Titre original :  Horace Beemer

Provenance : Lien

BEEMER, HORACE JANSEN, entrepreneur ferroviaire et homme d’affaires, né en 1845 ou en 1848 à Honesdale, Pennsylvanie ; en juin 1887, il épousa Clare Eveline Dufresne, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 22 juillet 1912 à Londres.

On ne sait rien de l’enfance ni de l’adolescence d’Horace Jansen Beemer. Il était peut-être le fils de Moses Beemer, fermier du comté de Wayne, en Pennsylvanie, qui, au recensement de 1850, déclarait avoir un fils de cinq ans prénommé Horace J. C’est à titre de contremaître à la Smith and Ripley de New York qu’il vient au Canada au début des années 1870 et travaille au canal Welland. Il devient entrepreneur au cours des années suivantes et réussit à obtenir quelques contrats de construction, dont celui d’une partie d’un pont ferroviaire à Ottawa, puis de certaines sections de la terrasse Dufferin, à Québec. En 1878, il s’associe avec un compatriote, Edward Curran, et un autre entrepreneur, John Sullivan, de Montréal, sous la raison sociale de Beemer, Sullivan and Company. La firme construit les portes Kent et Saint-Louis dans la haute ville de Québec. Redevenu entrepreneur indépendant en 1880, Beemer cherche de nouvelles occasions d’affaires. Avec Auguste Laberge, de Montréal, il s’intéresse en 1881 à l’exploitation d’un gisement ferreux à Saint-Urbain, dans le comté de Charlevoix, mais le projet est rapidement abandonné. Il porte alors son attention sur le réseau d’aqueduc de la ville de Québec, que le nouveau conseil municipal, dirigé par François Langelier, compte rénover.

Entrepris en 1854, le réseau d’aqueduc ne dessert en 1882 qu’une partie de la ville de Québec. Les quartiers Jacques-Cartier et Saint-Roch sont démunis d’eau courante et la canalisation de 18 pouces parvient difficilement à satisfaire la demande des quartiers de la haute ville ; la pression est aussi insuffisante pour combattre adéquatement les incendies, comme l’a noté l’ingénieur de la ville, Charles Baillairgé*, dans son rapport de 1881. Devant le mécontentement des citoyens et la hausse des primes d’assurances, l’administration municipale décide, en 1883, de construire une nouvelle canalisation de 30 pouces afin d’assurer un approvisionnement d’eau suffisant et constant sur tout son territoire. Beemer obtient le contrat en 1883, devançant ses principaux concurrents, la Carrier, Laîné et Compagnie, ainsi que John Patrick Whelan et Thomas McGreevy*. Terminés en décembre 1884, les travaux suscitent rapidement la controverse, car la nouvelle canalisation est sujette à de nombreux bris : la ville n’a pas retenu la proposition de Beemer de renforcer l’épaisseur des tuyaux, car elle la jugeait trop coûteuse.

Durant ces années, Beemer s’intéresse aussi au développement ferroviaire. En juillet 1883, il se voit confier par la Québec and Lake St John Lumbering and Trading Company, moyennant de fortes compensations financières, la construction des 135 derniers milles qui permettront de relier la ville de Québec à Roberval, au Lac-Saint-Jean. Inauguré au début de 1888, le chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean ne constitue cependant qu’un des maillons d’une stratégie beaucoup plus large, qui vise à exploiter les richesses naturelles des régions autour de la ville de Québec et du nord de la province. Ce programme d’expansion est l’œuvre d’un groupe d’hommes d’affaires affilié à la Banque de Québec et dirigé par Francis Ross. En 1888, ce groupe décide de construire deux embranchements, l’un vers Chicoutimi et l’autre vers ce qui deviendra La Tuque. Beemer obtient le contrat de construction du premier embranchement, qui est terminé en 1893. Entre-temps, Beemer, qui a racheté les droits d’exploitation du chemin de fer de Québec, Montmorency et Charlevoix vers 1886, s’entend avec les propriétaires du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean pour mettre en valeur le terminus de Québec. Les deux entreprises acceptent en mai 1890 de partager les coûts d’acquisition, de construction et d’aménagement des terrains du terminus, de la gare de triage et du pont devant enjamber la rivière Saint-Charles. À la recherche de capitaux, Beemer et Ross décident de refinancer la dette de la Compagnie du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean par l’émission de nouvelles obligations évaluées à 3,8 millions de dollars. Cette convention permet, entre autres, de renégocier l’imposant passif de 343 000 $ accumulé auprès de la Banque de Québec. Cependant, loin de libérer Beemer, elle le lie encore davantage à Ross, qui demeure son principal bailleur de fonds.

De fait, les liens de Beemer avec la famille Ross sont multiples. En 1888, il a construit une scierie à Roberval pour le compte de la Ross, Beemer and Company en vue de l’exploitation, entre autres, des concessions forestières que les Ross ont acquises au début des années 1870. Conscient des possibilités qui s’offrent à la région avec la venue du chemin de fer, il s’associe la même année avec Benjamin Alexander Scott* pour construire l’hôtel Roberval et mettre en chantier le Péribonka, caboteur destiné à transporter bois, marchandises, passagers et touristes. De 1890 à 1894, grâce à l’esprit d’entreprise des deux associés, trois autres vapeurs sont construits pour favoriser le peuplement de la partie nord du lac Saint-Jean. En 1891, Beemer fait agrandir son hôtel, l’aménage luxueusement et ouvre un second établissement, le Island House, près de Saint-Joseph-d’Alma (Alma). La clientèle, qu’il attire au moyen d’articles publicitaires dans les journaux américains, est cosmopolite, riche, huppée et avide de taquiner la ouananiche, saumon d’eau douce dont il s’assure un approvisionnement constant en aménageant, à Roberval, en 1897, un établissement piscicole.

Tout en contribuant au développement de la région, Beemer s’engage dans d’autres entreprises. En effet, depuis 1886, il est président, actionnaire majoritaire et entrepreneur des chemins de fer de Montréal et Occidental, d’Ottawa et de la vallée de la Gatineau et de celui de jonction de Pontiac au Pacifique. Comme dans le cas du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean, ces lignes traversent un arrière-pays, soit les régions au nord de Saint-Jérôme et de Hull-Ottawa. Proche du gouvernement d’Honoré Mercier* à cause de ses solides relations d’affaires avec l’élite de la vieille capitale, Beemer bénéficie de nombreuses subventions provinciales. La construction des voies commence en 1890, pratiquement en même temps que les travaux de prolongement du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean et d’un tronçon du chemin de fer de la rive sud, entre Nicolet et Saint-Grégoire, dont Beemer se déclare l’actionnaire majoritaire.

Tous ces projets requièrent un financement imposant. Les subventions, qu’elles soient fédérales ou provinciales, sont insuffisantes et Beemer doit faire face, à plusieurs reprises, à l’insatisfaction de ses employés et fournisseurs parce qu’il n’a pas l’argent pour les payer. Il fait alors appel à des établissements bancaires comme la Banque du Peuple, la Banque Jacques-Cartier et la Banque de Québec, ou à des investisseurs privés comme la firme de courtage montréalaise Hanson Brothers ou la famille Ross. Beemer contracte donc de lourdes dettes. Pour s’en libérer, il doit céder l’exploitation du Montréal et Occidental en 1892, du chemin de fer d’Ottawa, du Nord et de l’Ouest (les anciens chemins de fer d’Ottawa et de la vallée de la Gatineau et de jonction de Pontiac au Pacifique) en 1902 à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, mais sans que ce soit suffisant. Quand il construit en 1897 le pont Alexandra entre Ottawa et Hull, prolongement naturel du chemin de fer de jonction de Pontiac au Pacifique, il doit hypothéquer ses biens pour rembourser les dettes qu’il a contractées.

Beemer a néanmoins conservé de solides appuis financiers parmi l’élite d’affaires québécoise et les investisseurs américains. Président de la Compagnie du chemin de fer de Québec, Montmorency et Charlevoix à compter de 1891, il voit dans la construction d’un réseau de transport électrifié pour la ville de Québec une occasion d’affaires unique. Après que la compagnie a obtenu la franchise de construction et d’exploitation des autorités municipales, Beemer tente d’intéresser des investisseurs américains à ce projet, mais à cause de l’instabilité du marché boursier, ceux-ci finissent par se désister et Beemer doit céder en 1896 sa franchise à la Compagnie de chemin de fer du district de Québec [V. Andrew Thomson*]. Toutefois, l’acte de cession comporte une clause de rachat et en 1898 la Compagnie du chemin de fer de Québec, Montmorency et Charlevoix décide de s’en prévaloir et de se porter aussi acquéreur de la Compagnie de pouvoir électrique de Montmorency.

Cette fusion, évaluée à plus de 2 millions de dollars, se fait cependant au détriment de Beemer. Le passif courant de la Compagnie du chemin de fer de Québec, Montmorency et Charlevoix est d’environ 800 000 $, dont 334 000 $ sont dus à Beemer et 176 000 $ à la Ross and Company, le principal créancier de ce dernier. Plus de 70 % des obligations sont en possession de Francis Ross (46 %), de la Hanson Brothers (12 %) et de la Banque Jacques-Cartier (12 %). Même si Beemer accède à la présidence de la nouvelle compagnie, les véritables décideurs sont désormais Francis Ross et la Banque de Québec, la Hanson Brothers et la Banque Union du Canada, qui est le principal bailleur de fonds des entreprises hydro-électriques à Québec [V. Andrew Thomson]. En 1899, au moment d’une réorganisation administrative qui amène la création de la Compagnie de chemin de fer, d’éclairage et de force motrice de Québec, Beemer cède le siège de la présidence à Andrew Thomson ; trois ans plus tard, il est évincé du conseil d’administration.

À partir de ce moment, Beemer perd progressivement son prestige et son influence. Au début des années 1900, il semble se concentrer sur le développement de ses propriétés du Lac-Saint-Jean. À la suite de l’incendie de l’hôtel Roberval en 1908, il se départit de ses navires au profit de son vieil associé Scott, mais il en profite pour lui racheter ses droits de pêche à la Grande Décharge du lac. Beemer est alors presque totalement absent du secteur de la construction ferroviaire. En 1908, il se voit offrir par la Compagnie du chemin de fer Matane et Gaspé de construire le premier tronçon de cette ligne, entre Sainte-Flavie et Matane. Domicilié à New York, il ne peut exercer un lobby influent et efficace auprès des autorités gouvernementales et l’entreprise ne verra jamais le jour, du moins sous sa direction.

Malade depuis 1910, Horace Jansen Beemer s’éteint à Londres en 1912. Homme d’une énergie indomptable, il meurt, assez curieusement, d’épuisement, miné sans doute par l’ambition démesurée qui l’avait habité. À une époque où la construction et l’exploitation ferroviaires assuraient prestige social et fortune, Beemer n’a jamais pu se départir du rôle d’exécutant et devenir un véritable décideur et un financier. Ce sont ses liens avec la famille Ross qui lui ont permis de gravir rapidement les échelons de la société, mais ces liens ont aussi freiné sa propre ascension tout au long de sa carrière.

Jean Benoit

AC, Québec, Minutiers, Joseph Allaire, 23 oct. 1896 ; W. N. Campbell, 11 juin 1898 ; J.-A. Charlebois, 27 mars 1899 ; E. G. Meredith, 20 sept., 18 nov. 1878, 30 nov. 1891, 25 mars 1892, 7 janv. 1897, 22 déc. 1905, 10 août 1908, 18 janv. 1909 ; Cyrille Tessier, 10 juill. 1883, 2 mai 1889, 31 mai 1890.— ANQ-Q, T11-1/24, nos 2255–2256 (1878) ; 25, nos 2478 (1880), 2487 (1881).— Arch. de la ville de Québec, QD2, rapport de Henry O’Sullivan, 7 août 1884 ; QP1-4, contrat entre la corporation de la cité de Québec et H. J. Beemer, 10 juill. 1883 ; rapport de Charles Baillairgé, 5 déc. 1884.— La Semaine commerciale (Québec), 8 nov., 6 déc. 1895, 6 mars, 1er mai 1896, 16 juill. 1897, 1er mars 1901.— Le Soleil, 24 juill. 1912.— Annuaire, Québec et Lévis, 1900–1902.— Jules Bélanger et al., Histoire de la Gaspésie (Montréal, 1981), 468.— Léonidas Bélanger, « le Lieutenant-Colonel B.-A. Scott », Saguenayensia (Chicoutimi, Québec), 15 (1973) : 88–92.— Jean Benoit, « le Développement des mécanismes de crédit et la Croissance économique d’une communauté d’affaires ; les marchands et les industriels de la ville de Québec au xixe siècle » (thèse de ph.d., univ. Laval, 1986).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— Martin Gaudreault, « Une ville, Roberval », Continuité (Québec), 47 (1990) : 47–50.— Gaétan Gervais, « l’Expansion du réseau ferroviaire québécois (1875–1895) » (thèse de ph.d., univ. d’Ottawa, 1978), 291, 426–143.— Camil Girard et Normand Perron, Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Québec, 1989), 192, 195.— André Lortie, « Hôtel Roberval : tout le monde descend ! », Cap-aux-Diamants (Québec), no 33 (printemps 1993) : 54–57.— The Quebec and Lake St John Railway Company of Canada and others to the trustees, executors, and Securities Insurance Corporation, Limited [...] (Londres, 1888).— Rossel Vien, Histoire de Roberval, cour du Lac-Saint-Jean ([Chicoutimi, 1955]), 113, 173s., 182s.

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Jean Benoit, « BEEMER, HORACE JANSEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 29 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/beemer_horace_jansen_14F.html.

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Auteur de l'article:    Jean Benoit
Titre de l'article:    BEEMER, HORACE JANSEN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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