PERRY, PETER, homme politique et homme d’affaires, né le 14 novembre 1792 à Ernestown (Bath, Ontario), dernier enfant de Robert Perry et de Jemima Gary Washburn ; le 19 juin 1814, il épousa Mary Polly Ham, et ils eurent sept filles et deux fils ; décédé le 24 août 1851 à Saratoga Springs, New York, et inhumé près d’Oshawa, Haut-Canada.
L’histoire nord-américaine de la famille Perry commence avec Anthony Perry, qui partit d’Angleterre pour immigrer au Massachusetts en 1640. Loyaliste venu s’installer au Vermont en 1772, le père de Peter Perry se joignit, pendant la Révolution américaine, aux Queen’s Loyal Rangers et aux Jessup’s Rangers [V. Edward Jessup*], puis il vint s’établir plus tard dans le canton no 2 (canton d’Ernestown). Peter grandit là, sur la ferme de son père, épousa Mary Polly Ham, fille du loyaliste John Ham, et s’établit non loin, dans le canton de Fredericksburg (cantons de North Fredericksburg et de South Fredericksburg).
L’engagement politique n’était pas nouveau dans la famille Perry : un oncle de Peter, Ebenezer Washburn*, s’était déjà fait connaître pour son franc-parler comme député à la chambre d’Assemblée. Perry, pour sa part, fit sa première apparition sur la scène publique du Haut-Canada en janvier 1819 : il fut l’un des quelque 200 hommes du canton d’Ernestown à signer, à l’intention du lieutenant-gouverneur, sir Peregrine Maitland, une adresse désavouant la conduite de Robert Gourlay* et dénonçant la critique qu’il avait soulevée à l’endroit du gouvernement, en particulier parmi les immigrants américains de fraîche date. Cette adresse était conforme à la tradition politique loyaliste que Perry avait héritée et qu’il devait conserver tout au long des plus importantes années de sa carrière. Il accepta les concessions foncières qui lui étaient dues en reconnaissance de la décision prise par son père de demeurer loyal envers la couronne et rappela à maintes reprises cette décision comme preuve de sa propre adhésion à la constitution britannique et de sa volonté de maintenir le Haut-Canada dans l’Empire.
Mais Perry avait hérité plus que la loyauté. Il était un Nord-Américain dont la famille était établie au Nouveau Monde depuis déjà six générations. Son attachement à la couronne et à la constitution n’avait rien de sentimental ou de nostalgique, comme c’était le cas chez les récents immigrants britanniques ; il n’avait rien à voir non plus avec l’idéologie politique tory. Perry était un démocrate égalitariste, soucieux d’abord et avant tout des droits et intérêts des gens du Haut-Canada. Il ne craignait pas l’influence américaine et, s’il était prêt à défendre la constitution contre les « préjugés » des colons d’origine américaine, il ne croyait pas indiqué de les pénaliser pour en avoir fait montre. Ce fut donc son intérêt pour la question des non-naturalisés [V. sir Peregrine Maitland] qui l’amena à la politique.
En 1823, Perry s’éleva contre ceux qui avaient refusé la candidature de Marshall Spring Bidwell* à l’élection partielle dans la circonscription de Lennox and Addington. Le Kingston Chronicle écrirait plus tard que, le jour du scrutin, Perry s’adressa à la foule, « d’une haute fenêtre », soutenant mais sans succès qu’on avait procédé illégalement et privé des sujets britanniques de l’exercice de leurs droits. Néanmoins, lors des élections générales de l’année suivante, Perry, réformiste ; se joignit à Bidwell comme candidat dans la circonscription. Les deux hommes, qui avaient chacun des antécédents américains, remportèrent le scrutin et, en janvier 1825, entrèrent à la chambre d’Assemblée. Leur association politique – résultat de leur complémentarité – dura jusqu’à leur défaite commune, 11 ans plus tard ; leur amitié ne s’éteignit qu’avec la mort de Perry.
Par suite de ces élections, l’Assemblée se trouva partagée entre une faible majorité de réformistes et une minorité de conservateurs dirigée avec un talent consommé par le procureur général John Beverley Robinson*. Cette fin des années 1820 fut, pour le parti réformiste naissant, une des meilleures périodes : avec optimisme et enthousiasme, ses membres s’attelèrent à la tâche de réorganiser la société coloniale. Ce faisant, ils développèrent une solidarité qui les amena à souligner chaque victoire législative remportée à la chambre par un abandon total du décorum : debout, agitant leur chapeau, ils applaudissaient à tout rompre.
Perry cadrait bien dans ce décor. N’ayant pas fait d’études poussées, il ne parsemait pas ses discours de citations de la Bible ou de références aux classiques. Directs, faisant parfois appel à l’émotion, souvent animés par des allusions simples mais pleines d’imagination à la vie quotidienne des habitants du Haut-Canada, ses discours révèlent un homme énergique, parfois arrogant, tellement convaincu de la pureté de ses motifs qu’il en tirait un certain orgueil. Il se voyait comme le porte-parole des gens du peuple et le défenseur de leurs droits. Ces gens-là, disait-il, avaient autant de talent et étaient aussi capables que n’importe qui d’autre ; pour le prouver, il fallait seulement leur permettre, « par l’instruction, de porter leurs fruits ».
Le Haut-Canada était d’abord, pour Perry, une société de modestes producteurs agricoles et, dans les derniers temps, de petits producteurs industriels. Le peuple, dont les agriculteurs formaient le groupe le plus important, était, croyait-il, la source de toute souveraineté politique. Pour témoigner des droits et intérêts des gens du peuple et pour les protéger, la société du Haut-Canada devait être démocratique et égalitaire. Il s’opposait par conséquent aux élites de toutes sortes, estimant que le gouvernement de la colonie devait les décourager avec énergie. Ainsi, au milieu des années 1830, il s’éleva contre l’« immense pouvoir » que détenait la Bank of Upper Canada [V. William Allan] et soutint qu’on devrait exiger des administrateurs de banque en général qu’ils garantissent les dépôts par leurs biens personnels. Lorsque des chartes furent accordées aux premiers chemins de fer du Haut-Canada, en 1836, il tenta de les faire modifier afin que le gouvernement puisse acquérir les entreprises après 50 ans. De même, il préconisait que les gens de la région dirigent leurs affaires et prônait un système politique décentralisé, où les fonctionnaires des cantons seraient élus au scrutin secret. À un palier supérieur, il était prêt à affirmer la primauté des intérêts économiques et politiques de la colonie sur ceux de la Grande-Bretagne et des États-Unis.
La participation de Perry aux affaires de l’Assemblée dès janvier 1825 le fit connaître comme un réformiste inattaquable. Il soumit ou appuya les propositions ou vota en faveur des projets de loi – adoptés à maintes reprises par la chambre mais toujours rejetés par le Conseil législatif – qui, ensemble, définissaient l’identité du parti. Sur la question des non-naturalisés, il se prononça toujours pour l’abolition de toutes les restrictions aux droits civiques des colons d’origine américaine et voulait même que le gouvernement de la colonie favorise davantage l’immigration en provenance des États-Unis. Il vota pour l’abolition de la succession par ordre de primogéniture dans le cas de personnes mourant sans testament, pour l’abolition de l’emprisonnement pour dettes, pour l’assistance judiciaire des accusés et pour l’abrogation du Sedition Act de 1804. En demandant que le juge en chef de la colonie se retire du Conseil exécutif, il voulait effacer tout doute quant à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il fut l’un des rares députés qui, dans l’intérêt des fermiers contribuables, s’opposèrent, mais en vain, à ce que le gouvernement prête à la Welland Canal Company. Il appuya, encore sans succès, des propositions visant à transférer de Londres à York (Toronto) la direction du commerce de la colonie avec les États-Unis et à imposer un droit protecteur sur les importations de bétail en provenance de ce pays.
De toutes les questions soulevées à l’Assemblée, ce furent celles, complexes, des relations entre l’Église et l’État qui retinrent le plus l’attention de Perry. De famille méthodiste, marié par un ministre presbytérien, Robert McDowall*, Perry n’avait toutefois aucune appartenance confessionnelle. Il croyait en ce qu’il appelait une « religion pure et sans tache », un christianisme humble et dépouillé qui, idéalement, serait enseigné par des pasteurs enthousiastes, soutenus financièrement par leurs fidèles et ne se préoccupant que du salut des âmes. Il favorisait en fait l’application, en matière religieuse, des principes de la société égalitaire.
Dans le Haut-Canada, la situation était cependant tout à fait différente. Comme l’Église d’Angleterre était l’Église officielle, l’inégalité religieuse et sociale était garantie par la loi. Les anglicans constituaient une élite dont, dès ses premiers jours à la chambre, Perry tenta de restreindre les prétentions. Il vota constamment pour la sécularisation des réserves du clergé, insistant pour qu’elles soient vendues et que le produit de cette vente soit consacré à des travaux internes ou à l’éducation populaire. Il appuya des propositions et prépara des adresses aux autorités impériales pour demander le retrait de tous les ecclésiastiques des Conseils législatif et exécutif. Convaincu que le King’s College d’York, avec sa charte exclusive, était destiné à former une oligarchie instruite qui opprimerait les gens du peuple, il était déterminé à faire rayer de la charte tout élément répréhensible. Perry ne remporta dans la plupart des cas que de maigres succès au chapitre de la réforme religieuse. Mais il y eut une exception. À chaque session de l’Assemblée de la fin des années 1820, Perry déposa ou appuya un projet de loi visant à permettre aux ministres de toutes les confessions légalement reconnues de célébrer les mariages. Ce projet de loi fut défait au Conseil législatif jusqu’à la session de 1829. Cette année-là toutefois, la mesure qu’il avait proposée fut adoptée par les deux chambres et, après avoir été mise en réserve par le lieutenant-gouverneur, sir John Colborne*, elle acquit force de loi en 1831. C’est là la plus importante mesure législative à laquelle il fut associé.
Réélu en 1828, 1830 et 1834, Perry faisait partie de la chambre d’Assemblée à l’époque où la constitution politique de la colonie commença à s’effriter. Pendant ces années houleuses, il ne chercha pas à changer la constitution mais s’efforça plutôt, désespérément, de la rendre applicable. Il accepta les résultats des élections de 1830, qui réduisaient les réformistes à un petit groupe, et, contrairement à William Lyon Mackenzie*, réussit à s’accommoder de la vague généralement conservatrice qui s’ensuivit. Pendant toutes les sessions de la onzième législature (1831–1834), la « minorité glorieuse », bien que défaite des dizaines de fois, critiqua sans relâche les propositions de la majorité conservatrice et déposa, parfois avec succès, ses propres propositions et projets de loi. En 1831, une proposition demandant la suppression du privilège de l’Eglise d’Angleterre contenu dans la charte du King’s College fut approuvée par une forte majorité. L’Assemblée accepta également de mettre fin à la rémunération de son aumônier anglican. Elle adopta le projet de loi sur l’assistance judiciaire aux accusés, et la majorité souscrivit aux modifications à la loi sur la diffamation que les réformistes avaient pu approuver ; aucune de ces mesures, cependant, ne reçut l’assentiment royal à ce moment. En 1834, il était question que le gouvernement impérial rejette la récente loi sur les banques [V. William Allan], et, à cette époque, les députés adoptèrent presque à l’unanimité la proposition de Bidwell, appuyée par Perry, affirmant sans ambiguïté l’autonomie de la colonie contre l’ingérence de l’Empire. Il y eut d’autres victoires mineures.
Ces victoires, conjuguées au triomphe des réformistes aux élections de 1834, amenèrent Perry à se montrer, à certains moments, assez optimiste quant au progrès de la réforme. Néanmoins, il est évident que dès 1835 la constitution politique du Haut-Canada était près de s’effondrer. L’équilibre des pouvoirs dans la colonie ne pouvait s’appliquer que dans un climat de modération, où l’on éviterait la controverse et rendrait possible la collaboration entre l’Assemblée élue, le Conseil législatif, dont les membres étaient nommés, et le lieutenant-gouverneur. Mais ce fut plutôt le contraire qui se produisit : une polarisation politique qui aboutit, au printemps de 1836, à la démission de Robert Baldwin et des autres conseillers exécutifs, en guise de protestation contre les mesures prises par le nouveau lieutenant-gouverneur, sir Francis Bond Head*.
Le conflit entre Mackenzie et la majorité conservatrice de l’Assemblée fut l’une des causes de cette polarisation. Or Mackenzie posait de sérieux problèmes à Perry. D’une part, ayant tous les deux des idées semblables sur le genre de société qu’ils voulaient établir dans le Haut-Canada, ils pouvaient collaborer ensemble à de nombreuses mesures législatives. En outre, à partir de la première expulsion de Mackenzie, en 1831, jusqu’à la dissolution de l’Assemblée, en 1834, Perry et Bidwell défendirent à plusieurs reprises Mackenzie à la chambre et demandèrent instamment à ses adversaires de ne pas le traiter aussi durement. Pendant la session de 1835, Perry vota pour que le compte rendu des expulsions soit enlevé du journal de la chambre et alla même jusqu’à déclarer que ce compte rendu devrait être brûlé sur la place publique par le bourreau.
Perry désapprouvait toutefois, comme Bidwell, la « violence occasionnelle » dont Mackenzie faisait preuve, son manque de modération, son intransigeance, et c’est pour cette raison qu’il en vint à se dissocier de lui. Il le fit pour un autre motif également : Mackenzie était trop disposé à s’écarter de la constitution britannique. Perry se consacrait tout autant que Mackenzie à la réforme, mais il était convaincu de pouvoir la réaliser à l’intérieur du cadre constitutionnel établi. Il ne pouvait donc pas accepter, comme Mackenzie le proposait, le principe du Conseil législatif électif : c’eût été modifier gravement la constitution, à la défense de laquelle son père avait tout sacrifié, « sauf sa vie ». Lorsqu’il étudia la question pendant la session de 1835, à titre de président d’un comité spécial chargé d’enquêter sur les Conseils législatif et exécutif, il évita soigneusement de recommander qu’on étende le principe de l’élection à la Chambre haute. Pour mettre fin à l’impasse où se trouvaient les deux chambres, il pria simplement les autorités impériales de changer la composition du Conseil législatif.
Au début de la session de 1836, Perry ne s’interrogeait plus sur la question de la Chambre haute mais se penchait plutôt sur une formule de gouvernement responsable. Dans une modification qu’il proposait à l’adresse en réponse au discours du trône, il émit l’opinion que la constitution britannique était mal appliquée dans la colonie. Il compara à cette fin la convention voulant qu’à Londres, « seuls les hommes qui [avaient] la confiance du peuple, exprimée par leurs représentants », pouvaient être nommés au Conseil, et la situation qui prévalait dans le Haut-Canada, où les charges de « confiance, les distinctions ou l’indemnité parlementaire », depuis les nominations au Conseil exécutif jusqu’aux postes d’officiers de milice, étaient « accordées en fonction des affinités politiques ». Cette façon de faire, disait Perry, était absolument contraire à la constitution.
L’Assemblée ayant rejeté sa modification pour s’en tenir à une déclaration plus générale, l’affaire en resta là. Mais lorsque le Conseil exécutif démissionna, le samedi 12 mars, Perry souleva de nouveau la question. Dès le lundi, il proposait de préparer à l’intention de Head une adresse soutenant le principe du Conseil exécutif responsable et demandant des renseignements sur les démissions. La réponse du lieutenant-gouverneur et les documents connexes furent déposés à l’Assemblée deux jours plus tard, et Perry poursuivit sur sa lancée. Il proposa la création, sous sa présidence, d’un comité qui serait chargé de faire rapport sur les renseignements transmis à la chambre. Le lendemain, il présentait également une motion faisant état d’un « manque total de confiance » envers les quatre nouveaux conseillers nommés par Head : William Allan, Augustus Warren Baldwin*, John Elmsley* et Robert Baldwin Sullivan.
Perry présenta son rapport le 15 avril et, après un long débat, la chambre en vota l’acceptation le 18. Pour régler la crise, il proposait essentiellement que la constitution britannique soit intégralement appliquée dans le Haut-Canada, ce qui supposait que le lieutenant-gouverneur nomme au Conseil exécutif des personnes qui auraient la confiance de l’Assemblée, qu’il les consulte sur toutes les questions importantes et qu’il suive leurs conseils. De fait, comme ses critiques le soulignèrent tout de suite, Perry revendiquait que la colonie ait pleine autorité sur toutes ses affaires. Compte tenu de ses antécédents loyalistes et de l’insistance avec laquelle il avait rappelé sa foi dans le lien colonial, la solution à laquelle il était arrivé en 1836 réclame des éclaircissements.
Il semble que, fondamentalement, Perry n’ait pas vu que la crise était principalement attribuable à la contradiction qui existait entre les intérêts de la colonie et l’autorité impériale. D’après lui, il s’agissait d’une crise interne, précipitée par le comportement agressif de l’appareil exécutif du gouvernement. Il donnait deux exemples du peu de cas que le lieutenant-gouverneur avait fait des volontés populaires : les nominations de faveur et la création de rectories offerts à titre de dotation aux ministres anglicans. En outre, Head avait fait part à l’Assemblée de son intention d’agir désormais en toute liberté pour ce qui était des affaires de la colonie. Dans le contexte d’un équilibre des pouvoirs, Perry considéra cette attitude comme du despotisme. Il se tourna vers le principe de la responsabilité en tant que moyen de rétablir l’équilibre et, ainsi que les députés réformistes du Parlement britannique l’avaient fait au xviie siècle, recommanda de ne pas voter les subsides.
Bien que Perry se soit réjoui de la tenue d’élections en 1836 – de fait, il avait mis Head au défi d’en convoquer – Bidwell et lui perdirent leur siège au profit des conservateurs John Solomon Cartwright* et George Hill Detlor. À ce moment-là, la liste de ce qu’on reprochait à Perry était déjà impressionnante. Comme Mackenzie, il avait rompu avec Egerton Ryerson* et probablement perdu l’appui de certains méthodistes. La presse de Kingston l’avait accusé de se servir de sa situation de député pour obtenir, pour lui-même et ses amis, des nominations aux emplois gouvernementaux que l’Assemblée se proposait de créer. Perry était aussi un rand spéculateur de terres à titre de loyaliste et, à l’Assemblée, il avait été à la tête de mouvements qui tentaient de faire supprimer l’obligation de coloniser les terres. De même, en dépit de sa volonté de mettre entre Mackenzie et lui une certaine distance – il avait voté en 1836 contre l’adoption du Seventh report on grievances – leur association demeurait, pour plusieurs, trop étroite. En outre, la vigueur avec laquelle il avait dénoncé Head comme un fieffé menteur et un tyran qui placerait le Haut-Canada sous le « joug du despotisme » avait été vue par le Chronicle & Gazette de Kingston comme une insulte à la couronne et une menace pour le lien colonial.
Mais il y avait à cette réaction contre Perry un autre facteur qui était beaucoup plus important et, malheureusement, pour une bonne part indépendant de sa volonté. À l’époque où Bidwell et lui avaient été élus pour la première fois, la région de la baie de Quinte était la plus peuplée et la plus prospère de la colonie. Vers le milieu des années 1830 cependant, à cause du développement rapide qui s’était fait dans l’ouest de la province, elle semblait en pleine stagnation. Aucun homme politique ne pouvait faire grand-chose pour améliorer la situation, et celle-ci s’était encore détériorée, sur le plan politique, lorsque le Chronicle & Gazette avait prétendu, en 1834, que les nouveaux immigrants évitaient la région de la baie de Quinte à cause de la réputation de celle-ci d’abriter beaucoup de colons d’origine américaine ; pour rétablir la réputation de cette région, Perry et Bidwell devaient être défaits.
Après les élections, Perry se retira de la vie publique. On crut qu’il y reviendrait mais, de fait, il avait décidé de quitter la circonscription de Lennox and Addington pour se lancer dans une nouvelle carrière. À l’automne de 1836, il ouvrit un magasin général dans le canton de Whitby, sur la rive nord du lac Ontario. C’était là un excellent choix : le havre de la baie de Windsor, centre d’intérêt de la région, était devenu un port d’entrée en 1831, et Perry en avait reconnu tout le potentiel. Les ingénieurs gouvernementaux avaient déclaré en 1835 que, si on y apportait des améliorations, il deviendrait le meilleur port entre Toronto et Kingston. Au printemps de 1836, quelques jours avant de présenter son dernier rapport constitutionnel, Perry avait défendu lui-même devant la chambre un projet de loi qui accordait £9 000 pour des travaux dans le port ; ce projet de loi mourut au feuilleton lorsque Head annonça la dissolution de l’Assemblée et déclencha de nouvelles élections. Pendant quelques mois, au printemps et à l’été de 1838, Perry songea peut-être sérieusement à s’établir aux États-Unis. À ce moment-là, il faisait partie d’un groupe de réformistes qui avaient mis sur pied la Mississippi Emigration Society, et il avait été choisi président de cette organisation. Mais le grand exode des habitants du Haut-Canada ne se réalisa pas et Perry, décida en définitive de demeurer dans le canton de Whitby.
Les perspectives commerciales de Perry se fondaient sur le rôle que pouvait jouer le port dans l’activité commerciale de la vaste région qui s’étendait vers le nord, au moins jusqu’au lac Simcoe. Pour profiter de cet avantage, Perry avait déjà, dès les années 1840, construit des entrepôts ayant accès au quai gouvernemental. Son magasin général, situé légèrement au nord, dans le village de Windsor (Whitby) – qu’on appela plus tard Perry’s Corners –, était au centre de son entreprise. Il était aussi propriétaire d’un magasin à Port Perry, à l’extrémité ouest du lac Scugog. Au milieu des années 1840, Perry entreprit de convaincre le gouvernement de se porter acquéreur de la route menant du port de Windsor au lac Scugog et de l’améliorer. Cette route, le chemin Centre Line, était essentielle parce qu’elle amènerait l’activité commerciale de la région nord vers Windsor plutôt que vers sa rivale, Oshawa.
Non seulement la route fut-elle construite mais, en 1850, au nom d’une compagnie qu’il avait lui-même formée, Perry la racheta, de même que les installations portuaires de la baie de Windsor, à moins que la moitié du coût original. Il pouvait donc se permettre d’être optimiste quant à son avenir en affaires. À la fin des années 1840 en effet, le volume du commerce à Windsor était plus élevé que dans tous les autres ports canadiens du lac Ontario, sauf ceux de Toronto et de Kingston. Il semble toutefois qu’à sa mort, en 1851, la situation financière personnelle de Perry était précaire. Même s’il avait pourvu aux besoins de sa famille, ses dettes s’élevaient, d’après son testament, à environ £10 000, et il ne laissait pratiquement rien pour les payer. Peut-être la mise sur pied de son entreprise, et tout particulièrement l’achat de la route et du havre, avaient-ils coûté plus que ses ressources ne le lui permettaient.
