférait une union législative, si la chose était possible ». Fisher parla peu si ce n’est pour se plaindre que la domination du Canada-Uni était excessive et injustifiée. Quelles qu’aient été ses appréhensions, il approuva les conclusions générales de la conférence et repartit pour le Nouveau-Brunswick persuadé que la province suivrait la route tracée par les délégués.

Le Nouveau-Brunswick fut la seule province où l’électorat fut appelé à se prononcer sur le projet soumis à la conférence de Québec. En mars 1865, le gouvernement Tilley et le projet de confédération furent battus à une majorité écrasante. Tilley et Fisher connurent eux-mêmes la défaite, et seulement six candidats de leur parti résistèrent à la campagne agressive de leur ancien collègue, A. J. Smith, adversaire de la Confédération. Au cours de cette lutte, Fisher avait concentré ses efforts dans le comté de York. Là comme ailleurs, la peur qu’avaient les habitants du Nouveau-Brunswick que la Confédération ne soit qu’une machine issue « de l’esprit retors des hommes politiques du Canada-Uni » ne put être calmée.

Le rôle joué par Charles Fisher dans le renversement de la décision de 1865 fut primordial. Le juge en chef, Robert Parker*, mourut en novembre 1865 et fut remplacé par John Campbell Allen*, député du comté de York. On décréta immédiatement une élection partielle et Charles Fisher s’adressa ainsi aux électeurs : « Mes chers concitoyens, la sympathie que vous me témoignez [...] ne me laisse d’autre recours que d’entrer dans la lutte et de m’en remettre à votre décision. » Il est peu probable que les motifs de Fisher aient été entièrement désintéressés et il est vrai de dire qu’au cours de la campagne, il considéra le projet de confédération comme une question de peu d’importance. Mais, en fin de compte, on constate que cette élection partielle a joué un rôle capital dans la réussite de cette campagne. À l’automne de 1865, le projet de confédération avait grand besoin qu’on lui fît de la publicité et une défaite devant l’électorat aurait découragé ses partisans et les aurait incités à abandonner la lutte. Dans cette élection, Fisher l’emporta sur John Pickard avec une majorité des deux tiers puis, plus tard, une action inconstitutionnelle de la part du lieutenant-gouverneur, Arthur Hamilton Gordon*, força Smith à démissionner. Entre ces deux événements, le courant en faveur de la Confédération ne fit que progresser. Le 12 mars 1866, Fisher avait présenté un amendement au discours du trône qui provoqua un débat de quatre semaines, et c’est en créant une telle situation qu’il contribua à la défaite de Smith. Quand finalement le gouverneur Gordon eut obligé Smith à démissionner, Fisher devint procureur général dans le gouvernement dirigé par Tilley et Peter Mitchell* qui devait faire adopter le projet de confédération. Ainsi qu’il l’avait prédit, Fisher avait réintégré ses fonctions. Il avait peut-être prévu que Smith se déclarerait en faveur de l’union, aussi voulait-il lui enlever toute chance d’en tirer profit. C’est du moins ce que laissa entendre le New Brunswick Reporter, journal dévoué à la cause de Fisher, et c’est certainement en tout cas ce que soupçonnait John A. Macdonald*.

Fisher fut récompensé de ses efforts en étant délégué à la conférence de Londres. À cette occasion, certains l’ont décrit comme « un brave homme qui parle beaucoup mais qui n’a pas beaucoup d’envergure ». Devant le succès remporté par la conférence, et à la suite de la création de la nouvelle nation, Fisher fut l’un des premiers à se porter candidat aux élections du parlement du dominion où il fut élu sans opposition. Il est absolument certain que Fisher avait l’espoir d’entrer dans le premier cabinet de Macdonald ; Tilley voulait l’avoir à ses côtés, mais des considérations d’ordre géographique empêchaient d’avoir dans ce ministère deux députés de la région de la rivière Saint-Jean. Après de longues hésitations, Tilley choisit Peter Mitchell pour être son collègue au sein du cabinet. Fisher dut assumer une grande partie de la responsabilité de la réorganisation du gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui avait à faire face à de nombreux problèmes causés par l’exode massif vers Ottawa.

