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IDINGTON, JOHN, avocat, fonctionnaire et juge, né le 14 octobre 1840 dans le canton de Puslinch, Haut-Canada, aîné des enfants de Peter Idington, fermier, et de Catherine Stewart ; le 25 septembre 1866, il épousa à Mount Forest, Haut-Canada, Margaret Colcleugh, et ils eurent 11 enfants ; décédé le 7 février 1928 à Ottawa.
Les parents de John Idington faisaient partie des pionniers écossais du canton de Puslinch, au sud de Guelph. En 1853, la famille s’installa dans une ferme du comté de Waterloo près de Fisher’s Mills. Élève doué, John reçut une solide formation à l’école de William Tassie* à Galt (Cambridge). En 1864, il obtint une licence en droit de la University of Toronto, fut reçu au barreau et commença à exercer à Stratford en compagnie de Robert MacFarlane, député provincial de Perth et libéral comme lui. À la mort de MacFarlane en 1872, il se retrouva avec une grosse clientèle, et ce, dans une localité qui connaissait une expansion rapide, en partie parce que la Compagnie du chemin de fer du Grand Tronc y avait installé ses ateliers en 1871. Il reçut le titre de conseiller de la reine (provincial) en 1876 et de conseiller de la reine (fédéral) en 1885. En 1879, année où il devint procureur de la couronne et greffier de la paix dans le comté de Perth, il mit en chantier un imposant édifice à bureaux en brique, signe évident de sa réussite.
Comme il avait beaucoup contribué à obtenir en mars 1885 que Stratford soit érigée en municipalité, Idington fut le principal orateur invité au grand banquet tenu le 22 juillet pour célébrer cet événement. Déjà, il avait attiré l’attention en essayant, à titre de père et de commissaire d’école, de discréditer le directeur qui avait fait reculer d’une classe l’un de ses fils. Les autres commissaires avaient pris leurs distances, mais Idington s’était obstiné au point de mêler à l’affaire le ministre de l’Éducation, George William Ross*. Cette attitude belliqueuse révélait son entêtement et sa propension à faire cavalier seul. Le 18 janvier 1886, la municipalité le prit comme conseiller juridique ; il exercerait cette fonction jusqu’à son accession à la magistrature. En 1887, il devint par élection le premier président de la Perth County Law Society. De 1891 à 1904, il appartint au conseil de la Law Society of Upper Canada et, en 1894–1895, il fut président de la Western Bar Association. Parmi les membres du conseil, Idington fut l’un des premiers à accorder son soutien à Clara Brett Martin ; le 13 septembre 1892, il présenta une proposition qui en aurait fait la première femme membre de la société, mais cette proposition fut rejetée par un vote de 9 contre 4.
Idington acquit une vaste expérience en tant que conseiller juridique municipal et procureur de la couronne. En 1891, les contribuables du quartier Romeo de Stratford lui remirent une canne à pommeau d’or pour le remercier d’avoir fait condamner une tenancière de bordel. En outre, il représenta la poursuite dans plusieurs grands procès pour meurtre, dont, en 1894, celui d’Amédée (Almeda) Chattelle, qui avait sauvagement assassiné une jeune fille et découpé son cadavre. Dans sa pratique privée, Idington eut au fil des ans plusieurs associés, mais tous le quittèrent, ce qui pourrait indiquer qu’il était difficile de travailler avec lui.
En mars 1904, le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier* nomma Idington à la Haute Cour de justice de l’Ontario à Toronto. Moins de 11 mois plus tard, le 10 février 1905, il accéda à la Cour suprême du Canada. Des avocats ont été nommés directement à ce tribunal, mais aucun juge en exercice n’a eu une promotion aussi rapide. Pourquoi Idington eut-il droit à ce traitement ? Ce n’est pas sans doute pas à cause de l’excellence de son dossier puisqu’il n’avait guère eu le temps de faire ses preuves. L’explication avancée par le Canada Law Journal de Toronto doit être la bonne : « Comme il avait rompu très récemment ses attaches avec son ancien domicile à Stratford, il hésiterait naturellement moins que bien d’autres à aller à Ottawa. » À lire cette phrase, on devine que le prestige du tribunal ne suffisait pas à compenser le désagrément de s’installer dans la capitale du pays. En fait, la cour ne méritait pas encore le qualificatif de « suprême ». Ses jugements pouvaient être portés en appel devant le comité judiciaire du Conseil privé en Angleterre. Il arrivait que des affaires importantes passent directement des tribunaux d’appel provinciaux, dont certains étaient considérés comme aussi puissants que la Cour suprême, au comité judiciaire. Chez les juges de la Cour suprême, le taux de roulement était élevé. Par ailleurs, en 1905, Ottawa ne comptait pas beaucoup d’hommes de loi et n’offrait pas les attraits d’une grande ville.
À la Cour suprême, Idington se montra appliqué et fortement individualiste, et il se fit connaître par son esprit vif. Il divergea d’opinion avec la majorité de ses collègues dans un très grand nombre de cas – plus que tout autre juge jusqu’à aujourd’hui. Bien que, aux yeux du juriste Ian Bushnell, il n’ait été qu’un renégat dont les jugements avaient un « caractère discordant », plusieurs de ses avis minoritaires ont le mérite de contenir d’intéressantes interprétations de fonctions et droits fondamentaux en matière de justice et de gouvernement. En 1910 par exemple, le gouvernement Laurier demanda à la Cour suprême de déterminer si elle pouvait se voir imposer par le Parlement du Canada le devoir de répondre, dans le cadre d’un renvoi, à des questions qui ne portaient pas sur des lois fédérales en vigueur ou prévues. La majorité des juges conclurent que oui. Par contre, Idington souleva un aspect crucial du débat, à savoir l’imposition d’une fonction politique à la Cour suprême : « Si nous dégradons ce tribunal en lui imposant des devoirs qui ne sauraient être considérés comme judiciaires mais simplement consultatifs […], nous détruisons un principe fondamental de notre gouvernement. » Il soutint aussi que, comme un renvoi pouvait avoir des répercussions sur les droits des provinces et des particuliers, cette procédure revenait à retirer des droits sans laisser la justice suivre son cours. Dans l’affaire Quong-Wing c. le Roi, en 1914, le tribunal examina la validité d’une loi de la Saskatchewan qui interdisait aux commerces appartenant à une « personne orientale » ou dirigée par elle d’employer des femmes de race blanche. Né en Chine mais naturalisé sujet britannique, Quong Wing exploitait à Moose Jaw un restaurant où travaillaient deux serveuses blanches. Sa condamnation fut portée en appel devant la Cour suprême, qui eut à tenir compte de deux jugements contradictoires du comité judiciaire du Conseil privé : dans Union Colliery Company of British Columbia c. Bryden, en 1899, le comité avait déclaré invalide une loi britanno-colombienne interdisant l’embauche de Chinois dans les mines de charbon parce qu’elle empiétait sur le pouvoir fédéral envers les aubains et les citoyens naturalisés [V. John Bryden*] ; puis, dans Cunningham c. Tomey Homma, en 1903, il avait conclu à la validité du Provincial Elections Act de la Colombie-Britannique, qui niait le droit de vote à tout « Chinois, Japonais ou Indien ». Dans l’affaire Quong-Wing, la majorité des juges de la Cour suprême suivit Tomey Homma. Exaspéré par le caractère discriminatoire de la loi en cause, Idington exprima sa dissidence en déclarant que « l’égalité de la liberté et l’égalité des chances devant la loi […] ne sauraient être soumises aux caprices d’un corps législatif » et que la « loi [en question] n’[était] qu’un exemple de ce qu’[avait] produit le mode de pensée qui [avait] engendré et maintenu l’esclavage ». Selon lui, le fait que les aubains et la naturalisation ressortissaient à la compétence du Parlement donnait à celui-ci le pouvoir de garantir l’égalité aux sujets naturalisés. L’historien James W. St G. Walker a écrit : « si la Déclaration des droits sous-entendue par Idington était trop radicale, on pouvait invoquer Bryden pour écarter une loi ouvertement discriminatoire ». Il est rare que, après plus de 80 ans, l’avis minoritaire d’un juge soit louangé pour son caractère progressiste.
En 1917, la Loi concernant le service militaire institua la conscription et créa des exemptions, notamment pour les ouvriers agricoles. Puis, en avril 1918, comme le besoin de soldats se faisait de plus en plus pressant, le cabinet, en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, adopta des arrêtés en conseil visant à annuler ces exemptions. Un fermier du nord de l’Ontario, George Edwin Gray, refusa de se présenter pour le service ; au moment de son arrestation, il produisit une ordonnance d’habeas corpus. La question, dont la Cour suprême fut saisie en juillet, était de déterminer si le gouvernement pouvait modifier une loi au moyen d’un arrêté en conseil en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Quatre des six juges sanctionnèrent une telle délégation du pouvoir législatif. Idington, lui, déclara : « la reddition complète de la volonté du peuple à un quelconque pouvoir autocratique est exactement ce que nous combattons ». Son opinion trouve un écho aujourd’hui chez l’expert en droit constitutionnel Peter W. Hogg. Si la Loi sur les mesures de guerre, dit-il, n’est pas une « abdication inconstitutionnelle […] il est difficile d’imaginer quel genre de délégation [de pouvoir] serait inconstitutionnelle ».
Dans bien des causes liées à la constitution, Idington prit résolument position en faveur de la partie provinciale. En 1920, dans Re Board of Commerce, les juges de la Cour suprême ne parvinrent pas à un avis unanime sur la validité de cette loi fédérale qui régissait les prix. Il s’agissait de savoir si le contrôle des prix ressortissait à la compétence accordée par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique au gouvernement fédéral sous la rubrique des « échanges et [du] commerce » ou aux gouvernements provinciaux sous la rubrique de la « propriété et [des] droits civils ». Idington, qui tout comme Lyman Poore Duff* et Louis-Philippe Brodeur jugea cette loi invalide, dit : « Dans l’intention du [législateur], notre loi sur la Confédération ne devait pas être du trompe-l’œil, mais un instrument de gouvernement visant à assigner aux Assemblées provinciales quelques droits absolus, et, parmi ceux-ci, les plus précieux étaient censés être les droits de propriété et les droits civils. » Par sa répugnance à l’égard de multiples formes de réglementation, il se révélait comme un libéral adepte du laisser-faire. Par la suite, Duff noterait sa passion pour la justice. Quant au juriste Eugene Lafleur, qui plaida souvent devant Idington, il a fait observer que, pour un avocat défendant ce qu’il estimait la cause la plus faible, il était un personnage presque terrifiant, tant ses convictions étaient profondes.
À la nomination de sir Louis Henry Davies au poste de juge en chef, le 23 octobre 1918, Idington devint le doyen des juges puînés. Le 11 août 1921, comme le juge en chef se trouvait en Grande-Bretagne, Idington fit prêter le serment d’office au gouverneur général, lord Byng*. Après avoir tenté de convaincre Lafleur d’accepter la fonction de juge en chef à la suite de la mort de Davies en 1924, le premier ministre William Lyon Mackenzie King* nomma Francis Alexander Anglin*, même si Idington et Duff avaient plus d’ancienneté que lui. Dans son journal intime, King nota : « Idington sera déçu de ne pas être nommé juge en chef mais il a 86 ans et il est sénile. » En réalité, il approchait les 84 ans. On ignore s’il fut déçu ou non, mais Duff le fut sûrement.
En 1926, le ministre de la Justice Ernest Lapointe* demanda à John Idington de démissionner, car depuis 1925 il s’absentait du tribunal durant de longues périodes. On ignore quelle fut sa réponse, mais il s’accrocha à son poste. Depuis quelque temps déjà, le gouvernement libéral envisageait de légiférer sur l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême et de la Cour de l’échiquier. Par son refus de s’en aller, Idington poussa le gouvernement à agir. Le Parlement adopta une loi qui imposait la retraite à l’âge de 75 ans à compter du 31 mars 1927. Idington fut donc obligé de quitter son siège ce jour-là. Sa femme, Margaret Colcleugh, mourut le 5 octobre. Lui-même s’éteignit quatre mois plus tard ; sa succession valait la modeste somme de 41 842 $. Inhumé au cimetière Avondale de Stratford, il laissait dans le deuil quatre fils et quatre filles.
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Gordon Bale, « IDINGTON, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/idington_john_15F.html.
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Auteur de l'article: | Gordon Bale |
Titre de l'article: | IDINGTON, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |