Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3214336
ANGERS, sir AUGUSTE-RÉAL, avocat, homme politique, juge et fonctionnaire, né probablement à Québec en 1837 ; le 8 juin 1869, il épousa dans cette ville Julie-Marguerite Chinic, et ils eurent une fille et deux fils, puis le 16 avril 1890, à Sillery, Québec, Émélie Le Moine, veuve de Joseph-Arthur Hamel, et aucun enfant ne naquit de ce mariage ; décédé le 14 avril 1919 à Westmount, Québec, et inhumé le 16 au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.
Un mystère plane sur les origines d’Auguste-Réal Angers. Ses biographes le font généralement naître à Québec le 4 octobre 1838. Or, l’acte de naissance qui le prouverait est introuvable et les parents qu’on lui attribue, François-Réal Angers* et Louise-Adèle Taschereau, se sont mariés à Sainte-Marie-de-la-Nouvelle-Beauce (Sainte-Marie) le 4 avril 1842. L’acte de mariage d’Angers ne fait qu’ajouter au mystère puisqu’il ne fait pas mention de ses parents. Tout porte à croire qu’Angers est plutôt né en 1837. Le recensement de 1901 situe d’ailleurs sa naissance à Québec le 4 octobre 1837. La clef de l’énigme se trouve peut-être dans les registres de Notre-Dame de Québec où figure l’acte de baptême de « Casimir Auguste de Saint-Réal », né le 4 octobre 1837, à Beauport, de parents inconnus. Cet enfant pourrait bien être ce fils qu’élèvent François-Réal Angers et Louise-Adèle Taschereau.
De 1849 à 1856, Angers étudie au séminaire de Nicolet. On le retrouve ensuite comme étudiant non inscrit en droit à l’université Laval. Il a manifestement acquis sa formation juridique auprès de son père. Admis au barreau du Bas-Canada le 2 juillet 1860, Angers se joint à Louis-Napoléon Casault et Jean Langlois dans un des bureaux les plus prospères de Québec. Il a tôt fait de réunir tous les atouts pour se lancer en politique.
L’occasion se présente en février 1874. Angers l’emporte facilement à une élection partielle provinciale dans Montmorency sous la bannière conservatrice. Éclate alors l’affaire des Tanneries [V. Louis Archambeault*] qui provoque la démission du cabinet de Gédéon Ouimet*. Appelé à former un nouveau gouvernement, Charles Boucher de Boucherville recrute Angers comme solliciteur général. Les libéraux constatent très tôt que le nouveau ministre n’a pas bénéficié d’un simple concours de circonstances. Dès le début de sa première session, Angers donne la réplique au chef de l’opposition officielle sur l’affaire des Tanneries. Peu après, il appuie un projet de réforme électorale qui établit notamment le scrutin secret. Sa réputation de debater est vite faite. Aux élections générales de 1875, personne n’ose l’affronter. En novembre 1875, il devient leader du gouvernement à l’Assemblée et, en janvier 1876, procureur général.
En 18 mois, Angers s’est imposé comme la figure centrale du cabinet. En l’absence du premier ministre, qui siège à la Chambre haute, il représente le gouvernement à l’Assemblée. C’est lui qui pilote les projets législatifs importants, notamment celui qui touche l’important dossier du chemin de fer de la rive nord. Devant l’incapacité des entreprises privées, le gouvernement prend les choses en main avec l’appui de plusieurs municipalités, dont Québec et Montréal qui souscrivent chacune un million de dollars. Mais le projet se complique quand le gouvernement apporte des modifications au tracé original. Mécontentes, des municipalités menacent de ne pas honorer leurs engagements et, au début de 1878, Angers fait adopter un projet de loi pour les y contraindre. Sa réputation d’homme cassant et intransigeant en sort affermie.
