Au début de la Première Guerre mondiale, le Canada, automatiquement en guerre de par son statut de colonie de l’Empire britannique, vibre d’enthousiasme. Les partis politiques s’entendent pour aider la mère patrie et envoyer outre-mer des soldats volontaires, tandis que les francophones et les anglophones appuient ces mesures.
En décembre 1916, le nouveau premier ministre britannique, David Lloyd George, amorça un changement révolutionnaire dans les relations du Royaume-Uni avec ses dominions. Il avait désespérément besoin de plus de soldats, mais s’était rendu compte que le moment était venu de donner aux dominions et à l’Inde un certain droit de parole dans la direction de la guerre. « Ils combattent non pas pour nous, dit-il, selon ce qu’on rapporta, mais avec nous. » Au printemps de 1917, sir Robert Laird Borden, dirigeant du plus ancien dominion, prit part à la première réunion du cabinet de guerre et première Conférence impériale de guerre. Entre ses visites régulières à des soldats canadiens dans des hôpitaux militaires, il participa aux discussions du cabinet de guerre sur une foule de sujets, dont les conditions possibles de retour à la paix. Aux réunions de la conférence, lui et son jeune et brillant conseiller juridique, Loring Cheney Christie, ouvrirent la voie à l’adoption de la Résolution IX, qui prévoyait la tenue d’une conférence constitutionnelle après la guerre pour « établir des modalités efficaces de consultation continue sur toutes les questions importantes d’intérêt commun dans l’Empire, et pour toute action concertée nécessaire, fondée sur la consultation, dans la mesure où les divers gouvernements le juger[aient] à propos ».
La prolongation de la guerre, qui entraînait un besoin énorme de ressources humaines et matérielles, et la baisse du recrutement volontaire, conduisirent Borden à imposer, à l’été de 1917, la conscription militaire. Cette décision bouleversait les traditions militaires et politiques du pays et annihilait les promesses antérieures des hommes politiques. Elle stupéfia des ouvriers, des fermiers et la grande majorité des Canadiens français. Collés à leur mentalité et aux virulents propos des nationalistes d’Henri Bourassa, les Canadiens français s’engagèrent dans de vigoureuses manifestations d’opposition. Borden maintint ses positions, soutenu par ses principes, les nécessités de la guerre et les appels sans cesse répétés en ce sens de nombreux Canadiens anglais, conservateurs comme libéraux. Estimant que le Canada combattait comme nation et que le conflit placerait le pays sur la carte du monde, ces Canadiens anglais, imbus de l’idéologie de service, imprégnés du sens de l’honneur comme, pour certains, d’une pensée sociale progressiste, se considéraient alors en pleine croisade morale qu’il fallait appuyer jusqu’à l’effort total. Ils ne comprirent jamais les Canadiens français, qu’ils qualifièrent abusivement de traîtres à la nation. En 1917, les divisions culturelles et partisanes atteignirent un comble au Canada.
En juin 1918, Borden et plusieurs de ses collègues retournèrent à Londres pour la deuxième série de réunions du cabinet de guerre et de la Conférence impériale de guerre. Borden était en colère parce qu’il n’avait pas été consulté avant que le Corps d’armée canadien ne subisse de lourdes pertes à Passchendaele et menaça Lloyd George de ne plus envoyer de troupes au front si la situation se reproduisait. Fait plus grave encore, il avait reçu depuis le début des hostilités des rapports qui critiquaient la conduite des responsables du haut commandement britannique et la planification militaire, rapports qui atteignirent un point culminant quand il consulta le lieutenant-général sir Arthur William Currie, commandant du Corps d’armée canadien. À la deuxième réunion du cabinet de guerre, Borden livra un discours enflammé dans lequel il décrivait en détail les fautes du haut commandement. Cette intervention donna lieu à la création d’un comité de premiers ministres qui tint des audiences intensives avec des dirigeants et commandants en chef au sujet de l’effort de guerre. Dans son rapport préliminaire, terminé à la mi-août, le comité émettait la triste prévision que la guerre pourrait durer au moins jusqu’en 1920, et peut-être plus longtemps. Le rapport renforça la participation des dominions à la conduite de la guerre et fit ressortir la nécessité que les autorités civiles exercent un contrôle sur leurs commandants militaires. Cependant, il devint périmé avant même de faire l’objet de discussions. Les forces alliées, les troupes canadiennes et australiennes à leur tête, avaient lancé à Amiens l’offensive finale, qui se poursuivait quand Borden rentra au Canada.
Le 27 octobre, Lloyd George rappela Borden en Grande-Bretagne pour préparer d’éventuels pourparlers de paix. Deux jours plus tard, Borden répondit que « la presse et la population [du] pays [tenaient] pour acquis que le Canada serait représenté à la Conférence de paix ». Lloyd George se montra ouvert, mais prédit de « difficiles problèmes ». En janvier, après l’ouverture de la conférence à Paris, Lloyd George persuada le président américain Woodrow Wilson et le premier ministre français Georges Clemenceau que le Canada, l’Australie, l’Afrique du Sud et l’Inde aient deux délégués et la Nouvelle-Zélande, un, aux réunions plénières. Borden fit remarquer que ces arrangements relevaient plus de la forme que du fond et que la représentation était « largement une question de sentiment ». Toutefois, il déclara à sa femme, Laura : « Le Canada n’a rien tiré de la guerre, sauf [le fait d’être] reconnu. » C’était un point qu’il valait la peine de faire valoir jusqu’à sa conclusion logique : la reconnaissance officielle du statut international du Canada.