Perry avait quitté la vie publique en 1836 mais il conserva certains liens avec la politique. Tout au long des années 1840, il travailla dans l’optique de la réforme, dans la circonscription de 3rd York où il s’était établi. Fidèle aux positions qu’il avait adoptées en 1836, il semble avoir poursuivi, dans l’immédiat, le même objectif que le parti réformiste, à savoir une formule de gouvernement responsable. Pour l’atteindre, il se montra prêt à accepter le leadership de Robert Baldwin et, à l’approche des élections de 1844, essaya même de le convaincre de se présenter dans sa circonscription. Baldwin ayant refusé, Perry appuya James Edward Small* et, quatre ans plus tard, William Hume Blake*. Apparemment, ce dernier, qui ne se rendit pas dans la circonscription pour faire campagne, dut en grande partie son élection à l’influence de Perry dans le canton de Whitby.
Néanmoins, à l’automne de 1849, Perry s’acheminait vers une rupture avec la majorité réformiste et, s’il n’en a pas lui-même donné les motifs, sa carrière en fournit l’explication. Perry était un Nord-Américain pour qui les intérêts des habitants du Haut-Canada l’emportaient sur tout. D’après lui, c’était dans une société démocratique et égalitaire que ces intérêts pourraient le mieux être servis. Mais jusqu’à la fin des années 1840, Perry poursuivit cet objectif dans le cadre de la constitution britannique. Il espérait que les changements apportés par la nouvelle formule de gouvernement responsable seraient, cependant, beaucoup plus radicaux que ceux des réformistes de Baldwin. Par conséquent, il dut être profondément déçu par les réalisations du cabinet de Baldwin et de Louis-Hippolyte La Fontaine* au cours des sessions de 1848 et de 1849. Lorsque Blake démissionna, à la fin de 1849, Perry accepta de se présenter à l’élection partielle qui suivit. Il défendit alors un programme électoral que les dirigeants du parti réformiste ne pouvaient pas approuver. Dès l’automne de 1849, Perry était devenu un républicain et il refusa, en dépit des pressions de Baldwin, de Francis Hincks* et de George Brown*, de se dire opposé au principe de l’annexion. Néanmoins, sa campagne fut fructueuse, et lors du congrès, à Markham en mars 1850, Perry abandonna publiquement la constitution britannique et apparut comme l’un des dirigeants des clear grits.
Il ne restait cependant plus beaucoup de temps à Perry pour travailler à la réforme radicale. Gravement malade au printemps de 1850, il ne put entrer à l’Assemblée qu’au début de juillet et, même après cette date, n’assista qu’irrégulièrement aux débats. D’après le compte rendu des votes et les propositions qu’il déposa, notamment sur le Municipal Corporations Act, il s’opposa clairement aux leaders réformistes. À la fin de la session, au début d’août, il n’avait réalisé que peu de chose – et même le projet de loi qu’il avait déposé sur la création d’un nouveau comté, Ontario, dont Whitby aurait été le centre, avait été rejeté en première lecture.
Ce fut la dernière session de Peter Perry. Au printemps de 1851, il était de nouveau très malade. Rétabli momentanément au début de l’été, il reprit suffisamment de forces pour rendre visite à Marshall Spring Bidwell, à New York. Mais il mourut à Saratoga Springs, le 24 août.
AO, RG 1, C-I-3, 81 : 170 ; 85 : 55 ; 92 : 14 ; 152 : 121 ; C-I-4, 4 : 43 ; C-III-3, 1 : 88 ; 2 : 12, 37, 74, 84, 148, 192 ; C-I-5, 1 : 143, 310–311, 734 ; 14 : 40 ; RG 22, sér. 155, testament de Peter Perry.— APC, RG 1, E1, 55 ; L3, 403 : P11/62 ; 404 : P12/28 ; 418 : P misc., 1775–1795/70.— MTL, Robert Baldwin papers, A43, Perry à Baldwin, 4 déc. 1843, 1er, 10 oct., 13 nov. 1845, 16 mars, 3, 16 avril, 9, 19 mai, 25 juill., 21 déc. 1846, 21 janv., 29 avril, 15 juin, 12 juill., 12 oct. 1847.— Whitby Hist. Soc. Arch. (Whitby, Ontario), Perry family genealogy.— Canada, prov. du, Assemblée législative, Journaux, 1850.— H.-C., House of Assembly, App. to the journal, 1835, 2, nos 27, 53, 93 ; Journal, 1825–1836.— « The constitutional debate in the legislative assembly of 1836 », W. R. Riddell, édit., Lennox and Addington Hist. Soc., Papers and Records (Napanee, Ontario), 7–8 (1916).— R. H. Thornton, A sermon preached at the interment of Peter Perry, esq., M.P.P., who died at Saratoga, 24 August, 1851, aged 51 years, 9 months, and 10 days (Whitby, 1851 ; copie aux Whitby Hist. Soc. Arch.).— « United Empire Loyalists : enquiry into losses and services », AO Report, 1904 : 1014–1015.— British Colonist (Toronto), 21 janv. 1848.— British Whig, 15, 18, 22 avril, 30 sept. 1834, 5 févr., 16 mars, 16 mai, 22 déc. 1835, 26 janv., 27 oct. 1836.— Chronicle & Gazette, 11 janv., 24 mai, 26 juill. 1834, 11 févr., 7, 25–26 mars, 2, 8, 25 avril, 13, 16, 25, 27 mai, 22 déc. 1835, 9, 16, 26 janv., 24 févr., 23, 26, 30 mars, 18, 25 mai, 4, 18, 22 juin, 9 juill. 1836, 11 sept. 1839, 12 août 1840.— Colonial Advocate, 24 nov., 2 déc. 1831.— Correspondent and Advocate (Toronto), 21 mars 1836.— Daily British Whig, 27, 29 août 1851.— Kingston Chronicle, 29 janv. 1819, 18 avril 1823, 24 mars 1832.— Kingston Gazette, 22 juin 1814.— Patriot (Toronto), 19 sept. 1837.— J. C. Dent, The Canadian portrait gallery (4 vol., Toronto, 1880–1881), 3 : 212–213.— Pioneer life on the Bay of Quinte, including genealogies of old families and biographical sketches of representative citizens (Toronto, 1904 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972), 940.— William Canniff, History of the settlement of Upper Canada (Ontario) with special reference to the Bay Quinte (Toronto, 1869 ; réimpr., Belleville, 1971), 666.— Cowdell, Land policies of U.C.— Craig, Upper Canada.— French, Parsons & politics.— W. S. Herrington, History of the county of Lennox and Addington (Toronto, 1913 ; réimpr., Belleville, 1972), 369, 396.— L. A. Johnson, History of the county of Ontario, 1615–1875 (Whitby, 1973), 142–147.— Patterson, « Studies in elections in U.C. », 405–406.— G. M. Jones, « The Peter Perry election and the rise of the Clear Grit Party », OH, 12 (1914) : 164–175.— R. S. Longley, « Emigration and the crisis of 1837 in Upper Canada », CHR, 17 (1936) : 29–40.— W. R. Riddell, « The law of marriage in Upper Canada », CHR, 2 (1921) : 226–248.
H. E. Turner, « PERRY, PETER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/perry_peter_8F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/perry_peter_8F.html |
Auteur de l'article: | H. E. Turner |
Titre de l'article: | PERRY, PETER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |