Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3213684
CARLING, sir JOHN, homme d’affaires et homme politique, né le 23 janvier 1828 dans le canton de London, Haut-Canada, dernier fils de Thomas Carling et de Margaret Routledge ; le 4 septembre 1849, il épousa à London, Haut-Canada, Hannah Dalton, et ils eurent quatre filles et quatre fils ; décédé dans cette ville le 6 novembre 1911.
John Carling naquit et grandit dans la ferme paternelle ; elle était florissante, et il y apprit à vénérer la vie paysanne. Comme les trois garçons de la famille approchaient de l’adolescence et qu’il ne leur serait pas possible de poursuivre leurs études dans le canton, les parents décidèrent de s’installer au village de London en 1839. John fréquenta l’école publique de l’endroit. Ses parents espéraient le voir un jour pratiquer le droit, mais il n’était pas porté à apprendre dans les livres. Il admit par la suite en avoir lu un seul en entier.
Carling, dirait un jour sa fille Louisa Maria, était de ces hommes « qui sont des entrepreneurs nés [...] à l’aise dans les grands projets et les grandes entreprises ». Il commença sa carrière dans les affaires comme apprenti à la Hyman and Leonard Tannery, de London. Peu après, lui-même et son frère Isaac s’associèrent pour exploiter leur propre tannerie à une trentaine de milles de là, à Exeter. En 1843, leur père ouvrit à London une brasserie où il fabriquait de la bière selon une recette de son Yorkshire natal. La brasserie prospéra, et en 1849, Thomas Carling la transféra à ses fils William et John. La W. and J. Carling Company fut la première des grosses entreprises de John Carling et la base de sa réussite financière et politique. De plus, il acquit beaucoup de terrains à London et vendit diverses propriétés à des fins lucratives. Par exemple, en 1856, sa compagnie vendit pour la coquette somme de 8 640 $ le terrain sur lequel serait construit le bureau de poste de London.
En bon capitaliste, Carling disait : « La vie, c’est comme le jeu d’échecs. Chacun essaie de gagner et chacun essaie de faire l’autre échec et mat. » Affable et de belle apparence, il employait ces qualités à bon escient en s’occupant des relations publiques de l’entreprise, tandis que William veillait aux affaires courantes. On le jugeait si intègre qu’on le surnommait « Honest John », ce qui facilitait ses transactions. La brasserie continuait de bien aller. En 1875, Thomas Henry, fils de Carling, et Joshua D. Dalton s’y associèrent. La même année, on inaugura un nouveau bâtiment sur les rives de la Thames. Cet édifice ultra-moderne brûla en février 1879 et William mourut d’une pneumonie contractée en luttant contre l’incendie. John prit alors la reconstruction en main.
La brasserie redémarra de façon quasi miraculeuse. Du 29 avril au 29 mai 1879, elle produisit 150 000 gallons d’ale, de lager et de porter. En 1882, l’entreprise fit appel à de nouveaux investisseurs et devint une société par actions, la Carling Brewing and Malting Company of London Limited. En 1889, elle produisait annuellement 32 000 barils d’ale, de lager et de porter. En 1898, elle occupait une « large part » du marché canadien. Carling, lui, ne buvait jamais de bière ; son système ne la tolérait pas.
La Carling Brewing and Malting Company n’était pas la seule grande entreprise commerciale à laquelle Carling était associé. Comme elle expédiait ses produits dans l’ensemble du Canada et des États-Unis et qu’elle avait besoin d’énormes quantités d’orge, de malt et de houblon, Carling savait bien que, pour qu’elle croisse encore, il fallait que le réseau ferroviaire de la région de London se développe. Il entra au conseil d’administration du Great Western Railway, chemin de fer important du sud-ouest de l’Ontario. Peu après la Confédération, il réussit à convaincre la compagnie ferroviaire d’installer son usine de wagons à London East, en banlieue, ce qui donnerait de l’emploi à quelque 300 ouvriers. Puis, après qu’un incendie eut ravagé ces installations, il usa de son pouvoir considérable au gouvernement fédéral et à la compagnie de chemin de fer dans le but de les faire reconstruire au même endroit, malgré de fortes pressions pour qu’on les rebâtissent à Brantford. Carling appartint aussi au conseil d’administration de la London and Port Stanley Railway Company et de la London and Lake Huron Railway Company, et usa de son influence pour promouvoir ces deux chemins de fer.
On ne peut guère dissocier les débuts d’entrepreneur de Carling et son entrée dans les affaires publiques. Il représenta le quartier no 6 au conseil municipal de 1855 à 1857 et participa à la fondation du Bureau de commerce de London en 1857. Trois ans plus tôt, deux ministres venus à London pour conclure une transaction foncière avec lui avaient été impressionnés par son flair politique et son sens des affaires. En 1856, à une réunion des administrateurs du Great Western Railway, le chef des libéraux-conservateurs, John Alexander Macdonald*, l’avait convaincu d’être candidat du parti dans London au scrutin suivant. Carling accéda à l’Assemblée législative aux élections de 1857–1858. Il conserverait son siège jusqu’à la Confédération et serait pendant une courte période, en 1862, receveur général dans le cabinet de George-Étienne Cartier* et de Macdonald.
Ainsi commença la longue carrière parlementaire de Carling et son amitié durable avec Macdonald. Avant de remporter sa première victoire électorale, Carling avait promis de soutenir la représentation proportionnelle à la population. Pourtant, lorsque les grits présentèrent une série de motions en faveur de cette solution constitutionnelle en 1861, Carling, embarrassé, vota contre elles. C’était, déclara-t-il, « des motions visant non pas à atteindre l’objectif, mais à battre le gouvernement ». En cette occasion, sa loyauté envers Macdonald l’emporta sur sa fidélité à ses principes. Néanmoins, l’année suivante, Carling et deux autres nouveaux ministres, John Beverley Robinson* et James Patton, exigèrent que les membres du caucus tory puissent se prononcer librement sur la représentation proportionnelle.
On raconte que George Brown*, leader des grits, suggéra par la suite à Carling, au cours d’un voyage en train, de proposer à son chef Macdonald une alliance bipartite en vue de créer une union fédérale. Les initiatives de Brown aboutirent finalement à la « grande coalition » ; bien des années après, Carling aimerait à rappeler leur conversation. Il ne figure pas parmi les Pères de la Confédération, mais on pourrait le considérer comme un oncle. Cet homme poli et digne de confiance se voyait souvent offrir des rôles un peu effacés, mais il ne faudrait pas pour autant le tenir pour un personnage anodin, car il avait beaucoup de pouvoir politique dans la région de London. Sa brasserie, ses investissements dans les chemins de fer et ses transactions foncières rapportaient de jolis bénéfices, et sans doute en prenait-il une partie pour financer ses campagnes. Soudoyer les électeurs ou leur payer un coup se faisait couramment à l’époque. Les journaux parlent d’agents tories conduisant des partisans éventuels à la brasserie Carling juste avant le scrutin. Il serait naïf de croire que Honest John n’était pas conscient de l’avantage de posséder une brasserie en période électorale.
Après la Confédération, Carling fut député de London aussi bien à l’Assemblée législative qu’à la Chambre des communes. Il fut commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics dans le gouvernement de John Sandfield Macdonald*, qui exerça le pouvoir en Ontario de 1867 à 1871. Entré dans ce gouvernement sur le conseil de sir John Alexander Macdonald, il fut « très heureux de quitter [son] poste » au moment de la défaite du gouvernement en 1871. De toute évidence, il en avait assez de servir de tampon entre les deux Macdonald – rôle qu’il avait accepté surtout par estime pour le premier ministre du pays. Lorsque le double mandat fut aboli en 1872, il resta dans l’arène fédérale. Défait en 1874, il fut réélu quatre ans plus tard.
À Ottawa, le député fédéral de London continua de bien servir son chef. À titre de maître général des Postes de 1882 à 1885, Carling distribuait une bonne partie des faveurs que le gouvernement Macdonald avait à dispenser. À la Chambre des communes, il avouait avec une franchise tout à fait désarmante le caractère politique des nominations qui se faisaient dans son service : « Bien sûr, le gouvernement consultera ses amis avant de nommer un maître de poste, comme l’ont toujours fait ces messieurs d’en face. »
Tant lorsqu’il était maître général des Postes que pendant les années où il fut ministre de l’Agriculture, de 1885 à 1892, Carling s’en rapportait souvent à son premier ministre. Ainsi, le 22 juin 1885, il défendit avec éloquence les subventions versées par le gouvernement à l’entreprise canadienne de vapeurs Allan Line [V. sir Hugh Allan*] pour l’aider à concurrencer ses rivales américaines dans la course aux contrats de livraison postale transocéanique. Mais il s’éclipsa dès que Macdonald intervint dans le débat et ne reprit la parole qu’à la fin pour déclarer : « Comme l’a dit le premier ministre, je pense que tous les Canadiens sont fiers de la façon dont la compagnie de vapeurs Allan est administrée. » Sous bien des rapports, Carling était un ministre idéal. Il était compétent et convaincant, respecté par l’opposition et, surtout, généralement docile au chef du parti.