Ces incidents seraient probablement demeurés sans importance si la présence d’un nouvel acteur politique n’était venue leur donner du relief. En 1876, Luc Letellier* de Saint-Just a été nommé lieutenant-gouverneur à Québec par le gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie*. Les bons mots d’Angers à son endroit ne trompent personne au Parlement. Les deux hommes ont des accrochages à quelques reprises et, finalement, c’est le dossier du chemin de fer de la rive nord, devenu le Québec, Montréal, Ottawa et Occidental, qui provoque la crise. Le lieutenant-gouverneur reproche au premier ministre de ne pas l’avoir consulté sur cette question, ni sur un projet de loi concernant de nouveaux impôts. En fait, il lui en veut de ne pas avoir suivi ses recommandations en matière de dépenses publiques. Le 2 mars 1878, à la surprise générale, Angers propose l’ajournement de la Chambre après quelques minutes de séance, sans donner d’explications. Au même moment, Boucher de Boucherville est à Spencer Wood, où Letellier de Saint-Just vient de le démettre de ses fonctions.
Formé en catastrophe par un parti minoritaire, le gouvernement libéral d’Henri-Gustave Joly* se retrouve en position précaire après les élections qui suivent, mais l’homme fort du gouvernement Boucher de Boucherville n’est plus là : défait par 14 voix par Charles Langelier, Angers refuse le siège que lui offre Joseph-Israël Tarte* et réserve son temps pour régler le cas de Letellier. Il néglige même ses affaires à Québec pour s’assurer que le gouvernement fédéral démette Letellier, ce qui est fait en juillet 1879.
Lorsque le gouvernement Joly tombe à l’automne de 1879, c’est Joseph-Adolphe Chapleau* qui est appelé à former un cabinet et Angers, dit-on, refuse de servir sous sa direction. Veuf depuis le 11 janvier 1879, il accepte plutôt de se porter candidat au fédéral, poussé par ses amis à prendre la succession de sir George-Étienne Cartier*. Élu dans Montmorency à l’élection partielle du 14 février 1880, il participe peu aux débats. Selon Tarte, il n’aurait pas apprécié l’atmosphère du Parlement canadien et Hector-Louis Langevin* « l’avait en grippe ». Le 13 novembre 1880, il est nommé juge puîné de la Cour supérieure pour le district de Montmagny.
Installé près du fleuve, dans l’ancien presbytère du curé de Berthier (Berthier-sur-Mer), Angers aurait pu finir ses jours « sur le banc », tout en partageant ses loisirs entre la lecture et sa passion pour le nautisme. Mais ses amis ne cessent de le solliciter. À l’automne de 1887, il accepte finalement le poste de lieutenant-gouverneur.
Les adversaires politiques d’Angers ne se priveront pas d’écrire que cette nomination avait pour but de faire échec au premier ministre Honoré Mercier*, de le démettre à la première occasion. L’examen des faits ne mène pas nécessairement à cette conclusion. Jusqu’en 1889, Mercier reconnaissait encore que le lieutenant-gouverneur surveillait « les affaires publiques avec intelligence mais sans s’écarter jamais des règles constitutionnelles ». Mercier aurait aussi joué de son influence à Rome pour lui obtenir la grand-croix de Saint-Grégoire-le-Grand. Pour sa part, Angers semble plutôt chercher à éviter la confrontation. Ainsi, en 1888, il exprime ses réticences envers le projet de conversion de la dette, mais sans plus, de crainte d’alerter la presse libérale. À deux reprises, il consulte le premier ministre fédéral sir John Alexander Macdonald* afin d’obtenir son avis avant d’agir. Et même en janvier 1891, quand il juge le gouvernement Mercier « extravagant et très souvent inconstitutionnel », il met en garde Macdonald contre l’idée d’envoyer à Spencer Wood un homme peu diplomate comme Langevin.
La crise éclate quand même. En août 1891, des témoins assignés devant un comité sénatorial révèlent qu’Ernest Pacaud*, organisateur de Mercier, a « retenu » pour la caisse électorale 100 000 $ des 175 000 $ versés par le gouvernement à une société de chemin de fer. Angers demande des explications à Mercier, propose une commission d’enquête et enjoint le premier ministre de s’en tenir « à des actes d’administration urgente ». Dans sa réponse, Mercier désavoue les gestes que Pacaud a commis à son insu, mais Angers demeure inflexible : il tient à sa commission d’enquête formée d’hommes de son choix et rejette l’idée d’une commission parlementaire. Le 15 décembre, en l’absence du président de la commission qui est malade, deux des trois commissaires remettent un rapport préliminaire dans lequel ils dénoncent le geste de Pacaud mais ne peuvent établir la responsabilité personnelle de Mercier : ils l’exonèrent donc, ainsi que quatre ministres. Sans attendre l’avis du juge Louis-Amable Jetté, qui s’était déjà dissocié des conclusions de ses collègues, Angers révoque Mercier le 16 décembre et demande à Boucher de Boucherville de former un cabinet.
Angers aurait alors pu facilement s’éclipser. En janvier 1891, Macdonald lui avait offert un poste important. Le successeur de Macdonald l’invite ensuite à joindre le cabinet fédéral, mais Angers refuse pour ne pas accréditer la thèse de la conspiration. En mars 1892, la victoire des conservateurs aux élections provinciales vient donner une apparence de légitimité à la destitution de Mercier et, en décembre 1892, Angers accepte un siège au Sénat et le poste de ministre de l’Agriculture dans le cabinet de sir John Sparrow David Thompson*.
À peine entré en fonction, Angers prend position sur l’épineuse question des écoles du Manitoba [V. Thomas Greenway*]. Il s’engage à rendre aux catholiques les écoles supprimées en 1890. Thompson meurt subitement et la pression s’intensifie sur son successeur, sir Mackenzie Bowell, mais celui-ci annonce, le 8 juillet 1895, par la voix de son ministre des Finances George Eulas Foster*, que son gouvernement n’adoptera pas de « loi réparatrice » avant la session suivante. Les ministres sir Adolphe-Philippe Caron*, Joseph-Aldric Ouimet et Angers n’ont pas participé à cette décision et donnent leur démission le jour même. Toutefois, les deux premiers cèdent aux pressions et reviennent au cabinet, mais Angers demeure inflexible. Le 11 juillet, il explique sa décision de quitter le cabinet : l’inaction du gouvernement compromet dangereusement l’adoption d’une mesure réparatrice et il ne peut accepter ce risque.
Ses collègues ayant capitulé, Angers fait figure de héros, refusant même un poste confortable à la Cour suprême du Canada. Il est toutefois visiblement peu enclin à maintenir la pression sur le gouvernement, qui croule bientôt sous les démissions. Bowell cède la place à sir Charles Tupper, qui ramène Angers au cabinet comme président du Conseil privé. Aux élections générales qui suivent, les conservateurs sont écrasés et Angers est défait par François Langelier dans Québec-Centre. Tupper essaie de lui redonner le siège qu’il a quitté au Sénat mais le gouverneur général refuse.
Angers s’installe donc à Montréal, où, à 59 ans, il doit se remettre à la pratique du droit. Il devra attendre le retour au pouvoir des conservateurs, en 1911, pour retrouver une fonction publique lucrative, celle d’avocat de la Commission du havre de Montréal. Le 1er janvier 1913, il est créé chevalier de l’ordre du Bain.
À la mort de sir Auguste-Réal Angers en 1919, Omer Héroux* croyait qu’on retiendrait de sa vie sa démission de 1895, « le point culminant de sa carrière ». En fait, son nom demeure plutôt associé à la destitution de Mercier, geste courageux selon les conservateurs, décision inconstitutionnelle et dictatoriale selon les libéraux, règlement de comptes partisan selon plusieurs observateurs. Mais qu’il ait eu tort ou raison de faire un geste qui présente beaucoup de similitudes avec le coup de 1878, il est peu probable que ce tempérament fort et déterminé se soit laissé imposer une ligne de conduite contraire à ses idées et à ses principes.
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Gaston Deschênes, « ANGERS, sir AUGUSTE-RÉAL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/angers_auguste_real_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/angers_auguste_real_14F.html |
Auteur de l'article: | Gaston Deschênes |
Titre de l'article: | ANGERS, sir AUGUSTE-RÉAL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |