FULLER, THOMAS, architecte et fonctionnaire, né le 8 mars 1823 à Bath, Angleterre, fils de Thomas Fuller, carrossier, et de Mary Tiley ; en 1853, il épousa Caroline Anne Green, de Bath, et ils eurent un fils et deux filles ; décédé le 28 septembre 1898 à Ottawa.

Thomas Fuller reçut sa formation d’architecte, du moins en partie, au bureau de James Wilson à Bath. Jeune à l’époque, Wilson avait la réputation d’être plutôt radical ; on estime que c’est principalement lui qui amena les sectes non conformistes à adopter le style néo-gothique, déjà en faveur dans les églises anglicanes et catholiques. Wilson se spécialisait aussi dans les plans d’école – préparation fort utile à Fuller qui allait concevoir plus tard des complexes publics séculiers.

Fuller eut la première commande qu’on lui connaît en 1845 : il s’agit de la cathédrale anglicane St John, à Antigua. Malgré les innovations en matière de structure que comportait son plan, on trouva que l’édifice, conçu dans une version géorgienne tardive du baroque italien, n’était plus au goût du jour. On le critiqua en Grande-Bretagne, où les progressistes prônaient de plus en plus le néo-gothique.

Sans doute Fuller demeura-t-il quelque temps dans les Caraïbes ; il exécuta, dit-on, « des ouvrages ecclésiastiques en Jamaïque et dans d’autres îles des Antilles ». Cependant, il était revenu en Angleterre en 1847, car il existe des indices qu’il avait pour associé, à Bath ou à Bristol (peut-être aux deux endroits), un autre ancien apprenti de Wilson, William Bruce Gingell. Cette année-là, Fuller et Gingell remportèrent le concours d’architecture pour la prison de Plymouth en présentant un plan de style à l’italienne. Toujours en 1847, on les mandata pour concevoir des écoles unitariennes à Taunton. De 1848 jusqu’à 1851, dernière année de leur association, présume-ton, ils dessinèrent des écoles et des édifices publics à Stonehouse (1848), à Londres (1848) et à Llandovery, au pays de Galles. Ils firent de plus quelques maisons à Portishead en 1850.

À la fin des années 1840, malgré les édifices publics à l’italienne auxquels son nom est attaché, Fuller semblait priser au moins autant le néo-gothique. Il partageait ce goût avec les jeunes disciples progressistes d’Augustus Welby Northmore Pugin, appelés ecclesiologists parce qu’ils préconisaient la construction d’églises rigoureusement médiévales. Peut-être Fuller aida-t-il les frères John Raphael et Joshua Arthur Brandon à illustrer leurs volumes sur l’architecture anglaise du Moyen Âge ; du moins est-on sûr qu’il appartenait au groupe de jeunes architectes qui, à l’occasion des réunions de fondation de la Bristol Society of Architects, réclamèrent un renouveau stylistique.

En 1851 ou à peu près, Fuller s’associa à son ancien maître James Wilson, avec qui il semble avoir fait surtout de l’architecture publique ou institutionnelle. Toujours en 1851, il se « retira » du Royal Institute of British Architects, dont on l’aurait exclu pour quelque faute professionnelle.

En 1855, l’hôtel de ville de Bradford-on-Avon fut construit selon un plan de Fuller, qui exerçait alors seul. Ce bâtiment rappelle les édifices publics à l’italienne qu’il avait exécutés quelques années plus tôt en compagnie de Gingell, mais annonce aussi le puissant style qui allait faire sa renommée au Canada : celui de l’apogée de l’ère victorienne. Toutefois, si l’on excepte cet hôtel de ville et un poste de police à Bath, il semble qu’à la fin des années 1850 il dressa surtout des plans d’église, et employa alors principalement le style gothique.

Fuller partit pour le Canada en 1857 et, en septembre, il vivait à Toronto. Les architectes, surtout les Britanniques, tels William Thomas* et Frederic William Cumberland*, avaient jugé que cette ville, déjà la métropole du Haut-Canada, était un bon endroit où s’établir. L’Amérique du Nord n’offrait encore aucun lieu de formation aux architectes, sauf les bureaux des professionnels, et les provinces avaient besoin du concours de la mère patrie. En outre, l’architecture prenait une forte teinte britannique sur tout le continent. Même aux États-Unis (habituellement plus réfractaires à l’influence britannique qu’à la française), la mode voulait que les églises, les maisons et quelques types d’édifices publics aient les formes audacieuses et imposantes que leur donnaient, en Grande-Bretagne, les adeptes du gothique victorien. En raison de son caractère anglo-écossais, Toronto devint l’un des foyers des architectes anglais qui pratiquaient ce style.

Les premiers ouvrages que Fuller réalisa au Canada témoignaient de sa fidélité aux styles médiévaux. Peut-être aida-t-il Cumberland et William George Storm à concevoir le University College de Toronto ; c’est lui qui, en 1858, dressa le plan de l’église anglicane St Stephen-in-the-Fields, rue College. Comme il s’agissait d’une église de banlieue, Fuller prit exemple sur un populaire modèle de gothique de l’apogée victorienne qui s’inspirait d’églises paroissiales du Moyen Âge (l’une d’elles était St Michael de Longstanton, choisie par les ecclesiologists pour servir de modèle aux petites églises d’outre-mer) et réalisa un élégant bâtiment de brique et de pierre, construit aux frais du colonel Robert Brittain Denison. Incendiée en 1865, St Stephen-in-the-Fields fut reconstruite, plus grande, par la firme Gundry and Langley et subsiste toujours.

En juin 1858, Fuller se joignit aux ingénieurs civils Robert C. Messer et Chilion Jones, qui étaient déjà associés. Messer quitta la société au cours de l’été de 1859, probablement pour aller au Brésil. Quant à Jones, il continua de travailler avec Fuller jusqu’en 1863. Les deux associés se spécialisèrent dans la conception d’églises, dont la plupart étaient anglicanes et relevaient du même genre que St Stephen-in-the-Fields, villageois de style gothique. Leurs plans furent réalisés dans plusieurs localités haut-canadiennes : Stirling (1860–1861), Lyn (1860), Almonte (1862–1864), Westboro, en banlieue d’Ottawa (construction commencée en 1865), et peut-être Simcoe (1860). Pendant qu’il travaillait à Ottawa, Fuller dressa aussi le plan de l’église St James, de Hull (1866–1867). Même s’il ne les conçut pas seul, St James à Perth (1853–1861) et Holy Trinity à Hawkesbury (1859) portent sa marque. En outre, c’est à lui, en fin de compte, qu’on doit attribuer l’imposante église St Alban the Martyr, dans la côte de Sable à Ottawa (1866–1868). L’adresse et la puissance avec lesquelles Fuller maniait le gothique primitif anglais ont donné de fort bons résultats dans tous ces cas. On sait qu’il réalisa un seul lieu de culte non anglican, soit l’église presbytérienne St James, à London (1859–1861). De style gothique primitif anglais, elle aussi, cette église à plan central rappelait la bibliothèque du Parlement, dont Fuller venait à peine de dessiner les plans, et convenait mieux aux exigences du rituel protestant que la traditionnelle forme oblongue.

La conception de l’édifice du Parlement à Ottawa fut la plus importante commande que Fuller eut au cours de sa carrière. Réalisé avec Jones, le plan montre une tour centrale flanquée de deux ailes symétriques en faible saillie ; à l’arrière s’élève une bibliothèque circulaire qui rappelle un chapitre ou une cuisine de monastère. Ce projet, de style gothique civil, fut préféré à 15 autres à l’occasion d’un concours tenu pendant l’été de 1859. Les deux associés présentèrent un autre projet, selon le même plan horizontal mais d’un style à l’italienne, qui ne fut pas primé ; cependant, au concours des édifices ministériels, ils se classèrent deuxièmes, derrière Thomas Stent et Augustus Laver.

Le plan que Fuller avait conçu pour l’édifice du Parlement fut acclamé par la critique et reçut une large publicité en Europe et en Amérique. Il mariait les récentes tendances du néo-gothique à la tradition académique française et prévoyait des installations tout à fait modernes (quatre types de système de chauffage, systèmes novateurs de distribution d’eau et de ventilation, avertisseurs électriques) ; il suivait ainsi les conseils du célèbre critique John Ruskin qui préconisait l’intégration des styles médiévaux aux programmes de construction contemporains. Vu de la ville, l’édifice avait une allure solennelle tandis que, du côté de la rivière des Outaouais, il présentait une asymétrie pittoresque, contraste idéal, estimait-on, pour un immeuble officiel construit dans le sauvage paysage nordique. Au cours d’une visite à Ottawa, en 1861, Anthony Trollope écrivait : « Le groupe d’édifices publics que l’on est en train de construire sur le rocher qui protège, pour ainsi dire, la ville de la rivière feront – et font d’ailleurs déjà – la gloire d’Ottawa [...] Je n’hésite pas à mettre en jeu la réputation de mon jugement en louant sans restriction la beauté de leur ensemble et l’authentique noblesse de leurs détails. »

La construction de l’édifice du Parlement se révéla toutefois d’une difficulté extrême. En raison de l’augmentation des coûts, de retards imprévus et de soupçons de scandales en haut lieu [V. Thomas McGreevy ; Samuel Keefer*], on interrompit les travaux à la fin de 1861 et on institua une commission d’enquête. En 1863, dans son rapport, la commission critiqua la conduite de tous les architectes participants (peut-être moins celle de Fuller que des autres, cependant) mais recommanda de ne pas les congédier tous car il fallait assurer la continuité. On nomma donc Fuller architecte de tout le complexe, avec Charles Baillairgé*, et il put voir l’essentiel de son plan exécuté en 1866, à temps pour accueillir les chambres du nouveau dominion, au moment de la Confédération, l’été suivant. Malheureusement, après l’incendie de 1916, seuls les édifices ministériels et la bibliothèque demeureraient intacts.

Fuller, qui travailla seul à compter de 1863, eut d’autres engagements importants au cours des années 1860. Outre les églises précitées, il conçut notamment un pâté d’immeubles rue Elgin, à Ottawa (1861), une maison de style gothique, toujours à Ottawa (1864), ainsi que la maison synodale attachée à la cathédrale anglicane St George, à Kingston (1865). Fait plus marquant, Fuller et Jones avaient remporté en 1863, avant de se séparer, un concours qui visait à choisir l’architecte du nouveau capitole de l’état de New York, à Albany. Mis en chantier durant cette forte période de croissance économique qu’avait engendrée la guerre de Sécession, cet édifice gouvernemental devait être le plus ambitieux du continent, exception faite du capitole fédéral, dont on était en train de poser le dôme. Il ne subsiste malheureusement aucune trace du plan avec lequel Fuller et Jones remportèrent le concours en 1863 et, de toute façon, il ne fut pas exécuté. Trois ans plus tard, on lança un nouveau concours, que Fuller remporta en 1867 grâce à un plan conçu en collaboration avec une société de la région, la Nichols and Brown. On l’appela à travailler au plan définitif avec Arthur Delavan Gilman, adepte du style Second Empire, et Augustus Laver, lauréat lui aussi. Les travaux, exécutés selon une version légèrement révisée de leur plan, cessèrent en 1875, au milieu d’accusations de corruption et d’inefficacité. En mars 1876, une nouvelle commission du capitole recommanda de modifier sensiblement l’édifice, et on congédia Fuller. Même si, apparemment, son tort avait été tout au plus de fermer les yeux sur trop de tractations louches, l’incident dut l’embarrasser beaucoup car il quitta Albany peu après. En 1881, il vivait à Glens Falls, dans l’état de New York.

Il reste que pendant un bref moment, au début des années 1870, Fuller et Laver avaient occupé une place de choix dans l’architecture américaine. Le plan du capitole que Fuller avait dressé, même s’il était un peu démodé au milieu de la décennie, reçut l’appui de nombreux architectes à l’occasion d’un grand débat national. De plus, Fuller et Laver remportèrent en février 1871 le concours tenu pour désigner les architectes du nouvel hôtel de ville et palais de justice de San Francisco. Leur vaste complexe de style Second Empire mesurait presque 200 verges de longueur et culminait en une tour de 300 pieds au sommet arrondi, version allongée du dôme de Washington. Selon un critique, « jamais on n’a[vait] exécuté, aussi loin à l’Ouest, un ouvrage d’architecture aussi grandiose » ; le complexe municipal de San Francisco faisait d’ailleurs partie des immeubles publics aux dimensions colossales qui se construisirent aux États-Unis après la guerre de Sécession. Bien que l’on attribue habituellement le plan à Laver et que celui-ci se soit rendu en Californie pour superviser la construction, Fuller mit certainement la main à la pâte. On invita alors la firme à participer aux concours qui menèrent à la construction de certains des plus importants complexes publics de cette période expansionniste. En 1869, avec Henry Augustus Sims (de Philadelphie, mais anciennement d’Ottawa), elle s’était classée troisième à un concours organisé pour l’imposant hôtel de ville de Philadelphie ; en 1871, elle fut l’une des rares firmes invitées à soumettre des plans pour le prestigieux capitole du Connecticut à Hartford. De toute évidence, Fuller et Laver étaient à l’avant-garde de ce groupe éclectique et ambitieux qui faisait alors de l’architecture publique.

En octobre 1881, Fuller obtint le poste d’architecte en chef du dominion du Canada, vacant depuis la retraite de Thomas Seaton Scott, qui avait rempli cette fonction depuis 1871. Sous Scott, la plupart des édifices publics du dominion, et ils étaient nombreux, avaient été conçus dans le style mansardé du Second Empire mais, au début des années 1880, le gouvernement canadien recherchait, semble-t-il, une image architecturale plus colorée, plus naturelle, qui distinguerait le Canada tout en s’harmonisant à la mode néo-romane lancée par l’architecte américain Henry Hobson Richardson. Comme le style de l’édifice du Parlement – gothique de l’apogée de l’ère victorienne – pouvait servir de modèle à ce style national, ce fut une grande chance que Fuller pose sa candidature au poste d’architecte en chef à ce moment même. Le cabinet de sir John Alexander Macdonald tenait à rehausser l’image du gouvernement fédéral dans les villes et villages de tout le dominion ; Fuller, en raison de sa réputation internationale et de sa longue expérience en matière d’édifices publics, était l’homme de la situation. Son élection à l’Académie royale canadienne des arts en 1882, peu après son retour au Canada, montre aussi combien on l’estimait.

La conception et la construction de l’édifice Langevin, rue Wellington, en face de celui du Parlement, fut l’un des premiers projets de Fuller pendant son mandat de 15 années, et probablement le plus important. Construit de 1883 à 1889, il permit de loger les services qui ne pouvaient plus trouver place dans les édifices ministériels. Ce nouvel immeuble s’harmonisait au gothique de l’édifice du Parlement tout en se conformant au style roman, à la mode dans les années 1880 pour les commerces et les bureaux.

Toutefois, les quelque 140 édifices fédéraux que Fuller mit en chantier furent pour la plupart beaucoup plus petits. Environ 80 d’entre eux étaient à la fois des bureaux de poste et de la douane ; surtout dans les petits villages, on ne voyait guère d’immeubles plus prestigieux que ceux-là. Bien que Fuller n’ait pas fait lui-même tous les plans, il ajouta une touche distinctive à un type d’édifice conçu à l’époque de Scott. Il façonna ainsi une « image du dominion » assez cohérente, qui rappelait l’édifice du Parlement tout en s’adaptant aux goûts plus académiques et plus sages des 20 dernières années du siècle. Outre ces nombreux petits bâtiments, on construisit durant son mandat des bureaux de poste imposants dans plusieurs villes ceux de Hamilton (1882–1887), de Winnipeg (1884–1887), de Vancouver (1890–1894) et de Victoria (1894–1898). Il s’occupa aussi de la conception et de la construction de salles d’exercice et de manèges militaires, de prisons (notamment celle de Saint-Vincent-de-Paul (Laval), dans la province de Québec), d’entrepôts de la douane, de hangars d’accueil pour les immigrants, d’hôpitaux (particulièrement à Grosse-Île) et de palais de justice. En outre, Fuller, ou son principal assistant, David Ewart*, dessina un pavillon canadien pour l’Exposition universelle de Chicago en 1893. Enfin, et cela démontre combien il était respecté, Fuller échappa à la grande purge qui frappa les fonctionnaires des Travaux publics au moment où des scandales secouèrent ce ministère au début des années 1890 [V. sir Hector-Louis Langevin*].

Les genres et styles d’édifices conçus pour le gouvernement fédéral sous la direction de Thomas Fuller, tout comme l’organisation de son service, continuèrent d’influencer le travail du bureau de l’architecte en chef pendant une bonne partie du xxe siècle. Grâce à la présence d’Ewart, assistant de Scott puis de Fuller et architecte en chef de 1897 à 1914, et à celle du fils de Fuller, Thomas William, architecte en chef de 1927 à 1936, les édifices fédéraux, jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, conservèrent la qualité, la dignité et le caractère traditionnel que Scott avait imposés et que son successeur avait raffermis. Non seulement Fuller mena-t-il une carrière de concepteur d’églises et d’édifices publics en Grande-Bretagne, aux Antilles et en Amérique du Nord, mais à compter de la conception de l’édifice du Parlement, en 1859, sa contribution à l’expression architecturale du Canada fut déterminante.

Christopher Alexander Thomas

Le seul exposé complet de la vie et du travail de Thomas Fuller se trouve dans la thèse de l’auteur intitulée « Dominion architecture : Fuller’s Canadian post offices, 1881–96 » (thèse de m.a., 2 vol., Univ. of Toronto, 1978).  [c. a. t.]

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Christopher Alexander Thomas, « FULLER, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/fuller_thomas_12F.html.

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Auteur de l'article:    Christopher Alexander Thomas
Titre de l'article:    FULLER, THOMAS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    20 nov. 2024