RIDOUT, MATILDA (Edgar, lady Edgar), historienne et féministe, née le 29 septembre 1844 à Toronto, cinquième enfant de Thomas Gibbs Ridout* et de Matilda Ann Bramley ; le 5 septembre 1865, elle épousa dans cette ville James David Edgar*, et ils eurent trois filles et six fils ; décédée le 29 septembre 1910 à Londres et inhumée à Toronto.

Matilda Ridout appartenait à une vieille famille de notables torontois. Son grand-père Thomas Ridout* avait été arpenteur général du Haut-Canada de 1810 à 1829 ; son père fut, de 1822 jusqu’à sa retraite en 1861, premier caissier (directeur) de la Bank of Upper Canada. On sait peu de chose sur les jeunes années de Matilda, et il n’est pas sûr qu’elle ait fréquenté l’école. Dans une lettre de 1866, elle dit seulement qu’elle fut élevée dans l’idée que sa famille était à l’aise. Mais le malheur voulut qu’« une grosse part » de ce que les Ridout possédaient soit « balayée » et que, au décès de son père quelques mois après qu’il eut pris sa retraite, sa mère se retrouve « très gênée », avec neuf enfants à charge.

Pendant un temps, après avoir épousé James David Edgar, avocat et auteur, Matilda se consacra à leurs nombreux enfants. Les descriptions qu’elle fit de ses grossesses et de ses accouchements, bien qu’elles soient typiques de l’époque, n’en sont pas moins poignantes. La naissance de son premier enfant lui causa « moins de douleur que [ce n’était le cas] d’habitude » ; cependant, elle « redoutait » chaque accouchement et admettait que la possibilité de mourir la rendait « passablement nerveuse ». Elle gardait tout de même le sens de l’humour. Pendant son premier accouchement, on lui dit que sa belle-sœur, par l’entremise de qui elle avait fait la connaissance de James, était en bas de l’escalier, « les oreilles bouchées et répétant que jamais jamais elle ne se marierait ». Matilda raconte qu’en entendant cela, elle ne put s’empêcher de rire malgré sa douleur.

Matilda Ridout Edgar était une mère dévouée qui aimait la compagnie de ses enfants et se plaisait à décrire leurs activités et leurs progrès dans des lettres à sa famille. Elle leur enseigna à lire, à écrire et à compter, mais en prenant soin d’« en faire un divertissement ». Ses relations avec son mari étaient tendres et réconfortantes. Lorsqu’il était absent de la maison, James lui écrivait chaque jour d’affectueuses lettres remplies de nouvelles. De son côté, elle avait investi en James beaucoup de sa fierté et de son ambition.

Comme il fallait s’y attendre, la carrière d’écrivain de Matilda ne débuta que lorsqu’elle eut atteint le milieu de la quarantaine et que la plupart de ses enfants furent grands. Son premier livre, paru chez William Briggs* à Toronto en 1890, était tiré de la correspondance de sa famille et s’intitulait Ten years of Upper Canada in peace and war, 1805–1815 [...]. Recueil de lettres échangées par Thomas Ridout et ses fils George* et Thomas Gibbs, il décrit la vie torontoise et londonienne et renferme des détails sur les batailles de la guerre de 1812. Son deuxième livre portait aussi sur un sujet canadien : c’était une biographie de sir Isaac Brock*. L’ouvrage parut à Toronto en 1904 chez George Nathaniel Morang*, dans la collection Makers of Canada, dont les directeurs généraux étaient Duncan Campbell Scott*, le poète, et Oscar Pelham Edgar*, fils de l’auteure. Tous les critiques de l’époque n’eurent que louanges pour Ten years. Le World de Toronto nota : « Ces lettres sont d’autant plus précieuses qu’il ne reste guère de témoignages de cette période. » General Brock fut bien accueilli aussi. Peu après la mort de l’écrivaine, un éditorial du Standard de Montréal affirma : « pour l’exactitude et la richesse de la documentation [...] et pour la beauté du style, [ce livre] a rarement été surpassé ».

Tant General Brock que Ten Years étaient représentatifs de l’école whig ou nationaliste d’historiographie, dans laquelle l’objectif de l’historien était de favoriser la consolidation du pays en chantant les succès du Canada, par exemple la victoire de la guerre de 1812. Comme l’a souligné Martin Brook Taylor, bon nombre d’historiens « se tournèrent vers la biographie et la célébration des ancêtres de la nation » afin, disait Matilda Ridout, d’« inspirer à chaque canadien un sentiment de fierté nationale et d’admiration reconnaissante pour ceux qui ont sauvé le pays aux heures de danger ». Cependant, il était inhabituel qu’une femme traite pareille matière. Un critique notait que « l’histoire n’est pas le domaine de la femme en littérature » et que « la compassion et la tendresse naturelles » des femmes « militent contre leur excellence comme historiennes ». Si Matilda Ridout consacra ses premiers efforts littéraires à un sujet militaire et historique, ce ne fut probablement pas parce qu’elle avait délibérément choisi un thème non traditionnel, mais plutôt, simplement, parce qu’elle avait sous la main les lettres des Ridout et que celles-ci offraient un exutoire immédiat à ses énergies d’auteur.

Pour son troisième et dernier livre, elle se servit aussi de papiers de famille, mais cette fois, le théâtre des événements était le Maryland plutôt que le Canada. A colonial governor in Maryland ; Horatio Sharpe and his times, 1753–1773 fut publié à titre posthume à Londres en 1912. Avant sa mort, lady Edgar (elle avait eu droit au titre en 1898) travailla plusieurs années à la biographie d’un jacobite écossais nommé James Edgar, ancêtre de son mari. Autorisée en 1909 à aller consulter sa correspondance conservée au château de Windsor, elle s’y rendit l’année suivante. Pendant qu’elle mettait la dernière main à ses recherches, elle mourut à Londres d’une syncope. La biographie est restée inédite.

Ce n’est que tard dans sa vie que lady Edgar s’engagea dans des activités hors de la sphère familiale et littéraire. Elle s’intéressa d’abord aux affaires publiques liées à la carrière politique de son mari. Après qu’il eut été nommé à la présidence de la Chambre des communes, en 1896, elle parraina bon nombre d’œuvres philanthropiques, dont l’Infants’ Home de Toronto, l’Imperial Order Daughters of the Empire et la Women’s Art Association of Canada. En outre, elle œuvra à la Women’s Canadian Historical Society of Toronto, dont elle fut présidente en 1899, et pendant une partie de l’année 1898, elle fut présidente intérimaire du National Council of Women of Canada. Cependant, après la mort de son mari, le 31 juillet 1899, elle renonça à tout cela durant environ un an. Son chagrin était tel qu’elle se laissa attirer un moment par le spiritisme. Avec ses enfants, elle tenait des séances dans l’espoir de communiquer avec James par l’écriture automatique. En février, il lui aurait dit : « poursuis courageusement ton travail [...] et pour l’amour de moi relève la tête et sois pour [les enfants] tout ce qu’une mère peut être ». Apparemment, ce message aida Matilda à surmonter son deuil : elle reprit ses activités à l’extérieur dans le courant de l’année 1900.

Après cette année d’explorations spiritistes, lady Edgar s’engagea plus à fond dans la défense du droit des femmes aux études supérieures, à l’autonomie financière par le travail, au suffrage et, dans le cas des femmes mariées, à la libre disposition de leurs biens. Devenue membre à vie du National Council of Women en 1906, elle en fut élue présidente la même année et réélue en 1909.

On connaît surtout Matilda Ridout Edgar comme historienne et philanthrope, mais il faut se rappeler qu’elle mena une belle carrière littéraire à une époque où les femmes qui écrivaient suscitaient encore la désapprobation de certains hommes. Il existe un lien certain entre le fait qu’elle exerçait un métier non traditionnel et le fait qu’elle fréquentait d’autres écrivaines et réformatrices accomplies, telles lady Aberdeen [Marjoribanks*], Sarah Anne Curzon [Vincent*], Mary Agnes Fitzgibbon [Bernard*] et Emily Cummings. Tout comme elles, lady Edgar défendit la cause de la réforme et les droits des femmes en une période où ces questions étaient à l’avant-plan des débats sociaux au Canada.

Erin Breault

Outre les ouvrages mentionnés dans le texte, lady Edgar est l’auteure de : « Sketch of Mrs. Curzon’s life and work », Women’s Canadian Hist. Soc. of Toronto, Trans., n° 2 (1899) : 3–4.

AO, F 65, MU 961–962 ; MU 967, scrapbooks, nos 1–2 ; MU 968–970.— Evening Telegram (Toronto), 20 oct. 1910.— Globe, 1er oct. 1910.— World (Toronto), 26 déc. 1890, 9 oct. 1910.— Carl Berger, The writing of Canadian history : aspects of English-Canadian historical writing (Don Mills [Toronto], 1976).— Ramsay Cook, « Spiritualism, science of the earthly paradise », CHR, 65 (1984) : 4–27.— Encyclopedia of the American religious experience : studies of traditions and movements, C. H. Lippy et P. W. Williams, édit. (3 vol., New York, 1988), 2 : 711–722.— Gerald Killan, Preserving Ontario’s heritage : a history of the Ontario Historical Society (Ottawa, 1976), 28.— Lit. hist. of Canada (Klinck et al. ; 1976–1990), 1 : 97–105, 222–264.— NCWC, Year book, 1899–1900, 1906–1908, 1910.— Alison Prentice et al., Canadian women : a history (Toronto, 1988), 179–180.— « Sketch of Lady Edgar’s life », Women’s Canadian Hist. Soc. of Toronto, Trans., n° 8 ([1908]) : 3–4 (photographie face à la page 3).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).— M. B. Taylor, Promoters, patriots, and partisans : historiography in nineteenth-century English Canada (Toronto, 1989), 167.— Types of Canadian women (Morgan).

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Erin Breault, « RIDOUT, MATILDA (Edgar) (lady Edgar) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/ridout_matilda_13F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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