JONES, THOMAS MERCER, agent de la Canada Company et banquier, né en Angleterre en 1795, décédé le 2 octobre 1868 à Toronto, Ontario.

En 1815, Thomas Mercer Jones entra comme apprenti auprès de la société commerciale Ellice, Kinnear and Company de Londres. Grâce aux conseils de son mentor dans la société, Edward Ellice, Jones se vit confier un poste de responsabilité, et sa réputation de fermeté devint « proverbiale ». Ellice était également un des vice-présidents de la Canada Company, gigantesque entreprise de colonisation et de spéculation foncière fondée en 1826. Cette société devait recevoir les terres de la couronne et une grande partie des « réserves » du clergé du Haut-Canada contre un paiement annuel au gouvernement de cette province, ce qui rendrait celui-ci financièrement indépendant de l’Assemblée élue. La Canada Company n’obtint pas les « réserves » du clergé, par suite des objections de John Strachan, archidiacre de l’Église d’Angleterre qui deviendra plus tard évêque de Toronto, et de l’Upper Canada Clergy Corporation, mais en échange se vit octroyer le Huron Tract, région triangulaire d’un million d’acres en bordure du lac Huron. La société, dont le conseil d’administration siégeait à Londres, entreprit ses activités au Canada en 1827 sous la direction du romancier écossais John Galt*, dont malheureusement le manque d’expérience administrative sema la confusion dans les affaires de la société. Lorsque les administrateurs décidèrent de remplacer Galt par deux commissaires en 1829, Jones se vit offrir, grâce à l’influence d’Ellice, un de ces deux postes, en même temps que William Allan*, pilier financier du « Family Compact » dans le Haut-Canada.

Jones arriva dans le Haut-Canada au début de 1829. Il avait d’abord été engagé pour un an mais le conseil d’administration fut si impressionné par la régularité des comptes et l’augmentation des ventes dont lui et Allan étaient responsables qu’il le persuada de renouveler son contrat. Allan s’occupait de vendre les terres de la couronne, qui étaient fort dispersées, tandis que Jones dirigeait la colonisation du Huron Tract. Il exerçait ses fonctions à partir de Toronto, où il épousa en 1832 Elizabeth Mary, fille de John Strachan.

Jones se persuada bientôt que l’avenir de la société dépendait surtout du Huron Tract et, avec l’accord très mitigé de l’administration, entreprit vers le milieu des années 30 bon nombre de projets pour développer la région. La société lui confia la responsabilité d’un de ses navires à vapeur, mais celui-ci était souvent immobilisé par la barre du port de Goderich. Ce fut en vain qu’on consacra de fortes sommes à l’amélioration du port et qu’on entreprit dans la région une importante exploitation forestière. L’époque ne se prêtait pas non plus aux entreprises ambitieuses : le nombre d’immigrants qui s’installaient dans le Huron Tract diminua à cause des épidémies répétées de choléra, d’une légère amélioration des conditions économiques en Grande-Bretagne et d’un certain malaise touchant la politique du Haut-Canada.

Jones devint en fait, vers la fin des années 30, seigneur et maître du Huron Tract. Il quitta Toronto pour s’installer à Goderich dans une demeure princière surplombant le lac Huron. Grâce à sa position économique et sociale de conservateur, il fut porté en 1833 sur la célèbre liste du « Family Compact » de William Lyon Mackenzie. Une certaine résistance à sa férule et à la désinvolture de la Canada Company naissait toutefois dans la province et à Londres. Les réformistes de l’Assemblée s’opposèrent avec véhémence à la société et à ses commissaires ; ils réprouvaient leurs droits et coutumes monopolisateurs et leur étroite alliance avec le « Family Compact ». Leur furent également très préjudiciables les critiques de la « clique de Colborne », groupe local composé de propriétaires fonciers prospères et cultivés qui avaient acheté de nombreuses terres de la société dans le canton de Colborne, au nord de Goderich, et qu’offensait le pouvoir exercé par la Canada Company sur les affaires locales. Les membres de ce groupe demandèrent qu’on construise un pont sur la rivière Maitland afin d’accéder facilement à leurs propriétés mais Jones, au nom de la société, hésitait à consentir cette dépense dans une zone presque entièrement vendue. En 1840, il fallut créer une commission provinciale chargée d’étudier les affaires de la société à la suite d’une campagne de presse et des pressions croissantes exercées par le public. La commission ne prépara qu’un rapport préliminaire qui attribua bien certains délits à la société, mais l’exonéra en grande partie des accusations d’avoir violé gravement sa charte. Ce jugement fut partiellement le résultat des efforts inlassables de Frederick Widder, nouveau commissaire de la Canada Company envoyé d’Angleterre en 1839 comme successeur éventuel de William Allan, qui se faisait vieux. En 1841, Widder, agent plein d’initiative et digne de confiance, se vit confier l’entière responsabilité du bureau de Toronto.

Jones était toujours bien coté auprès du conseil d’administration de Londres mais, dans les années 40, il se mêla un peu trop ouvertement de la politique locale, ce qu’avait toujours formellement interdit l’administration. Lors des élections provinciales de 1841, le candidat réformiste du comté de Huron fut un ancien employé de la Canada Company, personnage excentrique qui s’était fait l’ardent défenseur de la clique du canton de Colborne, William « Tiger » Dunlop*. Jones désigna d’abord pour s’y opposer John Longworth, l’ingénieur en chef de la société, qui était peu populaire, puis James McGill Strachan, son beau-frère, avocat-conseil de la Canada Company. La campagne qui suivit fut agitée ; Strachan fut élu avec une majorité de dix voix, mais les partisans de Dunlop demandèrent une enquête qui prouva que Strachan avait été élu par des non-propriétaires, aussi Dunlop remporta-t-il la victoire. Le conseil d’administration londonien enjoignit à Jones de se tenir à l’écart des combines politiques.

Au début des années 40, Jones entra également en conflit avec les protestataires du canton de Colborne au sujet de l’administration régionale. Les réformes municipales du gouverneur Sydenham [Thomson*] en 1841 aboutirent à la création d’un système de gouvernements de district qui autorisait les représentants régionaux élus à lever des impôts et à gérer les institutions politiques locales. En 1842, la clique du canton de Colborne, qui dirigeait le conseil du district de Huron, tenta de taxer les terres en friche de la Canada Company. Jones et la société s’opposèrent à cette mesure devant les tribunaux et aucun accord n’intervint avant 1846.

Pendant ce temps, la rivalité grandissait entre les deux commissaires. Widder s’agitait pour obtenir l’appui des administrateurs ; Jones, obligé de s’occuper sur place des plaintes quotidiennes des colons, ne pouvait être à la hauteur des plans grandioses de son collègue, encore qu’en 1844 l’évêque Strachan, beau-père de Jones, écrivît aux administrateurs des lettres plus qu’élogieuses sur les efforts qu’il déployait. Par la suite, lorsque Widder proposa que la société se charge de gérer les « réserves » du clergé, Strachan, sous le pseudonyme d’Aliquis, publia en 1845 une série de lettres ouvertes blâmant Widder et son système de location des terres de la société. Humilié, Jones nia, en toute bonne foi, semble-t-il, avoir pris au préalable connaissance des lettres. En 1850, Jones était de toute évidence le moins important des deux commissaires, et Goderich une simple succursale du bureau de Toronto.

Les intérêts de Jones se limitèrent petit à petit à la région de Huron et à Goderich. Il avait été officier de la milice du comté de Huron à la fin des années 30 et préfet du district vers le milieu des années 40. Finalement, ses actes s’alignèrent parfaitement sur les opinions des contestataires du canton de Colborne. Tout comme eux, Jones se rendait compte que si l’on ne pouvait rendre son importance à Goderich grâce à une voie ferrée, des villes en pleine expansion comme Stratford et Guelph à l’est prendraient sa place. En 1852, la clique de Colborne se prononça en faveur de la construction du Buffalo, Brantford, and Goderich Railway, reliant Buffalo à Goderich qui deviendrait ainsi un grand port dirigeant le commerce des lacs Huron et Michigan vers le nord de l’état de New York. Widder et le conseil d’administration donnèrent leur appui à un projet rival, celui du Toronto and Guelph Railway qui traverserait Guelph et Stratford pour aboutir un jour à Sarnia, selon eux le meilleur port du lac Huron ; à Goderich n’aboutirait plus qu’une voie secondaire venant de Stratford. Au grand étonnement des administrateurs, Jones prétendit que la société se prononçait pour la ligne Buffalo-Goderich. Il fut congédié à la fin de 1852 mais, en considération de ses services passés, il reçut de la société une pension assez confortable de £400 par an.

Jones s’était attiré bien des sympathies dans le comté de Huron. Il demeura à Goderich et, de 1852 à la mort de sa femme en 1857, il fut agent de la Banque de Montréal, après quoi il partit pour Toronto, où il vécut retiré jusqu’à sa mort en 1868. Il laissa deux fils, Charles Mercer Jones et Strachan Graham Jones.

Roger D. Hall

Les dossiers de la Canada Company versés aux PAO constituent la source principale de renseignements sur Thomas Mercer Jones. Étant donné les responsabilités considérables qu’il a assumées dans les affaires de la société, Jones occupe une place importante dans presque tous les dossiers canadiens de la société, depuis sa nomination en 1829 jusqu’à son congédiement en 1852. Notre recherche s’est inspirée surtout des documents suivants : Proceedings of the general courts, 1 (1826–1854) ; Minutes of the Court of Directors, 2–6 (1826–1854) ; Minutes of the committees, 2–7 (1826–1869) ; Commissioners’ letters and reports, 1–2 (1826–1834) ; Correspondence from the commissioners (originaux), 1830–1837 ; Letters to Court of Directors from Frederick Widder, 1–3 (1839–1845, 1852, 1853–1859) ; Correspondence to the commissioners, 2–5 (1834–1877) ; Miscellaneous Correspondence, Canadian Office, et Annual reports (Londres), 1824–1870.  [r. d. h.]

National Library of Scotland (Édimbourg), Edward Ellice papers.— PAO, Misc., 1840, Daniel Lizars, Report, upon the affairs and influence of the Canada Company [...] (Toronto, 14 janv. 1840) ; Misc., 1840, J. T. W. Jones to Sir George Arthur, Preliminary and confidential report of an enquiry into the affairs of the Canada Company, 2 nov. 1840 ; Strachan (John) papers.— Aliquis [John Strachan], Observations on the history and recent proceedings of the Canada Company ; addressed in four letters to Frederick Widder, esq., one of the commissioners (Hamilton, Ont., 1845).— H. I. Cowan, British emigration to British North America ; the first hundred years (Toronto, 1961).— Gates, Land policies of U.C.— R. D. Hall, The Canada Company, 1826–1843 (thèse de ph.d., Cambridge University, 1973).— H. J. M. Johnston, Transportation and the development of the eastern section of the Huron Tract, 1828–1858 (thèse de m.a., University of Western Ontario, London, 1965).— C. G. Karr, The Canada Land Company : the early years, an experiment in colonization, 1823–1843 (Ottawa, 1974).— R. C. Lee, The Canada Company, 1826–1853 ; a study in direction (thèse de m.a., University of Guelph, Guelph, Ont., 1967).— Norman Macdonald, Canada : immigration and colonization, 1841–1903 (Toronto, 1966).— Wilson, Clergy reserves of U.C.— H. J. M. Johnston, Stratford and Goderich in the days of the Canada Company, OH, LXIII (1971) : 71–85.— G. C. Patterson, Land settlement in Upper Canada, 1783–1840, Ont., Dept. of Archives, Report (Toronto), 1920.

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Roger D. Hall, « JONES, THOMAS MERCER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_thomas_mercer_9F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1977
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