TURNOR, PHILIP, arpenteur de la Hudson’s Bay Company, né vers 1751, décédé en 1799 ou 1800.

Lors de son premier engagement par la Hudson’s Bay Company, le 30 avril 1778, Philip Turnor fut décrit comme un résidant de « Laleham Midd[lese]x, âgé de 27 ans, non marié et ayant été élevé sur une ferme ». Recommandé au comité de Londres par William Wales qui avait passé l’hiver de 1768–1769 au fort Prince of Wales (Churchill, Manitoba), Turnor s’engagea, contre un salaire annuel de £50, à servir la compagnie pendant trois ans à titre d’arpenteur dans les territoires de l’intérieur. Il s’embarqua pour York Factory (Manitoba) où il arriva le 24 août 1778.

Si la compagnie avait déjà encouragé certains de ses employés, comme Joseph Robson* et Anthony Henday*, à explorer et à arpenter ses possessions dans Rupert’s Land, Turnor était le premier à être engagé spécifiquement à titre d’arpenteur. Il avait pour tâche de consigner sur des cartes « les latitudes et longitudes de tous [les] établissements [...] de même que les distances respectives de l’un à l’autre [qui devaient être] régulièrement ajustées ». Après avoir arpenté le terrain où s’élevait York, il reçut de Humphrey Martela, agent principal du poste, l’ordre de dresser la carte de la route menant à Cumberland House (Saskatchewan) et au poste nouvellement établi d’Upper Hudson House (près de Wandsworth, Saskatchewan). Ensuite, si possible, il devait se rendre jusqu’au fort Albany (Fort Albany, Ontario) et à Moose Factory (Ontario) « à travers les lacs de l’intérieur ». Il atteignit Cumberland House le 11 octobre 1778, et, en mars suivant, entreprit avec William Walker, entre autres, un voyage de 280 milles sur les glaces avec un attelage de chiens à destination d’Upper Hudson House où il arriva le 19. La nouvelle voulant qu’une bande d’Indiens ait tué deux des trafiquants de Montréal (rattachés à une compagnie de Montréal) et pillé le poste l’empêcha de tenter l’arpentage de l’ « établissement supérieur » de ces trafiquants dans les collines Eagle (au sud de Battleford, Saskatchewan). Turnor revint à York en canot, le 15 juillet, avec des renseignements qu’il incorpora plus tard à sa « Chart of the rivers and lakes falling into Hudsons Bay according to a survey taken in the years 1778 & 9 ».

Turnor participa ensuite au levé de la route allant du fort Albany à ses deux postes dépendants, Henley House (au confluent des rivières Albany et Kenogami, Ontario) et Gloucester House (lac Washi, Ontario). Après avoir passé le début de l’hiver de 1779 au fort Albany en compagnie de Thomas Hutchins, Turnor partit pour Henley House en février 1780 avec cinq compagnons. Onze jours plus tard, il y arrivait, atteint de la cécité des neiges et exténué. Il se reposa jusqu’à la mi-mars, mais ne pouvant continuer sa route vers Gloucester House à cause du manque de provisions, il retourna au fort Albany. En juin 1780, il se mit une fois de plus en route vers Gloucester, en canot, et y parvint le 8 juillet. De retour au fort Albany le 11 août, il s’embarqua pour Moose Factory en septembre, et, en décembre, retourna à pied au fort Albany « pour faire le tracé de la côte telle qu’elle apparaît en hiver ». Le 22 janvier 1781, il partit visiter la région de la rivière Rupert (Québec) et Eastmain House (à l’embouchure de la rivière Eastmain, Québec). Après avoir raté sa tentative de marcher jusqu’au lac Mesagamy (lac Kesagami, Ontario) en avril, Turnor voyagea en mai jusqu’à Wapiscogamy House (plus tard Brunswick House ; près du confluent des rivières Opasatika et Missinaibi, Ontario), nouveau poste dépendant de Moose Factory. Il passa le mois de juin à faire le levé de la route qui, de là, menait à Michipicoton House, un poste des trafiquants montréalais à l’embouchure de la rivière Michipicoten, sur le lac Supérieur. Il essaya ensuite d’atteindre le poste des trafiquants de Montréal du lac Abitibi (Ontario), mais jugea en cours de route les rivières trop peu praticables. Il était de retour à Moose Factory le 13 juillet. Une deuxième tentative pour atteindre le lac Abitibi en août échoua, mais Turnor accepta, lors du renouvellement de son contrat en septembre 1781, de trafiquer au lac Abitibi. Alors qu’il était à Moose Factory, il dressa en mars 1782 les plans d’un nouveau poste à Henley House. En mai, il partit pour le lac Abitibi d’où il revint le 2 août.