En raison de sa carrière brillante et parce qu’il était originaire des provinces maritimes, Fisher fut choisi pour présenter l’adresse en réponse au premier discours du trône, prononcé devant le parlement du nouveau dominion. Cette allocution prononcée au milieu de l’indifférence générale marqua l’apogée de sa carrière sur la scène fédérale. Devant l’adoption de nouveaux tarifs douaniers et d’autres mesures et surtout devant les objections formulées par les députés du Nouveau-Brunswick, Fisher se replia sur la défensive. Le choix de la rive nord pour le tracé du chemin de fer Intercolonial était le genre de décision qu’il détestait : « Si vous préférez la ligne la plus longue, la plus coûteuse et la moins rentable, alors sans aucun doute passez par le nord ; mais n’allez pas croire que vous transporterez beaucoup de voyageurs ni beaucoup de marchandises. » Battu à cette occasion, ainsi que sur d’autres questions, Fisher semble, pour la première fois, s’être désintéressé de la politique. En 1868, son vieux camarade Wilmot venait d’être nommé lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, laissant une vacance dans la magistrature, et Fisher tenta d’obtenir ce poste vacant. Dans un mémorandum adressé à Macdonald en septembre 1868, Tilley le recommanda chaleureusement : « Je considère qu’au Nouveau-Brunswick personne, sauf M. [John Hamilton] Gray, n’a autant de titres à ce poste que M. Fisher. » Le 3 octobre 1868, Fisher fut nommé juge puîné à la Cour suprême du Nouveau-Brunswick et, le 14 octobre, juge du tribunal siégeant dans les procès de divorce et dans les affaires matrimoniales.

On a dit qu’en qualité de magistrat Fisher se montrait minutieux et consciencieux plutôt que profond. Pour un homme comme lui, qui avait consacré toute sa vie à la politique plutôt qu’au droit, la-transition était des plus difficiles, ce qui ne l’empêcha pas d’être considéré comme le plus grand expert en droit constitutionnel de son époque.

Dans ses fonctions de magistrat, Fisher découvrit que presque toute l’amertume des anciennes luttes avait disparu et dans sa vieillesse, il devint un homme politique respecté. Lui et sa femme Amelia évoluaient dans la bonne société de Fredericton, se dévouant particulièrement pour l’université qui, en 1866, lui avait accordé un doctorat en droit civil ; il faisait partie du conseil de l’université. On connaît peu de chose sur Mme Fisher, sinon qu’elle était une personne très effacée. Une anecdote, dont l’authenticité est douteuse, vaut la peine d’être citée car elle contient peut-être quelque vérité. À l’occasion de l’accession de Fisher à la magistrature, Mme Fisher demanda à son mari : « Dorénavant, vous serez votre Honneur, et moi, que serai-je ? » Fisher lui répondit aussitôt : « Vous serez la même maudite vieille imbécile que vous avez toujours été. » Fisher demeura alerte et actif jusqu’à la fin. Le 5 décembre 1880, il se sentait bien, mais le 8 décembre, il mourait, probablement d’une fluxion de poitrine.

De tous ceux qui ont participé à la lutte en faveur du gouvernement responsable et de la Confédération personne n’a été aussi négligé que Fisher, et personne n’a écrit sa biographie. Les historiens se sont contentés de dire que Charles Fisher « était corrompu et, qu’à tort ou à raison, il avait une mauvaise réputation ». On cite souvent ce qu’a écrit sur Fisher le duc de Newcastle [Clinton] : « Je n’ignore pas que M. Fisher est l’un des plus mauvais hommes politiques de toutes les provinces de l’Amérique du Nord britannique et son départ [en 1861] nous permet d’envisager la venue d’un bon gouvernement au Nouveau-Brunswick. » Ce trait incisif, le scandale des terres de la couronne, et le peu de cas qu’il fit apparemment des principes en 1848 semblent être les principales raisons du dénigrement dont Fisher a été victime. Il est possible aussi que sa personnalité peu séduisante ait contribué à cet état de choses.

On en vient à le considérer sous un jour plus favorable si l’on tient compte, d’un côté, de l’attitude qu’il a montrée envers les partis et, de l’autre, de la nature de la politique coloniale à cette époque. Il semble évident qu’au Nouveau-Brunswick la politique différait peu de celle de la Nouvelle-Écosse ou de celle de la province du Canada. Le favoritisme qui présidait à l’attribution des emplois faisait partie intégrante du système aussi bien en Grande-Bretagne qu’en Amérique du Nord britannique. Fisher fut mêlé au scandale des terres de la couronne, et pourtant ne se vit exclu du gouvernement que temporairement. Ses électeurs et ses amis croyaient honnêtement qu’il avait été traité injustement et Tilley, dont la probité politique était des plus grandes, n’hésita pas à recommander Fisher pour le faire accéder à la magistrature. La réputation de Fisher fut faite à la suite des opinions de personnes jeunes, sans expérience et souvent arrogantes, des gens comme Manners-Sutton, comme Gordon et comme le duc de Newcastle, tous inféodés au régime colonial britannique. On peut difficilement accepter comme concluants les jugements qu’ils portaient sur la population ou la société des colonies. Fisher, en particulier, refusa toujours de se soumettre à ces personnages et c’est pour cette raison qu’il fut montré du doigt. Selon leur définition, Fisher n’était peut-être pas un gentleman, mais lorsqu’on examine attentivement sa carrière, on en conclut qu’il était meilleur que la plupart des autres hommes politiques. Quelques années avant sa mort, il prononça des paroles qui auraient pu lui servir de notice nécrologique : « Je n’ai pas d’ambitions personnelles et je ne considère pas la richesse comme une chose importante, sauf pour le bien de ma famille. Je désire vivre et agir pour qu’à ma mort on puisse dire de moi : « Il a imprimé aux institutions de son pays la marque de son esprit ». »

C. M. Wallace

Il n’existe pas de collection de manuscrits de Charles Fisher, mais on trouve des documents intéressants dans : APC, FM 24, B29 (Papiers Howe) ; FM 26, A (Papiers Macdonald) ; FM 27, I, D15 (Papiers Tilley) ; N. B. Museum, Edward Barron Chandler papers ; Tilley family papers ; PRO, CO 188 (lettres d’Edmund Walker Head, John Henry Thomas Manners-Sutton, et Arthur Hamilton Gordon) ; U. of New Brunswick Library, Archives and Special Collections Dept., Arthur Charles Hamilton Gordon papers, 1861–1866.

Parmi les sources imprimées de l’époque, il faut citer : Journal of the House of Assembly of New Brunswick, 1834–1868 ; Synoptic report of the proceedings of the House of Assembly of New Brunswick, 1834–1868 ; Globe (Saint-Jean, N.-B.), 1858–1868 ; Morning News (Saint-Jean, N.-B.), 1839–1865 ; New Brunswick Reporter (Fredericton), 1844–1880 ; Saint John Daily Telegraph and Morning Journal, 1869–1873 ; Saint John Morning Telegraph, 1862–1868.

Il n’existe pas de biographie de Charles Fisher en dehors des résumés biographiques qui, par surcroît, ne lui rendent pas justice et qu’on trouve dans J. C. Dent, Canadian portrait gallery, IV, et Biographical review, this volume contains biographical sketches of the leading citizens of the province of New Brunswick, I. A. Jack, édit. (Boston, 1900). On peut aussi consulter : G. E. Fenety, Political notes and observations, et ses Political notes, Progress (Saint-Jean, N.-B.), 1894, réunis dans un album au N.B. Museum et aux APC.

On trouve dans Lawrence, Judges of New Brunswick (Stockton), et dans Hannay, History of New Brunswick, II, certains renseignements sur Fisher. Le premier est nettement supplanté par MacNutt, New Brunswick : a history. D. G. G. Kerr, Sir Edmund Head, a scholarly governor, en collaboration avec J. A. Gibson (Toronto, 1954) vaut d’être consulté, de même que J. K. Chapman, The career of Arthur Hamilton Gordon, first Lord Stanmore, 1829–1912 (Toronto, 1964).

On peut également consulter les articles suivants : A. G. Bailey, The basis and persistence of opposition to confederation in New Brunswick, CHR, XXIII (1942) : 374–397 ; J. K. Chapman, The mid-nineteenth-century temperance movement in New Brunswick and Maine, CHR, XXXV (1954) : 43–60 ; W. S. MacNutt, The coming of responsible government to New Brunswick, CHR, XXXIII (1952) : 111–128. Enfin, E. D. Ross, The government of Charles Fisher of New Brunswick, 1854–1861 (thèse de m.a., University of New Brunswick, 1954) est de loin la meilleure étude qui ait été faite sur Fisher.  [c. m. w.]

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C. M. Wallace, « FISHER, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/fisher_charles_10F.html.

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Auteur de l'article:    C. M. Wallace
Titre de l'article:    FISHER, CHARLES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
Date de consultation:    20 nov. 2024