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MOLSON, WILLIAM, brasseur et distillateur, marchand et banquier, né le 5 novembre 1793 à Montréal, troisième et dernier fils de John Molson* l’ancien et de Sarah Insley Vaughan, décédé à Montréal le 18 février 1875.

On connaît peu de chose de l’enfance de William Molson si ce n’est qu’elle baigna dans l’atmosphère caractéristique d’une famille d’entrepreneurs. Son père, orphelin de père et de mère, arrivé à Montréal en 1782, à l’âge de 18 ans, s’était immédiatement adonné, en ces années de forte inflation due à la guerre d’Indépendance des colonies américaines, au commerce lucratif des denrées alimentaires, plus particulièrement de la viande, avec son ami James Pell ; il s’était aussi intéressé à la production de la bière avec son ami Thomas Loid. En 1785, il devint seul propriétaire de la brasserie. Toutefois, John Molson l’ancien refusa de participer au grand commerce des fourrures qui fut, en ces années de la formation de la North West Company et de la fondation du Beaver Club, à l’origine de la fonction commerciale de Montréal. Toute sa vie il s’opposa, par ses activités, à cette structure d’une économie de « staple ». Il fut sans cesse et avant tout un entrepreneur industriel, si l’on convient de ne pas considérer cette expression comme anachronique par rapport au faible développement de la production manufacturière de l’époque. Ses trois fils devaient être profondément marqués par ce modèle, William comme les autres, mais à sa façon.

William n’avait que 16 ans lorsque son père, après avoir acheté les parts de ses deux associés, John Bruce et John Jackson, qu’il avait aidés de ses deniers dans leur entreprise de construction d’un bateau à vapeur, lança l’Accommodation, le 19 août 1809, premier bateau à vapeur à naviguer sur le Saint-Laurent, entre Montréal et Québec. William fréquenta l’école jusqu’à cette époque, mais déjà son intérêt et son activité étaient centrés sur l’entreprise familiale. Dans le testament qu’il prépara devant notaire, le 19 octobre 1810, à la veille de son départ vers l’Angleterre, John Molson l’ancien mentionnait déjà l’activité de brasseurs de ses deux plus jeunes fils, Thomas* et William, dont il confiait la garde à John*, le fils aîné. Celui-ci, dans une lettre à son père, le 6 janvier 1811, écrit : « William est encore à l’école et je crois qu’il peut y aller toute la saison, car nous nous efforcerons de nous passer de lui. Il grandit rapidement et est presque aussi grand que moi. »

Lorsqu’en 1812 éclata la guerre entre l’Angleterre et les États-Unis, le jeune William, âgé de 19 ans, entra dans la milice comme volontaire. Dès octobre 1812, il aurait obtenu le grade d’enseigne. L’entreprise de navigation des Molson profita beaucoup de cette guerre, portant vers le haut Saint-Laurent, avec armes et bagages, les soldats arrivés à Québec. L’écrivain Bernard Keble Sandwell* écrit que, malgré son jeune âge, William commandait le bateau Swiftsure durant cette guerre. À la fin de la guerre, durant au moins deux saisons de navigation, l’ancien et son fils aîné échangèrent, chacun du bateau qu’il commandait, une correspondance qui révèle un commerce parallèle de lettres de change, depuis Montréal vers Québec et Londres, prélude de leur future activité de banquiers. Le plus jeune fils profitait également de ce commerce ; dans une lettre à son père, John l’aîné écrivit le 24 juin 1815 : « J’ai aussi acheté une lettre de £110 pour William. » À cette époque, le fils aîné s’était établi à Québec pour diriger les opérations du quai et de l’entrepôt, avec la double responsabilité de la manipulation des marchandises générales pour le compte de l’entreprise de navigation et, pour le compte de la brasserie de Montréal, de la réception et de la vente de la bière dans la région de Québec.

Le premier contrat d’association du père et de ses trois fils, sous la raison sociale de John Molson & Sons, fut signé devant notaire le 1er décembre 1816. Chacun demeurait propriétaire des biens qu’il confiait à la société, sur la valeur desquels il touchait un intérêt annuel de 6 p. cent. Tous les biens de la société provenaient de Molson l’ancien, sauf le bateau Swiftsure, qu’il avait donné à son fils aîné. Ce dernier avait la responsabilité de tous les établissements de Québec, où il résidait. Thomas et William habiteraient à Montréal où ils travailleraient sous la direction de leur père. Il était mentionné que Thomas aurait la responsabilité de la brasserie. Les profits de la société seraient partagés également entre les quatre associés. Les profits non distribués, laissés à l’entreprise, étaient capitalisés. Un compte capital, daté du 1er avril 1819, révèle que William avait déjà accumulé £7 165 12s. 8d.

On ne sait à quel moment William vint à Québec pour y remplacer son frère aîné et assumer la responsabilité des établissements de cette ville, mais il est acquis qu’en 1819, au moment de son mariage, il établit son foyer au 16 de la rue Saint-Pierre ; il devait y rester jusqu’en 1823. En effet, le 7 septembre 1819, William épousa, à l’église anglicane Christ de Montréal, Elizabeth Badgley (1799–1887), fille de Francis Badgley* et sœur de John Thompson Badgley (avec qui William s’associera en 1830) et du juge William Badgley*. C’est à Québec que naîtront leurs deux premiers enfants.

On peut croire que c’est à cette époque que William prit goût à la politique. Il est plus que probable qu’il reçut la responsabilité de mener pour son père certaines activités de lobbying inhérentes, d’une part à l’entreprise de navigation et d’autre part à la qualité de député de la chambre d’Assemblée que le père de William avait acquise à l’élection dans le comté de Montréal-Est, le 25 avril 1815. Aux yeux des entrepreneurs, il était urgent que fût accordée l’autorisation de construire un quai sur la grève de Montréal, près du nouveau marché, autorisation que jusque-là les autorités coloniales avaient obstinément refusée, par respect pour le monopole royal du droit de grève. John Molson l’ancien devait demeurer député du comté de Montréal-Est jusqu’à l’élection de 1827, quelques mois après qu’il eut accédé à la présidence de la Banque de Montréal. Lorsque, au printemps de 1822, Thomas, après ses premières expériences de fabrication de whisky, voulut tenter de le vendre en Angleterre, il s’adressa à son frère William à Québec pour accomplir les formalités de douane. Durant ce temps, William continuait à capitaliser une partie des revenus que versait aux quatre associés la maison John Molson & Sons ; un compte, daté du 9 février 1822, indique que la part de William dans la société s’élevait à £10 813 8d.

