Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2894953
PROUVILLE DE TRACY, ALEXANDRE DE, marquis (ou chevalier), seigneur de Tracy-le-Val et de Tracy-le-Mont (Picardie), conseiller du roi, commissaire général de l’armée française en Allemagne, commandant en chef des troupes, lieutenant général de l’Amérique, commandant de Dunkerke puis du château Trompette, à Bordeaux, né vers 1596 (ou 1603), probablement à Amiens, fils d’Alexandre de Prouville et d’Adrienne Laffrenne, décédé à Paris en 1670.
Militaire de carrière, il était capitaine des chevau-légers en 1632. Il servit glorieusement en Allemagne (1641–1649) où il prit part à plusieurs batailles ; il y commanda un régiment, puis fut nommé commissaire général de l’armée du roi en ce pays, assurant la liaison entre la cour et les généraux français. En 1647, il dirigea les négociations d’Ulm entre la France, la Suède et l’Électeur de Bavière. De plus, il combattit quelque temps dans les rangs de la Fronde, mais revint bientôt remettre son épée au service de son souverain. Il fut créé lieutenant général des armées du roi, le 10 juillet 1652, et servit en Guyenne.
C’est le 19 novembre 1663 qu’il reçoit sa commission de « lieutenant général dans toute l’étendue des terres de notre obéissance situées en l’Amérique Méridionale et Septentrionale, de terre ferme, et des isles, rivières [etc.] ». Cependant, il n’est pas vice-roi de ces territoires, puisque ce titre appartient au comte d’Estrades, dont la commission n’a pas été révoquée et qui est, à cette époque, ambassadeur du roi en Hollande. M. de Tracy a l’entière confiance de son souverain qui, en le nommant à ce poste important, fait de lui ce bel éloge : Il « a toutes les qualités propres pour s’acquitter dignement de cet emploi et [...] après les preuves qu’il a données de sa valeur dans les commandements qu’il a eus sur nos troupes en Allemagne et ailleurs, et de sa prudence dans les négociations qui lui ont été commises, nous avons donc sujet de croire que nous ne pouvions faire un meilleur choix que de lui pour commander au dit pays ».
Tracy a une double mission : déloger les Hollandais des Antilles et, au Canada, porter la guerre jusque dans les foyers des Iroquois pour les exterminer entièrement. Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre l’accompagne dans sa campagne aux Antilles. La flottille part de La Rochelle le 26 février 1664. Elle transporte 650 colons et 4 compagnies d’infanterie : de Broglie, Chambellé, Poitou et Orléans. L’opération est vigoureusement conduite. Le 16 mai, les troupes françaises enlèvent Cayenne aux Hollandais. Tracy installe des gouverneurs dans les îles importantes : la Martinique, la Tortue, la Guadeloupe, La Grenade, Marie-Galante.
Le 25 avril 1665, la flotte quitte la Guadeloupe, passe par le détroit des Caïques, double les Bermudes, entre dans le golfe du Saint-Laurent et mouille à l’île Percée un mois plus tard. On refait les provisions d’eau et de bois, on transborde les marchandises sur des navires plus petits. Après quelques retards dans le fleuve, l’expédition arrive devant Québec le 30 juin ; son commandant est « si faible & si abbattu de la fievre, qu’il ne pouvait estre soustenu que par son courage ». Québec est en liesse ; la ville a préparé une magnifique réception, mais, malade, le lieutenant général refuse toutes les fêtes. Précédé de ses 24 gardes, vêtus aux couleurs de Sa Majesté, et de 4 pages, accompagné de son aide de camp, le chevalier de Chaumont*, suivi de 6 laquais et de plusieurs officiers en habits somptueux, le représentant du roi se rend du port à l’église au milieu des acclamations de la foule. Les cloches battent à toute volée. Mgr de Laval* reçoit le sauveur de la colonie à l’entrée de la nef, escorté de son clergé ; il lui offre l’eau bénite et le conduit à son prie-Dieu, mais le général préfère s’agenouiller sur le parquet comme tout le monde. La cérémonie se termine par le Te Deum.
Ensuite, M. de Tracy se rendit au palais, qui était situé à peu près à l’emplacement de l’ancien palais de justice et que le Conseil souverain avait fait réparer pour lui. Les tâches et les inquiétudes ne manquaient pas. La ville comptait environ 70 maisons. Les querelles civiles et religieuses étaient vives. Mais, pour le moment, les problèmes d’ordre diplomatique et militaire accaparaient toutes ses énergies.
