ADHÉMAR, JEAN-BAPTISTE-AMABLE, négociant, capitaine de milice et juge de paix, né à Montréal le 29 janvier 1736, fils de Jean-Baptiste Adhémar* et de Catherine Moreau, décédé à Montréal le 26 juillet 1800.
Nous ne savons rien de l’enfance et des études de Jean-Baptiste-Amable Adhémar. Son père, notaire royal à Montréal, centre du commerce des fourrures, eut à rédiger de nombreux contrats d’engagement pour l’Ouest, et c’est peut-être à son contact qu’ Adhémar dut de se lancer tôt dans le commerce. Ainsi, le 14 avril 1758, par contrat, il s’engageait pour une année au service du munitionnaire Joseph-Michel Cadet, à titre de commis en chef au fort Niagara (près de Youngstown, New York).
Le 31 mars 1761, Adhémar épousait à Montréal Marguerite, fille du marchand René-Alexandre Lemoine, dit Despins. Ce mariage, qui faisait de lui le beau-frère de Jacques-Joseph Lemoine Despins, un des marchands les plus importants de la colonie avant la Conquête, favorisa probablement la carrière d’Adhémar dans le commerce des fourrures. Durant les 15 années suivantes, ses affaires semblent avoir prospéré de façon normale dans les régions de Michillimakinac (Mackinaw City, Michigan), de Détroit et du lac Supérieur. En 1769, il investit £300 dans le commerce et, en 1770, £800. Quatre ans plus tard, en association avec Maurice-Régis Blondeau*, il envoyait au lac Supérieur quatre canots, 29 hommes et des marchandises valant environ £1 300. En 1777, James McGill* se portant garant, Adhémar envoyait dans l’Ouest, à lui seul, dix canots, 94 hommes et des marchandises totalisant £5 100.
En 1777–1778, il fit un premier voyage en France et en Angleterre dont on ignore la raison. Le 9 avril 1778, il était à Londres lors de la remise au secrétaire d’État des Colonies américaines, lord Germain, d’une pétition signée par 23 marchands britanniques du Canada. Adhémar fut le seul Canadien à signer ce document qui demandait le rappel de l’Acte de Québec ou, du moins, des modifications afin de rétablir le procès par jury, l’instauration des lois commerciales anglaises, et l’élimination de la jurisprudence canadienne. Cette pétition demandait aussi la libéralisation du commerce avec les Indiens, réglementé depuis 1777 par une ordonnance exigeant un permis pour chaque trafiquant. Pendant quelques années, à partir de 1779, on perd la trace du commerçant Adhémar, mais son succès dans le monde des affaires, si modeste fût-il, et ses liens familiaux semblent lui avoir conféré une certaine notoriété dans la société montréalaise.
Adhémar s’intéressa aussi aux affaires de l’Église ; en 1769, il avait été élu marguillier de la paroisse Notre-Dame, alors l’unique paroisse de Montréal. En juin 1783, il fut chargé, avec l’avocat Pierre-François Mézière, de présenter au gouverneur Haldimand une requête signée par 300 paroissiens de Notre-Dame lui demandant de surseoir à l’ordre d’expulsion de François Ciquard* et d’Antoine Capel, deux sulpiciens français entrés clandestinement au Canada. Depuis la Conquête, la rareté des prêtres se faisait sentir de plus en plus gravement au sein de l’Église catholique. Le problème devint plus aigu à partir de 1778, quand la France s’allia aux colonies américaines en révolte et que les autorités britanniques fermèrent la porte à l’immigration de prêtres français. Haldimand refusa de revenir sur sa décision, mais se déclara disposé à laisser entrer d’autres prêtres européens au Canada. Forts de ces encouragements, les Montréalais décidèrent d’envoyer une pétition à Londres. Un mémoire rédigé avec l’aide d’Étienne Montgolfier, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, sinon avec celle de Mgr Briand, évêque de Québec, demandait, en plus de la permission de faire venir au Canada des prêtres européens parlant français, celle d’ériger un siège épiscopal à Montréal. Toutefois, un second mémoire, traitant des « droits civils » des Canadiens, ne réussit pas à faire l’unanimité parmi les citoyens de Montréal, et on dut y renoncer. La supplique au roi resta vague sur ce sujet, demandant seulement que les Canadiens puissent participer pleinement à la vie politique « sous quelque forme de gouvernement qu’il [...] plaira [au roi] d’établir en cette Province ». Elle ne réussit à rallier que 130 signatures, ce qui, ajouté au fait que, faute de temps, on ne put y associer les citoyens de Québec, en affaiblit considérablement la portée. Pour faire face aux dépenses d’une députation à Londres, Adhémar écrivit aux capitaines de milice, leur enjoignant de faire une collecte dans les paroisses, mais le projet échoua sous la pression de Haldimand.
Le 18 août 1783, Adhémar et Jean De Lisle* de La Cailleterie informèrent le gouverneur qu’ils avaient été « légalement élus » comme délégués à Londres et requirent son appui auprès des autorités britanniques. Haldimand refusa, s’appuyant sur un rapport du juge Adam Mabane qui avait enquêté à sa demande sur ce projet de mission. Hanté par la peur de complots révolutionnaires, le gouverneur fit un rapport sévère à lord North, ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), comparant les procédés d’Adhémar – et surtout sa lettre aux capitaines de milice – aux activités des rebelles américains avant la révolution. Néanmoins, Adhémar et De Lisle partirent de Québec, le 25 octobre 1783, comme représentants de l’élément canadien, accompagnés de William Dummer Powell*. Celui-ci allait porter une pétition des marchands britanniques relançant la campagne – réprimée durant la Révolution américaine – visant à obtenir pour le Canada une forme de gouvernement et un système judiciaire plus conformes à ceux d’Angleterre.
Au début de décembre, les délégués canadiens, accompagnés de Thomas Hussey, représentant de Mgr Briand, remirent à lord North leur mémoire en faveur d’un évêché à Montréal et de l’immigration au Canada de prêtres étrangers. Le moment était mal choisi, car un nouveau gouvernement était à la veille d’être formé. En attendant, Adhémar et De Lisle se rendirent à Paris, au début de 1784, en vue de recruter des prêtres pour le clergé canadien. Afin de concentrer leurs efforts sur la question du recrutement de prêtres étrangers, les deux délégués avaient décidé d’abandonner l’idée de l’érection d’un évêché à Montréal. Briand, de toute manière, doutait de la sagesse de ce projet. À leur retour de Paris, s’étant assuré l’appui discret de sir Guy Carleton*, ils rencontrèrent, en mars, le successeur de North, lord Sydney. Ils lui demandèrent la permission d’amener au Canada trois jeunes instituteurs et trois jeunes sulpiciens, tous français. La réponse négative de Sydney amena Adhémar et De Lisle à affirmer, dans un mémoire du 24 mars adressé au gouvernement, la nécessité pour les Canadiens et leur droit de choisir eux-mêmes leurs prêtres en Europe. Le lendemain, ils apprirent que le roi ne recevrait pas leur pétition et qu’elle devait être transmise à lord Sydney, peu sympathique à leur cause. Leur échec était total, Sydney lui-même rassurant Haldimand, le 8 avril : « Ces messieurs ont trouvé très peu d’encouragement ici. » Sydney soulignait à Haldimand que le gouvernement permettrait à l’Église catholique de recruter tous les prêtres et enseignants nécessaires, à la condition qu’ils soient originaires de pays indépendants de la maison de Bourbon, comme la Savoie (France). Or, Briand, déçu par l’attitude mercenaire de plusieurs prêtres savoyards qu’il avait essayé de faire venir au Canada en 1781 et en 1782, était opposé à cette solution chère à Haldimand.
Adhémar et De Lisle demeurèrent cependant optimistes en apprenant que le gouverneur, qu’ils tenaient pour responsable de leur échec, allait être remplacé par Carleton. Aussi Adhémar décida-t-il de rester une autre année à Londres, tandis que De Lisle rentrait au Canada pour faire un rapport de la situation. Tous deux demandèrent à Briand de soutenir publiquement Adhémar afin de rendre sa mission plus officielle. Briand tint à rester discret, mais il écrivit à Carleton, le 30 juin 1784, que, quoiqu’il ne pût approuver publiquement une mission qu’il croyait « précipitée et avoir un air d’humeur », il était d’accord avec l’idée de faire venir des prêtres français et il lui demanda de soutenir Adhémar en usant de son influence. À ce dernier, il envoya, le 5 novembre, des mots d’encouragement et même une autorisation d’écrire une adresse au nom du clergé, pourvu qu’il n’impliquât l’Église dans aucune mission politique.
