PRINCE, JEAN-CHARLES, prêtre catholique, professeur, administrateur scolaire, rédacteur en chef et évêque, né le 13 février 1804 à Saint-Grégoire (Bécancour, Québec), fils de Jean Prince, cultivateur, et de Rosalie Bourg ; décédé le 5 mai 1860 à Saint-Hyacinthe, Bas-Canada.
Jean-Charles Prince fit ses études classiques au séminaire de Nicolet de 1813 à 1822. Il prit l’habit ecclésiastique en 1822. Tout en suivant des cours de théologie comme séminariste, il enseigna la rhétorique et les belles-lettres en 1823–1824. Durant l’année scolaire qui suivit, il fut chargé d’enseigner la philosophie au collège de Saint-Hyacinthe, puis revint au séminaire de Nicolet en 1825 à titre de professeur de rhétorique. Après son ordination célébrée le 23 septembre 1826, Prince fut appelé auprès de l’auxiliaire de l’archevêque de Québec à Montréal, Mgr Jean-Jacques Lartigue*, pour assumer diverses fonctions, dont celle de secrétaire. Il fut également nommé chapelain de l’église Saint-Jacques.
Après six années de collaboration active avec Lartigue, l’abbé Prince se vit attribuer, en 1831, la direction du collège de Saint-Hyacinthe (reconnu juridiquement sous le nom de séminaire de Saint-Hyacinthe en 1833). C’est là qu’il avait noué en 1825 de solides liens d’amitié avec quelques-uns de ses élèves, notamment avec Joseph La Rocque*, Joseph-Sabin Raymond* et Isaac-Stanislas Lesieur-Désaulniers*, tous trois appelés plus tard à assumer, à tour de rôle, la charge de supérieur du séminaire de Saint-Hyacinthe. À son arrivée au collège, le nouveau directeur se retrouva donc en pays de connaissance. C’est à travers sa correspondance avec Raymond en 1830 que l’on pourra constater à quel point Prince était acquis aux idées de Hugues-Félicité-Robert de La Mennais et comment il s’en faisait l’ardent défenseur auprès de son jeune disciple.
À partir de 1831 et jusqu’à la fin de son directorat, en 1840, la vie de Prince fut étroitement liée à celle de l’institution dont il prit la charge. Il y assuma, en plus du poste de directeur, les fonctions de préfet des études (1832–1839), de professeur de théologie (1831–1840) et de procureur. D’après le principal historien du séminaire de Saint-Hyacinthe, le chanoine Charles-Philippe Choquette*, la période durant laquelle Prince exerça son mandat fut témoin d’une phase de grande expansion pour le collège. Des travaux d’agrandissement et de réaménagement de l’édifice furent entrepris dès 1832.
Le collège dont Prince assumait la charge s’insérait dans un réseau social et politique qui, ajouté à sa situation géographique, pouvait le mettre difficilement à l’abri des remous liés aux événements de 1837–1838. À cet égard, les autorités et les membres du collège se trouvèrent plus d’une fois mêlés à des situations conflictuelles où leur comportement donna lieu à des interprétations diverses touchant leurs options politiques, ou du moins ce qui était perçu comme telles par les autorités gouvernementales et ecclésiastiques. De plus, le collège comptait parmi sa clientèle estudiantine des fils, neveux ou cousins de leaders patriotes notoires, tels Louis-Joseph Papineau*, Wolfred Nelson* et Jean Dessaulles*, dont certains avaient aussi des amis chez le personnel enseignant du collège. Comment s’étonner dès lors que Prince, et le collège avec lui, aient été étroitement surveillés par les autorités en place et plus d’une fois soupçonnés ou accusés de sympathie bienveillante à l’endroit des patriotes ?
