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BAILLAIRGÉ, CHARLES (baptisé Charles-Philippe-Ferdinand), architecte, arpenteur, ingénieur civil et auteur, né le 29 septembre 1826 à Québec, deuxième fils de Pierre-Théophile-Ferdinand Baillairgé et de Charlotte Janvrin Horsley, et frère de George-Frédéric-Théophile Baillairgé ; le 11 juin 1849, il épousa à Beauport, Bas-Canada, Euphémie Duval, et ils eurent 11 enfants, dont 5 atteignirent l’âge adulte, puis le 21 avril 1879, à Québec, Annie Wilson, et de ce second mariage naquirent 9 enfants ; décédé dans cette ville le 10 mai 1906.

Charles Baillairgé appartenait à la quatrième génération d’une dynastie de sculpteurs, de peintres et d’architectes. Jean Baillairgé*, maître charpentier et menuisier du Poitou, débarqua à Québec en 1741. De toutes les œuvres qu’il produisit au fil de ses 60 années d’activité dans la ville même et dans les environs, la plus notable est l’ornementation sculptée de la cathédrale Notre-Dame. François*, fils de Jean et artiste précoce, donna toute la mesure de son talent dans la conception et l’exécution d’intérieurs d’églises richement sculptés d’inspiration classique. Le plus doué de la troisième génération, Thomas*, cousin du père de Charles, fut en son temps le meilleur architecte d’églises au Bas-Canada. Synthèse des influences du néo-classicisme français et anglais, l’harmonieuse façade à deux tours qu’il conçut inspira les bâtisseurs d’églises jusqu’à la fin du siècle. Conformément à la tradition familiale, il avait un atelier avec des apprentis, enseignait et mettait sa splendide bibliothèque à la disposition des étudiants des beaux-arts.

Charles Baillairgé, fils d’un relieur devenu ingénieur municipal adjoint, venait donc d’une illustre famille. Au petit séminaire de Québec, où il était externe, il s’impatientait devant la lenteur de l’apprentissage qu’on lui proposait et brûlait de satisfaire son appétence pour la technique et la mécanique. En 1843, à l’âge de 17 ans, il conçut et fabriqua, avec un condisciple, ce qui fut probablement la première automobile d’Amérique du Nord. Le moteur à vapeur à deux cylindres effrayait tant les chevaux que la police dut bannir le véhicule des routes.

Toujours en 1843, Charles quitta l’école et entra en apprentissage chez le cousin de son père, Thomas. Sa capacité de travail était déjà prodigieuse. Dès 1846, il reçut un certificat de compétence de Thomas, deux ans plus tard il fut nommé arpenteur des terres de la province, et pendant toutes ces années, il étudia le génie civil en autodidacte. De Thomas, il apprit les fondements théoriques et pratiques du néoclassicisme : symétrie, monumentalité, utilisation des ordres classiques. Cependant, il était d’un naturel trop curieux pour ne pas s’aventurer au delà de ce que son maître pouvait lui enseigner. Quelques années plus tard, dans une lettre au commissaire principal des Travaux publics, il affirmerait que, malgré ses faibles moyens, il faisait venir d’Europe et des États-Unis « tous les meilleurs traités sur l’Arpentage, l’Architecture & le Génie civil & une grande quantité de volumes sur les arts, les sciences et les manufactures [...] Je souscris, poursuivait-il, à des publications qui me mettent au fait de tout ce qui se passe dans le monde scientifique. »

Dès le début de sa carrière, Charles Baillairgé décida d’envisager l’architecture comme une profession, contrairement à Thomas et aux Baillairgé des générations précédentes qui, eux, préféraient travailler en architectes-artisans. Cette vision de son métier lui venait de sa bibliothèque d’architecture, car nombre de ses livres, surtout ceux qui venaient d’Europe, énonçaient clairement les responsabilités professionnelles de l’architecte, à savoir faire des plans, des devis et des épures, estimer les matériaux, superviser les travaux, mesurer les ouvrages achevés et tenir un atelier d’apprentis. Baillairgé ne construisit aucun des édifices de sa conception. Pour lui (et il y tenait), l’architecte devait être impartial et servir d’intermédiaire entre clients et artisans. En adoptant cette position, lui-même et d’autres architectes contribuèrent sans le vouloir à la mort de métiers spécialisés. Tenus de suivre les indications de l’architecte, les artisans ne pouvaient plus laisser libre cours à leur créativité. Cette entrave, ajoutée à l’afflux d’éléments manufacturés, entraîna la disparition de plusieurs métiers traditionnels. En tant que membre d’une profession libérale, Baillairgé, avec une petite coterie d’architectes formés en Grande-Bretagne, appartenait à la bourgeoisie de Québec.

Ses premiers édifices ressemblaient – c’était prévisible – à ceux de son maître, Thomas. Sa première commande importante, dont l’exécution commença probablement en 1847, fut l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec. On confiait rarement la conception d’un ouvrage aussi imposant à un si jeune homme, et Baillairgé utilisa le style néo-classique de manière assez inattendue. Déjà, il manifestait pour l’expérimentation un goût qui n’allait jamais se démentir. Rompant bientôt avec le néo-classicisme, il choisit pour l’église de Beauport en 1849 et la chapelle des Sœurs de la charité de Québec en 1850 un style alors prôné uniquement par des radicaux, le néo-gothique. Premier intérieur à triple galerie de Québec, la chapelle, qualifiée d’« audacieuse mais gracieuse » par un contemporain, prouve combien il était apte, techniquement, à innover dans l’utilisation de l’espace. Il avait su donner à « ce petit bijou d’église [...] l’immensité d’une cathédrale ». À la même époque, il dessina une série de magasins de détail de plus en plus impressionnants. Le plus grandiose de tous était celui de Louis Bilodeau, énergique marchand de nouveautés qui personnifiait la nouvelle classe des entrepreneurs canadiens-français. L’édifice était digne des ambitions de Bilodeau : la façade arborait des colonnes doriques qui partaient du rez-de-chaussée et s’élevaient à une hauteur de 27 pieds (l’équivalent de trois étages) ; à l’intérieur, deux niveaux de colonnes égyptiennes soutenaient une mezzanine flottante, et l’on y avait installé l’éclairage au gaz. Par ces premiers ouvrages, Baillairgé s’imposait comme un architecte talentueux et innovateur, capable de concevoir des immeubles d’un style éclectique et original.

Au début des années 1850, Baillairgé s’inspira d’un style alors en vogue, le néo-grec. Peu importait le genre d’immeuble, son goût le portait, à l’époque, vers les murs lisses et les motifs grecs, dont il trouvait des exemples dans les publications britanniques et américaines de sa bibliothèque. Le principal ouvrage qu’il réalisa pendant cette période, l’Académie de musique de Québec, révèle ce qu’il puisait dans les recueils de modèles, surtout ceux de l’architecte et auteur new-yorkais Minard Lafever. La façade, dont la partie centrale faisait saillie, comportait des colonnes doriques et s’ornait d’une série de motifs grecs – volutes, rosaces, têtes de lion et moulures denticulées – comme on n’en avait encore jamais vu dans la ville. La grande salle était faite selon le plan traditionnel des églises – plafond voûté, bas-côtés soutenus par des colonnes doriques – et les couleurs, blanc et or, étaient celles que l’on avait l’habitude de voir dans les églises québécoises. Cependant, la décoration était nouvelle. Voyant les clés et les grecques, les chapiteaux inspirés de Lafever, les volutes et les palmettes, un contemporain déclara que cette salle, dont la construction commença en 1851 et s’acheva trois ans plus tard, était « le plus beau temple élevé aux arts qui exist[ait] peut-être en Amérique ». Un incendie l’a détruite, mais les deux maisons néo-grecques les plus importantes de Baillairgé, dessinées en 1852, existent toujours. Il s’agit de la résidence du marchand Cirice Têtu à Québec et du manoir de Saint-Roch-des-Aulnaies, construit pour Pascal-Amable Dionne. Le portique en retrait de la résidence, avec colonnes doriques in antis, et son salon, très ornementé, de même que les éléments qui confèrent à la retraite campagnarde sa gaieté pittoresque sont quelques-uns des nombreux détails grecs de ces bâtiments.