L’instabilité politique en Angleterre n’avait pas permis à Adhémar et à De Lisle de faire progresser le côté politique de leur mission. Aussi s’étaient-ils adressés, en compagnie de Powell, à Francis Maseres*, agent politique à Londres des marchands britanniques du Canada. Le 13 mars 1784, les quatre hommes, en compagnie de Pierre Du Calvet, se déclarèrent en faveur des revendications de ces marchands, dont celle d’une assemblée élective. Le 20 avril, Adhémar écrivit à Henri-François Gravé* de La Rive, du séminaire de Québec, ce que l’échec de la mission concernant l’immigration de prêtres étrangers l’avait amené à croire : « nos droits de tout espèce ne seront certains pour nous que lorsque nous dépendrons moins de la volonté du ministère par l’établissement d’une maison d’assemblée ».
De retour au Canada à l’été de 1784, De Lisle chercha de plus amples pouvoirs de représentation et des instructions plus précises quant à la nature des réformes souhaitées. À Londres, l’ex-jésuite Pierre-Joseph-Antoine Roubaud, qu’on peut soupçonner d’avoir voulu remplacer Adhémar comme délégué, relata que celui-ci « vi[vait] tranquillement et en homme obscur dans son auberge, connu de peu, visité par personne ». Rien d’étonnant à cela, si l’on considère l’état d’attente dans lequel Adhémar vivait et le peu de revenu sur lequel il pouvait compter pour faire face à ses dépenses. Briand, l’un de ceux qui lui envoyèrent de l’argent, reconnaissait que c’était « un foible témoignage du contentement que [lui avait] causé la conduite sage et prudente qu[‘Adhémar avait] tenue » dans sa mission.
Le 5 janvier 1785, Adhémar rédigea une lettre, signée plus tard par De Lisle, dans laquelle il critiqua durement la timidité de la bourgeoisie canadienne, tant dans leurs demandes que dans leur façon de présenter des requêtes au roi seulement, alors que c’était à la chambre des Lords et à la chambre des Communes qu’elles pouvaient être vraiment traitées et débattues. Il les critiquait aussi de n’avoir pensé qu’aux seuls intérêts de leur classe ; « le cultivateur, l’artisan et l’ouvrier, formant la classe d’hommes la plus utile et la plus nécessaire, leurs intérêts ne doivent point être négligés », écrivait-il, ajoutant que de l’inégalité s’ensuivraient bientôt « les plaintes, le découragement, des haines et une séparation dangereuse entre tous les états de sujets ». Mais la bourgeoisie canadienne elle-même s’était divisée sur le mouvement de réforme : la bourgeoisie commerciale et professionnelle l’appuyait, tandis que les seigneurs et les bureaucrates canadiens se rabattaient sur l’Acte de Québec. Les marchands canadiens semblaient préférer de plus en plus passer par l’intermédiaire des marchands de Londres, sans doute plus influents qu’Adhémar. D’ailleurs leur comité, à Montréal, regrettait, en février 1785, la publication d’une lettre d’Adhémar contenant « une réflection qui [lui] paraissait] hasardée et bien déplacée ».
Vers la fin de l’hiver de 1785, Adhémar se rendit compte que sa mission avait échoué. Toutefois, étant sur place quand parvint la nouvelle de la démission de Briand comme évêque, Adhémar était en mesure de contrer les efforts de Haldimand – revenu à Londres – qui voyait en deux moines anglais, ne convenant nullement à la situation, un successeur éventuel de Briand. Adhémar profita du retour de l’ancien gouverneur pour l’accuser, le 8 mars, d’être responsable de son infortune et pour lui demander de faire preuve de générosité en lui procurant une commission de juge de la Cour des plaids communs. N’ayant pas reçu de réponse, Adhémar changea de tactique en avouant, le 17 septembre, qu’il avait eu tort d’accepter contre le gré de Haldimand la députation canadienne. « Je ne me sens plus assez de vigueur, écrivait-il, pour tenter de nouveau la ressource pénible du commerce sauvage ; un modique émolument, l’employ de Juge au Détroit ou tout autre aportée de mes faibles facultés peut me suffire. » Haldimand refusa de l’aider, mais lui affirma qu’il ne dirait ni ne ferait rien qui pourrait lui nuire.