La même année, un événement important, qui eut des répercussions sur l’actif de la société familiale, se produisit dans l’entreprise de navigation. En effet, en avril 1822, les Molson réussissaient à prendre le contrôle des entreprises de navigation qui, depuis 1815, leur faisaient concurrence sur le Saint-Laurent. Ainsi, aux bateaux qu’ils possédaient déjà vinrent s’ajouter : le Car of Commerce, propriété d’un groupe dans lequel se trouvaient Horatio Gates* et Jabez Dean De Witt ; le Caledonia de Thomas Torrance et David Munn ; le Telegraph de Montréal ; le Québec, propriété d’un groupe dans lequel se trouvait Noah Freer ; et quelques autres bateaux.

La concurrence avait entraîné une surcapitalisation et un gaspillage considérable de ressources. Arrivée la période de stagnation et de crises économiques profondes et nombreuses, la consolidation du secteur s’imposait. En avril 1822, la St Lawrence Steamboat Company fut créée, regroupant la très grande majorité des intérêts de la navigation à vapeur sur le Saint-Laurent. La compagnie comptait 44 actions de £1 000 chacune, les quatre Molson en détenant collectivement 26 et, individuellement, 6 1/2. En outre, la maison John Molson & Sons était désignée pour gérer la compagnie. Cette nouvelle responsabilité entraînait la séparation de l’entreprise de navigation de l’ensemble des activités de la famille Molson. En termes comptables, elle impliquait le retrait des éléments les plus importants (navires, quais et entrepôts) de l’actif de l’entreprise familiale.

Selon certains documents, John l’aîné serait retourné à Québec et, en 1822, y œuvrait en compagnie de William, tandis que Thomas serait devenu à Montréal seul responsable de la brasserie, pour quelques mois. À cause des difficultés posées, en pays de droit français d’Ancien Régime, par le défaut d’un contrat de mariage, Thomas quitta Montréal en 1824, pour s’établir à Kingston, dans le Haut-Canada, à titre de brasseur et de distillateur. En effet, pour un entrepreneur, la communauté de biens était inconcevable. Lorsque vint le temps, après les sept années prévues pour la durée du contrat d’association de 1816, de négocier une nouvelle association, John l’aîné prétendit qu’il pouvait quitter Québec pour venir s’établir à Montréal et prendre la relève de Thomas à la direction de la brasserie. Mais le père s’interposa et exigea que ce fût William qui quittât Québec, vînt s’établir à Montréal auprès de lui et prît la direction de la brasserie. « John s’était imaginé qu’il pourrait lui-même diriger la brasserie. Je lui ai dit non et j’ai eu William depuis quinze jours », écrivait-il à Thomas.

Le nouveau contrat fut signé au début de 1824, mais son application commençait rétroactivement au 1er décembre 1823, date de fermeture des comptes de la société précédente. Les associés étaient John Molson l’ancien, John Molson l’aîné et William Molson. L’actif était formé des biens de John l’ancien : les établissements de brasserie et d’hôtellerie à Montréal et les établissements de Québec. La société portait le même nom que la précédente : John Molson & Sons. C’est aussi en 1824 que devait naître le troisième et dernier enfant de William : Anne*.

En 1828, les Molson préférèrent diversifier les sociétés auxquelles ils participaient en fonction des activités de leurs entreprises. Ainsi, la société John Molson & Sons devint exclusivement responsable de la navigation à vapeur, à titre d’agent de la St Lawrence Steamboat Company. Vers 1830, la société prendra le contrôle de l’Ottawa Steamboat Company, détentrice du monopole de la navigation à vapeur sur l’Outaouais. En 1834, à l’ouverture du canal Rideau, cette compagnie deviendra l’Ottawa and Rideau Forwarding Company et dominera la navigation à vapeur de Montréal à Kingston.

À compter de 1828 les autres entreprises de la famine furent gérées par une nouvelle société, fondée cette année-là, John & William Molson, regroupant le père et ses deux fils, John l’aîné et William. Pour des raisons qui demeurent obscures John l’aîné se retira de cette société en avril 1829, entraînant sa dissolution. Mais une nouvelle société John & William Molson fut immédiatement formée le 30 juin 1829, réunissant cette fois le père et son fils cadet William.

Durant les cinq années qui suivirent, William eut, seul, la responsabilité de la brasserie. Il prit en main, de plus, la gérance et l’administration de la St Mary’s Foundry, petite entreprise métallurgique dont le nom, à l’origine, semble avoir été Bennett & Henderson Foundry. En plus de vendre des instruments pour la construction du canal Rideau, William suivit de près, en 1831, les travaux exécutés à la St Mary’s Foundry sur le Royal William, premier navire entièrement mû à la vapeur à traverser l’Atlantique.

C’est à cette époque que William se lança dans le commerce. Du 1er mai 1830 au 14 février 1834, il s’associa à son beau-frère, John Thompson Badgley, pour mettre sur pied, grâce à des fonds avancés par son père, un commerce d’importation et de vente au détail de toutes sortes de marchandises en provenance d’Angleterre. Ils opéraient sous la raison sociale de Molson & Badgley. Suivant les annonces publicitaires publiées dans les journaux de l’époque, il semble que William faisait concurrence, dans ce commerce, à son frère aîné qui, le 1er mai 1829, avec les Davies (George et George Crew) avait formé la société Molson, Davies & Co. qui s’adonnait exactement au même commerce.

Pourtant il ne semble pas que la concurrence entre les deux frères eut une signification profonde. Ainsi, en 1831, lorsque fut fondée la Compagnie du chemin à lisses de Champlain et du Saint-Laurent, les deux frères siégèrent ensemble au bureau d’administration, en compagnie de Peter McGill* et de Jason C. Pierce, John l’aîné occupant la présidence. Cette compagnie fit construire le premier chemin de fer canadien, celui qui, sur une distance de 20 milles, reliera, pour la première fois en 1836, Laprairie-de-la-Madeleine sur le Saint-Laurent à Saint-Jean sur le Richelieu.

L’activité industrielle de William augmentait sans cesse et sa richesse s’accroissait en proportion. Le testament qu’il prépara le 3 août 1832 devant le notaire Henry Griffin nous permet d’évaluer approximativement cette richesse. À sa femme, il laisse une annuité de £400, ce qui représente, au taux d’intérêt de l’époque de 6 p. cent, un capital de près de £7 000 et à chacune de ses deux filles, une somme de £6 000. Ses fils (il n’en a qu’un), dit le testament, seront ses légataires universels.

À l’opposé de l’activité croissante de son fils cadet, celle du père allait en diminuant. Par contre, ce dernier participait davantage à la vie sociale et politique. Nommé conseiller législatif en 1832, il fut membre du Comité constitutionnel de Montréal (en 1835, l’Association constitutionnelle de Montréal), mouvement politique formé pour la défense des intérêts de la bourgeoisie anglophone de Montréal devant les menées, inquiétantes pour elle, du parti des Patriotes. William lui-même devait jouer un rôle important au sein de cette organisation. Une lettre de ce dernier à son père, le 16 novembre 1834, témoigne de l’agitation qui régnait déjà à Montréal en 1834 : « L’élection du quartier ouest [Louis-Joseph Papineau s’y présentait] demeure incertaine, mais j’ai le regret de dire que chaque nuit il y a de l’agitation dans les rues, des personnes sont battues, des vitrines et des fenêtres de maison sont brisées. » En 1835, il fut nommé commissaire pour l’audition des petites causes (litiges impliquant des valeurs inférieures à £6 5s.).

En 1833, en pleine force de l’âge, William avait commencé une nouvelle production qui devait être beaucoup plus rémunératrice que la brasserie : la distillerie. Il se procura l’équipement nécessaire au printemps et commença à acheter les matières premières après les récoltes de l’automne. C’est en décembre 1833 ou en janvier 1834 que débuta la distillation. Dès janvier 1834, William demanda à Robert Shaw, de Québec, d’être son agent dans cette ville pour y vendre son produit. À la même époque prenait fin son association avec son beau-frère John Thompson Badgley. Le 14 février 1834, par acte du notaire Henry Griffin, la dissolution de la société Molson & Badgley était chose faite.

La même année Thomas Molson décidait de quitter Kingston et de revenir à Montréal s’associer avec son père et son frère William. Une nouvelle société fut alors formée, regroupant le père, William et Thomas. Le contrat fut signé le 21 février 1835, avec effet rétroactif au 30 juin 1834. Le capital-action de la société John Molson & Company était divisé en huit parts : deux pour John l’ancien, trois pour Thomas et trois pour William. Le père y apportait le capital physique : l’ensemble de ses établissements pour lesquels il tirait un loyer annuel de £1 100, représentant un taux de 6 p. cent de leur valeur. Les profits et pertes seraient distribués proportionnellement au nombre de parts de chacun.

Cette association marquait le début d’une collaboration étroite entre les deux frères qui allait durer près de 20 ans. Dans une économie commerciale, aux prises avec des difficultés considérables inhérentes à des crises fréquentes et profondes, William et Thomas Molson se définiront comme industriels, avec une obstination étonnante. Certes, les produits de leurs établissements répondaient à des demandes que les économistes appellent inélastiques, c’est-à-dire qu’une hausse des prix ou qu’une baisse des revenus ne les fait pas fléchir. Peut-être même que la demande d’alcools était à cette époque « anticonjoncturelle » en ce sens qu’une crise économique pouvait la faire hausser. Et il se pourrait bien que la baisse des prix des matières premières fut plus importante que celle du produit fini, permettant aux entrepreneurs, lorsque la demande fléchissait peu, de connaître une hausse de leurs profits en pleine crise économique.

Mais les frères Molson seront opposés à la société dans laquelle ils vivront, tant sur le plan économique que sur le plan socio-culturel. Dans une économie mercantile, toute la structure est axée sur le commerce d’exportation et d’importation. La source principale des revenus publics est la douane : douane à l’exportation et douane à l’importation. Il se crée une collusion tacite entre l’État et les grands marchands, favorisant le commerce extérieur et décourageant la production nationale. Tel est le « piège du staple », comme l’ont appelé les critiques de la célèbre théorie du développement économique.

Les douanes sur l’importation des alcools étaient une source importante de recettes fiscales, d’autant plus que cette recette fluctuait peu à travers la conjoncture économique et ne s’abaissait pas en temps de crise, quand s’épuisaient les autres sources de revenus. Avec l’augmentation de la production des alcools, au début des années 30, commença « la bataille du whiskey contre le rum », mettant aux prises les industriels, producteurs d’alcools, et la coalition des Brands marchands et de l’État. Le Bureau de commerce de Montréal (Board of Trade) se fit le porte-parole éloquent des intérêts des Brands marchands auprès du gouverneur de la colonie lorsque celui-ci le consulta pour connaître la cause de la baisse des recettes fiscales.

Et c’est toute la société puritaine de l’époque que les producteurs d’alcools affrontaient par leur activité et la responsabilité qu’on leur imputait sur le comportement populaire. Aussi étaient-ils la proie des prédicateurs de toutes sectes, durant cette époque de foisonnement du réveil évangélique. La décision de William et de Thomas de construire l’église St Thomas, dans le quartier où se trouvaient leurs établissements, durant les années 40, ne calmera pas, semble-t-il, cette animosité.

L’association de William et de Thomas fut dirigée, en outre, contre leur frère aîné. John Molson l’ancien mourut le 11 janvier 1836. William recevait en exclusivité toutes les propriétés situées à Près-de-Ville (Québec) : quai, entrepôts, maisons, autres constructions et tous les terrains. St Mary’s Foundry revenait à John l’aîné. La brasserie, dont les édifices logeaient en outre tout l’équipement de distillerie, revenait à John Henry Robinson Molson, fils aîné de Thomas. Cette clause permettait ainsi à John Henry Robinson d’éviter les risques encourus par le régime de communauté de biens qui régissait le mariage de ses parents. Mais le jeune garçon n’avait que neuf ans. Le testament disait que jusqu’à sa majorité l’entreprise serait dirigée par Thomas et William, suivant les termes de la société établie en 1835. Les trois fils étaient, de plus, désignés comme légataires universels. John l’aîné prétendit qu’à titre de légataire universel il avait droit de participer aux profits de la société John Molson & Company et que les créances subsistant, à titre de rentes constituées, sur les propriétés vendues à Québec avant la mort de leur père, ne faisaient pas partie de la dotation personnelle de William, mais du legs universel. Les honorables Peter McGill et George Moffatt*, qui avaient été désignés par John l’ancien pour remplir, avec ses trois fils, la charge d’exécuteurs testamentaires, se désistèrent quand ils virent les contestations, mais ils accepteront en 1842 de remplir le rôle d’arbitres. Ils donneront raison à John l’aîné en ce qui concernait la participation aux profits de la société, et à William pour les créances de Québec. William aurait, en outre, avec les actions qu’il possédait déjà et celles qu’il recevait à titre de légataire universel, un tiers des actions de contrôle détenues par les Molson dans la St Lawrence Steamboat Company.

La société John Molson & Co. arriva au terme prévu le 30 juin 1837. Une nouvelle société fut formée sous la raison sociale de Thomas & William Molson. Le 5 janvier 1838, un incendie détruisit une grande partie des établissements de Montréal, et les frères Molson obtinrent de leur compagnie d’assurance une somme d’argent en dédommagement. Le conseil d’arbitrage de 1842 décidera que cette somme devait servir à remettre les établissements dans le même état. Les deux associés étaient convenus sur les entrefaites de former une deuxième société, à l’abri des difficultés d’exécution du testament de leur père. Le 25 avril 1838, ils fondèrent la société Thomas and William Molson & Company. Il est visible, aux divers livres de compte, que l’association de 1837 avait pour seul objet d’administrer la brasserie pour le compte du jeune John Henry Robinson, tandis que celle de 1838 gérait les établissements de distillerie et de brasserie, construits au lendemain de l’incendie, à l’avantage exclusif de William et de Thomas.

La combativité des deux frères associés ne s’arrêta pas là. Ils se permirent, en effet, d’attaquer l’institution bancaire la plus puissante de la colonie, la Banque de Montréal, en profitant de circonstances particulières pour émettre de la monnaie. À la suite de la mort de leur père, John l’aîné avait été désigné au conseil d’administration de cette banque pour le remplacer. Durant la crise financière de 1837 et les insurrections de 1837–1838, le gouvernement décida de rendre les monnaies inconvertibles du 16 mai 1837 au 23 mai 1838 et du 5 novembre 1838 au 1er juin 1839. En temps d’inconvertibilité, plusieurs institutions commerciales tiraient avantage des circonstances en émettant leur propre papier-monnaie, convertible, non pas en métal, mais en billets des banques les plus connues. Certaines le faisaient de bonne foi, d’autres, de façon purement frauduleuse ; mais la pratique était tolérée, car elle permettait d’éviter les difficultés résultant de la rareté du numéraire. La société Thomas and William Molson, à l’instar de bien d’autres, émit, en 1837, des billets libellés « Molson’s Bank ». Une fois rétablie la convertibilité des monnaies, ces billets de tolérance devaient être rachetés par ceux qui les avaient émis. William et Thomas s’abstinrent de retirer leurs billets qui circulaient et continuèrent d’en émettre de nouveaux.

Au début de 1839, la Banque de Montréal et le Bureau de commerce préparèrent, à l’intention du Conseil spécial (dont John Molson l’aîné faisait partie depuis 1837), le texte d’une ordonnance interdisant la circulation des monnaies privées. Le 1er mars, les Molson protestèrent auprès du gouverneur sir John Colborne* contre le projet d’ordonnance. Le 10 mars, ils firent parvenir des propositions d’amendement. L’ordonnance fut proclamée, malgré tout, le 11 avril 1839, pour entrer en vigueur le 1er juin 1839, date du deuxième retour à la convertibilité. Elle prévoyait en termes généraux que certaines banques privées pourraient émettre des billets. Le 18 mai William et Thomas Molson demandèrent que leur entreprise fût reconnue comme banque privée. Le refus du Conseil spécial fut prononcé le 22 juillet. Pendant tout ce temps, les deux frères continuèrent à émettre illégalement leur monnaie privée. Le conseil d’administration de la Banque de Montréal approuva, le 8 novembre, la décision du gérant général de refuser les dépôts de la maison Thomas and William Molson et, le 19 novembre, lui donna instruction de fermer le compte de cette maison en lui faisant parvenir les £1 600 qui restaient à son solde. La situation des frères Molson devenait précaire ; n’ayant plus de banquiers, ils durent pendant plusieurs mois transiger en liquide avec leurs fournisseurs et leurs clients. Pour ne pas perdre leur crédit auprès du public, ils consentirent bientôt à racheter les billets qu’ils avaient émis. Après qu’ils se furent procuré un bloc important d’actions de la Banque du Peuple, celle-ci consentit à les recevoir comme clients. Cette institution fut leur banquier de 1840 à 1844. À l’arrivée, à la fin de 1839, du nouveau gouverneur général, lord Sydenham [Thomson*], connu pour ses projets de réformes monétaires et bancaires, les deux frères tentèrent de nouveau d’obtenir le permis de banque privée. Le 22 décembre 1840, ils présentèrent leur pétition qui fut, elle aussi, refusée le 31 décembre.

Tels furent les débuts, relativements agités, de cette longue association de William avec son frère Thomas. Les années de dépression (1837–1842), suivies d’une courte expansion (1842–1845) et de la grande crise commerciale de 1845–1850 ne semblent pas avoir eu d’effets trop fâcheux sur l’entreprise commune des deux frères. Au contraire, ils modernisèrent leurs établissements, ajoutant sans cesse des pièces d’équipements plus considérables et plus productives. Ils se défirent de certains de leurs concurrents en achetant leurs établissements, comme la Long Point Distillery des frères Handyside, en 1844, et la petite distillerie de John Michael Tobin, sur la rivière Saint-Pierre, en 1848.

La correspondance commerciale de l’entreprise Molson révèle que William, parmi d’autres activités, avait développé une certaine spécialisation dans les relations avec les concurrents et les pouvoirs publics. Ainsi, il lui revenait de négocier avec les concurrents les accords de cartel et de voir à ce qu’ils fussent respectés. Sans doute à cause de son habileté dans ce domaine, il fut choisi par l’ensemble des entreprises de brasserie et de distillerie pour défendre leurs intérêts par le lobbying auprès du parlement et de certains ministères ; il fallait voir, en effet, à décourager sans cesse la hausse des taxes à la production et à la consommation et à retarder et à rendre moins sévères les lois refrénant ou interdisant la consommation des alcools.

Était-ce pour une défense plus efficace des intérêts collectifs des brasseurs et des distillateurs que William se lança dans la politique active ? En 1840, au moment du rétablissement du conseil municipal de Montréal (la charte n’avait pas été renouvelée en 1837), il accepta la nomination de conseiller municipal par le gouverneur jusqu’au 1er décembre 1842. En décembre 1842, il fut élu dans le quartier Sainte-Marie et, de nouveau, en 1843. En avril 1844, en pleine crise politique, la crise Metcalfe, William décida de se présenter pour « le parti du gouverneur », sir Charles Theophilus Metcalfe*, contre l’Irlandais Lewis Thomas Drummond*, du parti réformiste, à l’élection partielle dans la circonscription de la ville de Montréal. Le 26 mars, son ami John Young lui écrivit que des groupes d’ouvriers irlandais et canadiens-français travaillant au canal de Lachine se formaient pour aller attaquer ses partisans le jour de l’élection. Il lui enjoignait de demander la protection de la police et de l’armée. Ce fut une des élections les plus violentes de l’histoire du Canada. Elle avait été fixée au 11 avril mais, devant l’ampleur de la violence, l’élection fut interrompue et remise aux 16 et 17. Ces jours-là, il y eut des affrontements et la troupe intervint. Mais le directeur du scrutin, Alexandre-Maurice Delisle, déclara que les électeurs avaient eu malgré tout l’occasion d’exprimer leur vote et annonça l’élection de Drummond. Selon Jacques Monet, la puissante Société de tempérance avait manifesté une vive opposition à William Molson.

La solidarité de William avec le parti tory explique sa participation étroite, cinq ans plus tard, au mouvement annexionniste, dont il fut le secrétaire, et sa signature du fameux Manifeste de 1849. Comme tous les signataires, William fut victime de la répression de l’administration coloniale : il perdit son rang de major dans le 2e bataillon de la milice de Montréal, qu’il avait obtenu en 1847, et aussi, semble-t-il, sa fonction de juge des petites causes.

La richesse de William allait sans cesse en s’accroissant. À preuve, le testament qu’il rédigea le 24 avril 1840, par lequel il donnait à sa femme une annuité de £500 – ce qui représentait, au taux de 6 p. cent, un capital de plus de £8 000 – et à ses filles l’intérêt, à parts égales, d’un capital de £10 000 qui devait être versé à leurs enfants à leur majorité ; il constituait son fils son légataire universel.

La carrière d’entrepreneur de William subit, à cette époque, une transformation profonde. Peut-être que son activité bancaire, à la fin des années 30, avait donné naissance à une vocation qui allait maintenant s’exprimer : celle de financier et de banquier. En 1843, il rejoignit son frère aîné au conseil d’administration de la Banque de Montréal, où ce dernier n’avait cessé de siéger depuis la mort de leur père en 1836. De même, au début des années 40, il fut élu au conseil d’administration de la Mutual Insurance Company of Montreal.

À la même époque, se produisaient des modifications profondes dans sa famille. Le 22 janvier 1843, son seul fils, William, décédait des suites de la variole. Les funérailles furent célébrées dans l’église St Thomas, de la congrégation épiscopalienne, que William et son frère Thomas venaient tout juste de faire construire. Le 18 juin 1844, dans la même église, était célébré le mariage de sa fille aînée, Elizabeth Sarah Badgley avec David Lewis Macpherson*. En 1845, c’était au tour de sa fille Anne de quitter la maison ; elle épousait John Molson III, le fils de John Molson l’aîné. Ainsi, le rapprochement des deux frères prenait une signification plus profonde.

Aux environs de 1845, commencent à se réaliser au Canada de vastes projets de constructions ferroviaires retardés par la crise économique. Ce n’est qu’en 1850 que seront entrepris les travaux de construction du Grand Tronc. Mais, auparavant, on aura construit à partir de Montréal et en rayonnant dans plusieurs directions un certain nombre de petits chemins de fer. William Molson apparaît au conseil d’administration d’un grand nombre de ces petites compagnies, parfois même comme président. On l’y retrouve fréquemment aux côtés de l’honorable James Ferrier* ou de son gendre David Lewis Macpherson. Il fut administrateur de plusieurs compagnies entre 1845 et 1855 : Compagnie du chemin à lisses de Champlain et du Saint-Laurent, Champlain and New York Railroad Company, Compagnie du chemin de fer de Montréal et de New York, Montreal and Champlain Railroad Company, Compagnie du chemin de fer du lac Saint-Louis et de la ligne provinciale, Compagnie du grand chemin de fer de jonction du Saint-Laurent et de l’Outaouais, Compagnie du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique, Compagnie du chemin de fer du Grand Tronc du Canada. Cette liste contient manifestement des éléments de recoupement et de répétition. En effet, les compagnies ferroviaires modifiaient leur nom lorsque certaines se regroupaient entre elles ou lorsqu’elles obtenaient du gouvernement un territoire supplémentaire sur lequel elles pouvaient pousser plus avant leurs voies. Et rien ne prouve que toutes ces entités juridiques aient effectivement construit des chemins de fer.

On ne connaît pas non plus l’importance des sommes que William plaça dans ces entreprises. Les archives Molson contiennent de nombreux bordereaux d’achat d’actions, mais il est impossible d’affirmer qu’ils forment la série exhaustive de ses opérations. On sait que, le 12 mars 1855, le conseil d’administration de la Banque de Montréal consentit une avance de £3 000 à la Champlain and New York Railroad Company et que William, à lui seul, se porta personnellement garant du remboursement de £1 000 ce qui, par son importance relative, est symptomatique.

Il ressort de tout cela que William Molson s’intéressa de très près à ces nouvelles formes que prenait, en se développant au Canada, le capitalisme industriel. L’avancement technologique et la place de plus en plus grande que prenait le facteur capital dans la fonction de production amenaient une transformation profonde du rôle d’entrepreneur et entraînait la formation d’un marché du capital au Canada. Au même moment les financiers de la métropole, plus particulièrement ceux de la Baring’s Bank, commençaient à s’intéresser au financement dans les colonies de compagnies privées investissant dans l’infrastructure économique.

William Molson consentait à s’adapter à ces nouvelles structures du capitalisme. À l’avenir, l’entrepreneur-vedette ne sera plus le technicien, personnellement propriétaire de tous les moyens de production, l’administrateur de toute l’entreprise. Celle-ci aura des dimensions trop vastes pour se contenter de la propriété individuelle ou familiale. Le grand nombre des employés et la complexité des problèmes d’organisation du travail de production et de bureau ne permettront plus aux entrepreneurs de voir à tous les détails de l’administration quotidienne. C’est alors que le droit s’adaptera aux structures économiques nouvelles et qu’apparaîtra la société anonyme, à responsabilité limitée. Le nouvel entrepreneur n’est donc plus propriétaire exclusif des moyens de production. Grâce au contrôle qu’il peut exercer sur les autres actionnaires, il n’a même pas besoin de posséder la majorité des actions. Il privilégiera, parmi ses attributs, la fonction de financier. William Molson connut dans les orientations nouvelles qu’il donna à son activité les transformations importantes que subit l’économie canadienne, voire même le capitalisme occidental.

En 1847, William apparaît, en compagnie de son frère Thomas, parmi le premier groupe d’actionnaires de la Nouvelle Compagnie du gaz de la cité de Montréal. Cette compagnie, formée pour proposer à la ville de Montréal l’éclairage au gaz de ses rues, faisait concurrence à une compagnie déjà existante, mais elle la fera bientôt disparaître. Thomas devint rapidement président de la compagnie.

Les structures nouvelles du capitalisme canadien, développées dans le secteur des chemins de fer durant la fin des années 40, vont se consolider dans le secteur des mines dès le début des années 50. William Molson manifesta aussi un grand intérêt pour ce nouveau domaine. Il fut membre, à un titre ou à un autre, de diverses compagnies et notamment de la Compagnie de Montréal, pour l’exploitation des mines (Montreal Mining Company), de la Compagnie des mines du Haut-Canada (Upper Canada Mining Company), de la Compagnie de l’Amérique britannique du Nord, pour l’exploitation des mines (British North America Mining Company) et de l’Association de Québec et du lac Supérieur, pour l’exploitation des mines (Quebec and Lake Superior Mining Association). Ici encore, il serait difficile de définir le degré de développement de toutes ces compagnies minières et l’importance de la participation de William.

Pendant qu’ainsi William précisait les nouvelles caractéristiques de sa personnalité d’entrepreneur financier, il se préparait à rompre la longue et étroite association qui le liait à son frère Thomas. En effet, la société Thomas and William Molson & Company formée en 1838 arrivait à son terme le 30 juin 1848 et il fallait procéder à la signature d’une nouvelle entente. Elle eut lieu le 12 juillet, avec effet rétroactif au 1er juillet, devant le notaire Isaac Jones Gibb. Un nouvel associé se joignait à l’entreprise : John Henry Robinson Molson, le fils aîné de Thomas, majeur depuis un an ; il apportait la brasserie dont il était propriétaire et, désormais possesseur, à l’entreprise commune. Chaque associé, comme dans les sociétés précédentes, demeurait propriétaire du capital physique qu’il apportait et pour lequel il tirait un loyer annuel. La brasserie rapporterait £500 au jeune associé et la distillerie, £1 800 à William et Thomas conjointement. Les profits seraient distribués suivant le rapport 10/24 pour chacun des associés seniors et 4/24 pour le plus jeune.

Le 5 juin 1847, John Henry Robinson avait eu 21 ans. Normalement il eût dû ce jour-là recevoir la possession de la brasserie héritée de son grand-père et la somme de £3 872 2s. 6d. reçue de la compagnie d’assurance en compensation des dommages qu’avait subis l’établissement dans l’incendie de 1838. C’est aussi ce jour-là que William et Thomas auraient dû lui remettre son brevet d’apprentissage et le recevoir au moins comme employé salarié, en vertu du contrat d’apprentissage passé entre le jeune homme et ses deux employeurs le 15 novembre 1844, mais dont l’effet était rétroactif au 1er novembre 1843. Ceux-ci attendirent un an avant de lui conférer son brevet et lui transmettre la possession de la brasserie et la somme d’argent. Le jeune homme ne reçut aucune compensation pour l’intérêt accumulé durant dix ans sur la somme versée par la compagnie d’assurance et pour la rémunération non payée depuis que s’était terminé son apprentissage. Ces façons d’agir devaient influencer le comportement de John Henry Robinson envers son père et son oncle William.

Suivant le contrat, la nouvelle société aurait une durée de dix ans. Mais il était expressément prévu que William pourrait s’en retirer au bout de cinq ans (moyennant préavis d’un an à ses coassociés) sans porter atteinte à la structure de l’entreprise. Nul doute que la fondation prochaine de la Banque Molson était prévue de même que les grandes lignes de la loi qu’adopterait en 1859 l’Assemblée législative, autorisant la formation de banques privées, mais interdisant à un banquier tout autre commerce que celui de la banque.

Effectivement, le 24 juin 1852, William fit parvenir son préavis écrit à son frère Thomas. Les deux frères tentèrent durant les mois qui suivirent de s’entendre sur la valeur de la part de William que Thomas voulait racheter. Celui-ci offrait £7 000 à celui-là qui exigeait £8 000 et menaçait même de vendre à un tiers s’il n’obtenait pas son prix. L’accord final intervint le 11 décembre 1852 et la vente eut lieu le 18 décembre : son objet portait sur la part de William dans la distillerie (£8 000), deux terrains (£122) et cinq lots et une maison (£738 10s.) ; le prix était payable trois ans après la date de retrait de William, le 1er juillet 1853, moyennant un intérêt annuel de 6 p. cent . Même si la négociation avait parfois été difficile, on ne peut retenir l’hypothèse avancée par Merrill Denison d’une brouille entre les deux frères. Le 7 janvier 1853, Thomas décidait de partir pour l’Angleterre et confiait à son frère un mandat général d’administration de toutes ses affaires. Une rupture entre les deux frères eût empêché une telle confiance.

En 1850, l’Assemblée législative avait voté la loi autorisant les banques privées. Le 1er octobre 1853, William Molson s’associa à son frère, John Molson l’aîné, pour former la société Molsons and Company. La raison sociale, Banque Molson, fut enregistrée le 3 décembre. La correspondance commerciale des entreprises de Thomas Molson révèle que l’émission et la circulation des billets de la nouvelle banque rencontrèrent certaines difficultés durant les deux premières années. À cette époque de convertibilité des billets, il était loisible à une banque d’accumuler pendant un certain temps les billets d’une banque concurrente et d’exiger brusquement de cette banque la conversion en métal des billets accumulés, pouvant représenter une somme importante et, par là, mettre en danger l’équilibre de l’encaisse. La Banque de Montréal, malgré les vœux de succès que les membres de son conseil d’administration adressèrent à William et à John Molson, exerça cette pression sur la Banque Molson, de connivence parfois avec la Bank of Upper Canada, de Toronto.

Les difficultés de ce genre furent peut-être à l’origine de la décision des deux frères Molson d’abandonner le régime de la loi des banques privées et de demander que leur banque soit placée sous le système établi depuis 1817 des banques à charte. Le 19 mai 1855 la Banque Molson fut juridiquement incorporée. Elle serait régie non plus par une société de personnes, mais par une société ou « corporation ». Les personnes qui avaient soumis cette demande étaient John, Thomas et William Molson, George et John Ogilvy Moffatt, Samuel Gerrard*, James Ferrier, William Dow* et Johnson Thomson. La nouvelle banque à charte débuta ses opérations le 1er octobre 1855. Le 22 octobre, les actionnaires désignèrent leur premier conseil d’administration : John, Thomas, William et John Henry Robinson Molson, et Ephrem Hudon. Le lendemain, à la première réunion de ce conseil, William fut élu président et John l’aîné, vice-président.

Dorénavant, le destin de William Molson sera marqué par sa nouvelle orientation de banquier. Jusqu’à sa mort, il sera président de la banque familiale. Il n’en continuera pas moins de s’intéresser d’une façon ou de l’autre aux compagnies minières et ferroviaires dont il est un des administrateurs. De même continuera-t-il à diriger certaines petites entreprises, comme l’Otterdorf and Heilman’s Soap Factory, située Place Papineau, dans laquelle il aura un intérêt important, suivant certains documents datés de 1855. Il maintiendra aussi des placements immobiliers dans certains quartiers de Montréal, plus particulièrement dans le quartier Sainte-Marie où se trouvaient les établissements de brasserie et de distillerie et où lui-même résidera, rue Sainte-Marie (aujourd’hui rue Notre-Dame) jusqu’à peu de temps avant sa mort. Le grand incendie de Montréal, le 9 juillet 1852, toucha fortement ce quartier et détruisit trois des maisons de William, l’une, rue Sainte-Marie, les deux autres, Place Papineau.

Indépendamment de l’appréciation de la valeur des actions qu’il détenait dans la banque et des dividendes qu’il en tirait, William reçut chaque année la somme de $2 000, non pas à titre de rémunération contractuelle, mais comme gratification votée par les actionnaires, à leurs assemblées annuelles, en guise de reconnaissance pour son travail. Quelques mois avant sa mort, à l’assemblée annuelle du 12 octobre 1874, il refusa la somme, alléguant qu’il n’avait pu s’occuper des affaires de la banque durant l’année précédente.

Durant la fin des années 60 et le début des années 70, la Banque Molson connut un essor important en étendant ses opérations dans le Québec et l’Ontario. À la mort de William, cependant, en février 1875, l’économie canadienne connaissait les effets de la grande crise mondiale de 1873 et de la longue dépression qui devait durer jusqu’en 1879. C’est ce qui explique le désastre financier d’une des dernières entreprises de William : celle de la production du fer par le traitement des sables ferrugineux trouvés à l’embouchure de la rivière Moisie, dans la baie de Sept-Îles sur la côte nord du Saint-Laurent. Dans cette aventure, William s’était très étroitement associé à son neveu William Markland, fils de Thomas. Les deux Molson détenaient le contrôle de la Compagnie des forges de Moisie depuis 1867 ; Louis Labrèche-Viger fut leur gérant de 1867 à 1869. Le gros de la production était exporté aux États-Unis. La crise de 1873 fit tomber subitement la demande, et la modification de la politique tarifaire du gouvernement américain et de la structure des tarifs plaça le fer de Moisie dans une catégorie si fortement taxée que son prix en devint prohibitif aux États-Unis et que plus jamais les Molson ne purent y vendre leur fer. Quelques mois après la mort de William l’entreprise dut fermer ses portes et la compagnie, déclarer faillite.

Durant une grande partie de sa vie William Molson manifesta aussi beaucoup d’intérêt envers McGill University et le Montreal General Hospital. Comme dans toute communauté industrielle et financière, en pays jeune, certaines grandes institutions d’éducation et de santé tirent, de la générosité et de l’initiative des entrepreneurs, les ressources financières et la compétence administrative, à tel point qu’on peut dire que la définition sociale de l’entrepreneur inclut, quasi-obligatoirement, sa participation à quelques-unes de ces institutions. En 1856, à l’occasion d’une souscription en faveur de McGill University, pour laquelle 50 donateurs versèrent £15 000, les trois frères Molson, à eux seuls, donnèrent £5 000, dont les revenus furent consacrés au financement d’une chaire de langue et de littérature anglaise. En 1861, William fit don d’une somme suffisante pour défrayer le coût de construction de William Molson Hall, aile ajoutée à l’extrémité occidentale du pavillon des arts. Les notices nécrologiques publiées dans les journaux de Montréal soulignèrent qu’il avait donné $5 000 en dotation au Montreal General Hospital et, quelques mois avant sa mort, $2 000 de plus pour la fondation de la maison de convalescence de cet hôpital. Durant une très grande partie de sa vie, il siégea aux bureaux d’administration de ces deux institutions. En 1868, il succéda à John Redpath* à la présidence du Montreal General Hospital. Selon le Saturday Reader du 8 septembre 1866, William Molson fut aussi l’un des promoteurs de la fondation de l’Hospice de Montréal. Il soutint également les maisons du culte. En 1866 Mme William Molson fit construire, au coût de £2 000, les deux étages de la tour et la flèche de l’église Trinity, située au coin nord-ouest de la Place Viger.

William Molson avait préparé son dernier testament le 18 mai 1865. Il le compléta de deux codiciles, l’un le 22 novembre 1869, l’autre le 31 janvier 1870. Il donna tous ses biens à sa femme, à ses deux filles et à ses 12 petits-enfants. Il est intéressant de noter que par le codicile de 1870, il désigna expressément son successeur à la présidence de la Banque Molson : son gendre John Molson III, fils de son frère, John Molson l’aîné.

William Molson mourut le 18 février 1875 et fut enterré au cimetière du Mont-Royal où, à la suite du décès de John Molson l’aîné, en 1860, un immense monument funéraire, surmonté d’un obélisque, avait été élevé. La mort de William fut signalée dans tous les journaux de l’époque et dans des résolutions adoptées lors des assemblées d’actionnaires et des administrateurs des compagnies et des institutions auxquelles il avait été le plus étroitement lié. Ce fut à qui en dirait davantage sur le dynamisme de l’entrepreneur et l’humanité qu’avait manifestée, sa vie durant, William Molson.

Avec le recul du temps, il est permis de considérer William Molson à l’intérieur de la société dans laquelle il vécut, de le comparer à d’autres entrepreneurs, en tout premier lieu à ceux qui furent le plus près de lui : son père, ses frères, ses neveux. Mieux que d’autres, il sut s’adapter avec souplesse aux transformations que subissaient l’économie canadienne et le capitalisme occidental. L’évolution de la technologie industrielle, la hausse des revenus et l’augmentation de l’épargne favorisèrent une orientation de plus en plus grande de la fonction d’entrepreneur vers les activités financières en sorte que l’épargne des individus put se concentrer dans des proportions appropriées à l’accumulation croissante du capital physique des entreprises. La carrière de William Molson illustre clairement que la condition première et indispensable pour être entrepreneur est de savoir participer à l’accumulation du capital financier, soit par soi-même, soit par sa famille, soit – encore mieux et de façon plus efficace – par les grandes institutions financières.

Alfred Dubuc

Les sources de renseignements concernant William Molson sont réparties dans plusieurs dépôts d’archives. Parmi les plus importantes, mentionnons : les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration et des assemblées des actionnaires, aux Archives de la Banque Molson (conservées au siège social de la Banque de Montréal, Montréal) et aux Archives de la Banque de Montréal ; les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration aux Montreal Board of Trade Archives ; les procès-verbaux du conseil municipal, aux AVM ; les greffes des notaires Thomas Barron, Isaac Jones Gibb, Henry Griffin, John Carr Griffin, James Stewart Hunter, William Ross et James Smith, aux AJM ; les documents Molson au Château de Ramezay (Montréal) et au McCord Museum (McGill University, Montréal) ; le fonds William Molson à la Redpath Library (McGill University).

Le dépôt le plus important est sans contredit les Archives Molson (Brasserie Molson, Montréal), décrites dans un inventaire préparé en 1955 par la Brasserie Molson (copie aux APC, FM 24, D1). Pour cette étude, les volumes suivants ont été consultés : 321–324, 327–329, 349–352, 356, 360–367, 370–374, 383–385, 388, 390–391. Les papiers Shortt, aux APC, FM 30, D45 contiennent aussi des informations très intéressantes sur Molson. Report of progress from 1866 to 1869 (Commission géologique du Canada, Montréal, New York, Londres, Leipzig et Paris, 1870), 211–304.— Merrill Denison, Au pied du courant ; l’histoire Molson, Alain Grandbois, traduct. ([Montréal], 1955) ; Première banque au Canada.— Alfred Dubuc, Thomas Molson, entrepreneur canadien : 17911863 (thèse de doctorat, Université de Paris, 1969 ; en cours de publication).— Father’s Rest (Montréal, s.d.).— G. C. Mackenzie, The magnetic iron sands of Natashkwan, county of Saguenay, Province of Quebec (Ottawa, 1912).— Georges Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne (Paris, 1946).— B. K. Sandwell, The Molson family, etc (Montréal, 1933).— B. E. Walker, A history of banking in Canada ; reprinted from « A history of banking in all nations », [...] (Toronto, 1909).— F. W. Wegenast, The law of Canadian companies (Toronto, 1931).— G. H. Wilson, The application of steam to St. Lawrence valley navigation, 1809–1840 (thèse de m.a, McGill University, 1961).— René Bélanger, Les forges de Moisie, Saguenayensia (Chicoutimi, Qué.), VI (1964) : 76–79 ; Moisie ; peuplement – mouvement de la population de 1860 à 1895, Saguenayensia, VI (1964) : 103–105.— Alfred Dubuc, Montréal et les débuts de la navigation à vapeur sur le Saint-Laurent. Revue d’histoire économique et sociale (Paris), XLV (1967) : 105–118.— Jacques Monet, La crise Metcalfe and the Montreal election, 1843–1844 ; CHR, XLIV (1963) : 1–19.

Bibliographie générale

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Alfred Dubuc, « MOLSON, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/molson_william_10F.html.

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Auteur de l'article:    Alfred Dubuc
Titre de l'article:    MOLSON, WILLIAM
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
Date de consultation:    28 mars 2024