Bien qu’employé comme arpenteur, Turnor prit charge de Brunswick House le 14 octobre 1782. Pendant l’hiver, il souffrit si cruellement de rhumatisme qu’il fut incapable de descendre à Moose Factory en mars 1783 pour examiner la ligne de conduite de la compagnie à la suite de la prise d’York et du fort Prince of Wales par le comte de Lapérouse [Galaup]. Turnor servit comme chef de poste à Brunswick House jusqu’au printemps de 1784, alors qu’il reçut l’ordre d’établir un nouveau poste « vers l’Abitibi ». Il quitta Moose Factory en juin avec six canots, deux grands et quatre petits, et deux embarcations neuves à fond plat. Toutes ces embarcations se révélèrent défectueuses, toutefois, et il fut forcé de s’arrêter à 80 milles du lac Abitibi. Ayant hiverné au confluent des rivières Abitibi et Frederick flouse, il se dirigea vers le sud, le printemps suivant, et construisit un poste sur la rive du lac Frederick House (Ontario). Il y servit comme chef de poste jusqu’en juillet 1787, alors qu’on l’envoya faire un relevé des postes des trafiquants montréalais de la région des lacs Abitibi et Témiscamingue. Il retourna ensuite à Moose Factory et s’embarqua pour l’Angleterre le 9 septembre, commandant le sloop Beaver.

À Londres, Turnor travailla à ses cartes et, en novembre 1788, il recevait 20 guinées de la Hudson’s Bay Company en paiement de ses « dessins de plusieurs postes de l’intérieur appartenant à la compagnie ». De plus, on le consulta probablement sur l’idée d’établir une route de traite de la rivière Saskatchewan au lac Athabasca (Alberta) et, delà, au Pacifique. Peter Pond*, un trafiquant établi à Montréal, avait fait la traite au lac Athabasca en 1778–1779 ; en plus d’en tirer d’énormes profits, il avait tracé une carte qui semblait présenter comme réalisable une route jusqu’au Pacifique. La possibilité de trouver une route à travers Rupert’s Land, en un temps où l’on espérait encore trouver au nord-ouest un passage vers la Chine, préoccupait Alexander Dalrymple, Samuel Hearne, William Wales et le comité de Londres. Turnor, de nouveau en bonne santé, fut engagé le 16 mai 1789, surtout pour déterminer la position du lac Athabasca et pour trouver une route y menant à partir de la rivière Saskatchewan. Il arriva à York Factory le 27 août et partit pour Cumberland House qu’il atteignit le 7 octobre.

Pendant l’hiver de 1789–1790, à Cumberland House, Turnor enseigna l’arpentage à Peter Fidler* et à David Thompson*, lequel soignait une jambe cassée. En juin 1790, alors qu’il attendait l’arrivée des approvisionnements, Turnor rencontra Alexander Mackenzie* qui lui raconta sa descente du fleuve Mackenzie (Territoires du Nord-Ouest) jusqu’à la mer. Mackenzie « pense qu’il s’agit de la mer hyperboréenne, écrivit Turnor, mais comme il ne semble pas familier avec les observations [astronomiques], je suis porté à croire qu’il n’était vraiment pas certain de l’endroit où il était allé ».

L’expédition de deux canots qui partit pour le lac Athabasca le 13 septembre se composait de Malchom Ross, accompagné de sa femme indienne et de deux enfants, de Turnor, de Fidler et de quatre employés originaires des Orcades. Mal approvisionné, le groupe reçut constamment de l’aide des trafiquants montréalais. Ils hivernèrent à l’Île-à-la-Crosse (Saskatchewan) dans deux maisons que leur avait prêtées Patrick Small, un trafiquant de Montréal. Lors de leur départ en mai 1791, ce dernier leur fournit aussi des provisions. Turnor arriva au fort Chipewyan (Alberta), sur le lac Athabasca, le 28 juin. De là, il descendit en canot la rivière des Esclaves jusqu’au Grand lac des Esclaves (Territoires du Nord-Ouest). Jugeant qu’il était trop tard pour explorer plus au nord, il retourna au lac Athabasca. Il y passa la majeure partie du mois d’août à essayer de découvrir un chemin à partir de l’extrémité est du lac jusqu’à la rivière Churchill. Il retourna ensuite dans une maison que Ross construisait près du fort Chipewyan. Turnor, qui tenait un compte rendu méticuleux de la traite qui se pratiquait au fort Chipewyan, jugea que ce poste était « le grand magasin de la région de l’Athapiscow ». Il en conclut que les trafiquants de Montréal pourraient se permettre de concurrencer la compagnie à perte partout ailleurs aussi longtemps qu’ils conserveraient leur riche monopole de la traite dans la région de l’Athabasca. Persuadé que les Indiens feraient affaire avec un poste de la Hudson’s Bay Company si on en construisait un à cet endroit, il entreprit les préparatifs de son voyage de retour en avril 1792, avant que la rivière Athabasca fût libérée de ses glaces. Il espérait arriver à York assez tôt pour y convaincre le conseil d’envoyer des provisions et de construire un poste. Même s’il arriva à York le 17 juillet, il ne fit pas valoir son point de vue, étant donné, à ce qu’il crut, que William Tomison*, agent principal pour les postes de l’intérieur, « s’était opposé résolument à toute entreprise du côté du nord ». Turnor rentra en Angleterre en octobre 1792.

À Londres, on passa outre à l’apathie du conseil d’York. En 1793, Ross reçut l’ordre d’organiser une expédition dans la région de l’Athabasca et d’y établir un poste. Si le projet rencontra des difficultés sans fin, il se révéla d’une importance déterminante pour les destinées de la compagnie. Entre temps, Turnor travaillait à ses cartes et, en 1795, la compagnie lui fit don de la montre qu’il avait utilisée au cours de ses voyages de même que de £100, « en considération des services qu’il a rendus en arpentant les nombreux établissements de la Compagnie et en explorant plusieurs nouvelles routes, et en les marquant avec exactitude sur une grande carte ».

Une fois à la retraite, Turnor vécut à Rotherhithe (qui fait maintenant partie de Londres) et enseigna la navigation. À part ses relations officielles avec la Hudson’s Bay Company, on connaît peu de chose sur lui. De toute évidence un homme courageux et consciencieux, un voyageur et un arpenteur compétent aussi, il ne laissa pas de documents intimes ou de nature personnelle. Il doit être mort peu de temps après le 4 décembre 1799, date à laquelle il écrivit pour la dernière fois à la compagnie. En effet, le 26 mars 1800, le comité de Londres lisait « une requête d’Elizabeth Turnor, épouse de Philip Turnor, géographe à l’emploi de cette compagnie, récemment décédé, demandant quelque aide pécuniaire ».

Pour évaluer l’importance des travaux de Turnor, il faut les replacer dans le contexte général de l’effort fait par la Hudson’s Bay Company, à partir de 1778, dans le domaine de l’arpentage. Cherchant à déterminer la position de ses différents postes à l’intérieur des terres et des routes fluviales les reliant, la compagnie accumula sur l’intérieur de l’Amérique du Nord une richesse de renseignements qui furent publiés en 1795 sous la forme d’une carte par Aaron Arrowsmith, cartographe londonien. Intitulée « A map exhibiting all the new discoveries in the interior parts of North America », la carte d’Arrowsmith fut souvent reproduite et constitua la base de beaucoup de cartes ultérieures du Canada. À vrai dire, ainsi que l’écrivait Arrowsmith en 1794, le travail des employés de la compagnie, dont Turnor, « avait jeté les fondements permanents de la géographie de cette partie du globe ».

E. E. Rich

HBRS, XIV (Rich et Johnson) ; XV (Rich et Johnson) ; XVII (Rich et Johnson).— Journals of Hearne and Turnor (Tyrrell).— (Alexander Mackenzie], The journals and letters of Sir Alexander Mackenzie, W. K. Lamb, édit. (Cambridge, Angl., 1970).— [David Thompson], David Thompson’s narrative, 1784–1812, R. [G.] Glover, édit. (nouv. éd., Toronto, 1962).— Rich, History of HBC, II.

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E. E. Rich, « TURNOR, PHILIP », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/turnor_philip_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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