Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3494267
LOUGHEED, sir JAMES ALEXANDER, charpentier, avocat, homme d’affaires et homme politique, né le 1er septembre 1854 à Brampton, Haut-Canada, fils de John Lougheed et de Mary Ann Alexander ; le 16 septembre 1884, il épousa au fort Calgary (Calgary) Isabella (Belle) Clarke Hardisty*, et ils eurent quatre fils et deux filles ; décédé le 2 novembre 1925 à Ottawa.
James Alexander Lougheed appartenait à une famille d’ascendance protestante irlandaise ; son père était né dans le Haut-Canada et sa mère en Irlande. Âgé de deux ou trois ans lorsque ses parents quittèrent le comté de Peel pour Toronto, il grandit à Cabbagetown, quartier pauvre de l’est de la ville. Les Lougheed avaient peu de moyens ; pendant l’adolescence de James Alexander, ils louaient une maison à pans de bois à l’angle des rues Queen et River, près de la rivière Don. Le jeune garçon fréquentait la Park Street School. Selon sa nécrologie dans le Calgary Herald, il attribuait souvent sa réussite à l’influence de sa mère, très engagée dans les œuvres de la congrégation méthodiste Berkeley Street. Elle l’envoyait à deux écoles du dimanche : celle de l’église anglicane Little Trinity le matin et celle de Berkeley Street l’après-midi. Il y reçut une éducation stricte. Les méthodistes de l’église Berkeley Street, préciserait plus tard son ami de toujours, Emerson Coatsworth, « ne jouaient pas aux cartes et ne dansaient pas ». « Nous n’allions pas au théâtre ni aux courses », ajoutait Coatsworth. En plus, Lougheed et lui étaient tous deux affiliés à l’ordre d’Orange. En 1936, Jane et Elizabeth Lougheed, cousines germaines de James Alexander, rappelleraient que, du temps où il était adolescent, il avait été aumônier dans les Orange Young Britons – il « portait une robe blanche et participait aux défilés une bible à la main ».
Le père de James Alexander entendait bien que ses fils suivent ses traces en choisissant le métier de charpentier et de constructeur. C’est ce que fit James Alexander au sortir de l’école. En 1869, l’entreprise pour laquelle il travaillait employait aussi l’arpenteur William Pearce, futur Calgarien éminent. Après la mort de Lougheed en 1925, Pearce évoquerait le moment où il avait fait sa connaissance, en 1869–1870 : « C’était alors un tout jeune homme, en fait on le considérait comme un garçon, mais il était toujours très travaillant et fonceur. »
Peut-être le père de Lougheed était-il content de ses progrès, mais sa mère ne l’était pas. Elle souhaitait qu’il envisage d’autres perspectives d’avenir que les métiers du bâtiment. Une fois qu’il eut quitté l’école, elle l’encouragea à continuer de fréquenter les deux églises le dimanche. À Little Trinity, après s’être porté volontaire pour assister le bibliothécaire de la congrégation, Lougheed rencontra Samuel Hume Blake*, distingué laïque et avocat. Blake se prit d’affection pour l’intelligent jeune homme et lui dit un jour : « Mon garçon, tu as trop de cervelle pour être charpentier, pourquoi ne fais-tu pas ton droit ? » Emballé par cette idée, Lougheed décida de retourner aux études ; son choix se porta sur la Weston High School, à l’ouest de Toronto. À son retour à Cabbagetown, lui-même et Coatsworth se préparèrent ensemble aux examens d’entrée de l’Osgoode Hall, qu’ils passèrent avec succès en 1875. Lougheed commença son stage en 1876 ou 1877 dans un cabinet d’avocats torontois, Beaty, Hamilton, and Cassels. Il prêterait le serment de solicitor en mai 1881.
Après son retour à Toronto, Lougheed fonda l’Awascal Literary Society à l’église méthodiste Berkeley Street avec son jeune frère Samuel, Coatsworth et six autres personnes. Tout ce qui reste de cette association est un compte dressé par le trésorier Coatsworth pour un souper d’huîtres tenu le 30 décembre 1876. Avant son décès en 1925, Lougheed dit à un reporter que c’était à l’Awascal Literary Society qu’il s’était « initié à l’art oratoire ». Cette formation dut lui servir en 1878, pendant la campagne à l’issue de laquelle sir John Alexander Macdonald* reprit le pouvoir : à titre de membre du Young Men’s Conservative Club, il y participa avec vigueur. Étant donné ses antécédents orangistes, sa présence chez les conservateurs n’a rien de surprenant. D’après ses cousines, la politique l’avait toujours vivement intéressé et il avait souvent passé ses temps libres au Parlement provincial, « où il aimait écouter les discours ».
En janvier 1882, Lougheed, alors avocat en exercice, décida d’aller s’installer à Winnipeg avec son frère Samuel. Un an plus tard, dans le sillage des équipes d’ouvriers du chemin de fer canadien du Pacifique, il s’établit plus à l’ouest, à Medicine Hat (Alberta). Puis, juste avant que la voie ferrée n’atteigne en août 1883 le fort Calgary, les frères Lougheed élurent domicile dans ce hameau. En épousant Belle Clarke Hardisty, James Alexander s’enracina davantage dans l’Ouest. Fille de feu William Lucas Hardisty*, agent principal du district du fleuve Mackenzie à la Hudson’s Bay Company, et de sa femme Mary, une sang-mêlé de langue anglaise, Belle avait reçu une bonne éducation, d’abord à l’école de Mathilda Davis* à St Andrews (Manitoba) puis au Wesleyan Female College de Hamilton, en Ontario. Lougheed avait fait sa connaissance au fort Calgary pendant qu’elle rendait visite à son oncle Richard Charles Hardisty*, agent principal du district d’Upper Saskatchewan à la Hudson’s Bay Company. Par cette union, Lougheed devint un proche de Richard Charles Hardisty, l’homme le plus riche des Territoires du Nord-Ouest, et de Donald Alexander Smith*, oncle par alliance de sa femme et bientôt l’un des hommes les plus fortunés du Canada.
La pratique de Lougheed florissait. Bientôt, il compta la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique parmi ses principaux clients. En 1887, il s’associa à Peter McCarthy ; deux ans plus tard, il reçut le titre de conseiller fédéral de la reine. En 1911, il ajouterait à son cabinet d’avocats une maison de courtage, la Lougheed and Taylor Limited. En outre, à compter des années 1880, il réalisa de bons investissements dans l’immobilier à Calgary et bâtit de nombreuses propriétés locatives dans le centre de la ville. Son joyau, le Lougheed Building – édifice à bureaux abritant un théâtre de 1 500 places, le Sherman Grand –, fut achevé en 1912. Les Lougheed s’étaient fait construire en 1891–1892 une magnifique résidence en grès, appelée Beaulieu, dans la partie sud-ouest de Calgary. Le duc de Connaught [Arthur*], gouverneur général du Canada, y séjournerait avec sa famille en 1912 et les Lougheed y tiendraient en 1919 une splendide garden-party en l’honneur du prince de Galles. C’est à Beaulieu que Belle Lougheed, l’hôtesse la plus en vue de Calgary, éleva leurs enfants. Elle prenait aussi une part active à bon nombre d’organisations communautaires. Par exemple, elle fut la première trésorière de la Women’s Hospital Aid Society en 1890, la vice-présidente du district albertain du National Council of Women of Canada en 1896, la première vice-régente du Colonel Macleod Chapter de l’Imperial Order Daughters of the Empire en 1909, la première présidente de la Women’s Pioneer Association of Southern Alberta en 1922 et la première présidente de la section calgarienne du Victorian Order of Nurses.
Sous bien des aspects, Lougheed semblait fort loin de ses humbles origines torontoises. Il n’avait rien à voir avec la loge d’Orange en Alberta et n’évoquait jamais ses jeunes années à Cabbagetown. À l’encontre des préceptes appris à l’église méthodiste Berkeley Street, lui-même et sa femme organisaient des danses dans leur demeure et se passionnaient pour le théâtre. Maynard J. Joiner, directeur du Sherman Grand vers 1925, disait de Lougheed : « Quand [il était] en ville, un de ses plus grands plaisirs était d’assister à l’une de nos représentations. »
Après son arrivée en Alberta, l’ex-Torontois n’avait pas mis longtemps à prendre fait et cause pour l’Ouest. Charles Edward Dudley Wood, rédacteur en chef du Fort Macleod Gazette, écrivait à son sujet à la fin de 1890 : « Avant tout, en toute occasion et jusqu'au bout, c’est un Albertain. » Choisi comme successeur du sénateur Richard Charles Hardisty après le décès de celui-ci en 1889, il entra au Sénat le 10 décembre et en devint ainsi, à 35 ans, le plus jeune membre. Outre qu’il était apparenté à Hardisty et à Smith, il était un ami personnel du ministre de l’Intérieur Edgar Dewdney*. Il avait rencontré sir John Alexander Macdonald à Calgary en 1886. À aucun moment, la tourmente politique qui avait secoué l’Ouest dans les années 1880 n’avait entamé sa loyauté envers le premier ministre. De plus, il figurait en bonne place sur la liste des bailleurs de fonds du Calgary Herald, journal conservateur. Le révérend Leonard Gaetz, influent tory du district de Red Deer, avait exprimé une opinion assez répandue en écrivant en octobre 1889 : « M. Lougheed est de loin le meilleur candidat que nous ayons à offrir. C’est un gentleman cultivé, capable et éminent, qui connaît à fond l’Alberta et a foi en elle, un conservateur parmi les conservateurs, [un homme] à l’abord distingué, et [il] fera je crois un représentant de tout premier ordre. » À compter de sa nomination au Sénat, Lougheed fit la navette entre Calgary et Ottawa. Pour avoir plus de temps à consacrer à ses nombreux intérêts en politique et dans les affaires, il convaincrait un jeune avocat du Nouveau-Brunswick, Richard Bedford Bennett*, de se joindre à son cabinet. Arrivé en janvier 1897, Bennett collaborerait avec lui durant plus de 20 ans. Les deux hommes rompraient en 1922 après que Lougheed aurait tenté de mettre fin à leur association sans l’accord de Bennett.
Dans les années 1890, Lougheed se distingua au Sénat comme un authentique représentant de l’Ouest et un partisan de la création de nouvelles provinces dans cette région. Il instruisait fréquemment ses collègues sur la nature et les institutions de cette partie du pays, sur l’effet qu’y avaient les mesures législatives adoptées dans le passé et sur la nécessité de veiller à ce que l’Ouest ne soit pas laissé pour compte dans diverses lois. Il prenait assez souvent la parole pour qu’on le remarque, tout en évitant d’affronter les sénateurs rompus aux joutes oratoires. En outre, il usait de ses remarquables talents de juriste pour améliorer les projets de loi, surtout pendant leur étude en comité. Peu à peu, il apprit à parler non seulement du point de vue de l’Ouest, mais aussi d’un point de vue national. Sa compétence, sa diplomatie et son amabilité imposaient le respect. En 1906, ses collègues l’élurent leader conservateur au Sénat ; il succédait à sir Mackenzie Bowell* et exercerait cette fonction jusqu’à sa mort.
À propos des projets de loi d’autonomie présentés à la Chambre des communes en février 1905 en vue de créer les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, Lougheed se montra naturellement partial, surtout en ce qui avait trait aux articles sur l’instruction. Au cours d’une entrevue à Winnipeg le 27 février, il déclara d’un ton lugubre que mieux valait renoncer au statut de province que de voir l’Alberta et la Saskatchewan avoir les mains « liées pour toujours en matière d’éducation ». Pour lui, il ne s’agissait pas d’une affaire « intéressant seulement un groupe » ou une région, mais plutôt d’une question constitutionnelle, d’« une attaque délibérée contre les droits provinciaux, le fondement même [du] tissu politique [canadien] ». De plus, il dénonça le charcutage électoral que le gouvernement d’Ottawa avait pratiqué dans les nouvelles provinces en vue d’assurer de fortes majorités aux libéraux dans les nouvelles Assemblées provinciales. Bien sûr, le gouvernement libéral fit la sourde oreille à ses objections.
De la prise du pouvoir par les conservateurs en 1911 jusqu’en 1921, Lougheed fut leader du gouvernement à la Chambre haute et membre du cabinet. Au moins pendant les cinq premières années de cette période, ses qualités de diplomate furent mises à rude épreuve puisqu’il lui incombait de défendre les lois du gouvernement de sir Robert Laird Borden* au Sénat alors que les conservateurs n’y détenaient qu’une minorité de sièges. Tant que les libéraux de sir Wilfrid Laurier* eurent la majorité, ils étaient en position de battre de nombreux projets, et ils ne se privèrent pas de le faire. À compter de 1917 environ, Lougheed put rassembler une majorité la plupart du temps, sans pouvoir toujours en être sûr étant donné l’indépendance d’esprit de quelques sénateurs.
Lougheed siégea au cabinet en tant que ministre sans portefeuille d’octobre 1911 à février 1918, ministre du Rétablissement civil des soldats de février 1918 à juillet 1920, puis, sous Arthur Meighen*, de juillet 1920 à décembre 1921, ministre de l’Intérieur, portefeuille qui comprenait les Affaires indiennes et les Mines. Pendant la majeure partie de ces dix années, il fut le seul membre de la Chambre haute à pouvoir parler au nom du cabinet. Cette responsabilité l’obligeait à maîtriser tout l’éventail des projets de loi du gouvernement ; aucun ministre des Communes n’était tenu d’en faire autant.
Les opinions de Lougheed – à commencer par celles qu’il avait sur le rôle du Sénat – étaient profondément conservatrices. « Il s’agit d’un organisme de révision » dont le devoir consiste à tempérer les emballements populaires et à « freiner les projets de loi hâtifs », fit-il observer en 1904. Dans les débats, il privilégiait les milieux d’affaires et la libre entreprise. « Le Parlement existe non pas pour saboter les intérêts du producteur, dit-il en 1918, mais plutôt pour les protéger. » Il déplorait l’imposition excessive et le « paternalisme » des subventions et des tarifs protecteurs. En 1897, il s’était opposé à un projet de loi sur l’instauration d’un jour chômé à l’anniversaire de la reine Victoria en alléguant que cela nuirait au commerce. D’après lui, les désordres qui secouaient les milieux ouvriers au pays étaient en bonne partie le fait d’éléments de l’extérieur. Aussi tenta-t-il en 1903 de faire amender le Code criminel « pour empêcher les agitateurs étrangers de venir au Canada et d’organiser des grèves ». Au lendemain de la grève générale de Winnipeg en 1919 [V. Mike Sokolowiski*], il appuya avec fermeté le projet de loi contre la sédition présenté par le gouvernement.
Sur les autochtones et les immigrants, Lougheed jetait le même regard qu’un bon nombre de conservateurs de l’Ouest. À son avis, le Canada traitait ses populations indigènes beaucoup mieux que n’importe quel autre pays. Il était convaincu qu’elles avaient besoin d’une étroite surveillance paternelle et qu’on ne devait pas leur permettre de faire obstacle au progrès. Pendant qu’il était dans l’opposition, il avait voulu que le gouvernement s’arroge le pouvoir de vendre des terres indiennes, surtout si elles se trouvaient à proximité de peuplements non autochtones, qui selon lui démoralisaient les autochtones. En 1914, son parti, alors au pouvoir, décida de lancer les ventes, ce qu’il approuva tout à fait. En 1920, il appuya sans réserve un projet de loi conservateur visant à instaurer l’émancipation obligatoire ou à éliminer le statut d’Indien défini dans la loi de 1876 sur les Indiens. Deux ans plus tard, lorsque le nouveau gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King* résolut d’abroger l’émancipation obligatoire, il protesta en qualifiant cette décision de « rétrograde et réactionnaire ». Lougheed s’était montré d’un extrémisme rare – quoique tout à fait typique de ses collègues conservateurs de l’Alberta – en dénonçant la politique d’immigration du gouvernement Laurier. « C’est justement le trop-plein de l’immigration européenne qui aboutira sur nos rives », s’offusqua-t-il. Toutefois, comme par miracle, les immigrants devinrent un sujet d’éloges pour lui sous le gouvernement Borden.
En 1910, Lougheed, admirateur de l’Empire britannique, s’était opposé au projet de loi de Laurier concernant le Service de la marine. À son avis, ce projet n’assurait pas une aide suffisante à la Grande-Bretagne dans la situation d’urgence engendrée par la course des puissances maritimes d’Europe, et il craignait que, en se dotant de sa propre marine, le Canada finisse par rompre ses liens avec l’Empire. L’amendement qu’il proposa, à savoir soumettre la question à la population, fut battu par la majorité libérale. En 1913, le gouvernement Borden employa la clôture pour forcer les Communes à adopter le projet de loi d’aide à la marine, en vertu duquel le pays verserait 35 millions de dollars à la Grande-Bretagne pour des travaux de construction. Afin de faire avaliser le projet par le Sénat, Lougheed négocia avec le leader libéral de cette chambre, sir George William Ross*, un amendement garantissant des crédits pour une marine canadienne. Cependant, furieux que le gouvernement ait bâillonné les Communes, Laurier et la plupart des sénateurs libéraux étaient déterminés à voter contre le projet. Lougheed le présenta tout de même. Il exposa les arguments du gouvernement avec force détails dans le plus long discours de sa carrière – près de trois heures –, mais le Sénat battit le projet en adoptant un amendement semblable à celui que Lougheed avait présenté en 1910 : soumettre la politique navale au verdict populaire.
Au début du premier conflit mondial en 1914, Lougheed déclara du bout des lèvres qu’il souhaitait voir les « dominions […] emboîter le pas aux armées de l’Empire ». Cependant, à compter du moment où son fils Clarence Hardisty servit outre-mer, la guerre devint une affaire personnelle pour lui comme pour bien d’autres Canadiens, et il la prit très à cœur. Dès 1916, il était convaincu que l’Allemagne voulait transformer le Canada « en une Allemagne transatlantique ». La survie de la nation était donc en jeu et la Loi concernant le service militaire adoptée en 1917 était une loi « extraordinaire », essentielle à « la préservation de l’État ». L’idée d’un référendum sur la conscription lui répugnait : pourquoi le gouvernement devrait-il solliciter l’avis des pacifistes, des fainéants et des socialistes, ces hommes qui « cri[aient] leur déloyauté sur les toits » ? Quand le sénateur Philippe-Auguste Choquette* demanda au gouvernement d’attendre après les élections de 1917 pour appliquer la conscription, Lougheed riposta avec véhémence : « Je propose que, si l’un de ses membres prône la sédition, comme le fait cet honorable gentleman, la Chambre refuse de l’entendre. » En présentant le projet de loi sur les élections en temps de guerre en 1917, il fit observer que l’urgence de la situation légitimait la suspension de certaines vénérables traditions. Le principe essentiel du projet de loi, dit-il, était le suivant : « si un homme refuse de se battre, il ne doit pas être autorisé à voter ». Manifestement, aux yeux de Lougheed, gagner la guerre pour préserver la démocratie justifiait qu’on limite les droits démocratiques d’un grand nombre de Canadiens.
Au fil des hostilités, Lougheed assuma de plus en plus de responsabilités au gouvernement, ce pour quoi il recevrait le 3 juin 1916 le titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. De juin à septembre 1915, il fut ministre suppléant de la Milice et de la Défense en l’absence de Samuel Hughes. Le plus grand désordre régnait au ministère, et il passa beaucoup de temps à essayer de coordonner la production d’obus entre le Canada et la Grande-Bretagne. De plus, il recueillit des dons auprès de la population pour des mitrailleuses. En réponse aux plaintes relatives au traitement des soldats blessés revenus au pays, le gouvernement créa en juin 1915 la Commission des hôpitaux militaires, dont Lougheed fut nommé président le 3 juillet. Cette commission supervisait les hôpitaux et autres établissements de soins de longue durée, donnait de la formation aux soldats en mesure de travailler et les aidait à trouver un emploi, assurait la coordination avec les provinces et sollicitait l’appui de la population. En octobre, Borden demanda à Lougheed de présider aussi la commission sur les ressources naturelles. Celle-ci était censée résoudre le problème du chômage en proposant des méthodes pour améliorer l’agriculture et la mise en marché des produits au pays et à l’étranger, en désignant des terres pour l’exploitation agricole et en étudiant comment les soldats rentrés au Canada pourraient être employés, et comment on pourrait rassembler davantage de capitaux pour l’agriculture et l’industrie manufacturière. Comme le programme d’établissement des soldats proposé par la commission en 1916 présentait peu d’attrait, le gouvernement en conçut un passablement différent l’année suivante. En 1918, deux ministères se répartirent les attributions de la Commission des hôpitaux militaires. Celui de la Milice et de la Défense prit en charge la plupart des hôpitaux militaires tandis que le nouveau ministère du Rétablissement civil des soldats assumait les autres fonctions de la commission et planifiait la démobilisation et la réintégration des militaires dans la société et l’économie. De juin 1920 à septembre 1921, tout en exerçant ses fonctions de ministre de l’Intérieur, Lougheed serait ministre intérimaire du Rétablissement civil des soldats. Même s’ils reconnaissent son apport à la mise sur pied de la Commission des hôpitaux militaires et du nouveau ministère, les historiens Desmond Morton et Glenn Wright affirment qu’il était habituellement indifférent aux affaires de la commission et, d’une façon générale, aux problèmes des anciens combattants.
En 1919, Lougheed joua un rôle notable dans l’étude par le Sénat de deux mesures importantes de l’après-guerre, l’une relative à la politique étrangère, l’autre d’intérêt national. En présentant pour ratification le traité de Versailles, il fit observer que le Canada avait grandement raffermi sa position sur la scène internationale en signant ce traité et en adhérant à la Société des nations. Il exposa des arguments en faveur de l’article 10 du pacte de la société, qui obligeait les adhérents à défendre l’intégrité territoriale des autres pays membres en cas d’attaque. Apparemment, il ignorait que Borden et ses collègues canadiens à Paris, par crainte que le Canada ne soit entraîné à l’avenir dans d’autres guerres européennes, avaient tenté d’éliminer ou de modifier cet article tout au long des négociations antérieures à la conclusion du traité et continueraient de le faire après. Par ailleurs, Lougheed soumit à l’attention du Sénat le projet de loi sur l’acquisition de la Compagnie du chemin de fer du Grand Tronc. Cette mesure controversée était la dernière étape du processus par lequel le gouvernement prit en charge des sociétés ferroviaires en faillite et forma la Canadian National Railway Company. Même les sénateurs opposés au projet de loi reconnurent que le discours de présentation de Lougheed était « brillant ». En comité, où s’accomplit le véritable travail, Lougheed fit preuve de beaucoup de diplomatie et de leadership. Toutefois, comme la nationalisation des chemins de fer rebutait plusieurs sénateurs conservateurs, le projet de loi ne fut adopté que par 39 voix contre 35.
À l’automne de 1920, pendant qu’il était ministre de l’Intérieur dans l’éphémère gouvernement Meighen, Lougheed eut pour tâche d’ouvrir à l’exploration pétrolière les réserves forestières de la couronne situées sur le versant est des Rocheuses, changement souhaité depuis longtemps par les pétroliers de Calgary, mais auxquels avait fait obstacle le ministère de l’Intérieur. La nouvelle politique exigeait qu’un territoire à bail soit divisé en deux parties égales, dont une produirait des profits pour la couronne. Cette politique, modifiée de nouveau après la découverte de pétrole à Leduc en 1947, finit par devenir le moyen de transfert d’importantes sommes au Trésor albertain. En 1921, Lougheed prit part aussi à l’adoption de la loi qui abolit la Commission de la conservation, formée en 1909 [V. James White]. Irrité par les pouvoirs qu’elle avait exercés à distance de l’autorité gouvernementale, il fit valoir que ses attributions chevauchaient celles d’au moins six ministères gouvernementaux et que sa disparition permettrait d’économiser environ 250 000 dollars par an. Peu après, il appuya un projet de loi visant à créer « un Institut national de recherche » qui permettrait au gouvernement de centraliser toutes ses activités scientifiques et activités de recherche à Ottawa et de les placer sous contrôle ministériel [V. Robert Fulford Ruttan]. Cependant, ce projet de loi ne fut pas adopté.
Après que le gouvernement Meighen eut subi la défaite contre les libéraux de King plus tard en 1921, Lougheed continua de diriger les conservateurs au Sénat. Le nouveau gouvernement n’était pas tout à fait majoritaire aux Communes et la majorité conservatrice au Sénat n’avait nullement l’intention de lui faciliter la tâche. Plusieurs projets de loi furent rejetés, dont celui sur la construction des Canadian National Railways en 1923, au cours d’une session où l’esprit de parti fut plus marqué qu’à l’habitude, car les formations politiques tentaient de se positionner en vue des prochaines élections.
Lougheed fut gravement malade au début de 1925, mais il semblait remis quand il reprit ses fonctions en mai. En juillet, prévoyant que des élections seraient convoquées, Meighen lui demanda de revenir à Ottawa pour participer à l’organisation de la campagne. Le sénateur de Calgary avait toujours excellé dans cette tâche, comme dans la distribution de faveurs. Le travail se poursuivit jusque dans le courant de l’automne. Pendant le mois d’octobre – le plus froid que l’on avait enregistré jusque-là dans la capitale fédérale –, Lougheed contracta une bronchite qui dégénéra en pneumonie. Il succomba le 2 novembre au Ottawa Civic Hospital et fut inhumé à Calgary le 8. Dans l’année de sa mort, un village du centre de l’Alberta fut rebaptisé Lougheed en son honneur. En 1926, on donna son nom à un petit sommet situé à l’ouest de Banff, mais deux ans plus tard, l’appellation de Lougheed fut assignée plutôt à un pic plus imposant et plus accessible en bordure des Rocheuses près de Canmore. En 1916, Vilhjalmur Stefansson* avait exploré l’une des îles de la Reine-Élisabeth, dans l’actuel Nunavut, et lui avait donné le nom de Lougheed.
Victorien authentique, sir James Alexander Lougheed croyait au dur labeur et à l’idée de progrès. Grâce à plusieurs atouts – son arrivée à Calgary à un moment opportun, sa formation de charpentier et d’avocat, son mariage avec une femme issue d’une puissante et riche famille du Nord-Ouest –, ce Torontois ambitieux et capable se tailla une place de tout premier plan dans le milieu politique et le monde des affaires à Calgary à l’aube du xxe siècle. En outre, il servit avec beaucoup de compétence sur la scène nationale à titre de ministre du cabinet et de leader d’un parti au Sénat, organisme qui, en son temps, représentait largement une aristocratie des affaires et du droit. Sous bien des rapports, Lougheed incarnait les idéaux du Sénat ; peut-être Raoul Dandurand* était-il le seul à inspirer autant de considération que lui. Non seulement Lougheed avait-il dépassé ses origines, mais il avait aussi acquis et cultivé le caractère industrieux, les manières courtoises et les aptitudes politiques qui lui avaient permis de devenir un leader respecté de ses pairs et de la population en général.
Un des livres d’enfance de sir James Alexander Lougheed, A life’s motto illustrated by biographical examples, de Thomas Pelham Dale (Londres, [1869]), est conservé par la Lougheed House Conservation Society, qui entretient le manoir Lougheed et ses jardins à Calgary. La devise du livre, tirée de l’Ecclésiaste, est la suivante : « Quoi que tu trouves à faire, fais-le avec [toute] ton énergie, car il n’y a aucun travail, but, connaissance ni sagesse dans la tombe, vers laquelle tu te diriges. » Ce livre contient une inscription écrite à la main : « Remis à James A. Lougheed par son professeur pour sa ponctualité et son attention à la Trinity Sunday School, 15 octobre 1869. » Lougheed devait être très attaché à ce livre, car il l’a gardé toute sa vie et l’a transmis à son fils aîné, Clarence, avocat chez Lougheed and Taylor.
Nous remercions le professeur David H. Breen, de la University of British Columbia, pour ses commentaires sur les réserves de la couronne. [d. j. h. et d. b. s.]
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David J. Hall et Donald B. Smith, « LOUGHEED, sir JAMES ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lougheed_james_alexander_15F.html.
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Auteur de l'article: | David J. Hall et Donald B. Smith |
Titre de l'article: | LOUGHEED, sir JAMES ALEXANDER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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Date de consultation: | 20 déc. 2024 |