MUIR, HENRIETTA LOUISE (Edwards), militante féministe, artiste et jurisconsulte, née le 18 décembre 1849 à Montréal, fille de William Muir et de Jane Johnston ; le 12 septembre 1876, elle épousa dans la même ville Oliver Cromwell Edwards, et ils eurent deux filles et un fils ; décédée le 9 novembre 1931 à Fort Macleod, Alberta.

Le militantisme féministe de Henrietta Louise Muir Edwards s’étendit sur une période de 55 ans, carrière inhabituelle tant en durée qu’en champ d’intérêt pour l’époque. Henrietta Louise apprit dès son jeune âge que la famille Muir attendait de ses membres qu’ils servent la foi chrétienne. Ses grands-parents paternels, immigrés d’Écosse, s’étaient installés à Montréal, où ils exploitèrent avec succès un commerce de confection, bâtirent la première chapelle baptiste et fondèrent de nombreuses organisations confessionnelles dont ils assurèrent également le soutien. Élevés dans cet environnement protestant aisé, leurs dix enfants devinrent ou épousèrent des professionnels accomplis ou d’éminents gens d’affaires ; en outre, ils prolongèrent l’engagement évangélique de leurs parents en donnant généralement leur appui à l’éducation des femmes. William Muir travailla dans l’entreprise familiale. Par contraste, la mère de Henrietta Louise, Jane Johnston, aînée de 14 enfants issus d’une famille écossaise presbytérienne, passa sa jeunesse à prendre soin de ses frères et sœurs. Le père de celle-ci, veuf, subvenait avec peine aux besoins des siens avec les revenus de sa boulangerie de Montréal. Jane se maria avec le fils de la riche famille Muir, puis donna naissance à huit enfants, dont six atteignirent l’âge adulte, tous élevés dans la tradition religieuse de son mari. Les deux aînées, Amelia et Henrietta Louise, entretinrent une intime complicité ; elles passeraient presque toute leur vie ensemble.

Henrietta Louise, nommée en l’honneur de la missionnaire suisse baptiste Henriette Feller [Odin*], vécut une enfance privilégiée et reçut une éducation religieuse stricte parallèlement à une formation laïque éclectique. Son père engagea des gouvernantes écossaises, ainsi que des professeurs d’art et de musique, et inscrivit ses filles dans des écoles pour jeunes filles de Montréal. Dans son journal intime, qui subsista, Henrietta Louise consigna les espoirs, les rêves et les craintes d’une adolescente franche et indépendante de 14 ans, dont le comportement exaspérait davantage sa mère, sévère, que son père, plus tolérant. Parrain de l’Association des arts de Montréal, William Muir encouragea les ambitions artistiques de sa fille en l’envoyant, avec sa sœur Amelia, faire le « grand tour » de l’Europe en 1867–1868. Libéral dans ses positions sur la société et la politique, il discutait de l’actualité locale et internationale avec ses enfants. La participation à ces débats animés façonnerait les années de maturité de Henrietta Louise.

Quand Henrietta Louise approcha de l’âge adulte, son père continua de l’inciter à étudier tout en parrainant les projets de bienfaisance de son choix. En 1871, elle assista à des conférences données par la Montreal Ladies’ Educational Association, à laquelle sa mère appartenait ; cet organisme, dirigé par Anne Molson*, exerçait des pressions pour que le McGill College ouvre un collège pour femmes. La communauté baptiste locale favorisait le vote des femmes ; ce fait attisa le féminisme naissant de Henrietta Louise, tout comme les opinions de son fiancé, Oliver Cromwell Edwards, fils cadet d’une famille baptiste bien en vue de la vallée de l’Outaouais, l’un des chefs de file de la Young Men’s Christian Association et diplômé en médecine du McGill College. Les jeunes gens se marièrent en 1876. Le docteur Edwards exercerait dans un cabinet adjacent à la résidence des Muir, où le couple vivait. Henrietta Louise donna bientôt naissance à deux enfants, Alice Millicent et William Muir. Soutenue par sa famille et des domestiques, elle mena une vie active. Elle continua de participer à la Young Women’s Christian Association (YWCA) locale, dont elle avait été membre fondatrice en 1874 [V. Mary Cowans*], et à la Young Women’s Reading Room, qu’Amelia et elle avaient créée la même année. Cette dernière initiative devint la Working Girls’ Association, qui offrait des installations pour le logement et les repas, de la formation professionnelle, une bibliothèque et des cours. En 1878, les deux sœurs, aidées de leurs relations dans la communauté baptiste, constituèrent le Montreal Women’s Printing Office, qui formait et employait les femmes comme compositrices, et produisait le mensuel Woman’s Work in Canada. L’auteure et rédactrice baptiste Pamelia Sarah Yule [Vining*] qualifia ce premier magazine canadien écrit, mis en page et imprimé par des femmes d’« excellente et vigoureuse revue ». Le périodique annonçait des projets chrétiens : par exemple, l’envoi d’une femme missionnaire en Inde par la Women’s Baptist Foreign Missionary Society of Eastern Canada, que Henrietta Louise et Amelia avaient contribué à établir en 1876 et dont elles faisaient partie du conseil d’administration.

À la Working Girls’ Association, Henrietta Louise ouvrit un studio d’art, donna des cours et produisit des illustrations pour des publications (notamment pour le Woman’s Work in Canada) ; elle mit ainsi à profit sa formation reçue à New York, en 1876, à la Cooper Union for the Advancement of Science and Art, où elle étudia avec Wyatt Eaton*, et à la National Academy of Design. En 1882, elle exposa des peintures de fleurs à l’Académie royale des arts du Canada ; pendant cette décennie, elle envoya aussi ses œuvres à des expositions tenues par l’Association des arts de Montréal et l’Ontario Society of Artists. Tandis que certaines artistes canadiennes déployaient beaucoup d’efforts en vue d’accéder à une reconnaissance professionnelle, Henrietta Louise canalisait plutôt son énergie créatrice dans des activités caritatives et au sein de la Montreal Society for Decorative Art, nouvellement fondée. Sa vie raffinée de citadine prendrait fin peu après que son mari, dont la pratique n’arrivait pas à satisfaire le tempérament aventureux, partit en 1882 pour les Territoires du Nord-Ouest. Il y obtiendrait un contrat d’un an comme médecin-chef auprès des Premières Nations qui adhéraient au traité no 4, entre autres celles dont étaient issus Payipwat*, Paskwāw* et Louis O’Soup*. La famille le rejoignit au fort Qu’appelle (Fort Qu’Appelle, Saskatchewan) en 1883.

Au cours des 20 années suivantes, Mme Edwards et les enfants vécurent à plusieurs endroits au Canada, souvent séparément du docteur Edwards. Même si celui-ci retourna à la pratique privée en 1883, il continua de chercher du travail auprès du département des Affaires indiennes. Pendant toutes les années 1880, Edwards, fervent défenseur du Parti libéral, critiqua sévèrement le gouvernement fédéral conservateur pour sa politique à l’égard des Premières Nations [V. Edgar Dewdney*]. Henrietta Louise se rendait souvent avec lui dans des réserves du district d’Assiniboia, où elle recueillait des artéfacts. Elle donna du matériel d’artiste à Hon̄geeȳesa, Assiniboine qui réalisa pour le couple une série de dessins de grande dimension représentant des scènes autochtones. Vivre au contact des Premières Nations influença la famille Edwards ; Henrietta Louise développa à leur égard une attitude plus bienveillante et respectueuse que celle qu’on leur manifestait généralement. Avec de jeunes enfants et un mari fréquemment absent, elle comptait sur l’aide de femmes autochtones, en particulier pendant la grossesse de son dernier enfant. Tout au long des années 1880, la famille résida à Qu’Appelle et à Indian Head ; cette période relativement stable permit au couple de contribuer à créer des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques, des églises et des organisations culturelles. En l’absence de services baptistes, la famille fréquentait des églises méthodistes, presbytériennes et anglicanes. En 1887, Henrietta Louise joua un rôle important dans la formation de la première section de la Woman’s Christian Temperance Union dans les Territoires du Nord-Ouest, dont elle devint présidente fondatrice. Elle exercerait de nombreuses fonctions dans cette organisation nationale au cours des trois décennies suivantes.

Même si Henrietta Louise aimait sa vie dans l’Ouest, son existence antérieure et ses parents lui manquaient. Elle passa quelques hivers à Montréal. Le couple retourna dans l’Est en 1890 pour l’éducation des enfants et s’installa à Ottawa, décision qui ouvrit à Henrietta Louise les portes d’un groupe interconfessionnel de femmes évangéliques dynamiques, dont Roberta Elizabeth Tilton [Odell*] et Ella Hobday Bronson [Webster*]. À l’instar de la famille élargie du docteur Edwards, le couple fréquenta l’église First Baptist. Sous l’impulsion du féminisme maternel de Henrietta Louise, la participation communautaire augmenta ; elle fit ainsi la connaissance de femmes attirées par les allocutions publiques et l’action politique, notamment sur le suffrage féminin et la tempérance. En l’espace de trois ans, elle s’était taillé une place à la direction de dix organismes féminins.

Par l’entremise de la Woman’s Christian Temperance Union d’Ottawa, Mme Edwards prit part aux campagnes plébiscitaires sur la prohibition et à l’organisation des pétitions annuelles adressées au gouvernement fédéral pour réclamer le droit de vote des femmes. Inspirée par l’élection d’Ann Augusta Stowe* Gullen comme administratrice scolaire à Toronto en 1892 et sa création de la Dominion Women’s Enfranchisement Association, elle embrassa avec enthousiasme la cause du droit de vote. De plus, à titre d’administratrice du Home for Friendless Women, elle se joignit à la fondatrice, Bertha Hannah Wright*, dans la mise sur pied, en 1892, de la YWCA d’Ottawa, dont elle accéda à la présidence deux ans plus tard. Parmi ses autres engagements dans la capitale figure la Women’s Baptist Home Missionary Society of Eastern Ontario and Quebec, où elle siégea au conseil d’administration de 1893 à 1902. Un organisme instigué par lady Aberdeen [Marjoribanks], épouse du nouveau gouverneur général, se trouvait toutefois au cœur de ses préoccupations : le National Council of Women of Canada (NCWC), fondé en 1893. Quand le Local Council of Women (LCW) d’Ottawa fut créé l’année suivante, on élut Henrietta Louise trésorière, malgré les appréhensions de lady Aberdeen qui la jugeait « plutôt résolument évangélique pour un poste qui l’amènerait en contact avec les [catholiques] ». Séduite par la personnalité, les compétences politiques et la « vision splendide » de lady Aberdeen, Henrietta Louise travaillerait pour le NCWC le reste de sa vie.

Après avoir mis sur pied un studio d’art à la YWCA, Mme Edwards enseigna et accepta des commandes de portraits pour des personnages importants tels que l’homme d’affaires et député sir Donald Alexander Smith* et le chef du Parti libéral, Wilfrid Laurier*. Elle contribua également à lancer l’Ottawa Decorative Art Society, dont elle fit partie du conseil de direction, et participa à l’exposition de 1892 de l’Académie royale des arts du Canada. L’année suivante, elle reçut une commande : peindre des scènes locales sur un ensemble à soupe en porcelaine pour le pavillon du Canada à l’Exposition universelle de Chicago. L’endettement croissant de la famille imposa la vente de ses œuvres ; le docteur Edwards ne put accéder à l’avancement professionnel et à la sécurité financière, en partie à cause de la concurrence féroce dans le milieu médical à Ottawa. En 1897, ayant obtenu un contrat du gouvernement Laurier nouvellement élu, il retourna à contrecœur dans le Nord-Ouest. Il vécut d’abord à Regina, puis voyagea avec la commission du traité no 8 [V. James Andrew Joseph McKenna*] qui avait pour mission de vacciner les Premières Nations du Nord. En 1901, il s’installerait dans les réserves des Peigans et des Gens-du-Sang dans la partie sud du district d’Alberta.

À la suite du départ de son mari, Mme Edwards avait élu domicile à Montréal, où elle habitait dans un logement loué avec ses sœurs célibataires. Après son exaltante période de militantisme en Ontario, elle trouva le climat politique conservateur de la province de Québec frustrant ; le fait de travailler avec des femmes telles que Joséphine Dandurand [Marchand*], Marie Gérin-Lajoie [Lacoste*] et la professeure Carrie Matilda Derick* au LCW de Montréal élargit toutefois ses horizons en lui faisant connaître un féminisme plus raffiné et plus particulièrement voué aux droits juridiques des femmes. En 1899, elle succéda à Grace Julia Drummond [Parker*] à titre de responsable du comité du NCWC sur les lois visant à mieux protéger les femmes et les enfants. Elle garda ce poste jusqu’à sa mort ; elle fit de son comité un modèle pour des organismes semblables dans d’autres pays affiliés au Conseil international des femmes (CIF). En 1901, on la désigna membre du comité du CIF sur les lois liées aux rapports familiaux. Le groupe canadien qu’elle dirigeait compila de l’information juridique dans tout le pays, assura la formation des membres et lança des campagnes en faveur de réformes législatives sur des sujets comme le divorce, l’augmentation de l’âge du consentement et les droits de propriété des femmes mariées. Parmi les femmes éminentes qui en firent partie au fil des ans figurent Marie Gérin-Lajoie, Ann Augusta Stowe Gullen, Edith Jessie Archibald, Agnes Maule Machar*, Helen Letitia McClung [Mooney*] et Alpha Maude Riley [Keen*]. Outre qu’elle travaillait pour les conseils national et locaux, Henrietta Louise adhéra au Montreal Women’s Club [V. Eliza Ann McIntosh*], et poursuivit ses activités dans la YWCA et son engagement au sein de l’Union chrétienne de tempérance des femmes (appellation francophone de la Woman’s Christian Temperance Union depuis 1894) (UCTF) dont elle devint, en 1898, administratrice en chef nationale du droit de vote et de la citoyenneté chrétienne. Elle réclamait inlassablement l’égalité du droit de vote et rédigea un article paru dans un ouvrage préparé par le NCWC pour l’Exposition universelle de Paris en 1900 : dans « la Condition politique de la femme au Canada », elle présente les arguments du féminisme maternel et égalitaire pour élargir le rôle politique des femmes.

Dans sa vie privée, Mme Edwards fréquentait l’église baptiste Olivet ; elle y enseignait à l’école du dimanche et écoutait des sermons Social Gospel sur le devoir des chrétiens prononcés par le ministre Ebenezer William Dadson* et son successeur. Elle évitait le milieu à la mode de son riche frère cadet, William Ebenezer, qui construisit un manoir et l’église baptiste à Westmount. Elle poursuivait aussi ses activités artistiques, exposant des miniatures en ivoire et en porcelaine à l’Académie royale des arts du Canada en 1899 et en 1900. Cependant, un autre départ pour l’Ouest mettrait bientôt fin à cet aspect de sa carrière.

La famille rejoignit le docteur Edwards en 1903. En dépit de longues séparations, les rapports conjugaux du couple étaient restés apparemment affectueux. « Comme j’aimerais te serrer vivement dans mes bras comme au bon vieux temps », écrivit Oliver Cromwell en 1897. « Les doigts me démangent de toucher tes douces ondulations. » Leurs retrouvailles renouvelèrent peut-être leur bonheur au foyer, mais, dans cette nouvelle vie, Henrietta Louise souffrait d’isolement dans la réserve des Gens-du-Sang, où les mauvaises routes, les tempêtes hivernales et les inondations printanières rendaient souvent les déplacements impossibles, même pour aller dans des villes voisines comme Fort Macleod. Le docteur Edwards soulevait la controverse, tantôt justement, tantôt injustement. Les allégeances politiques, le conservatisme d’une communauté d’éleveurs et la jalousie mesquine de la part de l’agent local des Affaires indiennes compliquaient l’existence du couple. Par ailleurs, le mariage de leur fille Alice Millicent, qui épousa en 1907 Claude William Edward Gardiner, propriétaire d’origine anglaise d’un ranch près de la réserve des Peigans, agrandit le cercle social des Edwards, en particulier avec l’arrivée de petits-enfants. En 1909, leur fils, William Muir, accepta un poste de professeur de mathématiques et de génie civil à la University of Alberta, nomination qui mit Henrietta Louise en contact avec des groupes de femmes d’Edmonton et des libéraux provinciaux bien en vue tels que le recteur de l’université, Henry Marshall Tory*. Souvent esseulée dans la réserve (sa deuxième fille étudiait à Ottawa), Henrietta Louise trouvait de la compagnie à la mission anglicane St Paul, dirigée par le dynamique révérend Samuel Henry Middleton. Sa sœur Amelia finit par quitter Montréal pour vivre avec elle.

Voyager dans tout le Canada pour assister aux congrès annuels du NCWC et de l’UCTF brisait l’isolement de Henrietta Louise. Elle demeurait également active au sein de la Dominion Women’s Enfranchisement Association ; après une réorganisation de l’organisme, qu’on rebaptisa Canadian Suffrage Association en 1907, elle accéderait à la vice-présidence pour l’Alberta. Son travail au comité du NCWC sur les droits l’associa à des enjeux d’importance particulière pour les femmes des Prairies. Elle se joignit à Louise McKinney [Crummy], Emily Gowan Murphy [Ferguson], Francis Marion Beynon* et d’autres militantes dans la campagne sur la question du droit de douaire, qui avait pour but de restituer aux femmes une part incontestable du patrimoine familial, leurs droits traditionnels ayant été réduits par des lois anglaises des années 1830, puis entièrement abolis dans les Territoires du Nord-Ouest en 1886 pour faciliter le transfert des titres fonciers. En 1906, alors administratrice en chef du droit de vote de l’UCTF de l’Alberta et de la Saskatchewan, elle présenta au nouveau gouvernement albertain d’Alexander Cameron Rutherford* une pétition de l’organisme demandant la restauration du droit de douaire. À titre de partisane du suffrage féminin, elle trouvait ces interminables sollicitations contre-productives : « Année après année, nous devons reprendre les mêmes principes en gaspillant du temps et de l’énergie qui auraient pu être épargnés si nous avions l’influence du vote. » Une autre décennie de pétitions s’écoulerait toutefois avant que les causes qu’elle défendait enregistrent des progrès. Ce fut seulement en 1916 que le gouvernement provincial d’Arthur Lewis Watkins Sifton* accorda le droit de vote aux femmes et interdit la vente de boissons alcooliques. Le dossier du droit de douaire ne serait pas abordé avant 1917. Même si le Dower Act de cette année-là redressait la situation, il ne constituait pas une loi progressiste, et le droit de douaire fit problème pendant encore bien des années.

À titre de vice-présidente du NCWC pour les Territoires du Nord-Ouest, puis pour l’Alberta, Mme Edwards rajeunit le LCW de Regina en 1904, et remit sur pied ceux d’Edmonton et de Calgary respectivement en 1908 et 1912. Ailleurs, le travail du NCWC progressait lentement. Profitant de l’expérience acquise au comité sur les droits, Mme Edwards publia en 1908 Legal status of Canadian women, document populaire qui lui valut des invitations à prononcer des allocutions, et accrut son influence au sein du NCWC et auprès des gouvernements fédéral et provinciaux. À l’élection de délégués pour assister au congrès du CIF à Toronto en 1909, qu’elle aida à organiser, elle obtint le deuxième plus grand nombre de votes, après lady Edgar [Ridout*], présidente du NCWC.

Entre 1913 et 1916, années importantes pour les campagnes albertaines sur la prohibition et le suffrage féminin, des problèmes familiaux exigèrent cependant l’attention de Henrietta Louise. Cette situation l’éloigna des administratrices de l’UCTF telles que Louise McKinney et Emily Kerby [Spencer] (qui prit la relève au poste d’administratrice en chef du droit de vote), Mary Irene Parlby [Marryat*], présidente des United Farm Women of Alberta, et des militantes d’Edmonton menées par Helen Letitia McClung et Emily Gowan Murphy. Margaret Claxton Stewart, benjamine de la famille Edwards, mourut en couches en octobre 1913, laissant un fils nouveau-né dont Henrietta Louise prit soin pendant les deux années suivantes. En juin 1914, elle se sentit capable d’organiser un LCW à Lethbridge. Absente lors de la présentation d’une pétition sur le suffrage féminin à l’Assemblée législative de l’Alberta au mois d’octobre de cette année-là, elle fit néanmoins partie, en février 1915, d’un autre groupe de pression contre la discrimination sexuelle en politique. Le malheur frappa toutefois de nouveau. Oliver Cromwell Edwards mourut le 4 avril 1915, emporté par des ennuis de santé, l’épuisement et la douleur causée par la disparition « inutile » de sa fille. Réconfortée par des valeurs spirituelles profondes et la compagnie de sa sœur, Henrietta Louise accepta cette perte, partit s’installer à Fort MacLeod et amorça un nouveau chapitre de sa vie. Elle avait pris la décision, comme elle l’écrivit à son amie et collègue militante du NCWC, Emily Ann McCausland Cummings [Shortt*], de « se consacrer au travail du conseil ».

