POIRIER, PASCAL, fonctionnaire, auteur, historien, avocat et homme politique, baptisé le 16 février 1852 à Grande-Digue, Nouveau-Brunswick, fils de Simon Poirier et d’Henriette Arsenault ; le 9 janvier 1879, il épousa dans la paroisse Saint-Jacques, Montréal, Anna-Marie Lusignan (décédée le 17 novembre 1913), et ils eurent un enfant mort-né, puis le 9 janvier 1917, dans la paroisse Sacré-Cœur, Ottawa, Mathilde Casgrain, et de ce mariage ne naquit aucun enfant ; décédé le 25 septembre 1933 à Carleton County (Ottawa) et inhumé trois jours plus tard à Shédiac, Nouveau-Brunswick.

Cadet d’une famille de 12 enfants, Pascal Poirier grandit à Shédiac, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. De 1866 à 1872, il fait ses études classiques au collège Saint-Joseph de Memramcook, formation qui, selon ses dires, sera déterminante. C’est grâce à l’intervention de Camille Lefebvre*, fondateur du collège, que Poirier devient, en 1872, maître de poste à la Chambre des communes, à Ottawa. En 1898, il publiera la biographie du père Lefebvre, dont l’influence est pour lui décisive. Il est admis au Barreau de la province de Québec en 1877, puis au barreau du Nouveau-Brunswick en 1887. Il pratique le droit pendant au moins quelques années dans sa province natale.

Les études de Poirier ont coïncidé avec un moment important de l’histoire acadienne, celui de « la renaissance de la nation acadienne » [V. Stanislas-Joseph Doucet* ; Gilbert-Anselme Girouard* ; Marcel-François Richard*], dont il sera l’un des acteurs primordiaux. Pendant les années 1870 et 1880, sous diverses influences, Poirier développe son intérêt pour le passé acadien. Le père Lefebvre l’encourage vivement à écrire et à donner des conférences sur ce sujet. Comme ses contemporains Philéas-Frédéric Bourgeois* et Placide Gaudet*, Poirier est de plus empreint de l’œuvre de François-Edme Rameau de Saint-Père, sociologue français qu’il admire. Dès 1874, il se fait connaître comme historien en publiant Origine des Acadiens, premier ouvrage d’histoire acadienne rédigé par un Acadien des Maritimes. Ce livre constitue, dans une certaine mesure, une réaction aux recherches de Rameau de Saint-Père. Il comporte toutefois certaines gaucheries. Poirier tente, par exemple, d’y convaincre son lectorat que, contrairement à ce que prétendent Rameau de Saint-Père puis, à sa suite, l’historien Benjamin Sulte*, il n’y a jamais eu de métissage entre les communautés autochtones et les Acadiens.

Durant les années 1880, Poirier prend également conscience de l’absence de représentant acadien au Sénat. En 1884, quand un siège du Nouveau-Brunswick devient vacant, il y voit, comme d’autres membres de l’élite acadienne [V. sir Pierre-Amand Landry*], l’occasion de remédier à la situation. Il exerce de la pression auprès du premier ministre conservateur sir John Alexander Macdonald*, allant même jusqu’à lui écrire. Il lui souligne que les Acadiens s’attendent à voir l’un des leurs nommé sénateur et lui rappelle l’élection de candidats conservateurs dans des circonscriptions acadiennes. Il lui signale que, s’il n’y avait pas de nomination acadienne, les Acadiens seraient extrêmement déçus. En 1885, le gouvernement Macdonald désigne Poirier sénateur, qui, à ce titre, représentera l’Acadie et le Nouveau-Brunswick jusqu’à sa mort. D’allégeance politique conservatrice, ce dernier a ainsi l’honneur de devenir le premier Acadien à occuper cette fonction. Il quitte son emploi de maître de poste et s’établit à Shédiac.

De manière générale, Poirier n’est pas l’un des plus influents sénateurs : il ne marquera ni l’histoire du Parti conservateur ni celle du Sénat. Il intervient néanmoins à diverses occasions. Dès 1890, il réclame une réforme du processus de nomination des sénateurs. Il trouve inconcevable que ceux-ci ne soient pas élus démocratiquement et que les assemblées législatives provinciales ne puissent prendre part à leur sélection. Il propose une modification à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique afin qu’une grande partie des sénateurs soient nommés, en cas de vacance, par ces assemblées. La motion est retirée la même année, à la suite d’un accueil plutôt froid.

Certaines des interventions de Poirier au Sénat se distinguent par leur originalité. Le rapport des êtres humains avec la nature l’interpelle. En 1894, il réclame que l’on considère comme responsables de la pollution des rivières les compagnies de l’industrie du bois qui y déversent leurs sciures. Il est également préoccupé par les ressources naturelles dans le Grand Nord canadien. Il recommande à maintes reprises (en 1907, par exemple) l’exploration de l’Arctique canadien et l’appropriation territoriale officielle de certaines zones par le Canada. Il est par ailleurs membre et président de la Société de minéralogie de l’université d’Ottawa. Plusieurs de ses écrits – comme son Voyage aux Îles-Madeleine – contiennent leur lot de descriptions géographiques et géologiques.

Poirier prend part au débat sur la question des écoles francophones en traitant du sujet au Sénat, notamment en 1915, et sur la place publique. Ses prises de position – parfois motivées par des préoccupations linguistiques comme la menace de l’assimilation – l’amènent souvent à recommander aux francophones de faire davantage preuve de modération ; à quelques occasions, des membres des élites acadiennes et canadiennes-françaises critiquent vertement ces appels. Dans ce débat, Poirier souhaite avant tout un retour à la paix sociale. En 1917, à contre-courant de la plupart de ses collègues francophones, il appuie la conscription. En Chambre haute, il déclare : « Mais du moment que mon pays est attaqué, que tout ce qui m’est cher ici-bas est menacé de destruction ; du moment que les pays que j’aime sont envahis eux aussi et menacés de destruction ; du moment que la démocratie et la liberté sont en jeu ; du moment que le sort de la civilisation est en suspens : je mets de côté ma profession de foi pacifique et aux sons de la “Marseillaise” je crie : “Aux armes citoyens !” »

Poirier a participé activement à l’organisation et à la tenue, en 1881, de la première Convention nationale des Acadiens ; il fera de même à la deuxième (1884) et à la troisième (1890). Le manque d’unité et l’éparpillement des Acadiens sont flagrants, selon lui. Dans ses mémoires publiés dans les Cahiers de la Société historique acadienne, Poirier écrit : « C’était la première fois, depuis le grand dérangement, que les tronçons épars de notre race se trouvaient réunis […] Nous étions des enfants d’une même famille qui ne se connaissaient pas, des étrangers les uns aux autres. On s’abordait avec curiosité, surtout avec émotion. » Ses interventions comptent parmi les plus importantes de ces conventions, événements déterminants dans la formation d’une référence collective acadienne à la fin du xixe siècle.

L’un des principaux enjeux de la première Convention nationale des Acadiens, qui a lieu à Memramcook, est le choix d’une fête nationale. On hésite entre la fête de saint Jean-Baptiste, le 24 juin, qui symboliserait certainement un rapprochement avec le Canada français, et celle de l’Assomption, le 15 août, qui montrerait une plus grande autonomie identitaire et nationale pour les Acadiens. Poirier se prononce pour la fête de l’Assomption, prise de position importante qui traduit bien une conception plus affirmative et autonomiste du nationalisme acadien de l’époque ; c’est d’ailleurs cette date qu’adoptera l’assemblée. Selon lui, malgré l’affinité évidente des Canadiens français avec les Acadiens – il parle d’une « véritable amitié » entre les deux groupes –, l’Acadie forme une nation à part entière, au même titre que le Canada français. Durant la deuxième convention, tenue à Miscouche, à l’Île-du-Prince-Édouard, Poirier appuie la proposition de l’abbé Marcel-François Richard pour adopter l’Ave maris stella comme hymne national acadien.

C’est lors de la troisième convention, à Church Point, en Nouvelle-Écosse, que Poirier devient le premier président de la Société nationale l’Assomption, organisation vouée à la défense et à la promotion des intérêts nationaux des Acadiens. À ce titre, aux côtés de Pierre-Amand Landry, juge à la Cour suprême du Nouveau-Brunswick et secrétaire de la société, Poirier investit des efforts substantiels dans le processus de nomination d’un premier évêque acadien dans les Maritimes ; ce sera, en 1900, l’objet principal des discussions de la quatrième convention, à Arichat, en Nouvelle-Écosse. Il doit cependant quitter son poste de président en 1904 pour ne pas nuire à cette cause et pour préserver la réputation de l’organisme, particulièrement face au clergé catholique. Formulée l’année précédente, sa critique de la qualité de l’enseignement donné dans les collèges catholiques francophones lui a en effet valu d’être perçu comme un ennemi de l’Église par certaines personnes (notamment par Bourgeois). Un Acadien, Mgr Édouard-Alfred Le Blanc, accédera à l’épiscopat quelques années plus tard, en 1912, en devenant évêque de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Poirier s’implique dans les conventions suivantes. Il est très actif durant la cinquième, tenue à Caraquet en 1905, dont l’éducation, enjeu important pour le sénateur, constitue l’un des thèmes majeurs. On souligne le retour de Poirier comme président de la Société nationale l’Assomption à la septième convention, qui a lieu à Tignish, à l’Île-du-Prince-Édouard, en 1913 [V. François-Joseph Buote*]. Il le demeurera jusqu’en 1921.

La carrière intellectuelle de Poirier s’est élargie au fil des ans. Plusieurs le considèrent comme l’un des premiers historiens acadiens ou comme l’un des premiers hommes de lettres acadiens. La littérature, le théâtre et la linguistique, comme en témoigne le Parler franco-acadien et ses origines, étude publiée en 1928, figurent parmi ses intérêts. Ses écrits touchent aussi la poésie, la politique et la géologie. L’héritage littéraire, historique et intellectuel de Poirier est sans égal pour son époque. Pour l’Acadie, cet érudit de première importance marque les débuts d’une culture intellectuelle qui lui est propre. Personnalité engagée, il croit que l’avancement de l’Acadie passe certes par la mémoire et la culture, mais également par l’investissement dans les instances importantes : politique, sociétés nationales, médias, Église catholique. La vie de Poirier incarne cette pluralité d’engagements, miroir sans doute des défis à relever par les Acadiens. En cela, son parcours diffère de celui d’autres figures de proue du nationalisme acadien contemporaines. Mgr Richard, par exemple, compte assurément parmi les plus ardents défenseurs de l’Acadie, mais ses actions se situent principalement dans le giron de l’Église ; de plus, selon lui, le progrès acadien passe surtout par l’Église, l’éducation et la colonisation. En ce sens, Poirier entretient une vision plus globale.

Pascal Poirier meurt en fonction en 1933 à la suite d’une thrombose coronarienne. De son vivant, le gouvernement français l’a fait chevalier de la Légion d’honneur en 1902 et lui a décerné l’ordre des Palmes académiques. L’Alliance française de Paris lui a remis la médaille d’or en 1929. Il s’est joint à différentes organisations de haut prestige, dont la Société royale du Canada à partir de 1899. Par son implication dans les Conventions nationales des Acadiens, Poirier a été une figure identitaire acadienne marquante. Fonctionnaire, puis sénateur, personnage actif au sein des sphères publique, politique et intellectuelle, il s’est prononcé régulièrement sur les enjeux acadiens. Poirier a su incarner, peut-être même mieux encore que le nationaliste Mgr Richard, les défis de l’Acadie de son époque.

Julien Massicotte

Pascal Poirier est notamment l’auteur de : Origine des Acadiens (Montréal, 1874) ; le Père Lefebvre et l’Acadie (Montréal, 1898) ; Institut canadien-français d’Ottawa : réminiscences (Ottawa, 1908) ; Des Acadiens déportés à Boston, en 1755 : (un épisode du Grand Dérangement) (Ottawa, 1909) ; Voyage aux Îles-Madeleine (s.l., [1916 ?]) ; le Parler franco-acadien et ses origines (Québec, 1928) ; « Mémoires de Pascal Poirier », Soc. hist. acadienne, Cahiers (Moncton, N.-B.), 4 (1971–1973) : 94–135 ; Causerie memramcookienne, P.-M. Gérin, édit. (Moncton, 1990) ; le Glossaire acadien, P.-M. Gérin, édit. (Moncton, 1993) ; les Acadiens à Philadelphie, suivi de Accordailles de Gabriel et d’Évangéline (Moncton, 1998).

Le document suivant comporte une liste plus complète de ses écrits : Yolande Doucet, Bibliographie de l’œuvre de Pascal Poirier, premier sénateur acadien, précédée d’une étude biographique ([Montréal, 1941]).

AO, RG 80-8-0-462, no 11308.— APNB, RS141C4, F18731, 17 nov. 1913 (mfm).— BAnQ-CAM, CE601-S1, 9 janv. 1879.— Centre d’études acadiennes, univ. de Moncton, Fonds Pascal-Poirier, 6.— FD, Sacré-Cœur (Ottawa), 9 janv. 1917 ; Visitation (Grande-Digue, N.-B.), 16 févr. 1852.— Le Devoir, 26–27 sept. 1933.— Le Moniteur acadien (Shédiac, N.-B.), 1er juill. 1892.— BCF, 1930 : 486.— Gérard Beaulieu, « Pascal Poirier : notes biographiques », Soc. hist. acadienne, Cahiers, 4 : 92–93.— Canada, Sénat, Débats, 1890–1917.— Conventions nationales des Acadiens, Recueil des travaux et délibérations des six premières conventions, F.-J. Robidoux, compil. (Shédiac, 1907).— Deborah Robichaud, « les Conventions nationales (1890–1913) : la Société nationale l’Assomption et son discours », Soc. hist. acadienne, Cahiers, 12 (1981) : 36–58.— Léon Thériault, « l’Acadie de 1763 à 1990 : synthèse historique », dans l’Acadie des Maritimes : études thématiques des débuts à nos jours, sous la dir. de Jean Daigle (Moncton, 1993), 45–91.

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Julien Massicotte, « POIRIER, PASCAL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/poirier_pascal_16F.html.

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Auteur de l'article:    Julien Massicotte
Titre de l'article:    POIRIER, PASCAL
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2020
Année de la révision:    2020
Date de consultation:    11 nov. 2024