En effet, le roi avait décidé d’en finir avec les Iroquois qui entravaient l’évangélisation des nations pacifiques, détournaient le commerce des fourrures du côté des Anglais et massacraient les colons français. Dans une lettre du 18 mars 1664, Colbert exprime clairement à Mgr de Laval les intentions de Sa Majesté : il faut « ruiner entièrement ces barbares lesquels sont déjà fort diminuez, suivant les dernières relations que nous en avons eües et par les pertes qu’ils ont souffertes en guerre contre leurs Ennemis et par une espèce de maladie contagieuse qui en a enlevé une bonne partie ». À cette fin, la cour envoyait au Canada un régiment complet d’infanterie, celui de Carignan-Salières, qui était commandé par Henri de Chastelard, marquis de Salières, et qui avait combattu les Turcs en Hongrie. Quatre compagnies étaient déjà arrivées les 18 et 19 juin lorsque Tracy apparut avec les siennes ; les 19 et 20 août, huit autres compagnies débarquèrent et autant le 14 septembre. Jamais le port de Québec n’avait bourdonné d’une telle activité. Un malheur pourtant s’était produit : le navire qui portait les riches effets de M. de Tracy avait sombré. Le roi accordera par la suite à son représentant une généreuse compensation.
Le retard des vaisseaux et la maladie font remettre à l’année suivante l’expédition contre les Iroquois. En effet, plusieurs soldats sont arrivés malades : l’Hôtel-Dieu en est rempli, l’église pleine jusqu’à la balustrade et il y a même des patients dans les maisons voisines. On a compté 20 morts. Toutefois, les préparatifs de guerre n’en seront que plus complets. Déjà, le 23 juillet 1665, quatre compagnies sont parties de Québec pour Sorel. Elles commencent la construction de forts sur le Richelieu pour assurer l’acheminement des troupes : le fort Richelieu, le 13 août ; le fort Saint-Louis, le 25 août ; le fort Sainte-Thérèse, en septembre ; les forts Saint-Jean, Sainte-Anne et Lamothe (ce dernier construit dans une île du lac Champlain) compléteront la chaîne défensive l’année suivante. Quatre autres compagnies partent de Québec pour Trois-Rivières le 1er octobre afin de protéger le centre du pays.
En décembre, des nations iroquoises, effrayées par tant d’ardeur belliqueuse, envoient Garakontié et une délégation restituer leur prisonnier, Charles Le Moyne, et renouveler la paix avec les Français. Cependant, Tracy, peu convaincu de leur sincérité et redoutant particulièrement les Agniers qui demeurent hostiles, autorise le gouverneur de Rémy de Courcelle à attaquer ces derniers. Il part de Québec le 9 janvier 1666 avec 400 ou 500 hommes, en raquettes. Il perd une soixantaine d’hommes, surtout à cause du froid. S’étant égarée, l’armée se retrouve devant l’établissement anglo-hollandais de Corlaer (Schenectady, N. Y.), où elle est secourue. Les restes du détachement reviennent à Québec le 17 mars, sans avoir infligé de pertes sensibles aux Iroquois. Cependant, ceux-ci se sont rendu compte que les troupes françaises avaient pu atteindre leur pays pour la première fois et ils envoient, en mai et en juillet, des ambassadeurs à Québec signer des traités de paix ; les Cinq-Nations y sont représentées, mais les Agniers et les Onneiouts continuent d’inspirer des craintes. Tracy dépêche dans les Cantons une délégation de Français pour s’assurer des bonnes dispositions des Iroquois avant d’accepter la paix qu’ils proposent. Mais la nouvelle parvient à Québec des nouveaux forfaits commis par les Agniers : ils viennent d’assassiner un neveu de Tracy et de capturer un de ses cousins. Tracy rappelle immédiatement ses ambassadeurs et enferme 24 délégués iroquois. Il fait construire d’autres redoutes autour de Montréal et permet à M. de Saurel de mener avec 300 hommes, le 24 juillet, une incursion au pays des Agniers afin de libérer les prisonniers français. En route, le détachement rencontre le Bâtard Flamand (chef Iroquois, fils d’un Hollandais et d’une Agnier) qui se rend à Québec faire la paix, accompagné des prisonniers, et Saurel renonce à son agression.
Mais Tracy est excédé des négociations de paix perpétuellement à recommencer avec les Agniers. Les autorités de la colonie délibèrent pour savoir si on doit porter la guerre chez eux. Le 1er septembre 1666, l’intendant Talon adresse à Tracy et Courcelle un long mémoire dans lequel, après avoir longuement pesé le pour et le contre, il recommande une expédition punitive chez les Agniers. Le 6, Tracy se range à cet avis.
On a fait tous les préparatifs nécessaires. La route est bien protégée par de nombreux forts remplis de munitions et de provisions ; on a construit de grands et de petits bateaux à fond plat. Le moral des soldats est excellent : « Il semble à toute cette milice, écrit Marie de l’Incarnation [V. Guyart], qu’elle va assiéger le paradis, et qu’elle aspire le prendre et y entrer, parce que c’est pour le bien de la foi et de la religion qu’elle va combattre ». Ailleurs, elle parle de « treize cents hommes d’élite qui tous allaient au combat comme au triomphe ». Les troupes se sont préparées à cette campagne par une confession générale et par toutes sortes d’exercices de piété ; une vingtaine de Huguenots se sont convertis ; des prières publiques continueront jusqu’au retour de l’expédition.
Le départ a lieu de Québec le 14 septembre. L’armée défile dans les rues devant le Bâtard Flamand et les autres otages iroquois qui pleurent sur la destruction de leur nation. La troupe comptera en tout 600 soldats réguliers, autant de miliciens (110 viendront de Ville-Marie) et 100 Hurons et Algonquins, plus 4 aumôniers, dont M. Dollier* de Casson. Le rendez-vous est fixé au fort Sainte-Anne, le 28 septembre. De là, la mise en marche a lieu le 3 octobre. Courcelle est déjà parti en avant-garde avec 400 hommes ; Tracy le suit avec le gros des troupes. MM. de Chambly et Berthier* viennent en arrière-garde, à quatre jours de distance. 300 bateaux légers transportent vivres, bagages et armes, dont deux pièces de campagne. Il y a plus de 60 lieues à parcourir au-delà des forts ; la marche est harassante, les pluies, abondantes ; les vivres diminuent, on impose la ration. Ce sera bientôt la famine quand soudain on atteint une forêt chargée de châtaignes. Enfin on arrive aux villages agniers. Les quatre sont déserts. Les soldats font main basse sur les marchandises utilisables et incendient cabanes et récoltes. À Andaraqué, on prend solennellement possession de tout le territoire agnier au nom de Louis XIV : on chante le Te Deum, on plante une croix et un poteau portant les armes du roi de France, et les quatre aumôniers disent la messe. Comme la saison est déjà avancée, le commandant abandonne le projet d’aller châtier les Onneiouts, nation voisine non moins rebelle. Le retour s’effectue encore plus péniblement que l’aller. Les pluies ont gonflé les rivières ; une tempête souffle sur le lac Champlain ; on perd deux canots portant huit hommes. L’armée rentre à Québec le 5 novembre 1666. Une procession solennelle et un autre Te Deum viennent clore cette croisade.
M. de Tracy fait pendre un prisonnier iroquois trop audacieux que l’on croit être Agariata, pour effrayer les autres. Il en renvoie trois ou quatre de chaque nation auprès des leurs pour porter la nouvelle de sa victoire et leur demander de faire connaître leurs intentions.
Talon écrit à Colbert les résultats de l’expédition : « Quoique le nombre des Ennemis des chrestiens ne soit pas diminué [...] La desolation de leurs familles causée par l’Incendie de leurs forts, et par le degat de leurs campagnes, pourra les affoiblir nottablement, et leur faire perdre cœur ». Si les Agniers n’avaient pas fui, dit-il, « après avoir sacrifié aux manes de tant de chrestiens esgorgés et bruslés la meilleure partie de ces barbares on eu pû voir l’autre sur les galeres de Vostre Majesté ». L’intendant regrette que les valeureux soldats français aient été frustrés de cette double satisfaction.
Le séjour de M. de Tracy au Canada – il partit le 28 août 1667 – a laissé des marques profondes. « C’est une personne de mérite et de piété », écrit Mgr Laval. Et mère Marie de l’Incarnation renchérit, disant qu’il « a gagné tout le monde par ses bonnes œuvres et par les grands exemples de vertu et de religion qu’il a donnés à tout le pays ». En effet, sa charité est admirable. Il a fait construire une chapelle pour les Ursulines au coût de 2 500# ; il a donné 500# aux Jésuites pour leur chapelle ; il fait instruire à ses frais des enfants des Premières Nations ; il fait don du tableau du maître autel à Sainte-Anne ; il traite lui-même les malades de l’hôpital. Sa piété est non moins exemplaire : une religieuse l’a vu pendant six heures en prière à l’église ; il accomplit plusieurs pèlerinages à Sainte-Anne ; il est de toutes les cérémonies solennelles. Fidèle à Dieu, il l’est aussi à son roi. Rien de ce que Sa Majesté recommande n’est trop difficile pour lui. C’est à l’âge de 62 ans, perclus par la goutte, qu’il entreprit sa redoutable expédition. Il a dû se faire porter pendant deux jours.
Il s’occupa aussi consciencieusement des affaires de l’État. Il régla la question épineuse des dîmes, présida les réunions du Conseil souverain réorganisé à la suite des querelles du gouverneur de Saffray de Mézy ; « il a mis les affaires du Canada en un si bon estat, que j’auray peu de choses à y faire », remarque Talon. Marie de l’Incarnation est du même avis. Moins d’un mois après l’arrivée de Tracy, elle écrivait : « Monsieur de Tracy a déjà fait de très beaux règlements : je crois que c’est un homme choisi de Dieu pour l’établissement solide de ces contrées, pour la liberté de l’Eglise et pour l’ordre de la justice ». Rien d’étonnant que Sa Majesté le traite en bon serviteur et lui fasse équiper le Saint-Sébastien, un vaisseau magnifique, pour le ramener en France. L’annaliste de l’Hôtel-Dieu de Québec note que « Monsieur de Tracy s’embarqua pour retourner en France, après avoir charmé tout le Canada par ses manières, ses soins et ses bienfaits ».
À son retour en France, il ne ménagea pas ses conseils à Colbert. Le 12 décembre 1667, il fut nommé commandant à Dunkerque et, le 26 octobre, gouverneur du château Trompette, citadelle de Bordeaux. Il vint mourir à Paris, dans la paroisse de Saint-Eustache, le 28 avril 1670. « Après Cartier et Champlain, il n’est peut-être personne dont le passage à travers la Nouvelle-France ait laissé dans notre histoire un sillon plus radieux », remarque Ægidius Fauteux.
Tracy avait contracté un premier mariage à Paris le 17 novembre 1624 avec Marie de Belin, avec laquelle il eut un fils, Charles-Henri, tué au siège de Landrecies en 1655, et une fille. Le 15 avril 1657, il avait épousé en secondes noces, à Saint-Eustache de Paris, Louise de Fouilleuse.
ASQ, Lettres N, 12, 14, 19, 20, 21 ; Polygraphie, V : 6, XIII : 2, p.39 ; Séminaire VI : 73j, XXXIII : 5.— Caron, Inventaire de documents, RAPQ, 1939–40.— Correspondance de Talon, RAPQ, 1930–31.— [Dollier de Casson], Histoire du Montréal, 179–193.— Édits ord., III : 27s.— Marie Guyart de l’Incarnation, Lettres (Richaudeau), II : 289–354.— JJ (Laverdière et Casgrain).— JR (Thwaites), XLIX, L, LI.— Juchereau, Annales (Jamet).— Jug. et délib.—NYCD (O’Callaghan and Fernow), III, IX.— Ord. Comm. (P.-G. Roy), I : 22–74.— RAC, 1905 : lvi.— Raphaël Bellemare, M. de Tracy et la Nouvelle-France, BRH, III (1897) : 77s.— Chapais, Talon.— Faillon, Histoire de la colonie française, III : 119–167 — Ægidius Fauteux, La Carrière pré-canadienne de Monsieur de Tracy, Cahiers des Dix, I (1936) : 59–93.— Garneau, Histoire du Canada, I : 379–390.— P.-G. Roy, Le Palais occupé par M. de Tracy à Québec en 1665–1666, BRH, XXVII (1921) : 353–358.— Régis Roy, Alexandre de Prouville, sieur de Tracy, BRH, XIV (1907) : 285–287 ; M. de Tracy était-il marquis ? BRH, X (1904) : 252s., 342–345.— Sulte, Mélanges historiques (Malchelosse), VIII.
Bibliographie de la version révisée :
Arch. nationales (Paris, Fontainebleau et Pierrefitte-sur-Seine), MC/ET/XXXVI/116, 17 nov. 1624 ; mss, Français 32587.
Léopold Lamontagne, « PROUVILLE DE TRACY, ALEXANDRE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/prouville_de_tracy_alexandre_de_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/prouville_de_tracy_alexandre_de_1F.html |
Auteur de l'article: | Léopold Lamontagne |
Titre de l'article: | PROUVILLE DE TRACY, ALEXANDRE DE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 2019 |
Date de consultation: | 22 nov. 2024 |