Certains événements contribuèrent encore plus à accréditer les rumeurs qui circulaient en ce sens. C’est ainsi qu’en août 1833 Papineau, président de la chambre d’Assemblée et leader du parti patriote, eut droit à un accueil enthousiaste de la part des élèves lors d’une visite qu’il effectua au collège pour y voir son fils Lactance, alors pensionnaire. Or, les journaux propatriotes, tel l’Echo du pays de Saint-Charles-sur-Richelieu, ou progouvernementaux, comme l’Ami du peuple, de l’ordre et des lois de Montréal, n’entendirent pas passer l’événement sous silence, et le collège se trouva au centre d’une polémique brève mais bruyante. Elle reprit de plus belle quelques semaines plus tard à la suite d’une visite du gouverneur, lord Aylmer [Whitworth-Aylmer*]. Ayant décidé d’assister aux examens de fin d’année et à la remise des prix, celui-ci fut l’objet d’un accueil que d’aucuns jugèrent trop froid comparé à celui, tellement plus enthousiaste, qui avait été réservé quelque temps auparavant à Papineau. Dès lors, Prince fut entaché de partisanerie et tenu en suspicion à Québec.
Mais il était difficile, sinon impossible, d’observer une véritable neutralité à l’endroit des débats qui occupaient alors le devant de la scène politique au Bas-Canada. L’abbé Prince et son équipe devaient ménager à la fois la susceptibilité des autorités en place et la fierté nationaliste de certains notables patriotes. Si les premières représentaient le pouvoir légitime, les seconds n’en détenaient pas moins une proportion suffisante pour être en mesure d’exercer diverses formes de favoritisme. C’est Papineau qui fut à la source des subventions que le collège reçut du Parlement à partir de 1828. C’est encore grâce à l’appui de députés patriotes, tels Louis Bourdages*, Édouard-Étienne Rodier* et John Neilson*, que le collège obtint sa reconnaissance juridique par une loi votée en 1833. Ainsi, au delà des options politiques de ses membres, le séminaire ne pouvait ignorer les intérêts multiples qui le liaient aux hommes politiques du parti patriote. Prince allait dès lors se résigner aux soupçons et aux reproches émanant de l’archevêque de Québec, Mgr Joseph Signay, ou encore aux mises en garde, plus amicales cependant, qui provenaient de l’évêque de Montréal, Mgr Lartigue, et de son coadjuteur, Mgr Ignace Bourget*. Ce dernier lui écrivit en octobre 1837 : « Veillez bien sur vos Collaborateurs par rapport à leur conduite patriotique. La maison est, sur ce point, en mauvaise passe. »
Le 4 novembre 1837, plusieurs curés des paroisses voisines de Saint-Hyacinthe se réunirent au séminaire et exprimèrent leur appréhension face au mandement publié le 24 octobre par Lartigue, dans lequel celui-ci condamnait sévèrement toute forme d’opposition au pouvoir établi. Une résolution que se chargea de transmettre Prince à son évêque formulait le souhait de voir le clergé adresser une requête au gouvernement de Londres afin de demander justice pour les Canadiens français, tout en affirmant la loyauté de ce même clergé à l’endroit de la couronne britannique. Mgr Lartigue appuya le projet autant pour satisfaire les patriotes modérés que pour montrer que le clergé n’était pas l’instrument de Papineau. Prince recueillit les signatures nécessaires et se retrouva à la tête de la délégation chargée de transmettre la requête à Mgr Signay et au gouverneur, lord Gosford [Acheson*]. Quoique la requête ait été abandonnée au début de décembre après que Gosford l’eut jugée inopportune, elle fut remplacée quelques semaines plus tard par une autre, adressée cette fois à la reine, dans laquelle on réaffirmait la loyauté des Canadiens français à la suite de l’insurrection.
Au lendemain des batailles de Saint-Denis et de Saint-Charles-sur-Richelieu, le séminaire de Saint-Hyacinthe dut abriter pendant quelques jours 200 soldats et 6 officiers du colonel Charles Stephen Gore*. Mais au même moment, le séminaire cachait dans ses murs deux leaders patriotes en fuite, soit Thomas Boutillier* et Pierre-Claude Boucher* de La Bruère. Il semble que les soldats furent traités avec égard par leurs hôtes : « S’il faut cela pour prouver notre loyauté, écrit Prince, nous voilà les plus royalistes du monde. » Mais ceci ne suffit pas à épargner les autorités du séminaire des suspicions et des reproches. Prince dut se justifier à maintes reprises et affirmer bien haut la neutralité de son institution à l’égard des débats politiques en cours. En février 1838, Prince, Raymond et La Rocque acceptèrent même de rédiger conjointement un long « mémoire justificatif » pour se laver des soupçons qui continuaient de peser sur leurs options politiques. La tâche fut difficile, et Mgr Bourget en signala l’ampleur dans une lettre à Prince : « vous ne pouvez deviner tous les chefs d’accusation portés contre votre maison ».
Vers la fin de 1838, même si Prince s’inquiétait beaucoup de la situation pénible des résidents de Saint-Hyacinthe à la suite du « pillage » des troupes du major général sir James Macdonell, le séminaire et son directeur ne semblaient plus être au centre des polémiques relatives aux rébellions. Les deux dernières années du mandat de l’abbé Prince furent par ailleurs fertiles en remaniements et en innovations sur le plan pédagogique. C’est ainsi qu’il supprima les longs examens publics de fin d’année, encouragea l’expansion de la bibliothèque du séminaire et dota à la même époque le laboratoire de physique de nouveaux appareils.
En 1840, Mgr Bourget, qui succédait à Lartigue comme évêque de Montréal, décida d’appeler auprès de lui l’abbé Prince. Parmi les multiples tâches qu’il entendait lui confier figurait la fondation d’un journal religieux qui serait le porte-parole du clergé et qui se chargerait d’interpréter les idées et les événements contemporains à la lumière d’une stricte orthodoxie religieuse. Le projet, déjà formulé par Lartigue en 1827, avait dû être mis au rancart après s’être buté à une résistance tenace de la part des autorités ecclésiastiques de Québec. Bourget voulut concrétiser, en 1840, un projet qui semblait lui tenir à cœur autant que son prédécesseur. C’est ainsi que les Mélanges religieux verront le jour. Le 21 novembre 1840, paraissait un prospectus du futur journal, où on annonçait en ces termes les objectifs poursuivis : « nous ferons de la Religion la base de tous nos enseignemens ; nous nous attacherons principalement à éclairer le peuple sur ses devoirs ». Quant à l’actualité profane, en particulier la politique, le prospectus spécifiait : « malgré l’utilité qu’elle présente, on sent que ce n’est que bien secondairement qu’elle peut entrer dans un semblable recueil ».
Ce que le responsable des Mélanges religieux ne livrait pas au public c’était ses appréhensions face à ce qu’il considérait comme une tâche trop lourde pour ses épaules. Il s’en ouvrira à plusieurs reprises dans sa correspondance avec ses anciens confrères du séminaire de Saint-Hyacinthe, auprès de qui il insistera pour obtenir une collaboration suivie à la rédaction du journal. Prince commença la publication, dès le 14 décembre 1840, d’un in-octavo de modeste apparence intitulé Prémices des Mélanges religieux. Étalée sur sept livraisons jusqu’au 20 janvier 1841, la publication s’attacha surtout à rendre compte de la retraite publique prêchée à Montréal, en décembre 1840, par Charles-Auguste-Marie-Joseph de Forbin-Janson*. Enfin, le 22 janvier 1841, le premier numéro des Mélanges religieux paraissait. Imprimé par Jacques-Alexis Plinguet, le journal était publié sous la direction de Prince, mais on apprendra plus tard que l’équipe de rédaction comprenait aussi les abbés Michael Power*, Antoine Manseau*, Hyacinthe Hudon* et Jean-Baptiste Saint-Germain*. La publication des Mélanges religieux incombera donc à Prince jusqu’au 10 novembre 1843, date à laquelle la propriété du journal changea de mains.
Les articles publiés dans les Mélanges religieux ne livraient que rarement l’identité de leurs auteurs qui, pour la plupart, observaient à cet égard le plus strict anonymat – norme d’ailleurs assez courante dans le monde journalistique du milieu du xixe siècle. Aussi est-il difficile d’identifier de façon précise la contribution de Prince à la rédaction, bien qu’on puisse supposer qu’elle ait dû être importante. Il est encore plus sûr que les thèses ultramontaines défendues par les Mélanges religieux étaient entièrement assumées par celui qui dirigea le journal pendant presque trois ans. Prince fut, avec les Mélanges religieux, l’un des promoteurs de l’idéologie ultramontaine au Bas-Canada [V. François-Xavier-Anselme Trudel*].
Durant son mandat à la tête des Mélanges religieux, Prince, devenu chanoine du chapitre de la cathédrale, assuma également diverses responsabilités que lui confia Mgr Bourget. C’est ainsi qu’il fut nommé en 1841 aumônier de l’Asile de Montréal pour les femmes âgées et infirmes, établissement fondé par un groupe de dames bénévoles dont faisait partie Émilie Tavernier. Deux ans plus tard, il contribua à la formation des novices qui constitueront la communauté des Filles de la charité, servantes des pauvres. En 1841, l’évêque de Montréal lui avait assigné également la fonction de premier aumônier des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame et des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph de l’Hôtel-Dieu de Montréal, avec la tâche d’accompagner un contingent de la première communauté à Kingston, dans le Haut-Canada, à la demande de l’évêque de ce diocèse, Mgr Rémi Gaulin. Prince partit pour Kingston le 19 novembre et y demeura un an. En plus d’aider les sœurs à s’installer et de s’occuper des préparatifs pour recevoir quelques hospitalières de Saint-Joseph, il desservit les Canadiens français de la région et étudia l’anglais.
En 1842, l’évêque de Montréal, qui semblait priser l’aide et l’efficacité du chanoine Prince, adressa à Rome une requête afin que celui-ci soit nommé son coadjuteur. Malgré l’opposition manifestée par les sulpiciens de Montréal, Mgr Bourget vit finalement sa requête exaucée. Le 5 juillet 1844, Prince fut nommé évêque de Martyropolis et coadjuteur de l’évêque de Montréal. Il fut consacré le 25 juillet 1845 par Bourget assisté de Power et de l’évêque Pierre-Flavien Turgeon*.
À titre de nouveau coadjuteur, Prince fut chargé d’administrer le diocèse de Montréal durant le second voyage de Mgr Bourget à Rome en 1846 et 1847. Il y sera envoyé lui-même en octobre 1851, délégué par le premier concile provincial de Québec pour solliciter du pape Pie IX l’approbation des actes du concile. Le coadjuteur de Montréal était également porteur de la demande formulée par le concile visant à établir deux nouveaux diocèses, Saint-Hyacinthe et Trois-Rivières, et à obtenir sa nomination à la tête de l’évêché de Saint-Hyacinthe, laquelle fut confirmée le 8 juin 1852, alors que Prince était encore à Rome.
De retour au pays, Mgr Prince prit possession de sa charge le 3 novembre 1852. Le nouvel évêque allait d’ailleurs mettre souvent à contribution les ressources du séminaire de Saint-Hyacinthe. Il décida de nommer l’abbé Raymond, alors supérieur du séminaire, vicaire général. Un an plus tard, il acquit à prix avantageux, semble-t-il, la bâtisse de ce qu’on appelait « le vieux collège » depuis que le séminaire avait fait construire un édifice plus vaste. Transformé par les soins de Prince en palais épiscopal et en chapelle cathédrale, le vieux collège devait réserver cependant à son nouvel acquéreur une immense déception, puisqu’il fut détruit par un violent incendie le 17 mai 1854.
Durant les années de son mandat épiscopal à Saint-Hyacinthe, Prince fonda une vingtaine de paroisses et ordonna 40 prêtres. Très soucieux de l’état spirituel des catholiques disséminés parmi les protestants des Cantons-de-l’Est, il leur rendit de fréquentes visites pastorales et ouvrit plusieurs missions dans la région. Il s’occupa également d’augmenter le nombre d’enseignants. Lors de son voyage en Europe, il recruta des membres de la communauté des Sœurs de la Présentation de Marie pour s’occuper de l’éducation des jeunes filles. À sa mort, les religieuses dirigeaient cinq couvents, y compris le premier établi à Sainte-Marie-de-Monnoir (Marieville) en 1853. Il fit également des démarches pour assurer la fondation d’une communauté de dominicains et de frères enseignants à Saint-Hyacinthe.
Le 5 mai 1860, Jean-Charles Prince, premier évêque de Saint-Hyacinthe, mourait à l’âge de 56 ans des suites d’une maladie dont il souffrait depuis plusieurs années.
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Nadia Fahmy-Eid, « PRINCE, JEAN-CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/prince_jean_charles_8F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/prince_jean_charles_8F.html |
Auteur de l'article: | Nadia Fahmy-Eid |
Titre de l'article: | PRINCE, JEAN-CHARLES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |