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DESJARDINS, DORIMÈNE (Desjardins) (baptisée Marie-Claire-Dorimène), maîtresse de maison et coopératrice, née le 17 septembre 1858 à Sorel (Sorel-Tracy, Québec), fille de Joseph Roy, dit Desjardins, navigateur, et de Rosalie Malhiot ; le 2 septembre 1879, elle épousa dans sa ville natale Alphonse Desjardins* (1854–1920), et ils eurent quatre filles et six fils ; décédée le 14 juin 1932 à Lévis, Québec, et inhumée trois jours plus tard au cimetière Mont-Marie, dans la même ville.
Dorimène Desjardins voit le jour le 17 septembre 1858 au sein d’une famille pauvre et sans instruction. Pour affronter l’adversité, ses parents la confient, encore aux couches, à sa tante Clarisse Malhot (qui est aussi sa marraine) et à son mari Jean-Baptiste Theriault (Terriaut), couple de Lévis qui s’occupe déjà d’une nièce de l’époux. Ses parents nourriciers lui permettent de vivre dans l’aisance et de recevoir une bonne instruction, dit-on, au couvent Notre-Dame-de-Toutes-Grâces, dirigé par les Sœurs de la Charité de Québec [V. Marie-Anne-Marcelle Mallet*]. Peu après la fin de ses études, Dorimène fréquente Alphonse Desjardins, jeune journaliste qui réside dans le voisinage. Ils se marient à Sorel en 1879 et s’établissent peu de temps après à Lévis. Leur union donnera dix enfants, dont trois mourront en bas âge.
En 1892, Alphonse Desjardins obtient le poste de sténographe parlementaire en français de la Chambre des communes, à Ottawa. Cet emploi l’oblige à s’éloigner de sa famille pour toute la durée des travaux parlementaires, soit environ six mois par année. En conséquence, Dorimène Desjardins doit veiller seule à la bonne marche de la maisonnée et des affaires de son mari. Ce sera son quotidien jusqu’à la retraite d’Alphonse en 1917.
À l’aube du xxe siècle, Alphonse Desjardins a déjà de longues années d’expérience en matière d’association et de développement local à Lévis. Dans sa quête d’une solution financière aux difficultés socioéconomiques qu’affrontent ses compatriotes, il peut compter sur le soutien indéfectible de Dorimène Desjardins qui partage ses idéaux, ainsi que sa vision de projet de société. En se faisant le promoteur de l’idée de la coopération, il veut enrayer l’usure, améliorer la condition des classes laborieuses et contribuer au relèvement économique des Canadiens français. Après de longues recherches, il fonde la première caisse populaire à Lévis le 6 décembre 1900.
C’est dans la résidence familiale des Desjardins qu’est situé, pendant les six premières années, le siège social de la caisse. En l’absence de son mari qui travaille à Ottawa, Dorimène Desjardins prend le relais des dirigeants bénévoles et fait office de gérante de 1903 à 1906 sans en porter officiellement le titre. Son époux lui a donné à cet effet une délégation de pouvoir qui l’autorise à y assumer des responsabilités financières étendues. En guise de remerciement, elle reçoit du conseil d’administration une indemnité annuelle symbolique de 50 $. Sous l’impulsion de Mme Desjardins, la jeune coopérative traverse sans encombre ces années d’incertitude où elle n’a encore aucune reconnaissance légale. Cette gestionnaire dévouée est dotée d’un esprit méthodique, d’un jugement sûr et pondéré, et d’un sens inné des affaires. Elle parvient aussi à établir un lien de confiance durable avec les sociétaires.
Après la reconnaissance accordée aux caisses par le gouvernement de la province de Québec en 1906, Dorimène Desjardins joue un rôle plus effacé aux côtés de son mari. Libérée de la gérance de la Caisse populaire de Lévis, elle dispose désormais de plus de temps libre pour se consacrer à des œuvres paroissiales, en particulier à la Confrérie des dames de Sainte-Anne, à la Société de tempérance et au Patronage de Lévis.
Toutefois, en 1914, lorsque Alphonse est atteint d’urémie, maladie incurable, Dorimène devient la dépositaire de ses projets et son porte-parole auprès de ses proches collaborateurs. En 1918 et en 1919, elle participe aux travaux du comité chargé de peaufiner le projet de fédération et de caisse centrale conçu par son mari.
Le 31 octobre 1920, Alphonse Desjardins meurt à l’âge de 65 ans sans avoir préparé sa succession. Dans les quatre années suivantes, des unions régionales de caisses populaires prendront sa relève à Trois-Rivières, Québec, Montréal et Gaspé. Mais comme des divergences apparaissent dans l’interprétation de la pensée du fondateur, on fait souvent appel à sa veuve qui acquiert alors une grande autorité morale. Pour sa collaboration à la mise sur pied, en 1921, de l’Union régionale des caisses populaires Desjardins du district de Québec, Dorimène Desjardins devient en 1923 vice-patron de son conseil d’administration, ce qui lui confère le statut de membre honoraire.
Le rôle clé de Dorimène Desjardins dans les caisses populaires émerge au grand jour. Entre 1924 et 1926, en particulier, elle intervient dans plusieurs débats pour s’assurer que la direction donnée aux caisses locales reste conforme aux positions d’Alphonse Desjardins. En 1924, elle cautionne le projet de l’Union régionale des caisses populaires Desjardins du district de Québec de mettre sur pied une caisse centrale qui lui servirait de bras financier. Fidèle à la pensée de son mari, elle redoute que l’État tente de s’ingérer, au moyen de subventions, dans les affaires internes des caisses. C’est pourquoi elle critique, en 1925, un projet de loi provincial qui obligerait les caisses populaires à se soumettre à une inspection annuelle supervisée par les unions régionales. Il en va de même pour la question du crédit agricole, alors qu’elle met l’accent sur la promotion de l’épargne et la diffusion des caisses populaires dans les campagnes. En 1926, l’Union régionale des caisses populaires Desjardins du district de Québec sollicite encore ses conseils sur l’orientation à donner aux caisses locales, ainsi que sur le fonctionnement de l’inspection.
Dorimène Desjardins s’éteint le 14 juin 1932 à l’âge de 73 ans. Les caisses populaires lui organisent d’imposantes obsèques à Lévis. Selon l’édition de l’Action catholique parue ce jour-là, son décès marque un « deuil pour le Canada-français », car elle a « été assurément l’une des femmes les plus au courant de la question économique considérée au point de vue social ». Le journal de Québec lui rend aussi ce vibrant hommage : « Sans elle, reconnaissons-le, les Caisses Populaires Desjardins n’existeraient probablement pas. » Dorimène Desjardins, à titre de collaboratrice de son mari, est alors devenue un modèle d’engagement pour toutes ces femmes qui, dans l’ombre, ont contribué à la bonne marche des Caisses populaires Desjardins.
La principale source de documentation sur Dorimène Desjardins est le Fonds Alphonse-Desjardins, conservé à la Fédération des caisses Desjardins du Québec, à Lévis, Québec. On y a regroupé, sous la cote 0.24 : 3a, la correspondance de Dorimène Desjardins, qui contient cinq lettres essentielles pour comprendre le personnage, ainsi que la correspondance de ses filles Albertine et Adrienne, dite sœur Marie du Calvaire, où celles-ci colligent leurs souvenirs et témoignages sur leur mère. En outre, les procès-verbaux du conseil d’administration de la Caisse populaire Desjardins de Lévis, à la caisse même, fournissent de nombreux renseignements sur le rôle crucial qu’y a joué Dorimène Desjardins.
Plusieurs lettres et conférences d’Albertine et d’Adrienne Desjardins ont été reproduites, entre le milieu des années 1940 et la fin des années 1960, dans la Revue Desjardins […] (Québec, etc., 1941–2004), organe officiel de la Fédération des caisses Desjardins du Québec. On trouve également au fil de ces pages, ainsi que dans la Caisse populaire Desjardins [...] (Lévis, 1935–1938 ; Québec, 1939–1940) et Desjardins (Lévis, 2004–2015) – noms de la Revue Desjardins avant 1941 et après 2004 –, plusieurs textes et témoignages historiques sur le rôle de Dorimène Desjardins dans la naissance des caisses populaires, de même que sur l’expérience historique des femmes dans le mouvement Desjardins.
Toutes les autres références importantes sur Dorimène Desjardins, sauf ses actes de baptême (BAnQ-CAM, CE603-S7, 18 sept. 1858), de mariage (BAnQ-CAM, CE603-S7, 2 sept. 1879) et de sépulture (FD, Notre-Dame-de-la-Victoire (Lévis), 17 juin 1932), figurent dans : nos ouvrages intitulés Dorimène Desjardins : cofondatrice des Caisses populaires Desjardins, 1858–1932 (Lévis, 2008) et Alphonse Desjardins, 1854–1920 (Québec, 2012) ; notre livre écrit en collaboration avec Claude Genest, la Caisse populaire de Lévis, 1900–2000 : là où tout a commencé (Sainte-Foy [Québec] et Lévis, 2000) ; ainsi que dans le mémoire de maîtrise de Geneviève Roy, « Méthodologie pour la reconstitution d’un intérieur domestique vers la fin du xixe siècle, interprétation d’une intimité : le cas de la maison d’Alphonse et de Dorimène Desjardins à Lévis » (univ. du Québec à Trois-Rivières, 2002).
Guy Bélanger, « DESJARDINS, DORIMÈNE (Desjardins) (baptisée Marie-Claire-Dorimène) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/desjardins_dorimene_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/desjardins_dorimene_16F.html |
Auteur de l'article: | Guy Bélanger |
Titre de l'article: | DESJARDINS, DORIMÈNE (Desjardins) (baptisée Marie-Claire-Dorimène) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2023 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 22 nov. 2024 |