Dans son rôle de vice-présidente du NCWC pour l’Alberta, Henrietta Louise écrivait, prononçait des conférences, participait à des campagnes juridiques et accomplissait du travail d’organisation pour tirer parti de la dynamique amenée dans le mouvement des femmes par la Première Guerre mondiale. En 1916, après avoir célébré, avec les féministes d’Edmonton, la sanction de la loi sur la prohibition et de l’Equal Suffrage Statutory Law Amendment Act provincial, elle retourna à Fort MacLeod et se porta candidate, sans succès, au conseil scolaire. Sans se laisser décourager par cette défaite, elle fonda huit autres LCW en 1916−1917, publia Legal status of women in Alberta en 1917 et se présenta de nouveau cette année-là au conseil scolaire, où elle perdit par un vote seulement. Organisatrice du Provincial Law Committee (composé de femmes des conseils locaux, de l’UCTF, des United Farm Women of Alberta et des Women’s Institutes) en 1916 et du Provincial Executive du NCWC (avec lequel le premier comité fusionna) en 1918, elle présida les congrès annuels des deux organismes et mena des délégations à l’Assemblée législative d’Edmonton. Pendant ses visites à Calgary, Mme Edwards était souvent l’hôte de Beatrice Stuart et de son mari ; membre de la Cour suprême de l’Alberta, Charles Allan Stuart rendit en 1917 un jugement resté célèbre, R. c. Cyr, selon lequel aucune loi n’empêchait les femmes d’occuper des postes dans la fonction publique, décision qui confirma la position de la juge Alice Jane Jamieson [Jukes*] et, implicitement, celle de la juge Emily Gowan Murphy. La présence de Henrietta Louise à la Women’s War Conference tenue à Ottawa au début de 1918 témoigna de la reprise de ses activités à titre d’organisatrice et de principale conseillère du NCWC. À cette occasion, elle eut la satisfaction d’assister, à la Chambre des communes, à la présentation, par le gouvernement d’union de sir Robert Laird Borden, du projet de loi qui accordait aux femmes le droit de voter aux élections fédérales ; la loi serait sanctionnée en mai. Six mois après cette victoire, le fils de Henrietta Louise mourut pendant l’épidémie de grippe espagnole, ce qui la plongea de nouveau dans le deuil.

Au cours des 13 années suivantes, après tant de malheurs personnels, Henrietta Louise connut de nouvelles expériences, la reconnaissance du public et le bonheur. Convaincue que les chrétiens ne meurent « que lorsqu’ils ont accompli leur mission en ce monde », elle continua son travail pour que les femmes obtiennent le statut de citoyennes à part entière. Libérée des obligations familiales et passionnée de voyages, elle prenait des dispositions pour assister à la plupart des congrès annuels du NCWC et rencontrait chaque année des représentants du gouvernement fédéral. Elle était également présente en 1925 au congrès quinquennal du CIF à Washington. Au fil des ans, des journalistes et collègues commentèrent à plusieurs reprises l’énergie sans bornes de Henrietta Louise et son caractère enjoué. Mesurant à peine cinq pieds, elle constituait, pour la journaliste Adelaide Edna Kells, une « vaillante petite personne ». Après le congrès du NCWC à Vancouver, en 1907, un reporter avait fait remarquer : « Mme Edwards possède un certain magnétisme qui relève tout à fait [de son] caractère. Le bon sens, l’humour, l’aptitude à diriger, avec une bonne dose d’enthousiasme – cela, conjugué à une foi ardente, forme une personnalité qui attire à elle toutes les natures indécises ou plus austères. »

Habile négociatrice et combattante de la première heure dans les multiples batailles du conseil, Henrietta Louise demeura loyale au NCWC même quand celui-ci affrontait des conflits régionaux ; bien des femmes de l’Ouest trouvaient l’organisation centrale trop conservatrice et trop encombrante. Le Jury Act de 1921, qui permettait la nomination de jurées dans des causes civiles en Alberta, reflétait les démarches persistantes de son comité national sur les droits pour éliminer la discrimination sexuelle dans les lois fédérales et provinciales. Malgré son engagement envers le Parti libéral qui, sous le règne du premier ministre Charles Stewart*, avait adopté ce projet de loi, elle réussit à collaborer avec les gouvernements des Fermiers unis de l’Alberta de Herbert Greenfield* et de John Edward Brownlee* sur des questions telles que le droit de douaire, avec toutefois un succès limité.

La cause Edwards c. Canada, ainsi que la décision subséquente du comité judiciaire du Conseil privé, le 18 octobre 1929, selon laquelle les femmes sont des « personnes », marque l’apogée de la longue carrière de Mme Edwards. Depuis 1919, année où les femmes avaient obtenu le droit de siéger à la Chambre des communes, le NCWC et le comité sur les droits étaient intervenus auprès du gouvernement fédéral pour faire nommer une femme au Sénat. L’article 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique accordait au gouvernement fédéral le pouvoir de désigner à la Chambre haute des « personnes qualifiées », terme qui, selon Henrietta Louise, incluait les femmes. Le 5 août 1927, Emily Gowan Murphy, qui avait mené sans relâche une campagne sur ce sujet, invita quatre collègues éminentes de l’Alberta, Mmes Edwards, McClung, Parlby et McKinney, à soumettre une pétition à la Cour suprême du Canada pour qu’elle en fasse une interprétation. Rejetant les arguments de l’avocat Newton Wesley Rowell*, le juge en chef Francis Alexander Anglin et les quatre autres juges déclarèrent, sans surprise et à l’unanimité, que les femmes n’étaient pas qualifiées au sens de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et n’étaient donc pas admissibles à siéger au Sénat à moins d’un amendement à la constitution. Un appel présenté au comité judiciaire du Conseil privé infirma cette décision. Le tribunal britannique préconisa une interprétation inclusive, donnant aux femmes le statut de personnes à part entière et le droit de siéger à la Chambre haute. Aucune des instigatrices de la cause n’eut toutefois l’honneur de devenir la première sénatrice, car la distinction échut à Cairine Reay Wilson [Mackay*].

Du jour au lendemain, Mme Edwards et ses collègues accédèrent à la célébrité. Par la suite, avec le bouleversement apporté par la grande dépression et la Deuxième Guerre mondiale, on oublia ce groupe de femmes, leurs rêves et leurs ambitions, ainsi que les questions législatives qu’elles avaient défendues. Dans les années 1990, des féministes d’une nouvelle génération se souviendraient de leurs « aïeules » en leur donnant le statut particulier (et parfois aussi contesté) d’« héroïnes canadiennes ». Peu après la victoire de 1929, encore en pleine activité, engagée non seulement au sein du NCWC mais également dans l’organisation d’une bibliothèque à Fort MacLeod, la militante de 81 ans s’éteignit doucement le 9 novembre 1931.

Modeste et réservée, Henrietta Louise Muir Edwards avait représenté les nombreuses féministes chrétiennes de son époque qui travaillèrent inlassablement pour modifier la situation de la femme, se croyant elles-mêmes des « porte-parole de Dieu ». Une vision chrétienne englobant à la fois l’égalité des droits et le féminisme maternel sous-tendait toutes leurs entreprises. Même si la cause du statut de personne à part entière apporta à Mme Edwards la gloire, voire une renommée légendaire, sa place dans le féminisme canadien repose de plus sur ses services au sein de multiples organisations et sur sa contribution, pendant sa longue carrière, en qualité de responsable du comité sur les droits du NCWC. Estimée et louangée par seulement un petit groupe de ses contemporains, elle deviendrait, comme membre des « célèbres cinq », une icône culturelle canadienne du xxie siècle.

Patricia Roome

Les membres des « célèbres cinq » ont fait l’objet d’hommages commémoratifs : une plaque dévoilée en 1938 à l’entrée de la chambre du Sénat à Ottawa ; des statues de Barbara A. Paterson érigées en 1999 à l’Olympic Plaza à Calgary et en 2000 sur la colline parlementaire à Ottawa ; un billet de 50 $ de la série « l’Épopée canadienne », émis en 2004 par la Banque du Canada ; et une fresque réalisée en 2012 par Kris Friesen au Melcor Parkade à Edmonton. Les cinq femmes ont été nommées sénatrices honoraires du Canada en 2009. Un parc d’Edmonton porte le nom d’Henrietta Louise Muir Edwards. Également en son honneur, une plaque a été installée au bureau de poste de Fort Macleod en 1964, et Postes Canada a émis un timbre en 1981.

Henrietta Louise Edwards est l’auteure de deux livres : Legal status of Canadian women […] (Calgary, 1908) et Legal status of women of Alberta […] (Edmonton, 1917). Elle a aussi publié un article : « Looking back on life : motherhood, God’s greatest gift », Canadian Home Journal (Toronto), 28 (mai 1931–avril 1932), n1 : 28.

On trouvera la plupart des sources concernant la vie et la carrière de Mme Edwards dans notre thèse de doctorat : P. [A.] Roome, « Henrietta Muir Edwards : the journey of a Canadian feminist » (thèse de ph.d., Simon Fraser Univ., Burnaby, C.-B., 1996 ; accessible à summit.sfu.ca/collections).

C. A. Cavanaugh, « Irene Marryat Parlby : an “imperial daughter” in the Canadian west, 1896–1934 », dans Telling tales : essays in western women’s history, C. A. Cavanaugh et R. R. Warne, édit. (Vancouver et Toronto, 2000), 100–122.— Janice Fiamengo, « A legacy of ambivalence : responses to Nellie McClung », Rev. d’études canadiennes (Peterborough, Ontario), 34 (1999–2000), no 4 : 70–87.— S. N. Hamilton, Impersonations : troubling the person in law and culture (Toronto et Buffalo, N.Y., 2009).— L. A. Hart, « Collecting and curating objects of ethnography : an ethnohistorical case study of the O. C. Edwards collection » (mémoire de m.a., Univ. of Alberta, Edmonton, 1998).— Jennifer Henderson, Settler feminism and race making in Canada (Toronto et Buffalo, 2003).— Joan Jacobs Brumberg, « Zenanas and girlless villages : the ethnology of American evangelical women, 1870–1910 », Journal of American Hist. (Bloomington, Ind.), 69 (juin 1982–mars 1983) : 347–371.— Tracy Kulba, « Citizens, consumers, critique-al subjects : rethinking the “statue controversy” and Emily Murphy’s The black candle (1922) », Tessera (Burnaby), 31 (hiver 2002) : 74–89 ; « New woman, new nation : Emily Murphy, the Famous 5 Foundation, and the production of a female citizen » (thèse de ph.d., Univ. of Alberta, 2004).— On the north trail : the Treaty 8 diary of O. C. Edwards, David Leonard et Beverly Whalen, édit. (Calgary, 1999).— Valerie Robertson, l’Histoire reconquise : les dessins de livre-journal de l’artiste assiniboine Hon̄geeȳesa (Calgary, 1993).— P. A. Roome, « “From one whose home is among the Indians” : Henrietta Muir Edwards and aboriginal peoples », dans Unsettled pasts : reconceiving the west through women’s history, Sarah Carter et al., édit. (Calgary, 2005), 47–78.

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Patricia Roome, « MUIR, HENRIETTA LOUISE (Edwards) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/muir_henrietta_louise_16F.html.

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Auteur de l'article:    Patricia Roome
Titre de l'article:    MUIR, HENRIETTA LOUISE (Edwards)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2023
Année de la révision:    2023
Date de consultation:    21 déc. 2024