PERRON, JOSEPH-LÉONIDE, avocat et homme politique, né le 24 septembre 1872 à Saint-Marc, sur le Richelieu, Québec, fils de Léon Perron, cultivateur, et de Marie-Anne-Eugénie Ducharme ; le 6 juin 1898, il épousa à Montréal Berthe Brunet, et ils eurent deux fils ; décédé le 20 novembre 1930 à Montréal et inhumé le 22 au cimetière Notre-Dame-des-Neiges de la même ville.

Joseph-Léonide Perron fait ses études au collège Sainte-Marie-de-Monnoir, à Marieville. Il entre ensuite à l’université Laval à Montréal pour y étudier le droit ; il obtient son baccalauréat en 1892 et sa licence en 1895. Le 9 juillet 1895, il est admis au Barreau de la province de Québec ; il sera nommé conseiller du roi en 1903 et bâtonnier du barreau de Montréal pour 1922–1923.

Perron devient rapidement un des avocats les plus respectés de Montréal. Il s’associe d’abord avec Raymond Préfontaine*, ce qui lui permet de prendre son envol et de se faire remarquer des membres influents du Parti libéral. Il s’allie par la suite à Robert Taschereau, proche parent de Louis-Alexandre Taschereau*, futur premier ministre libéral de la province de Québec. Il attache également son nom à des organismes et à des causes qui contribuent à le faire connaître : en 1903, il devient le promoteur de la Compagnie de publication du Canada de Montréal ; en 1907, il est conseiller de l’Association du barreau de Montréal ; en 1909, il représente, en tant qu’avocat, le comité de citoyens devant la commission royale pour faire enquête générale et complète sur l’administration des affaires de la cité de Montréal avec Napoléon-Kemner Laflamme et Eugene Lafleur [V. Lawrence John Cannon]. La même année, le premier ministre sir Lomer Gouin le nomme membre du comité catholique du Conseil de l’instruction publique, ce qui crée des remous dans l’organisation étant donné les suspicions d’anticléricalisme qui planent sur lui ; il en fera partie jusqu’à la fin de sa vie.

En 1910, toujours à la demande de Gouin, Perron se porte candidat libéral aux élections provinciales partielles dans la circonscription de Gaspé, devenue vacante à la suite de la démission de Louis-Joseph Lemieux et qui peut représenter un siège facile à obtenir pour faire entrer un bon candidat au Parlement. Le premier ministre souhaite la présence d’un libéral progressiste à l’Assemblée législative pour apporter une opposition à Henri Bourassa* et aux conservateurs. Grâce à la popularité du gouvernement de Gouin qui promet de construire un chemin de fer en Gaspésie, Perron remporte la victoire, le 17 février, dans une circonscription qu’il connaît peu. Pour des raisons obscures, Perron ne se présentera pas aux élections générales du 15 mai 1912, mais sera en revanche élu sans opposition dans la circonscription de Verchères – où il est né – aux élections partielles du 16 octobre suivant.

À l’Assemblée législative, Perron apprend à remplir son rôle de représentant du Parti libéral. En 1911, il appuie le projet de loi promu par Godfroy Langlois, qui veut donner à la Compagnie des tramways de Montréal le monopole du transport public sur l’île. Vu ses activités professionnelles, Perron se fait le porte-parole des grandes entreprises, notamment la Shawinigan Water and Power Company, la Canada Cement Company et l’Excelsior Life Insurance Company.

Rapidement, Perron devient un rouage important de la machine libérale, particulièrement pour la région de Montréal. Président depuis 1914 du prestigieux Club de réforme de Montréal (association où se rassemblent traditionnellement les libéraux de la ville), il prend de plus en plus souvent part aux décisions politiques qui concernent la ville. Voilà probablement pourquoi, le 13 avril 1916, Gouin le nomme conseiller législatif pour la division de Montarville ; Perron peut ainsi se consacrer entièrement à organiser la campagne libérale pour l’importante région métropolitaine. En 1917, lorsque Montréal se retrouve avec de sérieux problèmes d’endettement, Perron met au point le plan de redressement imposé par le gouvernement provincial : modifications à la constitution de la ville, annexion de Maisonneuve et règlement de la question des tramways (où Perron, en tant qu’avocat de la Compagnie des tramways de Montréal, est juge et partie). Malgré le maire Médéric Martin*, qui prend de plus en plus de place, Perron impose sa vision de Montréal.

Perron est donc un personnage important pour le Parti libéral. Lorsque, en 1920, Gouin se retire de l’arène politique provinciale, il va de soi que cet homme de 47 ans devienne, avec Louis-Alexandre Taschereau, procureur général, et Joseph-Édouard Caron, ministre de l’Agriculture, l’un des candidats les plus sérieux à la succession. Le choix de Gouin se porte sur Taschereau, avec qui Perron ne semble pas en bons termes ; les deux hommes devront cependant apprendre à travailler ensemble. Lorsque Taschereau forme son cabinet, le 9 juillet 1920, Perron y devient ministre sans portefeuille, chargé officieusement de représenter Montréal et les grandes entreprises. Même s’il est le seul nouveau membre du cabinet, sa forte personnalité, son énergie, ses qualités personnelles et ses relations avec Taschereau portent la promesse d’une carrière qui fera beaucoup de bruit.

L’équipe semble malgré tout travailler efficacement, Perron apportant même son aide à Taschereau dans la rédaction de la loi qui crée la Commission des liqueurs de Québec, adoptée en 1921. Lorsque Joseph-Adolphe Tessier, ministre de la Voirie, est nommé à la présidence de la Commission des eaux courantes de Québec, Perron apparaît comme le candidat tout désigné pour assumer la fonction ainsi laissée vacante : déjà ministre, mais sans portefeuille, il est vu comme le prochain à mériter un ministère important. Le 27 septembre 1921, il devient leader du gouvernement au Conseil législatif et ministre de la Voirie. Son passage à ce dernier ministère, qu’il quittera en 1929, constitue sans doute le moment le plus important dans la carrière de Perron, qui y accomplit des projets dont la pérennité contribuera grandement à sa réputation. Au cours du banquet qui célèbre sa nomination, le nouveau ministre affirme vouloir construire les tronçons de route nécessaires pour aller de Lévis à Gaspé (vers l’est) et à Saint-Lambert (vers l’ouest) ; de même, il veut relier Montréal à Sherbrooke (vers le sud), à Mont-Laurier (vers le nord) et à Ottawa en passant par Hull. Cette annonce procurera non seulement des fonds à la caisse du parti – fonds provenant d’entrepreneurs désireux de profiter de cette manne –, mais également des votes dans les régions concernées. Perron fait ainsi la preuve de ses talents d’organisateur. En 1922, il annonce que les routes importantes seront désormais sous la responsabilité du ministère de la Voirie plutôt que des municipalités. Il procède au classement de ces routes dites provinciales, augmente les taxes sur les camions lourds, met sur pied un programme d’entretien, de réfection et de construction. Pour Perron, les nouvelles routes sont non seulement utiles aux déplacements mais aussi attrayantes pour les touristes.

Même si sa position d’avocat des grandes entreprises lui nuit à l’occasion – aux élections générales de 1923, les conservateurs l’accuseront de corruption parce qu’il est à la fois ministre de la Voirie et directeur de la Canada Cement Company, fournisseur du même ministère –, Perron sait utiliser sa fonction ministérielle pour faire des gains électoraux. En 1922, par exemple, il suit Arthur Sauvé*, chef de l’opposition officielle, afin de promettre des routes là où ce dernier marque des points. Pendant les assemblées, il applique une autre stratégie : le député libéral d’une circonscription donnée affirme que le sort de cette région dépend d’une route et adresse une requête en ce sens au ministre, qui fait partie de l’auditoire ; ce dernier, après avoir simulé une réflexion profonde, se lève et annonce la construction de cette route.

Mais Perron est plus qu’un habile acteur ou manipulateur électoral : il tient également ses promesses. Ainsi, en 1925, il réduit de 3 à 2 % le taux d’intérêt sur les prêts aux municipalités pour leurs travaux de voirie, baisse que les conservateurs demandaient depuis longtemps. La même année, il décide que les routes de colonisation ne relèveront plus du ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, mais de celui de la Voirie. C’est alors qu’il peut commencer son œuvre en Gaspésie : réfection de la route entre Rimouski et Sainte-Anne-des-Monts, construction du chemin de ceinture de la péninsule gaspésienne de Sainte-Anne-des-Monts jusqu’à Matapédia, travaux qui représentent un total de 190 milles en 1927 et 1928. Le nombre de touristes en Gaspésie passe ainsi d’une centaine en 1927 à 3 500 en 1928. La région de la Gaspésie se voit enfin dotée d’une route carrossable et, par le fait même, reliée au reste de la province par la route 126, qu’on a longtemps appelée le boulevard Perron (aujourd’hui la route 132). Pendant ce temps, ailleurs dans la province, la route entre Québec et La Malbaie est inaugurée en 1925 et, l’année suivante, la route 11 (ou route des Laurentides) est prolongée de Sainte-Agathe jusqu’à Mont-Laurier. Toujours attiré par les grands projets, Perron songe même à instaurer un monopole du commerce de l’essence qui engendrerait, dans un contexte où l’automobile et le tourisme étranger prennent de l’expansion, des revenus importants pour la province. Il abandonne l’idée à la suite de la pression exercée par l’industrie privée.

Perron ne perd pas de vue pour autant ses autres fonctions à l’intérieur du cabinet, notamment celle d’organisateur politique responsable de la région de Montréal ; Irénée Vautrin et Fernand Rinfret* le secondent dans cette tâche. En l’absence de Taschereau, alors parti en vacances, c’est à Perron que revient de déterminer la cause des mauvais résultats des libéraux aux élections générales de 1923 (comparativement aux élections de 1919, les libéraux ont perdu dix sièges et presque 15 % des suffrages exprimés). Refusant de voir les véritables problèmes d’organisation du parti, il s’en prend entre autres, en privé, au président de la Commission des liqueurs, qui n’a pas laissé les ministres utiliser l’organisme pour acheter les votes. Au printemps de 1927, mandaté par le premier ministre, Perron retire au maire de Montréal, Médéric Martin, la responsabilité des troupes libérales de la circonscription de Montréal–Sainte-Marie. Afin d’éviter la répétition, en 1927, des ratés de 1923, Taschereau donne tous les pouvoirs à Perron dans l’organisation politique de Montréal : chargé des nominations et du favoritisme, ce dernier se débarrasse des libéraux indépendants ou dissidents et réussit à améliorer les résultats.

Au début de 1929, Joseph-Édouard Caron, ministre de l’Agriculture depuis près de 20 ans, quitte le cabinet et hérite du poste de vice-président de la Commission des liqueurs. Plusieurs croient que le temps est alors venu de relancer l’agriculture, tâche que Taschereau confie, à la surprise de plusieurs – étant donné l’excellence de son travail à la Voirie –, à Perron, son ministre le plus réformiste. Dès son entrée en fonction, le ministre propose de mettre sur pied un programme d’autosuffisance agricole en encourageant l’utilisation des nouveaux moyens de production et de mise en marché, la formation de coopératives agricoles, l’électrification des campagnes, l’exportation de la production. De plus, il transforme la Coopérative fédérée de Québec en un véritable organisme de mise en marché et d’exportation à l’échelle provinciale, tentant de mettre l’agriculture au rang de l’industrie plutôt que de l’activité économique de survivance. Les adeptes de la modernisation sont enthousiastes avec l’avènement de Perron ; par son dynamisme, ce dernier veut entraîner l’agriculture québécoise dans le sillon des leaders mondiaux.

Pour justifier son nouveau poste de ministre, Perron décide de quitter les discussions tranquilles du Conseil législatif. Le 16 novembre 1929, il est élu député de la circonscription de Montcalm. Le manque de résistance de plusieurs libéraux aux attaques de certains conservateurs constitue sans doute la véritable raison de son retour à l’Assemblée législative. Taschereau confie en effet à Perron la tâche d’affronter Camillien Houde*, bouillant conservateur et nouveau maire de Montréal, qui, depuis sa réélection comme député dans Montréal–Sainte-Marie en 1928, ne rate pas une occasion de critiquer le gouvernement en général, et Perron en particulier.

L’année 1930 s’annonce comme une année prometteuse pour Perron. Tout d’abord, c’est en 1930 que les plans du pont du Havre (qui deviendra le pont Jacques-Cartier en 1934), à Montréal, sont révisés et le font déboucher sur des terres qu’il viendrait tout juste d’acheter. Mais, surtout, Perron s’apprête à contester le pouvoir de Taschereau, devenu trop conservateur aux yeux de plusieurs ; il ne vise rien de moins que le poste de premier ministre. Il aurait même, dans ce but, prit la direction officieuse de certains organes du parti. Ses attaques internes contre Taschereau, avec qui il entretient toujours des relations tendues, sont prêtes ; ses partisans ont quant à eux hâte de le voir déclencher les hostilités et la presse attend le signal du départ. Puis, sans prévenir, Perron prend des vacances aux États-Unis ; ayant été victime d’une crise d’angine de poitrine, il vient d’apprendre par ses médecins que ses jours sont comptés. Sans avertir outre mesure ses proches, il continue son travail au ministère, comme si de rien n’était. Il meurt le 20 novembre 1930, en plein élan de carrière, à l’âge de 58 ans.

Joseph-Léonide Perron a été pour le Parti libéral un partisan et un ministre dont le dynamisme, l’énergie, les opinions tranchées et la combativité ont entraîné d’importantes réformes dans les ministères où il a travaillé. En tant que responsable de l’importante région de Montréal, il a surtout compté parmi les organisateurs les plus influents, probablement surpassé en ce domaine seulement par le premier ministre lui-même. Tant pour ses gestes dans le domaine de la voirie provinciale que pour ses réformes dans le monde agricole québécois, il demeure un des ministres les plus importants du gouvernement Taschereau.

René Castonguay

Les archives nous en apprennent peu sur Joseph-Léonide Perron, pour lequel il n’existe aucun fonds. Néanmoins, il est possible de trouver quelques informations aux AN, dans les fonds Wilfrid Laurier (MG 26, G) et Lomer Gouin (MG 27, III, B4), ainsi qu’aux ANQ-Q, dans le fonds Louis-Alexandre Taschereau (P350). Les études sur cette période de l’histoire du Québec sont plus utiles, en particulier celles de B. L. Vigod, Quebec before Duplessis : the political career of Louis-Alexandre Taschereau (Kingston, Ontario, et Montréal, 1986) et de Conrad Black, Maurice Duplessis, Monique Benoit, trad. (2 vol., Montréal, 1977). Robert Lévesque et Robert Migner, dans Camillien et les années vingt, suivi de Camillien au goulag : cartographie du houdisme (Montréal, 1978), montrent l’opposition qui existe entre Camillien Houde et Perron au moment où ce dernier doit revenir à l’Assemblée législative. Plus indirectement, Jules Bélanger et al., Histoire de la Gaspésie (Montréal, 1981) et J.-G. Genest, Godbout (Sillery, Québec, 1996) fournissent de nombreux renseignements, ainsi que l’incontournable Rumilly, Hist. de la prov. de Québec.

ANQ-M, CE601-S1, 6 juin 1898 ; S46, 25 sept. 1872.— Le Devoir, 20 nov. 1930.— Le Soleil, 4 févr. 1921.— DPQ.— P. [A.] Dutil, l’Avocat du diable : Godfroy Langlois et la politique du libéralisme progressiste à l’époque de Laurier, Madeleine Hébert, trad. (Montréal, 1995).— Hector Grenon, Camillien Houde, raconté par Hector Grenon ([Montréal], 1979).— Hertel La Roque, Camillien Houde, le p’tit gars de Ste-Marie (Montréal, 1961).— Charles Renaud, l’Imprévisible Monsieur Houde (Montréal 1964).

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René Castonguay, « PERRON, JOSEPH-LÉONIDE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/perron_joseph_leonide_15F.html.

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Auteur de l'article:    René Castonguay
Titre de l'article:    PERRON, JOSEPH-LÉONIDE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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