Sans qu’on sache pourquoi, Adhémar ne semble avoir quitté l’Angleterre qu’au début de 1786, à destination de New York. Le navire ayant fait naufrage, Adhémar fut retenu à Lisbonne et n’arriva à Québec qu’au début de juin. Il était porteur du bref apostolique autorisant la consécration de Mgr Hubert comme évêque coadjuteur de Québec. De retour à Montréal, Adhémar se retrouva dans une situation pécuniaire difficile. En 1785, il avait écrit à Haldimand qu’il avait déjà perdu « par une Révolution de Commerce la modique fortune que de longs travaux [lui] avaient [fait] rassemble[r] ». Sans doute tenta-t-il de reprendre le négoce, mais il ne semble pas que ses affaires aient prospéré. En avril 1789, même si le négociant Jean-Baptiste Lemoine Despins devait à Adhémar 9 520#, les dettes de ce dernier s’élevaient à 16 858# dont 7 577# aux sulpiciens et 3 521# au négociant Charles Lusignan ; cela ne l’empêcha pas de faire chanter 300 messes à crédit pour sa femme qui venait de mourir. Les biens contenus dans sa maison de pierres et dans son écurie, sises place d’Armes, s’élevaient à 3 212# ; il possédait aussi une maison de bois, rue Saint-Joseph, et un verger à coteau Saint-Louis. Malgré ses difficultés, Adhémar continua de faire partie des notables de Montréal. Ainsi, en février 1788, il fut nommé capitaine de la milice de la ville, poste qu’il garda jusque vers 1797. En 1790, on le retrouve juge de paix pour le district de Montréal, et, trois ans plus tard, commissaire à Montréal pour recevoir les serments d’office, deux postes qu’il garda jusqu’à sa mort. À la suite d’une action intentée par Lusignan, la Cour du banc du roi du district de Montréal ordonna la vente de ses biens, en décembre 1800.
Mort dans la pauvreté, Adhémar aurait mérité une fin de vie plus heureuse. Même si sa mission en Angleterre était vouée à l’échec dès le départ, à cause de l’opposition de Haldimand, elle lui permit, ainsi qu’à beaucoup d’autres bourgeois canadiens, de constater la nécessité d’une révision constitutionnelle, et surtout celle d’obtenir une chambre d’Assemblée élective. Adhémar s’était dévoué d’une façon désintéressée aux intérêts de ses compatriotes, mais ceux-ci ne semblent pas lui en avoir conservé une grande reconnaissance.
AAQ, 12 A, D, 12 ; 20 A, I : 183 ; II : 3, 17 ; 1 CB, VI : 42 ; 90 CM, I : 10, 11 ; 60 CN, I : 34, 37, 38, 39, 40, 43 ; V : 40, 44, 46 ; 26 CP, C, 61.— ANQ-M, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 29 janv. 1736, 4 août 1763, 17 oct. 1768, 27 oct. 1793, 28 juill. 1800 ; Greffe de J.-G. Delisle, 6 avril 1789 ; Greffe de Pierre Panet, 14 avril 1758 ; 29 mars 1761.— ANQ-Q, AP-P-11.— ASQ, Doc. Faribault, no 268 ; Fonds Viger-Verreau, Carton 12, no 61 ; 17, nos 39–53 ; 18, no 67 ; 19, no 14 ; 47/16 ; Sér.O, 037, p.17 ; Lettres, T, 55, 61.— AUM, P 58, Corr. générale, J.-B.-A. Adhémar à François Baby, 23 juill., 1er oct., 5 nov. 1770, 25 août 1771, 21 nov. 1776, 10 sept., 6 oct. 1777 ; J.-B.-A. Adhémar aux citoyens de Québec, 5 mars 1785 ; J.-F. Perrault à J.-N. Perrault, 30 oct. 1783.— BL, Add.
Jean-Guy Pelletier, « ADHÉMAR, JEAN-BAPTISTE-AMABLE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/adhemar_jean_baptiste_amable_4F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/adhemar_jean_baptiste_amable_4F.html |
Auteur de l'article: | Jean-Guy Pelletier |
Titre de l'article: | ADHÉMAR, JEAN-BAPTISTE-AMABLE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 17 déc. 2024 |