Titre original :  W1457 | Theodore Harding Rand | Print | Rolph Smith & Co. - This artefact belongs to: © New Brunswick Museum.

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RAND, THEODORE HARDING, professeur, fonctionnaire, administrateur scolaire et poète, né le 8 février 1835 à Canard, Nouvelle-Écosse, fils de Thomas Woodworth Rand, diacre de l’église baptiste First Cornwallis, et d’Eliza Irene Barnaby ; le 5 novembre 1861, il épousa à Canard Emeline Augusta Eaton, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 29 mai 1900 à Fredericton.

Theodore Harding Rand, dont les ancêtres étaient des planters de la Nouvelle-Angleterre, grandit à Canard et fit ses études à l’école laïque et à l’école du dimanche du canton de Cornwallis. La beauté de la campagne environnante, qu’il immortalisa par la suite dans des poèmes, et l’Église baptiste, à laquelle adhérait près de la moitié de la population du canton, marquèrent profondément sa jeunesse. Adolescent, Rand se rendit à Boston, où il trouva du travail dans une pharmacie. Bientôt gagné par l’atmosphère de réforme qui régnait au Massachusetts au milieu du xixe siècle, il embrassa avec enthousiasme les idées nouvelles des abolitionnistes, des théologiens libéraux et des adeptes du transcendantalisme.

Rand rentra ensuite en Nouvelle-Écosse pour acquérir la formation supérieure qui correspondait à ses nouveaux penchants intellectuels. À l’automne de 1854, il s’inscrivit à la Horton Academy de Wolfville. Là, il échappa à ce que l’éducateur baptiste Thomas Trotter* allait appeler plus tard « la zone glaciale du rationalisme » en faisant l’expérience d’une « seconde naissance » à l’époque du renouveau religieux qui gagna l’établissement dans les premiers mois de 1855. Malgré son retour aux principes religieux de ses ancêtres, Rand demeurait ouvert aux idées nouvelles et continuait de lire beaucoup. D’un naturel poétique et imaginatif, il réagit avec enthousiasme à l’esprit du mouvement romantique qui balayait alors l’Occident. Une fois diplômé de la Horton Academy, il demeura à Wolfville et fréquenta l’Acadia College, où il obtint une licence ès arts en 1860. Il confia alors à un condisciple qu’il aspirait à une carrière littéraire, peut-être comme rédacteur en chef d’une revue ou d’un magazine de « haute classe ». Pourtant, dans son discours de finissant, il parla surtout de l’éducation et de la foi, les deux thèmes qui allaient le préoccuper durant la plus grande partie de sa vie d’adulte. Aucun document ne fait état du contenu de ce texte, mais le sujet était bien dans le goût du jour. L’Origine des espèces, l’ouvrage de Charles Darwin publié l’année précédente, défiait les croyances du fondamentalisme. En outre, l’expansion et la transformation du système scolaire de la Nouvelle-Écosse dans les années 1860 allaient exiger des éducateurs une définition de ce qu’était l’instruction chrétienne à une époque de plus en plus profane et scientifique.

En janvier 1861, après avoir enseigné quelque temps à la Horton Academy, Rand accéda à la chaire d’anglais et d’humanités de la Normal School de Truro, inaugurée en 1855 et dirigée par Alexander Forrester*, également surintendant provincial de l’Éducation. Ce dernier jetait les bases d’un réseau d’écoles publiques, et il influença sans doute les vues de Rand sur l’éducation. Comme la plupart des baptistes instruits de la province, Rand approuvait la création d’écoles non confessionnelles, financées par l’État. En mai 1863, l’élection du parti conservateur dirigé par deux éminents baptistes, James William Johnston* et Charles Tupper*, fit progresser rapidement la cause de l’instruction publique en Nouvelle-Écosse. De 1864 à 1866, le Parlement néo-écossais adopta une série de lois scolaires qui créaient un système public financé par cotisation générale. Tupper consulta Forrester et Rand sur les détails de la loi de 1864 et, en mai de cette année-là, il confia à ce dernier la surintendance de l’Éducation, charge désormais distincte de la direction de la Normal School.

La révolution dans l’enseignement, amorcée par la mise en place en Nouvelle-Écosse d’« écoles où l’enseignement était gratuit », suscitait à peine moins de controverse que le mouvement proconfédératif, qui naquit à la même époque. Le principe de la cotisation générale irritait les contribuables parcimonieux, tandis que les catholiques, opposés à l’influence laïcisante des écoles publiques, s’en prenaient à cette tyrannie qu’imposait la majorité protestante de la province. Quand Tupper nomma l’un de ses coreligionnaires à la surintendance de l’Éducation, même les partisans de la réforme de l’enseignement protestèrent ouvertement. Les objections les plus violentes vinrent d’amis de Forrester (presbytérien) qui, prétendait-on, avait été évincé sans ménagement au profit d’un jeune subordonné. Forrester lui-même s’estimait suffisamment lésé pour envisager de quitter la direction de la Normal School. Rand avait en fait demandé à Tupper le poste de surintendant, requête fort audacieuse de la part d’un professeur de 29 ans, et faite à l’insu de Forrester, qui s’attendait à conserver ce poste.

Malgré son impopularité dans certains milieux, la nomination de Rand montrait toute l’astuce dont Tupper pouvait faire preuve dans les situations difficiles. Elle plut aux baptistes, qui étaient nombreux dans les rangs du parti conservateur et qui trouvaient les presbytériens trop puissants à leur goût dans certains établissements financés par la province, dont la Normal School et le Dalhousie College, rouvert quelque temps auparavant. Comme Rand avait une conception progressiste de l’éducation, les partisans des écoles publiques ne pouvaient guère se plaindre, et même Forrester accepta vite la situation, reconnaissant que son rival était « complètement gagné » à ses propres idées. Les deux hommes continuèrent de collaborer étroitement ; plus tard, Forrester alla jusqu’à choisir Rand comme exécuteur testamentaire.

Rand était bien préparé pour le poste élevé qui l’attendait. Il avait reçu une maîtrise ès arts de l’Acadia College au printemps de 1863 et avait passé l’été suivant à visiter les écoles du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Bien au fait des tendances qui avaient cours en Amérique du Nord et en Europe en matière d’éducation, il organisa le système public de la province en s’inspirant de l’expérience de pionniers comme Horace Mann, du Massachusetts, et Egerton Ryerson*, surintendant en chef de l’Éducation du Haut-Canada. Une fois en poste, il déploya l’énergie qui allait le rendre légendaire. Tout en pressant le gouvernement de bonifier les lois sur les écoles publiques, il lança, en 1866, le Journal of Education, afin d’éveiller l’ardeur des enseignants, encouragea la Provincial Education Association of Nova Scotia à réunir les éducateurs au sein d’un organisme professionnel et mena l’assaut contre les adversaires du nouveau système. Ils étaient si nombreux, selon un observateur, qu’il arrivait que Rand « ne se dévêtît pas » durant toute une semaine. « Il se jetait sur un divan, dans son bureau, pour [prendre] quelques heures de sommeil, puis se remettait au travail. » Dans bien des parties de la province, on défiait carrément la loi qui exigeait l’imposition locale ; les assemblées où l’on devait choisir les administrateurs et l’emplacement des nouvelles écoles se terminaient souvent dans un désordre indescriptible. La question religieuse soulevait aussi des passions. Bien que Rand ait tenu à l’éducation chrétienne, il s’opposait à toute reconnaissance officielle, quelle qu’elle soit, du droit à des écoles séparées pour les catholiques de la province, qui se sentaient lésés. Les commentaires publics qu’il fit sur la question amenèrent l’archevêque Thomas Louis Connolly* et le vicaire général Michael Hannan* à tenter d’obtenir sa destitution. Sur l’insistance de Tupper, on parvint, à Halifax, à un compromis qui rendait les écoles dirigées par les catholiques admissibles à une subvention d’école publique.

Rand passait presque tout son temps à organiser le nouveau système, jusque dans ses moindres détails. Il fit rédiger une série de manuels dans la province, supervisa la préparation des plans des écoles et se donna beaucoup de mal pour trouver des inspecteurs qui appliqueraient des normes sévères et uniformes dans toute la province. En outre, il introduisit dans les grandes écoles le système de division par classe et tenta d’uniformiser la délivrance des permis d’enseignement. Ses rapports d’étape, qui soulignaient le progrès accompli dans le domaine de l’enseignement sous le nouveau régime, étaient des modèles du genre, avec divers tableaux statistiques à l’appui de ses affirmations. Par son souci des détails administratifs et sa conviction que le progrès individuel et social passait par l’éducation, il appartenait bien à la nouvelle race des promoteurs professionnels de l’instruction. Sans réaliser tout ce qu’il avait escompté faire – ce que sa devise résumait clairement : « Des écoles pour tous, et tous pour les écoles » –, il parvint tout de même à jeter les bases d’un réseau scolaire public en Nouvelle-Écosse qui ne connut aucun changement de fond pendant près d’un siècle.

Conscient de sa situation délicate à titre de fonctionnaire, Rand refusait de voter aux élections publiques ou d’adhérer à un parti. Néanmoins, sa position devint inconfortable après que le gouvernement Tupper eut perdu le pouvoir en septembre 1867. Pour le nouveau gouvernement antifédéraliste de William Annand*, le système d’éducation était un refuge de sympathisants tories et un nid de favoritisme. D’abord réfractaires à l’idée de destituer Rand, les membres du conseil de l’Instruction publique n’hésitèrent cependant pas à congédier des inspecteurs d’écoles. Ils tentèrent aussi de réduire les dépenses croissantes de l’éducation, qui représentaient plus du quart du budget provincial en 1868. Consterné, Rand tenta de démontrer à ses nouveaux maîtres la nécessité de maintenir une bureaucratie permanente et non partisane pour s’occuper de ce secteur. En 1868, le député libéral de la circonscription de Richmond, Edmund Power Flynn, présenta un projet de loi en faveur des écoles séparées, et Rand s’y opposa. L’année suivante, il entra en conflit ouvert avec Flynn, qui faisait partie du conseil de l’Instruction publique, à propos d’une enquête qu’il avait lui-même ordonnée sur le fonctionnement d’une école dirigée par l’Église catholique à Arichat.

Rand perdit son poste de surintendant de l’Éducation au début de février 1870. Comme il n’était pas de tempérament docile, il protesta publiquement. On l’avait congédié, disait-il, parce qu’il s’opposait aux écoles séparées, et particulièrement à Flynn ; les « amis de l’Éducation », dans la province, devaient veiller à ce que le surintendant puisse exercer ses fonctions sans subir d’ingérence politique. Bientôt des pétitions qui réclamaient sa réintégration se mirent à circuler et la Provincial Education Association of Nova Scotia proclama sa « crainte et [son] indignation » devant l’interventionnisme du gouvernement. Certes, la position de Rand sur les écoles séparées était impopulaire dans les milieux catholiques de la province, mais son congédiement était davantage le résultat de l’esprit partisan qui empoisonnait la politique provinciale et de son attitude autoritaire à l’égard du nouveau gouvernement. Le cabinet Annand avait été particulièrement agacé par sa conduite à l’occasion de ce que l’on a appelé l’« affaire George », en 1868. Contre l’avis de Rand, on avait congédié F. W. George, inspecteur du comté de Cumberland, et ce dernier avait porté sa cause devant le tribunal en s’appuyant sur une lettre signée par le surintendant. Le fait que l’on remplaça Rand par un autre baptiste, nul autre que son ancien pasteur à l’église Cornwallis, Abram Spurr Hunt, laisse entendre que le gouvernement souhaitait moins établir des écoles séparées que se débarrasser d’un bureaucrate peu commode qui plaçait les intérêts administratifs au-dessus des intérêts politiques.

Malgré ses amis qui le pressaient d’entreprendre une carrière politique, Rand profita de sa retraite forcée pour aller étudier de près le système d’enseignement de la Grande-Bretagne. De retour au Canada à l’automne de 1870, il s’intéressa au Nouveau-Brunswick où, au début de l’année suivante, le gouvernement de coalition de George Edwin King* et de George Luther Hatheway* tentait de créer un réseau scolaire public semblable à celui de la Nouvelle-Écosse. Le Common Schools Act du Nouveau-Brunswick fut adopté en mai 1871 et, en septembre, Rand accepta le poste de surintendant de l’Éducation que créait cette nouvelle loi. Comme il l’avait fait en Nouvelle-Écosse, il se dévoua à la cause des écoles publiques en faisant fi de la controverse que soulevaient, autour de lui, les écoles séparées, la cotisation générale et les exigences du système rigide établi en vertu de la loi.

Les catholiques du Nouveau-Brunswick, dont les écoles avaient été reconnues de fait avant 1871, contestèrent devant les tribunaux la constitutionnalité de la nouvelle loi et refusèrent par principe de participer aux élections d’administrateurs ou de payer leurs impôts scolaires. Ils trouvèrent des appuis au Parlement fédéral, où le député de la circonscription de Victoria, John Costigan*, réclama soit un refus de reconnaître la loi scolaire, soit une loi réparatrice qui garantirait leur droit à des écoles séparées. Les tribunaux déclarèrent valide la loi de 1871, et le gouvernement de sir John Alexander Macdonald puis celui d’Alexander Mackenzie refusèrent d’intervenir au Nouveau-Brunswick, mais l’opposition aux écoles publiques continua, aussi forte. En 1874, on vendit aux enchères une voiture et un attelage de chevaux, propriété de John Sweeny*, évêque de Saint-Jean, parce qu’il avait refusé de payer ses impôts scolaires ; François-Xavier-Joseph Michaud*, prêtre à la cathédrale de la ville, fut emprisonné pour avoir résisté à ceux qui étaient venus saisir ses biens. En janvier 1875, dans le village majoritairement acadien de Caraquet, la résistance mena à la violence et provoqua deux morts. On en arriva à un compromis très semblable à celui que Tupper avait conçu à Halifax [V. John James Fraser]. Les petits catholiques pourraient fréquenter leurs propres écoles et avoir comme instituteurs des religieux catholiques ; ils apprendraient cependant le catéchisme en dehors des heures de classe.

Rand travaillait avec diligence, en coulisse, pour empêcher la reconnaissance officielle du principe des écoles séparées et, en même temps, il faisait de son mieux pour apaiser la minorité mécontente. Apparemment, il était plus sympathique aux Acadiens, pour qui la langue était un problème, qu’aux catholiques anglophones, qui menaient la bataille confessionnelle. Rand emprunta au système ontarien des textes français appropriés et supervisa la production d’un livre de lecture bilingue, qui serait utilisé par la suite dans l’état du Maine. Il recommanda en outre de créer, à la Normal School de Fredericton, une classe préparatoire pour les élèves francophones incapables de suivre les classes régulières qui se donnaient en anglais. Néanmoins, il continuait d’envisager l’instruction en français de manière ethnocentrique, car il la considérait comme une préparation à des études supérieures en anglais.

Durant les 12 années qu’il passa au Nouveau-Brunswick, Rand s’employa à organiser un réseau scolaire efficace. Il publia un périodique pédagogique semestriel, l’Educational Circular, fit la promotion d’instituts de comté ou provinciaux et pressa le gouvernement de construire une nouvelle école normale, qui ouvrit ses portes en 1877. En outre, à compter de 1879, il exigea que l’on cote chaque école en fonction du travail accompli à chacun des niveaux à l’aide de manuels uniformes. Cette décision entacha sa popularité auprès des instituteurs et des inspecteurs qui devaient l’appliquer. De même, ils se plaignaient que la diversité des matières nuisait à la formation « de base ». Au Nouveau-Brunswick, tout comme en Nouvelle-Écosse, le coût de l’instruction publique et les constantes revendications dans le but d’améliorer le système irritaient les contribuables. En 1880, le Conseil législatif qualifia le système d’onéreux et de lourd ; les plaintes portées périodiquement devant l’Assemblée faisaient que Rand avait du mal à appliquer les réformes préconisées par les éducateurs britanniques et américains. Même ceux qui l’avaient soutenu au début commencèrent à lui reprocher son attitude « autocratique » et, en 1883, le Maritime Farmer de Fredericton conclut que ses activités visaient moins le bien des écoles publiques que la « glorification exclusive de T. H. Rand ».

Au Nouveau-Brunswick, Rand s’intéressa de plus en plus à la théorie de l’éducation et au développement des études supérieures. À titre de surintendant de l’Éducation, il devint en 1878 membre d’office du « sénat » de la University of New Brunswick, fonction qu’il exerça avec sa vigueur habituelle. L’Acadia College lui décerna un doctorat en droit civil en 1874 et le nomma à son conseil d’administration. On le choisit à deux reprises, soit en 1875 et en 1881, à titre de président de la Baptist Convention of Nova Scotia, New Brunswick and Prince Edward Island. Il présida un comité, dont faisaient aussi partie James William Manning et James William Johnston fils, qui recommanda en 1883 au conseil d’administration de l’Acadia College de collaborer avec les baptistes de l’Ontario afin de faire du Toronto Baptist College une école de théologie qui desservirait tout le Canada. La même année, après le départ pour Toronto de Daniel Morse Welton*, professeur d’hébreu et de théologie systématique à l’Acadia College, cet établissement offrit à Rand (offre confirmée le 11 septembre à une réunion du conseil) la nouvelle chaire de théorie et pratique de l’enseignement.

Encore une fois, Rand se trouva au cœur d’une controverse. Une opposition s’organisa contre la chaire, contre sa personne et contre l’orientation générale que les administrateurs de l’Acadia College imprimaient aux études supérieures baptistes. Bien des baptistes déploraient que leur collège n’enseigne plus la théologie et attribuaient peu de valeur à une chaire de pédagogie, la première du genre au Canada. De plus, on estimait que le salaire de Rand, 1 600 $ par an, grevait les ressources de l’établissement et constituait une insulte pour le directeur Artemas Wyman Sawyer*, qui touchait 400 $ de moins. Finalement, le problème se régla en décembre : Rand accepta une réduction de salaire de 600 $ et ses amis s’engagèrent à financer durant cinq ans la chaire controversée, rebaptisée éducation et histoire. Les étudiants qui suivaient les cours de psychologie, de physiologie et de pédagogie de Rand, ainsi que des cours spéciaux de méthodologie et d’administration, recevaient un diplôme d’instituteur en plus de leur licence.

Rand s’avéra un professeur populaire, et c’est à regret que les étudiants le virent partir deux ans plus tard pour aller enseigner l’apologétique, l’éthique chrétienne et la didactique au Toronto Baptist College. Sa nouvelle nomination souleva moins de controverse que la précédente, mais il arrivait tout de même dans une atmosphère chargée de conflits. En 1885, les baptistes ontariens se demandaient s’ils devaient rattacher leur collège à la University of Toronto ou créer un établissement distinct. Ils étaient également divisés sur la question de savoir si le foyer des études baptistes devait être dans la capitale provinciale ou se greffer à leur collège, à Woodstock. John Harvard Castle*, directeur du Toronto Baptist College, et une autre de ses nouvelles recrues, Malcolm MacVicar, projetaient déjà d’agrandir la section des arts de leur école de théologie, et ils avaient quelque appréhension au sujet d’une fédération avec la University of Toronto. Rand se rangea du côté de Castle et l’aida grandement à faire progresser les études baptistes en Ontario. Moins d’un an après son arrivée à Toronto, il accepta la direction du Woodstock College, à la condition que « l’établissement ait toute liberté de se développer pleinement comme maison d’enseignement chrétienne – dans la mesure où ses ressources futures le permettr[aient] ». Apparemment, il entendait faire de Woodstock un centre éducatif très semblable à celui de Wolfville, avec des écoles préparatoires pour hommes et femmes, et tôt ou tard un collège mixte. À cette fin, il lança un ambitieux programme de construction et, pendant l’été de 1886, mena avec succès une campagne de financement pour soutenir ses activités.

Par ailleurs, Rand présidait le comité de fondation de la nouvelle université baptiste, qui allait porter le nom du sénateur William McMaster*, principal promoteur de l’instruction baptiste en Ontario. En mars 1887, avec Castle, il comparut devant le comité des projets de loi privés du Parlement ontarien pour défendre celui qui unirait le Toronto Baptist College au Woodstock College et les constituerait en société civile sous le nom de McMaster University. Le projet de loi fut sanctionné le 23 avril. Lorsqu’il devint évident, au début de 1888, que la nouvelle division des arts de l’université et la section féminine, rebaptisée Moulton College, seraient à Toronto, Rand démissionna de Woodstock et retourna dans la capitale provinciale pour participer à l’élaboration des programmes du Woodstock College, du Moulton College et de la McMaster University. En juillet de l’année suivante, on le nomma à la chaire des sciences de l’éducation, éthique et organisation politique civile du nouveau département des arts de l’université, qui devait accueillir ses premiers étudiants à l’automne de 1890.

Pour se préparer à son nouveau poste, Rand prit congé et passa l’année scolaire 1889–1890 en Grande-Bretagne. Pendant son absence, MacVicar quitta le poste de chancelier de McMaster, et on rappela Rand au pays pour aider à trouver un remplaçant. Curieusement, on ne lui offrit pas la place, qui demeura vacante quelque temps. Il accéda plutôt à la direction du nouveau département des arts. En 1892, en reconnaissance des fonctions que Rand assumait sans en avoir le titre, on le nomma chancelier de la McMaster University et, deux ans plus tard, il eut la satisfaction de présider la remise des diplômes de la première promotion d’étudiants. On ne s’étonnera guère d’apprendre qu’il appuyait l’engagement de professeurs canadiens et qu’il était ouvert à l’addition de nouveaux cours – littérature anglaise, histoire politique et Bible anglaise – au programme. Quand sa santé l’obligea à démissionner de la chancellerie, en mai 1895, la McMaster University était un établissement d’enseignement supérieur solidement installé, ce dont Rand se réjouissait beaucoup ; il s’en attribuait d’ailleurs quelque crédit. Il demeura membre du personnel à titre de professeur émérite de pédagogie et de littérature anglaise.

Dans les cinq dernières années de sa vie, Rand refit de la poésie, comme dans sa jeunesse. Pendant ses années à McMaster, il avait passé presque tous ses étés dans les Maritimes et avait publié plusieurs poèmes dans le McMaster University Monthly, revue fondée en 1891 et dont il avait apparemment été l’inspirateur. En 1897, il publia à Toronto At Minas Basin and other poems, qui obtint tant de succès qu’une deuxième édition, augmentée, parut l’année suivante. La poésie de Rand tendait à être trop intellectuelle et complexe pour plaire aux foules. Néanmoins, plusieurs de ses poèmes acquirent un vaste auditoire ; par exemple, The dragonfly, qui a souvent paru dans des anthologies. Il dirigea aussi la préparation d’une vaste anthologie, A treasury of Canadian verse, parue à Toronto et à Londres en 1900. Bien accueillie par les contemporains de Rand, elle reflète sa fierté de Canadien et l’amour que lui inspira toujours la nature. Un deuxième recueil de ses poèmes, Song-waves, édité à Toronto en 1900, en était aux dernières étapes de la publication en mai 1900, lorsque Rand se rendit à Fredericton afin de recevoir un baccalauréat honorifique en droit de la University of New Brunswick, qui fêtait son centenaire. Il mourut subitement le 29 mai, quelques heures avant la cérémonie. Même dans la mort, Rand semblait ne pouvoir éviter d’être théâtral.

Homme d’action plutôt que penseur original, Theodore Harding Rand était en tous points quelqu’un avec qui il était difficile de travailler. Toujours tendu vers l’objectif à atteindre, il n’était pas disposé à faire des compromis sur les épineuses questions d’intérêt public dont il avait à s’occuper. Infatigable, il épuisait souvent ses collègues. Admiré par ses amis, vilipendé par ses ennemis, il suscitait la critique partout où il passait. Il laissa derrière lui deux réseaux scolaires provinciaux et une grande université canadienne. Il imprima aussi sa marque dans des périodiques éducationnels, des ouvrages de poésie et d’innombrables discours reproduits dans le Christian Messenger de Halifax et le Canadian Baptist de Toronto. Toujours sensible aux nouveaux courants d’idées, il adhéra aux tendances laïques et scientifiques de la fin du xixe siècle au lieu de les rejeter car, selon lui, elles s’inscrivaient dans le grand plan divin. Il voulait acquérir, et communiquer à ses collègues et étudiants, une vision large du christianisme, afin qu’elle éclaire le sens de toutes choses, sacrées et profanes. Réceptif au message social de l’évangile, qui devenait populaire dans les années 1890, il était sensible aux idées socialistes, au syndicalisme et aux efforts missionnaires. Pour lui, l’éducation était un moyen de libérer l’énergie physique et la force d’âme qui permettraient aux jeunes gens et aux jeunes femmes de donner, au delà du matérialisme égoïste, un sens à leur vie. « L’éducation chrétienne en tant que processus conscient, déclara-t-il dans son premier discours de chancelier à la McMaster University, est l’affaire de toute une vie ; elle est transformation de possibilités en pouvoirs, et effort en vue de maîtriser ces pouvoirs à l’aide d’une conscience éclairée par le Verbe et l’Esprit du Divin Maître. Elle [est] culture de goûts authentiques et purs, choix et poursuite de grands idéaux, effort en vue d’unifier et d’équilibrer toutes les forces individuelles. Elle signifie se discipliner, se former, s’organiser, se rendre utile. » Durant les longues années où il s’employa à faire progresser l’éducation chrétienne dans trois provinces canadiennes, Rand fut toujours discipliné, formé, organisé et utile, conformément à son idéal.

Margaret Conrad

Les publications de Theodore Harding Rand comprennent : « Dr. Rand’s address », McMaster Univ., Educational addresses (Toronto, 1890), 5–17 ; « Susan Moulton McMaster », McMaster Univ. Monthly (Toronto), 2 (1892–1893) : 153–160 ; « The chancellor’s address ; graduation – May 1st, 1895 », 4 (1894–1895) : 349–354 ; « Thomas Trotter » : 5 (1895–1896) : 289–294 ; « Our educational principles and ideals », 7 (1897–1898) : 51–57, 110–115. Ses rapports à titre de surintendant de l’Éducation de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick se trouvent dans N.-É., Council of Public Instruction, Annual report of the superintendent of education (Halifax), 1864–1869 ; et dans N.-B., Annual report of the common, superior, grammar, and training and model schools (Fredericton), 1872–1879, et Annual report of the schools, 1880–1884.

Acadia Univ. Arch. (Wolfville, N.-É.), Board of Governors, minutes, 1860–1885 : T. H. Rand-I. B. Oakes corr.— Canadian Baptist Arch., McMaster Divinity College (Hamilton, Ontario), Toronto Baptist College, corr., 1885–1890 ; Woodstock College, T. H. Rand-Principal Bates corr., 1892–1893.— PANS, MG 1, 1538B ; RG 14, 69, n° 1 ; 81.— UNBL, UA, Minutes of the Senate, 3 (1860–1904), 13 déc. 1871.— Acadian Athenœum (Wolfville), 1883–1885, 1900.— Correspondence : anonymous and otherwise, concerning the new chair at Acadia College [...] (Halifax, 1883).— Educational Circular for the Prov. of New Brunswick (Fredericton), n° 1 (1875)-n° 14 (1882).— Journal of Education (Halifax), sept. 1866–avril 1870.— McMaster Univ. Monthly, 1 (1891–1892)–10(1900–1901), particulièrement E. M. Saunders, « Theodore Harding Rand », 2 : 2–9 [bio. écrite du vivant de Rand], et du même auteur, « Theodore Harding Rand », 10 : 2–9 [un hommage posthume].— N.-B., House of Assembly, Journal, 1872–1883.— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1864–1870, particulièrement 1870, app. 21–22.— Canadian Baptist (Toronto), 1885–1900.— Christian Messenger (Halifax), 1855–1884.— Margaret Conrad, « An abiding conviction of the paramount importance of Christian education » : Theodore Harding Rand as educator, 1860–1900 », An abiding conviction : Maritime Baptists and their world, R. S. Wilson, édit. (Hantsport, N.-É., 1988), 155–195.— C. M. Johnston, McMaster University (2 vol., Toronto et Buffalo, N. Y., 1976–1981), 1.— G. E. Levy, The Baptists of the Maritime provinces, 1753–1946 (Saint-Jean, N.-B., 1946).— R. S. Longley, Acadia University, 1838–1938 (Wolfville, 1939).— A. B. McKillop, A disciplined intelligence : critical inquiry and Canadian thought in the Victorian era (Montréal, 1979).— K. F. C. MacNaughton, The development of the theory and practice of education in New Brunswick, 1784–1900 : a study in historical background, A. G. Bailey, édit. (Fredericton, 1947).— Alison Prentice, The school promoters ; education and social class in mid-nineteenth century Upper Canada (Toronto, 1977).— G. H. Clarke, « Chancellor Theodore Harding Rand », Canadian Baptist, 1er oct. 1944.— A. F. Laidlaw, « Theodore Harding Rand », Journal of Education, [4e sér.], 15 (1944) : 207–218, 325–334.

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Margaret Conrad, « RAND, THEODORE HARDING », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rand_theodore_harding_12F.html.

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Auteur de l'article:    Margaret Conrad
Titre de l'article:    RAND, THEODORE HARDING
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    2 déc. 2024