Cependant, on aurait tort de voir en Carling à peine plus qu’un laquais de Macdonald. Il avait ses propres principes et ses propres intérêts, et il les défendait avec constance. La promotion d’un conservatisme de tendance progressiste et le développement de la grande entreprise, de l’agriculture et de London lui tenaient particulièrement à cœur.
Carling et Macdonald respectaient tous deux la tradition, mais reconnaissaient qu’elle devait parfois céder le pas au changement. En tant qu’administrateur des écoles publiques de London de 1850 à 1864, Carling s’était fait remarquer par son appui à la gratuité de l’enseignement public. Son progressisme était plus affiné lorsqu’il entra à l’Assemblée législative, où il s’engagea en faveur du principe démocratique de la représentation proportionnelle à la population. Dès 1866, il réclamait en outre l’abaissement du cens électoral. Au cours de la première session de la Chambre des communes en 1867, il réclama la réduction du cens exigé des Ontariens pour voter aux scrutins fédéraux, prise de position libérale qui suscita un bref conflit entre lui et son chef. Inquiet, Macdonald répliqua faiblement qu’il « ne souhaitait pas entrer dans une pareille discussion ».
En tant que premier commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics de l’Ontario, Carling continua à préciser son image progressiste. Il eut à mettre en place une bonne partie de l’infrastructure sociale de la province. Il ordonna la construction de l’Asylum for the Insane à London (sur un terrain qu’il avait vendu au gouvernement en 1870), de l’Ontario Institution for the Education and Instruction of the Deaf and Dumb à Belleville et de l’Ontario Institution for the Education and Instruction of the Blind à Brantford. En outre, il alloua des crédits provinciaux aux instituts d’artisans, qui encourageaient les Ontariens de la classe ouvrière à mettre sur pied divers programmes d’entraide. Par la suite, en qualité de maître général des Postes, il veilla à ce que les services postaux s’étendent vers l’ouest à mesure que progressait la construction du chemin de fer canadien du Pacifique. Toutes ces initiatives, comme bon nombre des changements qu’il apporta dans le secteur agricole, tant sur le plan national que provincial, témoignent que Carling voyait loin.
Le progressisme de Carling ne faisait toutefois que teinter son esprit essentiellement conservateur. Son appui politique au capitalisme et à la grande entreprise – tout à fait naturel de la part d’un important brasseur – le montre. En 1863, à l’Assemblée, il réclama plusieurs fois l’abrogation des lois provinciales sur l’usure. Selon lui, elles étaient désuètes et freinaient la constitution du capital.
Après la Confédération, Carling devint l’un des principaux porte-parole fédéraux du capitalisme et des entreprises auxquelles il était associé. Pendant la première session des Communes, en 1867, il proposa de réduire les droits exigés des brasseurs pour les permis, ce qui déplut à Macdonald et au ministre des Finances John Rose*. Au Parlement, il défendait constamment les intérêts du Great Western Railway et des autres sociétés ferroviaires dont il était membre. Il soutenait sans ambages que les grandes compagnies de ce genre devaient être encouragées par Ottawa et, au besoin, subventionnées par des fonds publics. Ainsi, en 1885, en tant que maître général des Postes, il lit pression pour que le gouvernement fédéral verse des fonds à l’Allan Line, entreprise pourtant fort solide, afin qu’elle puisse « construire de plus gros navires et se débarrasser de ceux de faible tonnage ». La création d’entreprises capitalistes plus grosses et meilleures était pour lui une priorité absolue. Comme Macdonald, il prônait une alliance étroite entre les élites politiques et économiques.
