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LESPERANCE (Lespérance), JOHN (en 1888 il ajouta Talon à son nom, qui devint John Talon-Lesperance), écrivain, journaliste, rédacteur en chef et fonctionnaire, né le 3 octobre 1835 à St Louis, Missouri, fils de Jean-Baptiste Lespérance et de Rita-Élizabeth Duchanquette ; le 20 septembre 1866, il épousa à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec) Lucie-Parmélie Lacasse, et ils eurent trois enfants ; décédé le 10 mars 1891 à Montréal.
Issu d’une famille d’« origine créole », pour reprendre ses propres termes, John Lesperance, « âgé de 23 mois », reçut le baptême à St Louis le 3 septembre 1837. Entré en février 1845 à la « section préparatoire » de la Saint Louis University, il étudia dans cet établissement jusqu’en 1851, puis au noviciat jésuite de St Stanislaus à Florissant, dans le Missouri. En 1856, il étudia la philosophie à la Saint Louis University puis, en 1857 et 1858, au collège jésuite de Namur, en Belgique. Il enseigna à la Saint Louis University en 1859, 1862 et 1863, et au St Joseph’s College de Bardstown, dans le Kentucky, en 1860 et 1861. Déjà, il écrivait de la poésie et du théâtre. Par la suite, un de ses poèmes de jeunesse parut dans un manuel de rhétorique à l’usage des « premières années de collège » de la Saint Louis University et des collèges jésuites avoisinants. Les élèves des établissements tenus par les jésuites dans la région de St Louis jouaient souvent une de ses pièces, Elma, the Druid martyr. En 1864, il s’inscrivit en première année de théologie au St John’s College de New York, mais des problèmes de santé (probablement un accès de la maladie mentale qui allait l’affliger périodiquement toute sa vie) l’obligèrent à regagner St Louis. C’est là qu’en 1865 il demanda à être délié de ses vœux et autorisé à « retourner dans le monde », ce qui lui fut accordé.
Par la suite, Lesperance allait apparemment inventer différentes histoires pour expliquer ce qu’il avait fait dans les années 1850 et la décennie qui suivit. Il prétendrait notamment avoir étudié dans une université européenne et avoir servi dans l’armée des confédérés pendant la guerre de Sécession, et ce sont ces vies fictives que racontent la plupart des notices biographiques parues sur lui depuis sa mort.
Au moment de son mariage avec sa cousine germaine, en septembre 1866, Lesperance habitait Montréal. Peu après, il s’installa à Saint-Jean où il vécut quelque temps avant de revenir à Montréal avec sa famille. Au cours de cette période, il fut journaliste au News and Frontier Advocate de Saint-Jean, à la Gazette et au Canadian Illustrated News de Montréal, à la direction duquel il collabora plusieurs années. D’autres périodiques publièrent aussi des articles de lui : ainsi, « The dumb speak », où il faisait état de nouvelles méthodes d’enseignement employées auprès des muets, parut en décembre 1872 dans le Canadian Monthly and National Review de Toronto.
Pour Lesperance, les années 1870 furent les plus productives sur le plan de l’écriture. Il composa des poèmes pour divers périodiques dont Abbandonata, qui figura dans le Canadian Monthly de janvier 1876. My Creoles [...], une histoire semi-autobiographique qui se déroule dans la vallée du Mississippi, parut par tranches dans le Republican de St Louis en 1878, puis dans le Canadian Illustrated News de juillet à novembre 1879. Le Republican du 13 septembre 1879 publia un article écrit en l’honneur du cinquantenaire de la Saint Louis University, « Alma Mater ». Cependant, c’est dans son pays d’adoption qu’il situa la plus grande partie de son œuvre créatrice. Au début des années 1870, il écrivit trois nouvelles sur des sujets canadiens pour le Canadian Illustrated News ; la plus longue, Rosalba [...], signée Arthur Faverel (un de ses pseudonymes), avait pour cadre la rébellion de 1837–1838 et parut en feuilleton en mars et avril 1870. Pour célébrer le centenaire de la Révolution américaine, il composa en 1876 une pièce, One hundred years ago [...], qui parut à Montréal la même année. Elle porte sur les dernières années du conflit et illustre combien les mobiles et allégeances des citoyens des Treize Colonies étaient complexes. Probablement pour le même centenaire, il écrivit ce qui devint son ouvrage le plus connu, The Bastonnais [...]. Paru en feuilleton dans le Canadian Illustrated News de janvier à septembre 1876 et publié sous forme de livre en 1877, ce roman se déroule à Québec pendant le siège des troupes américaines en 1775–1776. Traduits en français et publiés dans cette langue au moins une fois, Rosalba, One hundred years ago et The Bastonnais sont caractéristiques de son œuvre. Tous traitent d’un événement de l’histoire nord-américaine. Tous s’attardent sur les crises que ces événements provoquent chez des personnages de nationalité différente, qu’ils soient du même camp ou de camp opposé, et analysent ces tensions par le biais d’au moins une histoire d’amour. Tous, surtout Rosalba et The Bastonnais, rapportent des coutumes et légendes locales. De plus, ces deux œuvres appartiennent au genre de l’histoire romancée, que l’auteur considérait comme « l’un des moyens les plus efficaces d’instruire la population tout en la divertissant ».
Au milieu des années 1870, faire connaître l’histoire et la littérature du Canada devint pour Lesperance une mission de plus en plus importante. En février 1877, devant le Kuklos Club de Montréal (cercle de journalistes anglophones qu’il avait contribué à fonder deux ans plus tôt), il présenta une communication intitulée « The literary standing of the Dominion ». Grand liseur, il commençait par cet énoncé : « Chacun a sa façon de mesurer le progrès d’un pays. La mienne consiste à mesurer le progrès de sa littérature. » Il évoquait ensuite plusieurs auteurs et livres canadiens. Du côté francophone, il cita François-Xavier Garneau* et son ouvrage Histoire du Canada [...], Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé, auteur de les Anciens Canadiens, et James MacPherson Le Moine*, « gentleman qui mani[ait] aussi bien la langue anglaise ». Roughing it in the bush [...] et Life in the clearings [...] de Susanna Moodie [Strickland*], disait-il, « dégagent un puissant réalisme qui explique leur renommée tant en Angleterre qu’aux États-Unis ». Charles Heavysege*, Charles Mair* et Charles Sangster étaient d’« authentiques poètes canadiens ».
Désireux d’encourager les talents canadiens, Lesperance publia le 10 mai 1879, dans le Canadian Illustrated News, un poète en particulier. Il a rappelé, dans une causerie prononcée en 1884, comment les choses s’étaient passées : « J’ai reçu un petit cahier d’exercices qui contenait un certain nombre de courts poèmes qu’on aurait dit écrits d’une main d’écolier [...] J’ai choisi tout de suite [...] un sonnet [At Pozzuoli] et l’ai publié [...] J’étais certain que bientôt nous entendrions parler encore de ce garçon du Nouveau-Brunswick. Et c’est ce qui arriva. En 1880 paraissait à Philadelphie un petit recueil plein de subtilité, intitulé Orion, and other poems. » L’auteur en était Charles George Douglas Roberts*.
À la fin des années 1870, Lesperance fit probablement une autre dépression nerveuse. Du moins sait-on que, « épuisé par trop de travail », il démissionna du Canadian Illustrated News en 1880. Il prit du mieux et collabora en 1881 à la Gazette et au Star de Montréal. Pendant une bonne partie de la décennie, il tint dans la Gazette du samedi une chronique intitulée « Ephemerides ». Son ami William Douw Lighthall*, lui aussi homme de lettres, en a laissé la description suivante : « de courts paragraphes contenant des allusions à l’histoire ou aux choses anciennes, des citations, des méditations, parfois des poèmes de lui ou d’autres, des références aux classiques, parfois l’annonce d’un nouveau livre et même une ou deux recettes de cuisine, le tout signé Laclède en l’honneur de [Pierre de] Laclède Liguest, fondateur de sa ville natale, St Louis ». L’« attrait » de cette chronique, poursuivait Lighthall, « tenait presque tout entier en ceci qu’elle dévoilait la personnalité d’un des hommes les plus attachants [et] les plus idéalistes qui aient jamais vécu ou écrit ».
De 1882 à 1886, Lesperance exerça la fonction d’agent provincial d’immigration à Montréal. Tout au long des années 1880, il continua d’encourager l’étude et le développement de l’histoire du Canada et de la littérature canadienne. Membre fondateur de la Société royale du Canada en 1882, il prononça aux assemblées annuelles des conférences sur des sujets comme « The literature of French Canada » en 1883, « The poets of Canada » en 1884, « The analytical study of Canadian history » en 1887 et « The romance of the history of Canada » en 1888. Dans cette dernière communication, il déclarait que Jean Talon* – à qui il avait acquis la conviction d’être apparenté – était « peut-être l’homme le plus utile qui eût jamais œuvré au Canada ». Dès lors, il porta le nom de Talon-Lesperance. C’est ainsi qu’il signa les biographies de Joseph-Adolphe Chapleau et de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* qu’il fit paraître dans le Week de Toronto sous la rubrique « Prominent Canadians ».
En juillet 1888, Talon-Lesperance, « bien connu dans tout le Canada comme un auteur érudit et intéressant », se joignit à l’équipe du nouvel hebdomadaire de George-Édouard Desbarats, le Dominion Illustrated, à titre de directeur de la « section littéraire ». De juillet à décembre, il y signa des nouvelles, des poèmes, des articles et une colonne de variétés. Il fut président de la Society for Historical Studies et devint en 1889 vice-président fondateur de la Society of Canadian Literature. Toujours actif à la Société royale du Canada, il vota pour l’admission de Charles Mair, comme il le rapporta à son ami George Taylor Denison* le 27 janvier 1889. Dans la même lettre, il disait avoir publié dans le Dominion Illustrated deux morceaux jusque-là inédits de Mair : The last bison et Kanata. Lui-même vit son poème intitulé Empire first paraître en 1889 dans Songs of the great dominion [...], l’importante anthologie de poésie canadienne rassemblée et éditée par Lighthall.
Le 17 juillet 1888, Talon-Lesperance perdit sa fille Rita, celle de ses enfants qu’il chérissait le plus. Ce choc mina sa santé déjà fragile. En février 1889, il fut pris de ce que Lighthall appela une « paralysie insidieuse accompagnée d’hallucinations bénignes ». Il mourut le 10 mars 1891 et fut inhumé le 13 au cimetière de Côte-des-Neiges après des funérailles à l’église Notre-Dame.
John Lesperance est assez peu connu aujourd’hui. Pourtant, il publia beaucoup et explora les coutumes, les légendes et l’histoire du Canada dans son œuvre littéraire. Dans les années 1870 et 1880 surtout, soit au moment où le nouveau dominion se donnait une identité, il déploya beaucoup de zèle pour encourager les gens de lettres à privilégier les personnages, les événements et les thèmes qui constituaient – et constituent toujours – le « romanesque » et la « philosophie » de la culture canadienne.
Parmi les écrits de John Lesperance, citons le roman Rosalba ; or faithful to two loves : an episode of the rebellion of 1837–38, qu’il a fait paraître sous le pseudonyme d’Arthur Faverel dans le Canadian Illustrated News (Montréal) du 19 mars au 16 avril 1870. Traduit en français par Emmanuel-Marie Blain* de Saint-Aubin sous le titre de Rosalba ou les Deux Amours : épisode de la rébellion de 1837, il a été publié dans l’Opinion publique du 27 avril au 8 juin 1876, puis repris dans le Monde illustré de Montréal en 1898–1899. Lesperance est également l’auteur de : One hundred years ago ; an historical drama of the War of Independence in 4 acts and 20 tableaux, paru à Montréal en 1876. Cette pièce de théâtre est connue en français sous le titre de Il y a cent ans ; drame historique de la guerre de l’Indépendance, en 4 actes et 20 tableaux. À cela s’ajoutent : The Bastonnais : a tale of the American invasion of Canada in 1775–76, publié à Toronto en 1877. Ce texte avait d’abord été inséré dans le Canadian Illustrated News de janvier à septembre 1876, puis traduit en français par Aristide Piché qui l’a publié dans la République de Boston en 1876. Les Bastonnais parut ensuite dans la Rev. canadienne en 1893–1894 et a été réédité à Montréal en 1896 et 1925 ; My Creoles ; a story of St Louis and the southwest twenty-five years ago a été publié dans le Republican, journal de St Louis, Mo., en 1878, et repris dans le Canadian Illustrated News, de juillet à novembre 1879.
AN, MG 29, E29, 3–4, 27 janv. 1889.— ANQ-M, CE1-51, 20 juill. 1888, 13 mars 1891 ; CE4–10, 20 sept. 1866.— Dominion Illustrated (Montréal), 7, 28 juill. 1888, 21 mars 1891.— Gazette (Montréal), 11 mars 1891.— DOLQ.— Oxford companion to Canadian lit. (Toye), 451–452.— The evolution of Canadian literature in English [...], M. J. Edwards et al., édit. (4 vol., Toronto et Minneapolis, Minn., 1973), 2 : 16–24.— Songs of the great dominion : voices from the forests and waters, the settlements and cities of Canada, W. D. Lighthall, édit. (Londres, 1889).— Léon Trépanier, On veut savoir (4 vol., Montréal, 1960–1962), 4 : 83.— C. M. Whyte-Edgar, A wreath of Canadian song, containing biographical sketches and numerous selections from deceased Canadian poets (Toronto, 1910), 147–152.— M. J. Edwards, « Essentially Canadian », Littérature canadienne (Vancouver), no 52 (printemps 1972) : 8–23.— « John Lesperance, ’52 », Fleur de Lis (St Louis), 3 (1902) : 174–183.
Mary Jane Edwards, « LESPERANCE (Lespérance, Talon-Lesperance), JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lesperance_john_12F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lesperance_john_12F.html |
Auteur de l'article: | Mary Jane Edwards |
Titre de l'article: | LESPERANCE (Lespérance, Talon-Lesperance), JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 22 nov. 2024 |