COLLINS, ENOS, marin, marchand, financier et homme politique, né à Liverpool, N.-É., le 5 septembre 1774, fils aîné de Hallet Collins et de Rhoda Peek, décédé à Halifax le 18 novembre 1871.

Hallet Collins était marchand, négociant et juge de paix à Liverpool, N.-É. Il se maria trois fois et eut 26 enfants. À sa mort en 1831 il laissa une succession de £13 000. Son deuxième enfant, Enos Collins, ne fit pas d’études très poussées ; très jeune encore il prit la mer, vraisemblablement en qualité de mousse sur un des navires marchands ou sur un des bateaux de pêche de son père. Il n’avait pas encore 20 ans quand il devint capitaine de la goélette Adamant qui voyageait aux Bermudes. En 1799, il fit partie de l’équipage du célèbre corsaire Charles Mary Wentworth à titre de premier lieutenant. Très ambitieux, le jeune Collins acquit très tôt des intérêts dans plusieurs navires marchands qui avaient leur port d’attache à Liverpool. Durant la guerre d’Espagne il réalisa des profits considérables en envoyant trois navires forcer le blocus des côtes espagnoles pour ravitailler l’armée anglaise à Cadix.

Mais bientôt l’ambition d’Enos Collins ne sut plus se satisfaire des possibilités qu’offrait le florissant port de Liverpool et il alla se fixer à Halifax où, dès 1811, il était solidement établi comme commerçant et affréteur. Au cours de la guerre de 1812, avec Joseph Allison son associé, il géra avec beaucoup d’habileté une entreprise commerciale qui achetait au tribunal des prises les navires américains capturés et revendait leur cargaison avec profit. L’entreprise fit aussi probablement de bonnes affaires en incluant illégalement la Nouvelle-Angleterre dans les échanges commerciaux que la guerre occasionnait entre la Nouvelle-Écosse et les Antilles. Collins était copropriétaire de trois navires corsaires, dont le Liverpool Packet, le plus redouté de tous les navires de la Nouvelle-Écosse qui se livrèrent à la guerre de course au large de la Nouvelle-Angleterre durant le conflit.

Pendant la décennie qui suivit la guerre, Collins se lança dans de nombreuses entreprises : ses spéculations sur les monnaies lui réussirent, il finança plusieurs opérations commerciales, continua à faire du commerce et acquit des intérêts dans l’industrie forestière et dans la pêche à la baleine. Comme la majorité de ses contemporains, il fit des placements aux États-Unis ; on racontait à l’époque qu’il avait dans ce pays autant de capitaux placés qu’en Nouvelle-Écosse. Il semble que de nouveau en 1822 l’ambition de Collins cherchait des horizons plus larges. Sir Colin Campbell* écrivit au ministre des Colonies, lord Glenelg [Grant], en 1838 : « Il y a seize ans, il [Collins] était sur le point de quitter la Province pour toujours mais on le persuada d’y rester en lui offrant [...] un siège au conseil. »

Son entrée dans le principal corps législatif de la colonie, le Conseil des Douze, témoigne de l’étendue de sa réussite. En 1825 il renforça encore sa position au sein de la classe dirigeante en épousant Margaret Halliburton, la fille aînée de Brenton Halliburton*. Comme il convenait à un homme de son rang et de sa fortune, Enos Collins se fit construire une belle résidence nommée Gorsebrook, où, avec sa femme, il recevait le gouverneur et les autres personnages éminents de la province. Le couple eut neuf enfants dont un fils et trois filles atteignirent l’âge adulte.

En 1825 après avoir essayé vainement à plusieurs reprises d’obtenir une charte bancaire du gouvernement, Enos Collins et un groupe de marchands, dont Henry Hezekiah Cogswell*, William Pryor*, James Tobin*, Samuel Cunard*, John Clark, Joseph Allison et Martin Gay Black, s’associèrent pour fonder la Halifax Banking Company. C’était l’aboutissement normal d’une activité commerciale qui avait permis à chacun des membres de l’association d’accumuler les fonds nécessaires au financement de l’entreprise. Cogswell était président de la compagnie mais Collins exerçait le rôle dominant : les transactions bancaires se faisaient dans l’immeuble où se trouvaient ses bureaux et très tôt on donna à l’entreprise le nom de « Collins’ Bank ».

Un des épisodes les plus regrettables de la carrière d’Enos Collins a trait à la « querelle du brandy » qui éclata en 1830. L’Assemblée avait imposé en 1826 une taxe d’entrée de 1 shilling et 4 pennies en sus de la taxe de 1 shilling perçue par le gouvernement impérial sur les alcools importés. Le receveur des douanes décida qu’il était suffisant de percevoir un droit de 2 shillings mais négligea d’en avertir l’Assemblée. En 1830, E. Collins and Company, qui se servait de doublons pour payer les droits d’entrée, présenta une requête à l’Assemblée pour obtenir une remise, faisant valoir qu’elle avait été lésée par le receveur des douanes sur le taux de change des devises. L’Assemblée découvrit ainsi qu’on n’avait pas perçu la pleine taxe. Elle présenta immédiatement un projet de loi pour rétablir le plein tarif mais le conseil, sur lequel Collins et ses associés avaient la main haute, repoussa le projet. Pendant un certain temps aucun droit ne fut perçu sur les importations de spiritueux et Collins, prenant avantage de la situation, s’employa à vendre son stock d’alcools importés sans verser un sou au trésor public. Sa conduite souleva une violente réaction aussi bien à l’Assemblée que dans la presse locale. Pour le grand malheur de Collins et des autres importateurs, le roi George IV mourut sur ces entrefaites ce qui donna lieu à des élections en Nouvelle-Écosse. Toute la campagne électorale de 1830 eut pour thème la question des droits sur l’alcool ; après l’élection, la nouvelle Assemblée s’empressa de rétablir les droits d’entrée sur les spiritueux, décision que le conseil accepta. Cette affaire, en plus d’entacher le nom de Collins, fournit aux critiques du Conseil des Douze un fait précis sur lequel ils purent concentrer leurs attaques.

Durant les années 30, Collins étendit encore ses entreprises et continua à participer à l’administration de la colonie. En 1832, en dépit de l’opposition de Collins, le conseil accorda une charte à la Bank of Nova Scotia mettant fin ainsi au monopole de la Halifax Banking Company. Très vite, les deux banques engagèrent une lutte monétaire qui affaiblit la stabilité économique de la colonie et donna aux réformistes une autre raison d’attaquer la classe dirigeante. Le mécontentement à l’égard du Conseil des Douze ne fit que grandir, si bien qu’en 1837 le gouvernement britannique jugea qu’une réorganisation s’imposait. Au début, Enos Collins ne fit pas partie du nouveau Conseil exécutif de la Nouvelle-Écosse mais, sur les instances du gouverneur (Colin Campbell) il y entra le 8 mai 1838. Il y demeura jusqu’à ce qu’une deuxième réorganisation du conseil le forçât à démissionner le 6 octobre 1840. Durant la période troublée des années 40 et des années 50, Collins ne se mêla pas de politique mais il contribua au financement du parti conservateur.

Enos Collins vécut les 30 dernières années de sa vie dans une demi-retraite : il continuait à surveiller de près ses affaires mais vivait surtout dans l’intimité de son foyer à Gorsebrook. Toutefois, le vieil homme trouva dans la lutte contre la confédération une dernière occasion d’entrer dans la bataille. Rompant ses liens de toujours avec les conservateurs, il apporta un appui financier généreux à Joseph Howe, à Mather Byles Almon et aux autres membres de la ligue des adversaires de la confédération. Ce mot de Howe décrit bien avec quelle fougue Collins s’opposa au projet : « Enos Collins, qui a maintenant quatre-vingt-dix ans, [...] affirme que s’il avait vingt ans de moins il prendrait un fusil pour combattre le projet. »

Enos Collins fut un homme d’affaires avisé et têtu mais un ami du progrès. Possédant une fortune évaluée à $6 000 000 il passait pour l’homme le plus riche de l’Amérique du Nord britannique. Il appartenait à l’Église d’Angleterre et lui apportait son aide financière. Comme ses contemporains, Collins considérait que la classe dirigeante avait des responsabilités à l’égard des pauvres et des défavorisés. Il était membre de la Poor Mans Friend Society et il se montra très généreux pour la société des aveugles et aussi pour les autres œuvres de charité qui, au xixe siècle, étaient très nombreuses à Halifax.

La vie de Collins ne représente cependant pas une réussite totale. Il essaya constamment de s’intégrer à la classe dirigeante au moment même où, par suite de l’évolution de la société, un nombre beaucoup plus grand de citoyens accédaient au pouvoir politique et social. Déjà bien avant sa mort, le mode de vie auquel il avait aspiré et auquel il était parvenu grâce à sa réussite financière, était en voie de disparition. Son opposition à la confédération fut le dernier échec d’un homme qui refusa d’admettre qu’entre 1840 et 1870 de profonds changements s’opéraient en Amérique du Nord britannique.

Diane M. Barker et D. A. Sutherland

PANS, Collins family, T. B. Smith, compil. ; Log book of the privateer Charles Mary Wentworth.— PRO, CO 217/115, 75–76.— Acadian Recorder (Halifax), 8 janv. 1898.— Novascotian (Halifax), 1830, 1835–1836, 1942.— [Enos Collins], Letters and papers of Hon. Enos Collins, C. B. Fergusson, édit., PANS Bull., XIII (1959).— J. F. More, The history of Queen’s County, N.S. (Halifax, 1873), 161–168.— Ross et Trigge, History of the Canadian Bank of Commerce, I : 25–123.— L. J. Burpee, Joseph Howe and the anti-confederation league, MSRC, 3e sér., X (1917), sect. ii : 409–473.— Peter Lynch, Early reminiscences of Halifax – men who have passed from us, N.S. Hist. Soc. Coll., XVI (1912) : 171–204.— G. E. E. Nichols, Notes on Nova Scotian privateers, N.S. Hist. Soc. Coll., XIII (1908) : 111–152.

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Diane M. Barker et D. A. Sutherland, « COLLINS, ENOS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/collins_enos_10F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
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