Certains des grands projets privés que Carling parraina aux Communes étaient vraiment avant-gardistes. En 1870 par exemple, il présenta à la Chambre la charte d’une société qui souhaitait construire un tunnel sous la rivière Detroit afin de relier le Canada aux États-Unis. Cet ouvrage ambitieux ne serait exécuté qu’en 1910. Sa dernière intervention majeure au Parlement visait aussi à favoriser le développement des affaires dans le dominion. En 1898, en tant que sénateur, il presserait le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier de construire une route entre Edmonton et le Yukon afin que les sociétés minières aient accès au territoire situé entre ces deux points.
Contrairement à d’autres membres de l’élite des affaires, Carling ne voyait pas de conflit entre les intérêts du capital et ceux du milieu agricole. Pour lui, ces deux secteurs étaient complémentaires, comme dans l’industrie de la bière. Depuis sa jeunesse, il aimait la vie de fermier. Il adorait suivre la croissance des plantes et, à un moment donné, il acheta une grande ferme en bordure de London. Pour lui, l’agriculture était plus qu’un passe-temps ; elle était la principale activité économique du Canada. C’est dans ce domaine qu’il fit certaines de ses réalisations les plus importantes et les plus progressistes.
En tant que commissaire des Travaux publics et de l’Agriculture, Carling fit beaucoup pour le secteur agricole ontarien. La Fruit Growers’ Association of Ontario, qui faisait la promotion de l’agriculture dans la région du Niagara, reçut des fonds publics. Grâce à un ambitieux programme d’assèchement, on récupéra de très grandes superficies de terre dans la péninsule sud-ouest de la province, surtout dans la région de Chatham. Le district de Muskoka se développa rapidement en partie grâce à un généreux programme d’immigration et d’octroi de concessions foncières [V. Alexander Peter Cockburn*]. En 1870, Carling affirma avec fierté que, dans ce district, on offrait « de plus grands avantages » que dans l’Ouest américain. Une localité du lac Muskoka fut baptisée Port Carling en l’honneur du ministre qui avait tant fait pour la région. L’année suivante, il obtint des crédits pour la création d’un collège d’agriculture et d’une ferme expérimentale qui allaient être finalement mis sur pied à Guelph [V. William Fletcher Clarke*]. Lorsqu’il quitta la scène provinciale en 1872, la liste de ses réalisations en faveur de l’agriculture était impressionnante.
La renommée de Carling s’accrut pendant les années où il fut ministre fédéral de l’Agriculture, de 1885 à 1892. Dans le but de promouvoir l’agriculture au pays et à l’étranger, il présenta des produits canadiens à des rencontres internationales telle la Colonial and Indian Exhibition de Londres en 1886. À une époque où le pays importait de plus en plus d’animaux, il eut le mérite d’instaurer le premier système efficace de quarantaine et d’empêcher ainsi l’entrée d’animaux malades. En outre, tout comme il avait ouvert la région de Muskoka, il favorisa le peuplement des vastes superficies des Territoires du Nord-Ouest. Là encore, les colons se virent offrir de grandes concessions foncières, et Carling recourut à diverses méthodes pour les attirer : envoi d’agents outre-mer, recours à des traducteurs pour aider les immigrants, diffusion de brochures de promotion dans toute la Grande-Bretagne et l’Europe. À ce moment-là, la piètre situation économique du Canada n’était pas propice à l’accueil d’un nombre massif de colons, mais à la fin des années 1890, le gouvernement Laurier utiliserait les moyens mis en place par Carling pour peupler les Prairies.
Le ministre de l’Agriculture du cabinet Macdonald connut un succès plus immédiat avec son réseau national de fermes expérimentales. Voici ce que Carling disait aux Communes en 1886 en lançant ce qui allait devenir sa plus grande œuvre : « Nous avons l’intention de fonder une ferme ou une station expérimentale dans le voisinage de la capitale [...] On y procédera à des tests sur toutes les sortes de semence, on y fera des expériences sur l’élevage du bétail, la plantation des arbres et la culture fruitière, et l’on y analysera différents types d’engrais artificiel. Les résultats de ces expériences seront communiqués dans des bulletins mensuels [qui paraîtront] dans la presse ou ailleurs. » Par la suite, pour répondre aux besoins régionaux, le ministère de l’Agriculture ouvrit des succursales en Nouvelle-Écosse, au Manitoba, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique. Le programme connut un succès immédiat et la recherche faite dans ces stations gouvernementales eut des effets d’une grande portée [V. William Saunders]. En 1893, peu après que Carling eut abandonné le portefeuille de l’Agriculture, les libéraux et les conservateurs du comité de l’agriculture et de la colonisation, oubliant pour une fois leurs dissensions, adoptèrent à son intention une motion de remerciements pour services rendus au milieu agricole. Le 3 juin de la même année, Carling reçut le titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, de toute évidence pour son aide aux fermiers du Canada.
Pendant sa carrière parlementaire, Carling obtint aussi des gains importants pour sa ville. Il avait toujours considéré que servir la collectivité était un devoir. Comme bien des riches, il voyait dans la philanthropie un juste moyen de partager sa bonne fortune. En 1859 par exemple, il avait souscrit 100 $ à une soupe populaire fondée peu de temps auparavant à London. En 1888, il entra au conseil d’administration du Protestant Home for Orphans, Aged, and Friendless. En outre, il contribua au progrès de London à titre de commissaire municipal de l’eau ; élu en 1878, il supervisa l’année suivante la construction d’un bâtiment pour les premières pompes hydrauliques de la municipalité.
Carling tenait à ce que London ait des contrats gouvernementaux et tira pleinement profit de sa position privilégiée aux cabinets provincial et fédéral pour atteindre cet objectif. En 1870, il obtint que l’asile d’aliénés d’Amherstburg soit fusionné au nouvel asile régional de London. En 1883, à titre de député fédéral, il convainquit le gouvernement de s’engager à fonder une école militaire dans sa circonscription. Cette école serait construite sur des terrains achetés à Carling – qui, malgré son honnêteté, ne se privait certainement pas de ramasser au passage des deniers publics. En 1886, le conseil municipal de London reçut une subvention fédérale pour une exposition ; encore une fois, Carling vendit des terrains à la municipalité. On voit qu’il veillait à ce que London reçoive sa juste part de faveurs, ce qui contribuait en retour à assurer sa réélection. Dans les années 1880, il était sans nul doute le plus puissant personnage politique de London, circonscription de première importance pour les conservateurs.
Au début des années 1890, cependant, la situation n’était plus la même. Battu aux élections générales de 1891, Carling fut nommé au Sénat dès le mois d’avril ; ainsi, il put rester ministre de l’Agriculture. En février 1892, il démissionna du Sénat pour se présenter dans London à une élection complémentaire, qu’il gagna. Au printemps, il refusa le poste de lieutenant-gouverneur de l’Ontario parce que lui-même et le premier ministre conservateur du pays, John Joseph Caldwell Abbott* (Macdonald était décédé en 1891) craignaient que les libéraux ne remportent l’élection partielle qui aurait lieu s’il quittait son siège. Plus tard en 1892, le successeur d’Abbott, sir John Sparrow David Thompson*, tenta d’évincer Carling de son cabinet, car il souhaitait rajeunir l’équipe des tories, qui était encore sous le choc de la mort de Macdonald. Même si sa popularité au Parlement et son influence au cabinet avaient diminué, Carling fut stupéfié par cette manœuvre.
Après de longues négociations, on trouva une formule qui permettait de sauver les apparences. Carling serait créé chevalier et resterait au cabinet, mais sans portefeuille. En décembre 1892, il abandonna le ministère de l’Agriculture, avec lequel il était si étroitement associé dans l’opinion publique. Cet homme qui avait servi fidèlement son parti durant 35 ans se voyait donc traiter assez chichement. Il resta dans le gouvernement de Thompson jusqu’à la mort de celui-ci, en 1894, et ne lit pas partie du nouveau gouvernement dirigé par Mackenzie Bowell. Il fut nommé de nouveau au Sénat en 1896, mais en fait, sa carrière politique était terminée depuis le remaniement de 1892. Après cette expérience humiliante, il ne prit guère la parole aux Communes ni au Sénat.
Dès lors, sir John passa le plus clair de son temps à London. Il reprit la direction de la brasserie, dont son fils Thomas Henry, son futur successeur, s’était bien occupé durant les années où lui-même était à Ottawa. Les lois de tempérance et la hausse des droits sur le malt qui furent adoptées à la fin du xixe siècle incommodèrent le brasseur de London tant du point de vue politique que commercial. Au cours d’audiences publiques tenues devant le conseil municipal en 1876 au sujet de la loi provinciale sur les permis d’alcool, il « prit la parole au nom des commerçants de boissons alcooliques ». En 1895, la Carling Brewing and Malting Company demanda au conseil de réduire les taxes pour compenser le « dommage » causé par ce que Louis P. Kribs*, mandataire de l’industrie, appelait la « grande toquade antialcoolique ». Dans sa semi-retraite, Carling se rappelait le bon vieux temps avec nostalgie et s’occupait en exerçant plusieurs fonctions largement honorifiques. En 1899, il devint colonel du 7th Battalion of Fusiliers à London et en 1904, président de l’Ontario Brewers’ and Maltsters’ Association. De confession méthodiste, il fut aussi président honoraire de la Yorkshire Society de l’Ontario et des Sons of England. Il mourut d’une pneumonie à son domaine de London, Cedar Grove, le 6 novembre 1911. Il laissait dans le deuil trois fils et trois filles.
Sir John Carling ne fut jamais un grand personnage de l’histoire du Canada, mais il eut son importance. Il contribua à faire de sa brasserie l’une des plus grosses du dominion. Pendant sa longue carrière parlementaire, il servit de trait d’union entre les élites politiques et économiques du pays. En outre, il lutta avec constance pour un conservatisme de tendance progressiste et pour les intérêts de la grande entreprise, du milieu agricole et de London.
Une allocution de John Carling, datant de 1902 et intitulée « The pioneers of Middlesex », a été publiée dans London and Middlesex Hist. Soc., Trans. (London, Ontario), 1 (1902–1907) : 29–35. On peut lire les réminiscences de Louisa Maria Carling à propos de son père dans le London Free Press du 30 janv., 22 févr., 8, 29 mars, et 23 avril 1930.
AO, RG 80-27-1, 16 : 242.— London Public Library and Art Museum, Hist. ser. scrapbooks, 2 ; London scrapbooks, 2 : 7, 53–57 ; 24 : 101–106 ; 39 : 112–115.— Mail (Toronto), 2 juin 1879.— J. L. Payne, « Honest John » Carling the gentlest of men », Manitoba Free Press, 15 déc. 1923 : 36.— Annuaire, London, 1912–1913.— F. H. Armstrong, The Forest City : an illustrated history of London, Canada ([Northridge, Calif.], 1986).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1867–1895 ; Sénat, Débats, 1891, 1896–1911 ; Commission royale d’enquête sur le commerce de l’alcool au Canada, Rapport (Ottawa, 1895), 649.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— The Canadian parliament : biographical sketches and photo-engravures of the senators and members of the House of Commons of Canada (Montréal, 1906).— Carling, Beverley, Gray, Hildred, West, Mason and their descendants : pioneer families of London Township, Middlesex County ; a pictorial, historical and genealogical record, G. P. DeKay, compil. (Hyde Park, Ontario, 1976).— J. C. Dent, The Canadian portrait gallery (4 vol., Toronto, 1880–1881), 4.— Alexander Fraser, A history of Ontario : its resources and development (2 vol., Toronto, 1907), 2.— History of the county of Middlesex [...] (Toronto et London, 1889 ; réimpr., introd. de D. [J.] Brock, Belleville, Ontario, 1972).— J. [A.] Macdonald, Correspondence of Sir John Macdonald [...], Joseph Pope, édit. (Toronto, 1921) ; The letters of Sir John A. Macdonald [...], J. K. Johnson et C. B. Stelmack, édit. (2 vol., Ottawa, 1968–1969), 2.— Ontario, Legislature, « Newspaper Hansard » (AO, mfm des débats reconstitués, 1867–1943), 1867–1873.— « Parliamentary debates » (Assoc. canadienne des bibliothèques, mfm des débats reconstitués du corps législatif de la Prov. du Canada et du Parlement du Canada, 1846–1874), 1858–1866.— N. Z. Tausky et L. D. DiStefano, Victorian architecture in London and southwestern Ontario : symbols of aspiration (Toronto, 1986).— P. B. Waite, Canada, 1874–1896 : arduous destiny (Toronto et Montréal, 1971) ; Man from Halifax.
Peter E. Paul Dembski, « CARLING, sir JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/carling_john_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/carling_john_14F.html |
Auteur de l'article: | Peter E. Paul Dembski |
Titre de l'article: | CARLING, sir JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 8 oct. 2024 |