JOHNSON, EMILY PAULINE, auteure et interprète, née le 10 mars 1861 dans la réserve Six-Nations, Haut-Canada, fille de George Henry Martin Johnson* et d’Emily Susanna Howells ; décédée célibataire le 7 mars 1913 à Vancouver.

Benjamine d’une famille de quatre enfants, Emily Pauline Johnson naquit dans une imposante demeure bâtie par son père et appelée Chiefswood. Avec ses deux entrées identiques – l’une face à la route, l’autre face à la rivière Grand –, la maison évoque bien la double appartenance culturelle de cette écrivaine et interprète sang-mêlé. Bien que de mère anglaise, Emily Pauline était de souche amérindienne, car son père était un Mohawk du clan du Loup. Arrière-petite-fille de Tekahionwake (Jacob Johnson), dont elle adopterait un jour le nom, et petite-fille de John « Smoke » Johnson*, orateur réputé, elle se définissait avant tout comme « Indienne ». En même temps, son œuvre exprime son attachement au Canada, et particulièrement à l’Ouest, alors en plein essor.

Emily Pauline Johnson grandit dans un milieu privilégié de classe moyenne, aux abords d’une localité manufacturière très animée, Brantford. Son père adhérait aux valeurs européennes. Il parlait l’anglais, le français et l’allemand, en plus des langues de la Confédération des Six-Nations, s’habillait à la manière des Canadiens, sauf à l’occasion des cérémonies, et travailla à divers titres pour le gouvernement fédéral. Mme Johnson éleva ses enfants dans le raffinement et le souci des convenances en cultivant chez eux une dignité altière qui, selon elle, les ferait respecter dans le monde. À cause de la position et de la notoriété de George Henry Martin Johnson, leur maison accueillit des invités prestigieux tels le marquis de Lorne [Campbell] et la princesse Louise*, le prince Arthur*, lord Dufferin [Blackwood*] et sa femme, Gamet Joseph Wolseley et l’artiste Homer Ransford Watson*. Les manières élégantes d’Emily Pauline et son allure aristocratique, deux traits maintes fois notés, devaient beaucoup à ses antécédents et à son éducation.

Toutefois, Emily Pauline ne fréquenta pas longtemps des établissements d’enseignement. Formée en grande partie à la maison, elle étudia à l’école de la réserve durant deux ans, puis au Brantford Collegiate Institute de l’âge de 14 à 16 ans. Très versée en littérature anglaise – Browning, Scott, Byron et Tennyson étaient ses favoris –, elle retourna chez ses parents en 1877, après avoir fait du théâtre amateur à l’école, et s’installa dans l’existence que menaient alors les jeunes femmes aisées en attendant le mariage. Elle visitait et recevait des amis ou passait de longues heures en canot sur la rivière Grand. Le canotage était à la mode chez les femmes, mais Emily Pauline y excellait et s’y adonnerait toute sa vie pour trouver plaisir et réconfort.

La mort subite de George Henry Martin Johnson en 1884 mit fin à cette existence idyllique. Comme elles n’avaient pas les moyens de rester à Chiefswood, Emily Pauline, sa mère et sa sœur, Eliza Helen Charlotte (Eva), louèrent un logement à Brantford. Agée de 23 ans, sans perspectives de mariage, Emily Pauline envisagea de subvenir à ses besoins en écrivant. De 1884 à 1886, elle réussit à publier quatre poèmes dans le Gems of Poetry de New York et huit dans le Week de Toronto. Elle produisit aussi plusieurs textes de circonstance, dont un poème pour la cérémonie marquant en 1885 la translation des restes de l’orateur tsonnontouan Red Jacket [Shakóye:wa:tha?*] à Buffalo, dans l’État de New York, et un autre pour la dédicace d’une statue à Joseph Brant [Thayendanegea*] à Brantford l’année suivante. De plus en plus connue, elle commença en 1886 à signer ses œuvres de deux noms, E. Pauline Johnson et Tekahionwake, afin de mettre en valeur ses origines autochtones et d’étoffer le personnage de « princesse indienne » qui la servirait si bien. Pourtant, sa double signature suggère un dilemme : écrivaine et interprète sang-mêlé, elle s’exprimait à la fois à partir de l’intérieur et de l’extérieur de la réalité autochtone. D’une part, elle insistait constamment sur la noblesse de certaines valeurs qu’elle associait aux communautés amérindiennes, dont le respect de la nature et la grandeur d’âme. D’autre part, elle déplorait souvent la propension à stéréotyper les figures autochtones (par exemple, son essai « A strong race opinion on the Indian girl in modem fiction » porte sur cette question), quoiqu’un certain nombre de ses poèmes, tel Dawendine, semblent contribuer à cette mythologie.

Avant la fin des années 1880, Emily Pauline Johnson donna une entrevue à « Garth Grafton » (Sara Jeannette Duncan*, une de ses condisciples à l’institut de Brantford) pour le Globe de Toronto. Elle entretenait une correspondance amicale avec le poète Charles George Douglas Roberts*. Deux de ses poèmes parurent à Londres en 1889 dans l’anthologie de William Douw Lighthall*, Songs of the great dominion [...]. La même année, Walter Theodore Watts-Dunton lui fit des éloges dans l’Athenæum de Londres. En plus, le vénérable poète américain John Greenleaf Whittier lui envoya une lettre d’encouragement où il célébrait la puissante beauté de ses vers.

Néanmoins, Emily Pauline Johnson ne tira aucun revenu de ses écrits avant janvier 1892, date à laquelle un ancien condisciple, Frank Yeigh*, alors président du Young Men’s Libéral Club de Toronto, l’invita à une soirée de poésie organisée par ce groupe. L’émotion avec laquelle elle interpréta ses poèmes, particulièrement A cry from an Indian wife et As red men die, enflamma l’auditoire. D’octobre 1892 à mai 1893, elle donna environ 125 représentations dans 50 villes et villages ontariens. Sa beauté et sa grâce, sa dignité et son maintien d’aristocrate, son jeu poignant (à l’époque, la sentimentalité et le mélodrame étaient très prisés sur scène), son insistance sur les liens qui l’unissaient à la tradition orale des autochtones sont autant d’éléments qui expliquent son succès fulgurant. À la fin de 1892, elle adopta sa tenue caractéristique : costume amérindien pour la première partie du programme, robe de style européen pour la seconde. Deux des poèmes qui ont fait sa renommée, The song my paddle sings et Ojistoh, figuraient désormais dans son répertoire. Sa place était faite, non dans le monde sérieux de la poésie auquel elle rêverait toute sa vie d’appartenir, mais en tant qu’interprète populaire de ses écrits.

Pendant 17 ans, les tournées d’Emily Pauline Johnson la menèrent d’un bout à l’autre du Canada et dans certaines régions des États-Unis. Avec un partenaire – Owen Alexander Smily de 1892 à 1897, puis J. Walter McRaye de 1901 à 1909 –, elle se produisit avec une bonne humeur et une ténacité remarquables dans des lieux élégants ou frustes, aussi bien dans de grandes villes que dans des coins reculés où il fallait se rendre en diligence ou en chariot. En 1894, à Londres, elle présenta une série de récitals très applaudis et prit des arrangements pour la publication de son premier livre de poèmes, The white wampum (Londres, Toronto et Boston, [1895]). Son deuxième recueil, Canadian born, parut à Toronto en 1903. Comme il donnait un aperçu plus général de la réalité canadienne et exprimait le patriotisme de l’époque de la guerre des Boers, il remporta moins de succès que le premier, axé sur la réalité autochtone. En fait, la poésie d’Emily Pauline Johnson a un caractère plus exploratoire et une thématique plus riche que ne le suggère la tradition, qui a retenu surtout ses vers lyriques sur le paysage et la vie amérindienne. Certains de ses poèmes célèbrent le Nord canadien en tant que lieu de détente (Under canvas et The camper, par exemple). D’autres reflètent le nationalisme et l’idéalisme fervents du Canada édouardien (Canadian born et Prairie greyhounds) ou abordent des thèmes chrétiens (Brier et Christmastide). D’autres encore sont d’un ton léger ou comique (par exemple Canada (acrostic) et A toast). Pris ensemble, ces thèmes suggèrent une sensibilité plus diversifiée et un engagement plus solide qu’on ne le croit d’ordinaire.

En 1906, Emily Pauline Johnson retourna à Londres, où elle fit la connaissance du chef squamish Joseph Capilano [Su-á-pu-luck*] et de sa délégation, venus rencontrer Édouard VII pour protester contre les récentes restrictions imposées aux autochtones de la Colombie-Britannique par le gouvernement canadien sur la chasse et la pêche. Son amitié pour le « chef Joe » renforcerait l’attrait que la côte Ouest exerçait déjà sur elle et l’amènerait à écrire un livre inspiré des histoires racontées par Capilano, Legends of Vancouver (Vancouver, 1911). Après son retour au Canada, elle reprit ses tournées avec McRaye ; en 1907, pour la première fois, son itinéraire aux États-Unis comprit un circuit des assemblées éducatives de Chautauqua. Selon sa biographe Betty Keller, elle fit en tout au moins sept tournées dans l’Ouest canadien, neuf dans les Maritimes, quatre dans le Centre-Ouest américain et cinq sur la côte Est des États-Unis, outre ses deux saisons à Londres. Pendant toutes ces années de voyages exténuants, elle publia de la prose – notamment des histoires et essais exaltants, en vogue à l’époque – dans divers périodiques canadiens et américains, dont le Mother’s Magazine et le Boys’ World (tous deux d’Elgin, dans l’Illinois). En 1909, à bout de forces et minée par le cancer du sein qui allait lui être fatal, elle mit un terme à son association avec McRaye et se retira à Vancouver. Cependant, elle continua à donner des représentations ou des conférences sur les traditions mohawks quand sa santé le lui permettait.

Il serait difficile d’exagérer les épreuves personnelles qu’Emily Pauline Johnson traversa pendant qu’elle présentait son œuvre en public. Elle perdit sa mère en 1898, puis rompit tout lien avec sa sœur et avec Brantford et son lieu de naissance. En 1900, Charles Robert Lumley Drayton, inspecteur d’assurances de Winnipeg, décida de mettre un terme à leurs fiançailles ; en outre, elle se trouva aux prises avec un imprésario sans scrupules. Périodiquement, de 1900 à 1902, elle souffrit d’une grave streptococcie qui lui fit perdre ses cheveux et lui abîma définitivement la peau. De plus, elle vivait dans l’insécurité financière. Jamais ses publications ne lui rapportèrent grand-chose, et les recettes de ses tournées avaient tendance à s’envoler rapidement, à la fois à cause de ses dépenses et de deux traits de caractère bien connus, sa générosité et son piètre sens des affaires.

Les circonstances de la mort d’Emily Pauline Johnson attestent l’estime qu’on lui portait. Des amis tels le rédacteur en chef vancouvérois Lionel Waterloo Makovski et Isabel McLean (la chroniqueuse Alexandra du Vancouver Daily Province) lui prêtèrent leur concours pour qu’elle termine Legends of Vancouver et Flint and feather (Toronto, [1912]), recueil de poèmes dont elle réussit à corriger les épreuves avec de l’aide quelques mois à peine avant son décès. Un comité local, mis sur pied par Isabel McLean et formé de représentantes du Canadian Women’s Press Club et du Women’s Canadian Club de Vancouver, recueillit des fonds à son bénéfice et commença à préparer pour la publication deux recueils de ses morceaux de prose.

Emily Pauline Johnson s’éteignit le 7 mars 1913. Des amis veillèrent à ce que ses obsèques se tiennent en la cathédrale Christ Church et à ce qu’elle soit inhumée au parc Stanley, en vue du rocher Siwash, comme elle l’avait demandé. En outre, un service commémoratif eut lieu à la chapelle mohawk de la réserve Six-Nations. Un monument érigé en 1922 par le Women’s Canadian Club marque sa tombe à Vancouver. Dans le lot familial des Johnson, au cimetière de la chapelle mohawk, un bloc de granit portant l’inscription « E. Pauline Johnson, Indienne mohawk [...] » précise ses origines.

Marilyn J. Rose

Un certain nombre de textes en prose d’Emily Pauline Johnson, publiés à l’origine dans le Mother’s Magazine et le Boys’ World, ont été rassemblés et publiés après sa mort dans The moccasin maker, avec une introduction de [Horatio] Gilbert Parker* et un commentaire de Charles Mair* (Toronto, 1913) ; ils ont aussi paru dans The Shagganappi, avec une introduction d’Ernest Thompson Seton* (Toronto, 1913). Le texte de 1913 de The moccasin maker a été réimprimé avec une nouvelle introduction, des annotations et une bibliographie d’A. LaVonne Brown Ruoff (Tucson, Ariz., 1987). Flint and feather a été revu et augmenté par la suite ; ce texte ainsi que Legends of Vancouver ont été réimprimés de nombreuses fois. Plusieurs poèmes d’Emily Pauline Johnson ont été mis en musique.

Emily Pauline Johnson a légué son costume d’autochtone au Vancouver Museum. À Chiefswood, maison restaurée et transformée en musée pour le centenaire du sujet en 1961, on retrouve des manuscrits de quelques-uns de ses poèmes et certains objets. Sa correspondance avec J. Walter McRaye, des manuscrits de plusieurs poèmes et histoires, ainsi que des coupures de journaux, des programmes et des cartes concernant ses récitals sont conservés à la McMaster Univ. Library, Div. of Arch. and Research Coll., Hamilton, Ontario. Des lettres adressées à l’avocat Arthur Henry O’Brien et quelques poèmes manuscrits sont conservés dans la Lorne and Edith Pierce Coll. of Canadian mss aux QUA. On trouve d’autres sources de documentation sur sa vie dans B. [C.] Keller, Pauline : a biography of Pauline Johnson (Vancouver et Toronto, 1981). L’ouvrage de Joan Crate intitulé Pale as real ladies : poems for Pauline Johnson ([Ilderton, Ontario], 1989) donne un aperçu de la réaction d’un contemporain autochtone.

L’entrevue de Sara Jeannette Duncan avec Emily Pauline Johnson a été publiée dans le Globe, 14 oct. 1886, dans la rubrique « Woman’s world » de « Garth Grafton ». L’essai d’Emily Pauline Johnson intitulé « A strong race opinion on the Indian girl in modern fiction » a paru dans l’édition du dimanche du 22 mai 1892.

Marilyn Beker, « Pauline Johnson : a biographical, thematical and stylistic study » (mémoire de m.a., Sir George Williams Univ. [Concordia Univ.], Montréal, 1974).— B. C. Keller, « On tour with Pauline Johnson », Beaver, 66 (1986–1987), no 6 : 19–25.— Elizabeth Loosley, « Pauline Johnson, 1861–1913 », dans The clear spirit : twenty Canadian women and their times, Mary Quayle Innis, édit. (Toronto, 1966), 74–90.— G. W. Lyon, « Pauline Johnson : a reconsideration », Studies in Canadian Lit. (Fredericton), 15 (1990) : 136–159.— [J.] W. McRaye, Pauline Johnson and her friends (Toronto, 1947).— Marcus Van Steen, Pauline Johnson : her life and work (Toronto, 1965).— J. H. Waldie, « The Iroquois poetess : Pauline Johnson », OH, 40 (1948) : 67–75.

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Marilyn J. Rose, « JOHNSON, EMILY PAULINE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/johnson_emily_pauline_14F.html.

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Auteur de l'article:    Marilyn J. Rose
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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