COCHRANE, sir THOMAS JOHN, officier de la marine royale et administrateur colonial, né en Angleterre le 5 février 1789, fils aîné de l’amiral sir Alexander Forrester Inglis Cochrane et de sa femme Maria Shaw, veuve du capitaine Jacob Wheate ; le 6 janvier 1812, il épousa Mathilda Ross qui lui donna deux fils et deux filles ; décédé en Angleterre en 1872.

Au cours de leur carrière, Thomas John Cochrane et son père suscitèrent la jalousie et s’attirèrent de nombreux commentaires acerbes. Le comte St Vincent [John Jervis] disait : « Il faut se méfier des Cochrane. Ils sont tous fous, romantiques, cupides et menteurs. » Sir Alexander, qui avait la réputation de pratiquer le népotisme à outrance, engagea son fils de sept ans comme volontaire sur son bateau, le Thetis, en 1796 et le garda à ses côtés jusqu’en 1805, date à laquelle Thomas fut nommé lieutenant sur le Jason. Promu capitaine de ce bateau en 1806, Thomas servit aux Antilles jusqu’en 1809. En 1825 il en était à sa vingt-sixième année de service dans la marine royale et il semble que c’est l’expérience acquise au cours des huit années passées en station en Amérique du Nord qui lui permit d’être nommé gouverneur de Terre-Neuve cette année-là.

L’arrivée de Cochrane marqua le début d’une nouvelle époque pour Terre-Neuve. Celle-ci, gouvernée depuis 100 ans par la marine, longtemps maintenue sous la tutelle politique de l’amirauté – elle voyait l’île comme un « énorme navire » ancré au large du Grand-Banc – et considérée par les marchands de l’ouest de l’Angleterre comme un endroit propice à l’exploitation commerciale, obtenait enfin son premier gouverneur résident. Tory et autoritaire en raison de son éducation et de sa profession, Cochrane aimait les cérémonies officielles et la bonne chère ; il apporta avec lui à Terre-Neuve assez de meubles pour garnir un palais et, selon sir Richard Henry Bonnycastle*, il « déploya dans ses fonctions vice-royales une magnificence jusqu’alors inconnue » dans cette pauvre colonie. Épris de confort, il fit construire une nouvelle résidence pour le gouverneur. Celle-ci fut érigée sur une colline entre le fort William et le fort Townsend, loin de la basse ville, zone constamment menacée par les incendies. Elle fut conçue en Angleterre et devait coûter £8 778. Agrandie et souvent modifiée au gré de Cochrane, elle coûta finalement en 1831 la somme exorbitante de £36 000, ce qui donna lieu à la création d’une commission d’enquête. L’hôtel du gouverneur, qui est maintenant dans un quartier de St John’s en pleine expansion, perpétue la mémoire de Cochrane. Pour augmenter son confort et son plaisir, Cochrane avait acheté un terrain à environ trois milles de la ville, où il s’était fait bâtir, au bord d’un lac privé, une demeure d’agrément, Virginia Cottage, reliée à la résidence du gouverneur par une route privée. Mais, malgré ses goûts de luxe, Cochrane fut très énergique et prit sa tâche très au sérieux.

La charte royale du 2 janvier 1826 modifia l’administration de Terre-Neuve. Cochrane devait diviser Terre-Neuve en trois districts (nord, centre et sud) dirigés par un juge en chef et deux juges puînés généreusement rémunérés. La Cour suprême pouvait désormais admettre à la pratique devant les tribunaux un nombre suffisant d’avoués et d’avocats. À la suite de l’obtention de cette charte, Richard Alexander Tucker* devint juge en chef et fut aidé dans ses fonctions par John W. Molloy et Augustus W. DesBarres. Cependant l’expansion donnée à la justice civile ne fut pas suivie de l’instauration d’une forme classique de gouvernement civil. De fait le ministère des Colonies écarta la possibilité d’un gouvernement représentatif, et imposa un système semblable à celui qui venait d’être élaboré pour la Nouvelle-Galles du Sud, en vertu duquel Cochrane devait gouverner Terre-Neuve avec un conseil composé des trois juges et du commandant de la garnison. Selon A. H. McLintock, « ce conseil était strictement consultatif, car il ne devait être convoqué par le gouverneur que pour discuter des questions que celui-ci lui soumettrait ; les pouvoirs exécutifs du gouverneur différaient à peine de ceux existant sous l’ancien régime, puisque les membres du conseil étaient nommés par le gouverneur ». Des changements s’étaient opérés pourtant : le climat politique évoluait en Angleterre, et, par ailleurs, il se trouvait dans la colonie des hommes capables et désireux de s’opposer à l’oligarchie établie.

Malgré les limites du nouveau régime, Cochrane aborda avec enthousiasme les problèmes de la colonie, notamment celui de la crise économique. Il s’opposa à l’aide inconditionnelle aux indigents, laquelle, à son avis, était un encouragement à la paresse et à la dépendance vis-à-vis du gouvernement ; pour remédier à cet état de choses, il fit construire des routes reliant la capitale aux villages côtiers, créant ainsi des emplois. Il encouragea l’agriculture en offrant des terres à des prix minimes, même s’il croyait que l’agriculture, de par la nature du sol, ne pouvait être que le complément de la pêche. Il mit fin à la pratique de la déportation des plus pauvres. Il entreprit la codification des lois anglaises applicables à Terre-Neuve, mais ce projet resta inachevé. Il échoua en 1826 dans sa tentative d’instaurer un gouvernement municipal à St John’s, n’ayant pu obtenir l’unanimité du groupe réuni pour discuter de ce projet. Cabales politiques, querelles entre catholiques et protestants, rivalités entre Anglais et Irlandais, opposition des marchands, tout se liguait contre lui. Finalement, en 1827, il demanda au ministère des Colonies de forcer la ville d’accepter un projet de gouvernement local, mais Londres refusa. Pendant la durée du mandat de Cochrane, la ville de St John’s fut donc gouvernée par le conseil.

Parmi les partisans d’une assemblée représentative – problème qui retenait l’attention de la colonie – deux figures dominaient : Patrick Morris*, né à Waterford, Irlande, et le docteur William Carson*, du Kirkcudbrightshire, en Écosse. Cochrane s’opposait à cette idée, s’appuyant sur des arguments solides, sinon entièrement convaincants, et que la suite des événements viendra corroborer. Il savait qu’un certain nombre de marchands importants soutenaient la cause du gouvernement représentatif, mais un assez grand nombre d’autres, résidents et non résidents, manifestaient vivement leur opposition à tout changement. En outre, le ministère des Colonies avait prévenu Cochrane qu’il n’y avait plus lieu de résister à la pression que la population sans cesse croissante (l’île comptait environ 60 000 habitants) exerçait contre l’autoritarisme du régime en vigueur. Le gouverneur soutenait cependant que, parmi cette nombreuse population, seuls quelques marchands étaient assez riches, instruits et honnêtes pour siéger à la législature et qu’eux et leurs agents étaient déjà suffisamment occupés par leurs activités commerciales. Même si l’on ajoutait à ces marchands les membres des professions libérales, seule la ville de St John’s serait bien représentée. Les villages côtiers seraient privés d’une représentation adéquate en raison de l’absence de routes, de la rudesse du climat et du nombre insuffisant d’hommes compétents. Cochrane croyait sincèrement que la forme de gouvernement qui existait alors était celle qui convenait le mieux à la masse de pêcheurs sans instruction et peu au fait de la politique ; il suffisait de quelques réformes, comme par exemple la création d’une administration municipale dans les localités importantes.

Sir James Stephen fit sans doute pencher la balance en faveur des réformistes quand, le 17 décembre 1831, en tant que conseiller légal du ministère des Colonies, il publia un rapport sur la forme de législature suggérée pour Terre-Neuve. Il soulignait que, « dans toutes les colonies où la population est homogène, [...] une assemblée législative est un grand bienfait ; elle s’acquitte de ses fonctions avec une compétence rarement estimée à sa juste valeur, prévient les mécontentements ou les oriente dans la bonne direction ; elle engendre une plus grande compréhension mutuelle, offre d’honnêtes divertissements et crée un centre d’intérêt permanent dans des sociétés qui, autrement, croupiraient dans une indifférence nonchalante face aux problèmes d’intérêt public ». Déjà en septembre, George Robinson, député de Worcester à la chambre des Communes, qui connaissait Terre-Neuve depuis longtemps pour y avoir résidé et y avoir exercé une activité commerciale, avait demandé la création d’une assemblée en se référant au projet de loi britannique concernant la réforme, projet qui deviendra la fameuse loi de 1832. Quand, en juillet 1832, le gouvernement anglais lui signifia qu’il avait perdu la partie, Cochrane, au lieu de démissionner, promit d’appuyer la nouvelle constitution. C’était pour lui une décision pénible car ses avis sur les besoins de la colonie avaient été ignorés par le sous-ministre des Colonies, le vicomte Howick [Henry George Grey], whig et partisan des institutions représentatives.

Cochrane obtint un nouveau mandat en août 1832, devenant ainsi le premier gouverneur civil de l’île. Il fut autorisé à créer une législature avec un Conseil exécutif de sept membres qu’il pourrait suspendre pour toute raison légitime, et à diviser l’île en neuf districts, qui éliraient pour les représenter une Assemblée de 15 membres, à un suffrage quasi universel. Cochrane conserva son droit de veto et ses pouvoirs d’ajourner, de proroger ou de dissoudre la législature. Ses deux années sous ce nouveau régime constitutionnel furent loin d’être heureuses. Les troubles que lord Goderich [Frederick John Robinson] avait tenté de prévenir quand il était ministre des Colonies s’abattirent pour de bon sur la jeune législature ; malgré les avertissements de Goderich et de James Stephen, on négligea de fusionner le Conseil exécutif et l’Assemblée, de sorte qu’il n’y avait pas de conseillers exécutifs au sein de la Chambre basse pour enrayer le radicalisme des membres les plus vociférants ; en outre, un conseil indépendant ouvrait la porte à l’empiètement des privilèges. Des querelles violentes et parfois vulgaires éclataient constamment entre le conseil et l’Assemblée. Celle-ci s’opposa à Cochrane, entra en conflit avec le public au sujet des privilèges et tenta parfois de soumettre le pouvoir judiciaire à ses volontés. Dans les deux camps, de fortes et irascibles personnalités, à l’extérieur comme au sein de la législature, envenimaient les débats privés et publics, tandis que les journaux affichaient cyniquement leur parti pris.

Deux hommes plus particulièrement incarnaient l’esprit de parti qui régnait en haut lieu. D’une part, Henry John Boulton*, qui venait d’être destitué de ses fonctions de procureur général du Haut-Canada par Goderich et d’être nommé, en 1833, juge en chef à Terre-Neuve (à ce titre il était donc membre du conseil) par le successeur de Goderich, lord Stanley, était loin d’être impartial dans ses fonctions judiciaires et se montrait arrogant en politique. D’autre part, l’évêque catholique, Michael Anthony Fleming*, n’hésitait pas à se mêler de politique, notamment en appuyant le catholique John Kent. L’évêque ouvrait ainsi la voie à l’engagement politique des membres du clergé. Une longue querelle s’engagea entre Cochrane et Fleming, et atteignit son point culminant dans un procès en diffamation que le gouverneur intenta au secrétaire de l’évêque, l’abbé Edward Troy, le soupçonnant d’être l’auteur d’une série d’articles contre lui dans la presse locale.

La révocation de Cochrane en 1834 fut le résultat non seulement de ses querelles avec les réformistes de la colonie et avec l’évêque, mais aussi d’une accumulation de griefs contre lui et du départ de Goderich qui, selon Cochrane, lui avait promis un mandat de plus de deux ans lors de sa nomination en 1832. Pour ajouter à son malheur, le successeur de lord Stanley, sir Thomas Spring-Rice, rappela à Cochrane ses dépenses extravagantes du passé et critiqua la lenteur avec laquelle il envoyait les dépêches à Londres. De son côté le ministère des Colonies n’avait pas entièrement raison de tenir Cochrane responsable du soulèvement populaire contre le rédacteur en chef protestant, Henry David Winton*, à St John’s vers la fin de 1833 et du manque de préparation de la garnison devant un tel déchaînement de violence. Cochrane pensa également que les plaintes constantes adressées au ministère des Colonies par le parti catholique et par les réformistes avaient hâté sa destitution. Son humiliation fut totale lorsque lui et sa fille Mary furent injuriés et couverts d’ordures tandis qu’ils descendaient la rue Cochrane (baptisée ainsi en son honneur) pour se rendre au bateau qui devait les ramener en Angleterre. Cochrane n’eut jamais d’autre mandat aux colonies, mais il fut lié de nouveau aux affaires de Terre-Neuve quand il présenta son témoignage devant une commission d’enquête formée en 1841 afin d’étudier les problèmes législatifs d’alors. Il profita de l’occasion pour réaffirmer sa conviction que la colonie n’était pas prête à recevoir la constitution de 1832, ajoutant que les événements politiques qui s’étaient déroulés durant le mandat du gouverneur sir Henry Prescott l’avaient renforcé dans sa conviction. Cochrane ne fut pas le seul à persuader le gouvernement britannique de modifier la constitution faute de pouvoir l’annuler et il contribua à l’établissement, l’année suivante, d’une législature formée de la fusion du Conseil exécutif et de l’Assemblée.

Cochrane fut député conservateur d’Ipswich entre 1839 et 1841, année où il devint contre-amiral. Entre 1842 et 1847, il fut successivement commandant en second et commandant en chef de la flotte croisant au large des côtes de la Chine, et, de 1852 à 1855, commandant en chef de Portsmouth. Il fut finalement élevé au rang d’amiral de la flotte en 1865.

La carrière administrative de Cochrane peut prêter à un jugement défavorable, mais le juge Daniel Woodley Prowse* écrivait vers la fin du xixe siècle : « Sir Thomas Cochrane est maintenant universellement reconnu comme ayant été le meilleur gouverneur de Terre-Neuve. » Avant le départ de Cochrane en 1834, la plus vieille colonie anglaise s’était engagée sur la voie difficile menant au gouvernement représentatif.

Frederic F. Thompson

PRO, CO 194/80–194/88.— DNB.— John Marshall, Royal naval biography [...] (2 vol., Londres, 1823–1830), I.— O’Byrne, Naval biog. dict.— Gunn, Political history of Nfld.— A. H. McLintock, The establishment of constitutional government in Newfoundland, 1783–1832 : a study in retarded colonisation (« Royal Empire Society Imperial Studies », 17, Londres, 1941).— Prowse, History of Nfld.— Thompson, French shore problem in Nfld.

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Frederic F. Thompson, « COCHRANE, sir THOMAS JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/cochrane_thomas_john_10F.html.

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Auteur de l'article:    Frederic F. Thompson
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
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