DESJARDINS, ALPHONSE (baptisé Gabriel-Alphonse), journaliste, fonctionnaire, propriétaire de journal et fondateur de caisses populaires, né le 5 novembre 1854 à Lévis, Bas-Canada, fils de François Roy, dit Desjardins, et de Clarisse Miville, dit Deschênes ; le 2 septembre 1879, il épousa à Sorel, Québec, Dorimène Roy-Desjardins*, et ils eurent dix enfants, dont trois moururent en bas âge ; décédé le 31 octobre 1920 à Lévis.

Alphonse Desjardins est le huitième d’une famille de 15 enfants. Son père, qui a été cultivateur avant de devenir journalier, traite à l’occasion quelques affaires. Alcoolique, il ne parvient pas à occuper longtemps le même emploi. La mère doit donc travailler comme femme de peine chez des voisins pour joindre les deux bouts. Néanmoins, tous les garçons se tailleront une situation enviable. Après avoir fait les classes primaires à l’école Potvin de Lévis, Desjardins entre au collège de Lévis où, de 1864 à 1870, il suit les quatre classes du cours commercial et la première du cours de latin. Son dossier scolaire révèle un élève capable d’exceller mais inconstant. En juillet 1870, il doit quitter le collège, probablement parce que le coût des études classiques est trop onéreux.

À compter de 1869, Desjardins fait son service militaire dans les camps annuels du 17e bataillon d’infanterie de Lévis, où son frère aîné Louis-Georges occupe la fonction d’adjudant. Il ne tarde pas à être promu au grade de sergent-major et, le 17 octobre 1871, il est envoyé à la Rivière-Rouge (Manitoba) avec le contingent de renfort chargé de contrer une invasion des féniens en territoire canadien [V. John O’Neill*]. Sa carrière militaire est toutefois de courte durée. De retour à Lévis, il obtient en 1872 un emploi à l’Écho de Lévis et, l’année suivante, il est correspondant de ce journal à Ottawa. À la suite de la fermeture de l’Écho de Lévis, le 12 juillet 1876, Desjardins se joint, à Québec, à l’équipe de rédaction du Canadien, sous la direction de Joseph-Israël Tarte*, et y retrouve son frère Louis-Georges, copropriétaire du journal depuis peu. En dehors des faits divers, des revues de presse et d’une chronique occasionnelle consacrée aux nouvelles lévisiennes, il signe quelques rares articles de fond. En 1877 et 1878, il se voit confier la couverture des débats de l’Assemblée législative de la province de Québec.

À l’instar de son frère Louis-Georges, Desjardins milite au sein du Parti conservateur. Aux élections fédérales de 1878, il remplit les fonctions de secrétaire du comité central conservateur de Lévis et participe activement à la campagne électorale. Son expérience professionnelle et son engagement politique lui valent d’occuper, de 1879 à 1889, les fonctions de rapporteur des débats de l’Assemblée législative de Québec. Son rôle consiste à résumer les interventions des députés et à en rapporter l’essentiel dans une publication subventionnée par le gouvernement. Au cours de ces années, Desjardins est actif au sein d’organismes à vocation culturelle et économique ; il est président de l’Institut canadien de Lévis en 1883 et membre du conseil de la Chambre de commerce de Lévis de 1880 à 1893. Le 14 décembre 1889, Desjardins apprend que le gouvernement d’Honoré Mercier* cesse de subventionner la publication des débats afin de réduire les dépenses publiques. En fait, depuis leur arrivée au pouvoir en 1887, les libéraux de Mercier songent à enlever l’édition des débats à cet ex-militant conservateur, d’autant plus que son frère Louis-Georges est l’un des chefs de file de l’opposition conservatrice à Québec.

Forcé de se trouver un autre emploi, Desjardins décide de revenir au journalisme. Le 9 juillet 1891, il lance à Lévis un nouveau quotidien, l’Union canadienne, dans lequel il défend le programme du Parti conservateur fédéral. Des raisons de santé le forcent toutefois à en interrompre la publication dès le 10 octobre. Pour obtenir un nouvel emploi, il choisira de recourir à l’influence de ses amis en politique. C’est ainsi que, le 22 avril 1892, le gouvernement conservateur à Ottawa le nomme sténographe français de la Chambre des communes. Cette fonction, il l’occupera jusqu’au moment de sa retraite en 1917.

Desjardins n’est cependant pas homme à se satisfaire de la routine d’un travail de fonctionnaire. L’écoute attentive des débats parlementaires le pousse à réfléchir et à s’interroger sur les problèmes économiques et sociaux du pays. C’est dans les réformes proposées par le catholicisme social qu’il recherche les solutions. Il lit, sans doute peu de temps après sa parution en 1891, l’encyclique Rerum novarum, qui exercera sur lui une profonde influence. Il se tient aussi au courant des travaux du sociologue français Frédéric Le Play et d’autres auteurs rattachés à son école de pensée. Abonné à la revue la Réforme sociale (Paris), il devient membre de la Société canadienne d’économie sociale de Montréal en 1899.

Sur le plan pratique, Desjardins est surtout fasciné par les sociétés d’entraide et de secours mutuels. En 1893, il constitue un volumineux dossier de « notes pour servir à une étude sur l’assurance-vie ». Les mutualistes sont nombreux dans son entourage. L’un de ses frères aînés, François-Xavier, est propagandiste de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa, société de secours mutuel [V. Jacques Dufresne*]. À Lévis, ses concitoyens ont mis sur pied quelques sociétés de ce genre, dont une succursale de la Société des artisans canadiens-français, ouverte en 1889, et la Société de construction permanente de Lévis, fondée en 1869. De 1892 à 1895, Desjardins est d’ailleurs l’un des administrateurs de cette mutuelle dont la fonction est de fournir des prêts hypothécaires à ses membres.

Le projet de loi contre les pratiques usuraires, que présente le député conservateur Michael Joseph Francis Quinn aux Communes le 6 avril 1897, marque un tournant décisif dans la vie de Desjardins. Quinn cite, à titre d’exemple, le cas d’un Montréalais condamné par un tribunal à payer des frais d’intérêts de 5 000 $ sur un emprunt initial de 150 $. Bouleversé, Desjardins prend conscience plus que jamais des lacunes dans l’organisation du crédit. Les petits emprunteurs n’ont guère accès aux banques ordinaires. Comment empêcher que leurs besoins de crédit les obligent à se tourner vers des prêteurs qui, souvent, n’hésitent pas à les exploiter ? L’interrogation ne le quitte pas. Peu de temps après, il découvre l’ouvrage People’s banks, a record of social and economic success (Londres et New York, 1893) de l’Anglais Henry William Wolff. Le 12 mai 1898, il adresse une lettre à l’auteur pour obtenir des renseignements supplémentaires. Grâce à Wolff, Desjardins obtient les noms de nombreux coopérateurs français, belges, italiens et suisses, tous dirigeants de banques populaires ou de caisses rurales, avec lesquels il entre en contact. Pendant plusieurs mois, il étudie attentivement la documentation qu’on lui fait parvenir et tente d’évaluer les mérites des différents modèles de coopératives de crédit. Tenant compte des différences de nature économique, sociale et culturelle entre le Canada et l’Europe, il opte pour un modèle nouveau, inspiré des règles d’organisation européennes.

Au fil des mois, Desjardins intéresse plusieurs personnes à ses travaux. Il discute souvent de son projet avec son curé, François-Xavier Gosselin, et avec des prêtres du collège de Lévis, où il enseigne lui-même la sténographie, dans l’intervalle des sessions parlementaires, de 1893 à 1900. Il sollicite aussi les avis de ses concitoyens mutualistes, parmi lesquels il recrute d’ailleurs les collaborateurs qui l’aident à rédiger les statuts et règlements et à mettre sur pied sa coopérative d’épargne et de crédit.

La Caisse populaire de Lévis est fondée le 6 décembre 1900, au cours d’une assemblée d’une centaine de personnes, dont plusieurs notables de la ville. Elle se définit comme une société coopérative d’épargne et de crédit à capital variable et à responsabilité limitée. Son organisation se rapproche de celle des banques populaires italiennes, mais elle présente aussi des caractéristiques empruntées aux caisses rurales d’origine allemande. La seule règle d’organisation qui lui est propre est la variabilité du capital, qui permet aux sociétaires d’exiger en tout temps, moyennant préavis, le remboursement de leur part sociale de 5 $. La fonction essentielle de la caisse est d’organiser le crédit populaire à partir de l’épargne populaire. Tout en facilitant l’accès au crédit, elle vise donc à développer des habitudes de prévoyance et d’épargne parmi ses membres.

La Caisse populaire de Lévis commence ses activités le 23 janvier 1901. Elle connaît rapidement le succès grâce au travail inlassable de Desjardins et au soutien indéfectible du curé Gosselin et des prêtres du collège de Lévis. Le 30 novembre 1901, la caisse compte déjà 721 sociétaires ayant souscrit près de 2 000 parts sociales à 5 $ chacune. Desjardins exulte et croit plus que jamais à l’idéal qu’il poursuit depuis le début : « faire éclore un vaste réseau de caisses populaires ». Mais avant d’en arriver là, il doit faire accepter l’idée que la caisse populaire est le type de coopérative de crédit qui convient le mieux aux besoins de la population de la province de Québec. En effet, Desjardins n’est pas le seul au Québec à s’intéresser à la question du crédit populaire. Depuis quelques années déjà, des promoteurs de l’agriculture songent à implanter au Québec le système des caisses rurales allemandes mis sur pied par Friedrich Wilhelm Raiffeisen dans l’espoir de procurer aux cultivateurs un instrument de crédit agricole. En janvier 1900, le député conservateur de Wolfe à l’Assemblée législative, Jérôme-Adolphe Chicoyne*, a d’ailleurs déposé un projet de loi à cet effet. Remanié à deux reprises, le projet est finalement adopté le 12 mars 1902, sous le nom de Loi concernant les syndicats agricoles.

Peu de temps après l’adoption de cette loi, qu’il aurait bien aimé empêcher, Desjardins entreprend ses premières démarches pour obtenir du Parlement fédéral la reconnaissance juridique de la caisse populaire. Il a déjà l’appui du leader du Parti conservateur au Québec, Frederick Debartzch Monk, d’Henri Bourassa* et, du côté ministériel, de Rodolphe Lemieux* et du solliciteur général Henry George Carroll*. Toutefois, le ministre des Finances William Stevens Fielding* estime que la reconnaissance juridique de la caisse populaire, qui ne fait pas, à proprement parler, des affaires bancaires et n’est qu’une organisation à caractère local, relève plutôt des provinces. En 1904, Desjardins tente en vain de le faire changer d’avis. Il n’obtient pas plus de succès auprès du premier ministre sir Wilfrid Laurier, qui lui accorde une entrevue le 24 juillet. Est-ce son passé de militant conservateur qui l’empêche d’être mieux écouté ? Quoi qu’il en soit, il comprend qu’il n’obtiendra rien sans exercer de fortes pressions sur le gouvernement.

Heureusement, le temps joue en sa faveur. La réussite de la Caisse populaire de Lévis ne se dément pas et son fondateur en tire de plus en plus de crédit. Plusieurs le voient maintenant comme un maître d’œuvre. Travailleur acharné, homme tenace, ordonné et méticuleux, il planifie tout soigneusement, ne laissant rien au hasard. Tant par l’étude que par la pratique, il a acquis une réputation de spécialiste qui inspire la confiance. Fier et peut-être un peu vaniteux, il sait aussi mettre en valeur ses réalisations. Desjardins n’est pourtant pas doté d’une grande éloquence. On le décrit même comme un personnage « un peu austère », « sans éclat extérieur ». Sa force repose sur son intelligence, sa compétence et son sens de l’organisation.

À la fin de 1904, Desjardins réussit à mettre sur pied une association pour le soutenir dans ses démarches auprès du gouvernement fédéral. Fondée à l’université Laval le 21 décembre, l’Action populaire économique se propose, entre autres, d’obtenir des lois propres à développer la coopération d’épargne et de crédit au Canada. Plusieurs personnalités ont accepté d’en faire partie, tels Mgr Louis-Nazaire Bégin*, Edmund James Flynn*, Adélard Turgeon*, Thomas Chapais* et Charles Langelier. Le lobby de l’Action populaire économique et les pétitions que ses membres adressent au premier ministre Laurier n’ont cependant aucun effet. En désespoir de cause, Desjardins décide de se tourner vers le gouvernement provincial. En mars 1905, il soumet au procureur général Horace Archambeault un projet de loi qu’il a préparé avec l’avocat Eusèbe Belleau. Lomer Gouin*, qui devient premier ministre et procureur général peu après, paraît favorable, mais un obstacle se dresse : le projet n’est ni plus ni moins qu’une version remaniée de la Loi concernant les syndicats agricoles de 1902, dont il entraîne logiquement l’abrogation. Le gouvernement veut donc du temps pour examiner la question à fond, et la session s’achève avant qu’une décision n’ait été prise.

La déception est très vive chez Desjardins et sa femme Dorimène. Depuis 1903, c’est elle qui assume la direction de la caisse pendant les séjours de son mari à Ottawa. L’actif de la caisse dépasse maintenant les 40 000 $ et elle s’inquiète de plus en plus de la responsabilité personnelle qui pèse sur leurs épaules en l’absence d’une protection juridique. Desjardins a aussi mis sur pied trois autres caisses, à Saint-Joseph-de-la-Pointe-de-Lévy, Hull et Saint-Malo (Québec), qui souffrent de la même situation. Le couple est visiblement au bord du découragement. En mai, Desjardins confie même à un prêtre du collège de Lévis qu’il songe à tout liquider. Le soutien et les encouragements du curé Gosselin et de Mgr Bégin aident cependant les Desjardins à se ressaisir.

Tout s’arrange en 1906. Le 28 février, Gouin dépose à l’Assemblée le projet de loi concernant les syndicats coopératifs, qui est adopté à l’unanimité le 5 mars et sanctionné le 9. C’est une véritable victoire pour Desjardins. Enfin, écrit-il, « l’œuvre pourra prendre son essor [...] s’affirmer et ne plus vivre dans l’ombre ». Cette loi fait aussi de la caisse populaire le modèle de base sur lequel devront dorénavant être organisées les coopératives d’épargne et de crédit au Québec.

Cependant, Desjardins ne renonce pas pour autant à une loi fédérale. Dès le 23 avril 1906, Monk dépose aux Communes un projet de loi préparé par Desjardins. Le projet est soumis, pour étude, à un comité spécial qui recommande, le 11 avril 1907, « que le gouvernement se charge de la mesure et la fasse adopter ». Le 6 mars 1908, le projet de loi concernant la coopération est adopté à l’unanimité par les Communes. Fait inusité, le Sénat refuse, le 15 juillet, de sanctionner la loi. La raison invoquée est que celle-ci empiéterait sur les pouvoirs des provinces, mais il est clair que plusieurs sénateurs ne partagent pas cet avis : le vote n’a donné qu’une seule voix de majorité. Parmi les opposants, certains ont été sensibles aux pressions de la Retail Merchants’ Association of Canada, opposée à cette loi qui aurait permis de créer des coopératives de consommation, et donc de lui faire concurrence. Jusqu’en 1914, quelques députés tenteront, mais en vain, d’obtenir le concours de la Chambre des communes pour faire adopter une loi sur la coopération.

De 1907 à 1915, Desjardins vit les années les plus actives de sa carrière. C’est en effet à l’automne de 1907 qu’il commence à encourager la mise sur pied d’autres caisses populaires. Un jeune prêtre du collège de Lévis, l’abbé Philibert Grondin, se joint à lui pour mener une campagne de propagande dans les journaux. À partir de 1909, Grondin rédige presque chaque semaine des articles qui paraissent dans la Vérité et, à l’occasion, dans l’Action catholique. En 1910, il publie également le Catéchisme des caisses populaires, petite brochure qui présente sous la forme de questions et réponses toute l’information nécessaire sur les buts, l’organisation et le fonctionnement des caisses populaires. De son côté, Desjardins s’occupe de répondre aux nombreuses demandes de renseignements qu’il reçoit et il profite de toutes les occasions pour prononcer des conférences. Il publie aussi, sous forme de brochures, d’articles de journaux et de revues, de nombreux textes où il fait valoir les mérites de ses caisses populaires. Il s’en dégage une pensée économique et sociale claire et cohérente, qui ne manque pas de mordant. Desjardins observe que les classes populaires sont victimes de la concentration du pouvoir économique et des multiples abus du capitalisme, mais surtout qu’elles sont isolées et sans organisation économique. C’est donc en s’associant et en formant des entreprises coopératives que les travailleurs et les petits producteurs pourront le mieux défendre leurs intérêts économiques. Desjardins associe la coopération à un idéal de démocratisation et de décentralisation économique. Par l’entremise des caisses populaires, il espère en outre favoriser le développement de l’agriculture, enrayer le flux migratoire des ruraux vers les villes américaines et assurer ainsi la « grandeur et la prospérité future de la patrie ». En regroupant l’épargne, les caisses permettront la formation d’un « capital national » grâce auquel les Canadiens français pourront accroître leur influence et protéger leurs intérêts nationaux.

La caisse populaire n’est pas qu’une simple entreprise économique. Desjardins la définit comme une œuvre sociale au sens de la doctrine sociale de l’Église, une œuvre que l’élite des paroisses doit encourager pour contribuer à l’amélioration de la condition matérielle et morale des classes populaires. Desjardins compte en particulier sur les membres du clergé, à qui il demande de participer à l’administration et, si nécessaire, à la gestion des caisses. Préoccupé par la question sociale à laquelle il a été sensibilisé par l’encyclique Rerum novarum, le clergé s’intéresse de plus en plus, en ce début du xxe siècle, aux œuvres pouvant contribuer au relèvement matériel et moral des classes laborieuses [V. Stanislas-Alfred Lortie]. Il voit là un moyen de désamorcer les conflits sociaux, de faire échec aux propagandes socialistes et de protéger les valeurs religieuses et l’autorité morale de l’Église. Ces œuvres lui apparaissent aussi nécessaires pour favoriser les progrès de l’agriculture, freiner l’exode rural et l’émigration aux États-Unis. Convaincus des bienfaits de l’épargne et du crédit populaires, plusieurs évêques n’hésitent donc pas à reconnaître les caisses populaires comme une œuvre sociale catholique et à la recommander à l’attention de leur clergé. Les organisations d’action sociale catholique mises sur pied dans les années 1900 et 1910 inscrivent les caisses parmi leurs moyens d’action. C’est ainsi que Desjardins est accueilli comme conférencier au congrès de la jeunesse organisé par l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française en 1908, et au congrès des ligues du Sacré-Cœur en 1910. On l’invite même au Congrès sacerdotal de Montréal en 1913, où il est le seul conférencier laïque. La même année, agissant sous la recommandation de Mgr Bégin, le pape Pie X confère à Desjardins le titre de commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, en reconnaissance de son dévouement chrétien et de sa contribution aux œuvres sociales. En dehors du clergé, quelques figures de proue du nationalisme, tels Henri Bourassa et son collaborateur Omer Héroux*, comptent parmi les plus ardents promoteurs des caisses populaires.

Grâce à tous ces appuis, les caisses populaires sont de plus en plus connues. Desjardins se dit débordé par les demandes de citoyens désireux d’organiser une caisse dans leur paroisse. Il en fonde pas moins de 136 de 1907 à 1915. Il s’efforce aussi de superviser leur fonctionnement et il entretient à cette fin une correspondance régulière avec un grand nombre de directeurs. Desjardins accomplit tout cela dans ses temps libres, sans aucune aide financière. Il songe souvent à une subvention gouvernementale qui pourrait être accordée à l’Action populaire économique pour financer un service de propagande dont il aurait la responsabilité, mais il craint beaucoup trop l’ingérence politique pour se résoudre à adresser aux pouvoirs publics une demande officielle en ce sens.

Les réalisations de Desjardins sont remarquées dans plusieurs provinces canadiennes, en particulier par les communautés francophones de l’Ouest. Toutefois, l’Ontario est la seule province où il étend ses activités. Il y fonde 18 caisses populaires de 1910 à 1913, et collabore, en 1908, à l’organisation d’une caisse d’économie pour les fonctionnaires fédéraux d’Ottawa.

Dès 1908, la renommée des caisses traverse aussi la frontière canadienne. Desjardins reçoit de nombreux visiteurs américains et les demandes de renseignements ne cessent d’affluer. Desjardins séjourne aux États-Unis à cinq reprises de 1908 à 1912. Ses voyages le mènent au New Hampshire, au Massachusetts, à New York et au Rhode Island. Il est accueilli par des hommes politiques et diverses associations devant lesquelles il prononce des conférences. Au Massachusetts et à New York, il collabore à la rédaction de projets de loi qui amèneront la création de coopératives d’épargne et de crédit semblables aux caisses populaires. Desjardins profite également de ces séjours pour mettre sur pied une dizaine de caisses populaires, la plupart dans des communautés francophones du Massachusetts, où il passe cinq semaines en juin et juillet 1911. En 1912, le président des États-Unis, William Howard Taft, l’invite même à participer à un congrès des gouverneurs américains sur le crédit agricole à Washington.

Dès 1914, Desjardins ressent les premiers symptômes de l’urémie qui l’obligera dans les six dernières années de sa vie à de fréquentes périodes de convalescence entrecoupées de rémissions de courte durée. En 1916, il se résigne à confier à un comité présidé par l’abbé Grondin la responsabilité de la fondation des caisses. L’année suivante, il est forcé d’abandonner ses fonctions de sténographe aux Communes. Avec l’aide de sa fille Albertine, de sa femme et de l’abbé Grondin, il poursuit tant bien que mal sa correspondance avec plusieurs directeurs et dirigeants de caisses, qu’il conseille et encourage. Sachant sa maladie incurable, il songe avec anxiété aux moyens d’assurer la pérennité de son œuvre. Prenant exemple sur les systèmes européens, il voudrait regrouper les caisses au sein d’une fédération qui mettrait à leur disposition les services techniques et financiers nécessaires à leur sécurité et à leur croissance. Cette fédération aurait la responsabilité d’inspecter annuellement les caisses populaires ; elle organiserait aussi une caisse centrale pour administrer les surplus de liquidités des caisses locales et offrir des prêts à celles qui manqueraient de fonds. Desjardins sent toutefois une résistance de la part des caisses : elles sont rebutées à l’idée de payer une cotisation pour financer la fédération et elles craignent de perdre leur autonomie. C’est donc sans succès qu’il leur propose, trois mois avant sa mort, la tenue d’une rencontre pour étudier son projet. On compte alors, au Québec, quelque 140 caisses en activité, qui regroupent plus de 30 000 sociétaires et détiennent un actif de 6,3 millions de dollars.

Bien qu’elle soit restée inachevée, l’œuvre d’Alphonse Desjardins n’en suscitait pas moins l’admiration, et plusieurs de ses contemporains avaient su en mesurer toute la portée sociale et économique. La Vérité y voyait « un héritage d’une valeur encore inappréciable ». L’Action catholique prédisait que les caisses deviendraient « la base solide de la fortune nationale canadienne-française » et saluait leur fondateur comme « l’un des grands bienfaiteurs de sa race ».

Pierre Poulin et Guy Bélanger

La principale source de documentation sur la carrière d’Alphonse Desjardins est le Fonds Alphonse Desjardins, conservé à la Confédération des caisses populaires et d’économie Desjardins du Québec, à Lévis, Québec. Les procès-verbaux des assemblées générales annuelles et du conseil d’administration de la Caisse populaire de Lévis, qui se trouvent à la caisse même à Lévis, nous fournissent également de nombreux renseignements. Les AAQ conservent aussi, sous la cote 70 CF, une bonne partie de la correspondance entre Desjardins et Mgr Bégin.

Nous avons consulté plusieurs journaux : Le Canadien, du 1er août 1876 au 31 décembre 1879 ; l’Écho de Lévis, du 1er janvier 1872 au 28 juillet 1876 ; l’Union canadienne (Lévis), du 9 juillet au 10 octobre 1891 ; et la Vérité (Québec), pour la période 1906–1920. D’autres journaux comme le Devoir et l’Action catholique (Québec) ont fait l’objet d’un dépouillement sélectif.

On trouvera toutes les autres références essentielles, dont la liste des publications de Desjardins, incluant celles parues sous les pseudonymes de Miville Roy et Miville Deschênes, sauf son acte de naissance (ANQ-Q, CE1-100, 6 nov. 1854) et celui de son mariage (ANQ-M, CE3-7, 2 sept. 1879), dans la bibliographie et les notes en bas de page de l’ouvrage de Pierre Poulin, Histoire du mouvement Desjardins (2 vol. parus, Montréal, 1990–  ), 1 : Desjardins et la Naissance des caisses populaires, 1900–1920 ; on en trouvera également dans l’étude d’Yves Roby, Alphonse Desjardins et les Caisses populaires, 1854–1920 (Montréal, 1964) et dans celle de Ronald Rudin, In whose interest ? Quebec’s Caisses Populaires, 1900–1945 (Montréal et Kingston, Ontario, 1990).  [g. b. et p. p.]

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Pierre Poulin et Guy Bélanger, « DESJARDINS, ALPHONSE (baptisé Gabriel-Alphonse) (1854-1920) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/desjardins_alphonse_1854_1920_14F.html.

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Auteur de l'article:    Pierre Poulin et Guy Bélanger
Titre de l'article:    DESJARDINS, ALPHONSE (baptisé Gabriel-Alphonse) (1854-1920)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    20 déc. 2024