Dès 1853, Baillairgé avait un cabinet florissant à Québec et dans les environs. La fondation de l’université Laval [V. Louis-Jacques Casault*] lui donna l’occasion de montrer son immense connaissance du génie civil. Goodlatte Richardson Browne dessina l’École de médecine, mais Baillairgé eut à faire les deux bâtiments les plus grands, le pensionnat et le pavillon principal. En raison de l’ampleur du projet, il recourut aux techniques de construction les plus récentes d’alors, qu’il connaissait par sa bibliothèque personnelle, par la publicité qui avait entouré l’érection du Crystal Palace à Londres en 1851 et par les expériences que les Américains faisaient alors avec la fonte et le fer forgé. Il avait parfois utilisé le fer à des fins décoratives, mais cette fois, au lieu de se limiter à une expérimentation stylistique, il se servit de ce matériau en ingénieur, en l’intégrant à l’armature. La construction de l’université dura quatre ans ; c’était, à l’époque, le plus grand chantier de Québec. Le pavillon principal, d’une hauteur de 80 pieds, était le premier bâtiment de la ville dont les murs étaient consolidés par des colonnes de fer. Baillairgé spécifia aussi des colonnes sous la mezzanine et du fer forgé pour la galerie de la grande salle. Les édifices comportaient d’autres innovations : système de ventilation, chauffage central, eau courante chaude et froide, éclairage au gaz. Lorsque vint le moment de concevoir le monument aux Braves, en 1855, Baillairgé, optant pour une colonne surmontée d’une statue, combina son style préféré, le néo-grec, avec un matériau moderne, le fer. C’était une commande prestigieuse, car elle donnait à l’architecte l’occasion de collaborer étroitement avec l’élite politique et culturelle francophone de Québec, dont bon nombre des membres appartenaient à la Société Saint-Jean-Baptiste, qui parrainait le projet. Le milieu des années 1850 fut une période faste pour Baillairgé, durant laquelle il put déployer à la fois ses talents d’ingénieur et d’architecte. Sur le plan international par contre, ce fut une période de déclin économique, et à Québec même, les choses allaient d’autant plus mal que l’on était de moins en moins assuré que la ville serait choisie comme siège permanent du gouvernement.

Étant donné cette incertitude et faute de défis plus grands à relever, Baillairgé dut se tourner vers son client le plus sûr, l’Église. C’est dans ce contexte qu’il exécuta certains de ses plus beaux ouvrages religieux, dont la splendide église néo-gothique de Sainte-Marie et les gracieuses grilles en fer qui entourent la basilique de Québec. Avec l’appui de l’ambitieux curé de Sainte-Marie, Louis Proulx*, il conçut la plus somptueuse église du diocèse. Inspirée de modèles britanniques du gothique rayonnant du xive siècle, elle s’ouvre sur un intérieur élancé, blanc et or, avec quadrilobes audacieusement sculptés, voûtes nervées et colonnes fasciculées. Baillairgé lui-même estimait n’avoir rien fait de mieux en gothique ; plus tard, il dirait que c’était « l’un des plus beaux intérieurs gothiques au Canada ». Toutefois, vers la fin des années 1850, ses relations avec le clergé s’étaient gravement altérées. Mgr Charles-François Baillargeon* ayant tenté de changer les plans qu’il avait dressés pour une église, Baillairgé fit une violente sortie, bouleversé à l’idée que sa réputation d’architecte risquait de souffrir si l’église était construite selon les plans modifiés et irrité de ne pas recevoir ce qu’il estimait sa juste part des marchés diocésains. À cette époque, les commandes d’architecture se firent de plus en plus rares et Baillairgé, s’étant coupé de son plus fidèle client, se trouva dans une situation précaire : il avait peu d’ouvrages à exécuter et encore moins en vue.

C’est donc presque un élan de désespoir qui le poussa vers l’autre grand employeur des architectes, le département des Travaux publics. Des querelles et des conflits de personnalités avaient marqué ses relations précédentes avec ce département, ce qui était de mauvais augure pour un aspirant au titre d’architecte en chef des ouvrages publics. D’abord, il y avait eu l’affaire de la clôture et de l’aile des bains de l’hôpital de la Marine et des Émigrés. La clôture, structure en pierre et en fonte de style néo-grec, plaisait, mais une fois les travaux terminés, en 1855, le dépassement des crédits et les comptes mal tenus du commissaire principal des Travaux publics, Jean Chabot*, avaient laissé une mauvaise impression aux fonctionnaires. Ensuite, il y eut le concours du bureau de la douane de Québec, annoncé en 1854. Baillairgé tenait à remporter cette compétition de haut vol et, consciencieux comme toujours, il se rendit à Boston, à New York et à Portland, dans le Maine, pour étudier les immeubles semblables que l’on venait d’y construire. Les dessins qu’il soumit montrent un monumental édifice néo-grec de plan cruciforme où des frontons sculptés surmontent d’imposantes colonnades corinthiennes. Fait inhabituel, la structure était « à l’épreuve du feu », selon les termes de Baillairgé, caractéristique obtenue grâce à des poutres de fonte en forme de I, renforcées par des arcs de briques. Au début, on loua son projet, mais finalement il ne gagna pas le concours. Furieux, il attribua son échec à l’hostilité du commissaire adjoint des Travaux publics, Hamilton Hartley Killaly* (qu’il avait contrarié en refusant d’appuyer le choix de l’emplacement de l’immeuble projeté) et de l’architecte Pierre Gauvreau*, qui lui disputait les marchés que le département adjugeait à Québec.

Bien décidé à regagner la confiance des Travaux publics, Baillairgé jura qu’il était prêt « tel le Phénix, à renaître de [ses] cendres et à mettre [ses] talents au service de [son] pays ». Ottawa ayant été choisi comme capitale, on sollicita, en mai 1859, des plans pour les édifices du Parlement. L’occasion de se faire valoir s’offrait donc à lui. Un an plus tôt, en prévision d’un concours de ce genre, il avait conçu un hôtel du Parlement pour la ville de Québec et produit une série de dessins. Estimant que seul le néo-classique, fondé sur les principes de la beauté éternelle, convenait à des édifices publics, c’était sur ce style que son choix s’était porté. Il avait conçu un bâtiment rectangulaire dont chaque façade présentait d’énormes colonnes corinthiennes ; le toit, plat, était surmonté de statues en bronze des pères fondateurs du Canada et d’une rotonde compliquée. Fier de son projet, il déclara pouvoir « sereinement défier les États-Unis ou même l’Europe de le surpasser ». Toutefois, ni cette série de plans, ni l’autre qu’il soumit, aussi de style classique, ne furent retenues, probablement parce qu’elles se démarquaient du style néo-gothique sanctionné par l’usage depuis la reconstruction du palais de Westminster (Londres) et que semblait préférer le comité de sélection.

Piqué au vif qu’un marché aussi lucratif lui ait passé sous le nez, Baillairgé trouva néanmoins la ressource de poser sa candidature comme architecte et superviseur de la construction de la prison de Québec. Il obtint ce contrat en 1860, bien que le processus de sélection ait été embrouillé au départ par la tenue d’un concours où l’on avait bien décerné des prix mais accepté aucun plan. La confusion s’accrut encore lorsqu’on fixa le coût maximal des travaux : il était beaucoup trop bas. Aveuglé par l’ambition, Baillairgé accepta cette impossible exigence. C’était courir à la catastrophe. Le plan de base s’inspirait des idées réformistes qui avaient cours aux États-Unis en matière d’architecture pénitentiaire. Après avoir visité toutes les prisons et tous les pénitenciers de Québec à Washington, Baillairgé y intégra diverses innovations : blocs administratif et cellulaire séparés, cellules individuelles, aires de travail en commun. Le bureau d’inspecteurs des prisons loua son plan en disant qu’il respectait « le grand principe social « selon lequel la société est tenue de prendre toutes les précautions possibles pour empêcher ceux [...] qu’elle met en prison d’en sortir pires qu’ils n’y sont entrés ». Toutefois, à mesure que les travaux progressaient, l’absurdité des conditions initiales se faisait sentir. Les entrepreneurs étaient à court d’argent, le département retenait les fonds ; sur le chantier, des ouvriers, irrités de ne pas avoir été payés, rossèrent Baillairgé ; la construction finit par cesser complètement. On ne saura jamais comment Baillairgé aurait réglé cette situation intenable car, en avril 1863, au milieu de tous ces ennuis, il fut convoqué à Ottawa pour superviser la construction non moins perturbée des édifices du Parlement.

Baillairgé, avec un des architectes qui avaient fait les plans, Thomas Fuller*, fut chargé de surveiller l’achèvement de ces édifices sous la direction du surintendant des Travaux publics, Frederick Preston Rubidge*. Les travaux duraient depuis trois ans et tous les crédits avaient été dépensés, sans grands résultats. Il avait donc fallu adjuger de nouveaux marchés. On avait choisi Baillairgé non pour ses talents de concepteur mais en raison de ses compétences techniques. Pour des motifs de sécurité et de commodité, il apporta, dans le courant même des travaux, plusieurs modifications aux plans que Thomas Stent et Augustus Laver* avaient faits des bâtiments ministériels est et ouest. Stent prit fort mal la chose : devant des ouvriers perplexes, il contremanda les ordres de Baillairgé puis engagea avec lui un débat dans la Montreal Gazette. En plus, la vigilance que Baillairgé exerçait sur le chantier irritait les ouvriers qui, déjà pleins d’amertume, lançaient des menaces de grève et de représailles parce qu’on avait réduit la rémunération du travail supplémentaire. En février 1865, pour couronner le tout, le département des Travaux publics demanda à Baillairgé de recueillir des preuves de corruption en prévision de l’arbitrage des plaintes déposées par les architectes et les entrepreneurs initiaux. Voyant qu’ils risquaient gros, des hommes politiques comme Hector-Louis Langevin et Joseph-Édouard Cauchon*, avec les entrepreneurs qu’ils protégeaient, dont Thomas McGreevy*, forgèrent des accusations contre Baillairgé. Celui-ci fut congédié brusquement en mai 1865, après avoir passé seulement deux ans à Ottawa. Humilié par les fausses allégations de « grave manquement à ses devoirs » et frustré dans son désir de devenir architecte en chef des Travaux publics, il rentra à Québec.

Sans emploi, ce fut des sœurs du Bon-Pasteur que Baillairgé obtint sa première commande après son retour : une nouvelle chapelle pour leur couvent. Peut-être parce que sa malheureuse expérience à Ottawa l’avait dégoûté du néo-gothique, il revint à son style de prédilection, le néo-classique. La chapelle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, présente des motifs circulaires et semi-circulaires entrelacés ; l’effet est saisissant dans les doubles galeries et dans l’abside, où les nombreuses fenêtres font chatoyer la lumière.

À Québec, la construction avait chuté depuis les années 1850, de sorte que gagner sa vie était difficile pour les architectes – surtout s’ils étaient controversés. Baillairgé eut donc de la chance d’être nommé « surintendant des travaux de la corporation de Québec » en 1866. Il exercerait cette fonction jusqu’en 1898, mais à compter de 1878, en raison de modifications à la loi municipale, il ne portait plus le titre de surintendant et utilisait généralement celui d’« ingénieur de la cité ». De son propre aveu, ce qui constituait son ordinaire ne lui inspirait que du mépris : construire des marchés ou des casernes de pompiers, faire des travaux d’aqueduc et d’égout était indigne de ses connaissances et de ses talents. À l’occasion, toutefois, des projets emballants et prestigieux se matérialisaient. Par exemple, en participant à la réalisation des travaux d’embellissement dont le gouverneur général lord Dufferin [Blackwood] s’était fait le promoteur, il put fréquenter assidûment ce dernier et apporter sa contribution à l’un des grands chantiers d’aménagement urbain du xixe siècle canadien. C’est à Baillairgé que l’on doit ces célèbres éléments de la terrasse Dufferin que sont les pittoresques kiosques de fer verts et blancs dont le dessous des arcs est orné d’emblèmes nationaux. Il conçut également la série d’escaliers en fer qui relient la haute et la basse ville, ce qui lui donna l’occasion d’éprouver les possibilités techniques de ce matériau. Il opta, en dessinant ces escaliers, pour des styles divers : par exemple le classique pour celui de la rue Saint-Augustin, construit en 1882–1883, et un style résolument moderne pour celui de la rue Sainte-Claire, en 1888. Par ailleurs, afin d’échapper à la routine, Baillairgé proposa aux édiles municipaux plusieurs projets pleins d’originalité. On peut citer une fontaine rotative électro-chromatique ; une tour illuminée de dix étages en l’honneur de l’accession de l’archevêque Elzéar-Alexandre Taschereau* au cardinalat en 1886 ; une tour pour le jubilé de la reine Victoria, ouvrage de 150 pieds de haut, en fer et en acier, variante du projet qu’il avait soumis sans succès à un concours tenu en 1889–1890 dans le but d’élever à Londres une tour semblable à la tour Eiffel ; une série de glissoires et de monuments de glace fantaisistes pour le carnaval d’hiver de Québec en 1895. Bon nombre de ces projets ne se réalisèrent jamais. En tant qu’ingénieur municipal, Baillairgé se consacra néanmoins à accroître le caractère urbain de sa ville natale.

Pendant toute sa carrière, Baillairgé n’eut que deux associés. En 1853, il forma avec un ancien apprenti arpenteur la firme Baillairgé et Fortin, mais elle dura peu. De 1863 à 1866, pendant son séjour à Ottawa, il avait tenté de rester en relation avec Québec par la voie d’une association avec un autre ancien apprenti, Joseph-Ferdinand Peachy. Baillairgé et Peachy adoptèrent un style à l’italienne passablement moderne et surchargé pour les quelques ouvrages qu’ils réalisèrent ensemble, en particulier l’intérieur de l’église de Saint-Laurent, dans l’île d’Orléans, et deux maisons de banlieue.

Baillairgé fut toujours fermement convaincu qu’il fallait donner une formation technique et scientifique aux architectes, aux constructeurs et aux gens de métier. Dans les années 1850, il prononça régulièrement des conférences sur les sciences physiques et les mathématiques devant les auditoires profanes des sociétés littéraires de la ville. Comme il avait de la voix, une bonne diction et de l’assurance, on venait l’entendre en grand nombre. En 1866, il publia un traité de géométrie, de trigonométrie et de toisé dont le but était de présenter, sous une forme synthétique et simple, l’état des connaissances en ces matières. À partir de là, il s’intéressa à la formule prismoïdale, méthode de calcul du volume de certains prismes. Il fut amené à mettre au point un système qui permettait de calculer le volume de toutes les formes que l’on trouve dans la nature. Fort utile aux ouvriers et aux artisans, ce « Tableau stéréométrique » (jeu de 200 maquettes en bois comprenant toutes les formes géométriques connues, avec leurs segments et sections, accompagné d’un traité expliquant la formule) remporta des médailles, des prix et des diplômes de nombreuses sociétés scientifiques et littéraires du Canada, des États-Unis et d’Europe. Baillairgé réalisa plusieurs versions de ce tableau. En 1874, au cours d’un séjour de trois mois en France, il reçut la médaille de bronze de la Société de vulgarisation pour l’enseignement du peuple et la médaille Philippe de Girard, qui couronnait la découverte la plus utile de l’année. Se tournant par la suite vers l’étude des mots, Baillairgé, qui parlait aussi bien l’anglais que le français, produisit plusieurs dictionnaires et autres ouvrages d’étymologie. Son apport à la propagation des connaissances techniques fut donc important.

Parallèlement à ces activités, il joua un rôle de premier plan dans la professionnalisation des trois disciplines qu’il pratiquait. En 1859, en réaction à la multiplication des architectes, ingénieurs et arpenteurs médiocrement formés, des praticiens professionnels fondèrent l’Association des arpenteurs provinciaux et instituts des ingénieurs civils et architectes. Baillairgé avait assez de prestige pour en être nommé vice-président en 1861. Quand les arpenteurs du Québec se constituèrent juridiquement en société, en 1882, il devint leur premier président. Il participa en 1887 à la fondation de la Société canadienne des ingénieurs civils et écrivit plus de 30 articles sur une vaste gamme de sujets pour le tout nouveau Canadian Engineer de Toronto. Il fut aussi très actif dans l’Association des architectes de la province de Québec, fondée en 1890. Outre qu’il appartint à divers titres au comité de direction, conçut des programmes d’études et fit partie du jury d’examen des candidats, il présenta souvent des communications aux assemblées annuelles de l’association et publia plus de 40 articles dans le Canadian Architect and Builder de Toronto. Il fit en outre diverses communications techniques et littéraires aux réunions de la Société royale du Canada, dont il fut membre dès la fondation, en 1882.

La carrière de Charles Baillairgé, qui s’étendit sur près de 60 ans, fut d’une diversité et d’une fécondité remarquables. Tant sa prodigieuse activité que ses tumultueuses relations avec ses employeurs témoignent de sa forte personnalité. Curieux, énergique, inventif, anticonformiste infatigable, confiant, enthousiaste, honnête et plein d’humour, il pouvait aussi se montrer agressif, abrupt, ambitieux, opiniâtre, querelleur et orgueilleux. Tout en reconnaissant qu’il travaillait dans un lieu qui était presque le bout du monde, il refusait résolument de se laisser limiter par cette circonstance et participa aux grands courants intellectuels de son époque. Concepteur de près de 200 édifices, auteur de plus de 250 livres et articles en français ou en anglais, il contribua énormément au progrès des arts du bâtiment au Canada et à la diffusion des connaissances techniques. De son vivant, ses réalisations techniques, scientifiques et littéraires lui apportèrent la renommée, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Cependant, c’est peut-être dans sa ville natale que son influence s’est fait le plus sentir ; encore aujourd’hui, les témoins de son œuvre d’architecte, d’ingénieur et d’urbaniste abondent dans le Vieux-Québec.

Christina Cameron

L’article est entièrement fondé sur la biographie publiée par Christina Cameron, Charles Baillairgé, architect & engineer (Montréal et Kingston, Ontario, 1989). Les notes placées à la fin de cet ouvrage ainsi que les références qui se trouvent dans l’appendice 3 donnent les principales sources documentaires qui ont servi à la rédaction du présent article. De plus, l’appendice 3 contient une bibliographie complète des ouvrages rédigés par Baillairgé ainsi que la liste des volumes d’architecture contenus dans sa bibliothèque.  [c. c.]

Bibliographie générale

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Christina Cameron, « BAILLAIRGÉ, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/baillairge_charles_13F.html.

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Auteur de l'article:    Christina Cameron
Titre de l'article:    BAILLAIRGÉ, CHARLES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    19 mars 2024