Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3222416
BUCHAN, JOHN, 1er baron TWEEDSMUIR, auteur, rédacteur en chef, journaliste, avocat, fonctionnaire, éditeur, homme politique et gouverneur général, né le 26 août 1875 à Perth, Écosse, fils du révérend John Buchan, ministre de l’Église libre d’Écosse, et de Helen Jane Masterton ; le 15 juillet 1907, il épousa à Londres Susan Charlotte Grosvenor (décédée en 1977), et ils eurent une fille et trois fils ; décédé le 11 février 1940 à Montréal.
John Buchan était l’aîné des cinq enfants survivants de parents remplis de ferveur religieuse, qu’il décrivit comme des partisans de la « vieille discipline calviniste » tempérée par une appréciation de « la bonté du Seigneur ». Il passa sa jeunesse sur la côte est de l’Écosse, au cœur de la ville de Glasgow et, durant les étés, qui lui paraissaient longs, avec la parenté de sa mère près de Peebles, à proximité de la frontière anglaise. Le paysage typique de la région des Borders, avec ses hauts plateaux accidentés, ses flancs de coteau parsemés de rochers et ses bosquets balayés par le vent, marqua profondément son imagination. « Les bois, la mer et les collines, écrirait-il dans son autobiographie, sont intimement liés à mon enfance, et ils n’ont jamais perdu leur pouvoir magique sur moi. » En 1892, à l’âge de 17 ans, Buchan passa d’une grammar school de Glasgow à l’université de la ville, où, dit-il, en tant qu’étudiant « complètement obscur », il vécut une vie « de labeur digne d’un castor et d’isolement monacal ». Il entra ensuite au Brasenose College d’Oxford grâce à une bourse. Entre 1895 et 1899, il y étudia les langues anciennes, la littérature et la philosophie, tout en développant la conscience historique qui caractériserait son existence.
Le jeune homme montra une précocité remarquable pour l’écriture et un vif intérêt pour la publication. À l’âge de 25 ans, Buchan avait à son actif trois essais récompensés par des prix universitaires, une collection d’œuvres de Francis Bacon, quatre romans, une histoire de son collège et deux recueils de nouvelles dont l’action se déroulait dans les Scottish Borders. Après son départ d’Oxford, il s’installa à Londres, où il étudia le droit, et travailla à titre d’éditorialiste et de critique littéraire pour le magazine Spectator. En juin 1901, il obtint son admission au barreau. Deux mois plus tard, il accepta l’offre de devenir secrétaire particulier de lord Milner, haut-commissaire de l’Afrique du Sud. Milner recruta plusieurs jeunes diplômés d’Oxford – connus collectivement comme son « jardin d’enfants » – pour l’aider à intégrer dans l’Empire britannique les républiques boers vaincues pendant la guerre des Boers, projet politiquement controversé. Buchan arriva en Afrique du Sud en octobre de la même année ; il se vit confier des fonctions pour lesquelles on recherchait ses talents, notamment la direction de camps d’internement et l’installation de fermiers britanniques sur des terres auparavant occupées par des Afrikaners. Son premier grand ouvrage non romanesque, The African colony, publié en 1903, décrit son expérience. En Afrique du Sud, Buchan fit la connaissance du soldat Julian Hedworth George Byng, qui deviendrait un ami proche et le précéderait au poste de gouverneur général du Canada.
Pendant son séjour en Afrique du Sud, Buchan acquit un sens profond de l’esprit d’indépendance caractéristique des territoires de l’Empire. Cette prise de conscience constituerait le fondement de son futur travail au Canada. Il écrirait ceci dans son autobiographie : « [Avant de vivre en Afrique du Sud], j’avais considéré les dominions avec condescendance comme des colonies éloignées [où les nôtres] faisaient des efforts louables dans des conditions difficiles pour perpétuer la tradition britannique. Maintenant, je me rendais compte que la Grande-Bretagne avait au moins autant à apprendre d’eux qu’eux, de la Grande-Bretagne […] Je commençai à voir que l’Empire, qui n’avait jusqu’à ce jour été pour moi qu’une formule, pouvait être une force puissante et bienfaisante dans le monde. » Fait significatif, compte tenu des accusations de racisme plus tard portées contre son œuvre littéraire, Buchan était aussi un fervent partisan de l’intégration des Noirs dans la vie politique sud-africaine. Il écrivit que, si la population indigène devenait « une partie, même petite, de la société civile, il y [aurait] de l’espoir pour l’avenir », mais que, à l’inverse, si on traitait ces gens comme « une chose à part, privée des droits les plus communs et maintenue dans [son] état de stagnation actuel, ils [seraient] une menace, politique et morale, que personne ne [pourrait] envisager avec sérénité ».
L’expérience de Buchan en Afrique du Sud l’incita à revoir ses plans : il rêvait désormais d’une carrière à l’extérieur de la Grande-Bretagne, qui lui permettrait de jouer un rôle dans l’élaboration de « ce splendide commonwealth ». Néanmoins, après son retour en Angleterre à la fin de 1903, il commença à exercer le droit, tout en éprouvant le sentiment que cette profession soulevait « beaucoup d’agitation pour des broutilles ». En 1907, en l’église St George, au square Hanover, décor de nombreux mariages élégants, il épousa Susan Charlotte Grosvenor. Par cette union avec les Grosvenor, apparentés aux ducs de Westminster, il entra dans l’establishment britannique. La relation serait heureuse et harmonieuse. Après son mariage, Buchan abandonna le droit pour l’édition. À titre de directeur administratif de la Thomas Nelson and Sons, société d’Édimbourg qui se spécialisait dans les éditions de poche destinées à un vaste lectorat, Buchan avait la responsabilité de développer les affaires. Grâce à ce poste, qu’il occupa durant une décennie, il s’associa avec des auteurs de premier plan, tels Gilbert Keith Chesterton, Joseph Hilaire Pierre Belloc, Rudyard Kipling, Thomas Hardy et Henry James. Il recommença à écrire de la fiction en 1909 et, en 1915, juste après le début de la Première Guerre mondiale, il termina The thirty-nine steps, roman d’espionnage pour lequel il serait le plus connu. Inapte au service militaire, Buchan travailla comme correspondant du Times de Londres sur le front de l’Ouest avant de se joindre au service de l’information du ministère des Affaires étrangères. Pour promouvoir la cause de la Grande-Bretagne dans le monde, il envoya de France des rapports détaillés sur la bataille de la Somme, et écrivit une série de 24 volumes intitulée Nelson’s history of the war, dont le premier tome parut au début de 1915 et le dernier, à la fin de 1919. En février 1917, s’inspirant de son expérience en édition et en journalisme, il prit la barre du premier service de l’Information britannique, qui réunissait dans un seul organisme diverses agences de propagande destinée aux pays alliés, neutres et ennemis.
Buchan dirigea l’effort national de propagande jusqu’à la fin de la guerre. En 1918, le service devint un ministère sous l’autorité de lord Beaverbrook [Aitken*] ; il ferma ses portes le 31 décembre de la même année. Entre-temps, Buchan poursuivit ses activités d’éditeur et d’écrivain. Greenmantle (1916) et Mr. Standfast (1919) avaient la guerre comme toile de fond, et The three hostages (1924), l’immédiat après-guerre. Grâce à ces livres et à d’autres romans contemporains et historiques, il était devenu, au début des années 1920, une personnalité littéraire bien en vue. D’habiles ententes conclues avec des éditeurs, notamment avec Houghton Mifflin aux États-Unis, avec qui il avait travaillé à la propagande de guerre, lui permirent de tirer de l’écriture des revenus substantiels, suffisants pour acheter en 1919 un manoir dans le village d’Elsfield, près des « flèches rêveuses » d’Oxford, où il put se prendre pour « un modeste gentleman de la campagne ayant un goût pour les lettres ».
La guerre avait modifié le point de vue de Buchan. Il avait perdu de nombreux amis proches ainsi que son frère cadet, Alastair Ebenezer, tué en 1917. Au département de l’Information, il avait vivement pris conscience de l’opposition croissante entre autoritarisme et libéralisme. Il reconnaissait que, dans les démocraties, la propagande, bien que nécessaire pour gagner la guerre, avait tendance à dévaloriser les idées politiques et à appauvrir le débat. Craignant que la culture politique démocratique ait pu subir des dommages à long terme, Buchan était résolu à y remédier. Il remarqua un profond et dangereux changement culturel en voyant la jeunesse rejeter les liens avec le passé tout en essayant de refaire le monde. Dans le but avoué de rabrouer ceux qui pensaient pouvoir agir en faisant fi du passé, il amena l’histoire sur le devant de la scène publique. Sous sa direction, la Thomas Nelson and Sons se tourna vers l’édition pédagogique, avec des séries de manuels d’un nouveau genre regroupés sous les titres généraux The teaching of English et The teaching of history, qui appuyaient les orientations de la politique d’éducation nationale après la guerre. L’étroite amitié qu’entretenait Buchan avec le populaire historien George Macaulay Trevelyan l’incita à produire un recueil de nouvelles, intitulé The path of the king (1921), sur des moments charnières de l’histoire depuis le Moyen Âge. La History of England de Trevelyan établit quant à elle la norme pour l’étude de l’histoire au niveau secondaire en Grande-Bretagne pendant la génération suivante, et Buchan engagea Trevelyan comme conseiller pour la série The teaching of history. En collaboration avec la maison d’édition américaine George H. Doran et, par la suite, avec la filiale britannique de Houghton Mifflin, Buchan dirigea aussi une collection pour la société britannique Hodder and Stoughton ; intitulée The nations of today, celle-ci mêle au récit historique national de nouvelles idées d’interdépendance mondiale fondée sur la charte de la Société des nations signée à la fin de la Première Guerre mondiale.
En 1911, Buchan s’était porté candidat et avait connu la défaite. Le 29 avril 1927, il remporta l’élection et entra au Parlement à titre de représentant des quatre universités écossaises. On peut le décrire comme un conservateur par conviction, avec une forte tendance pragmatique combinée à un instinct libéral. Il admirait le style politique de Stanley Baldwin, chef conservateur, lequel invita Buchan à aider son parti à répondre au défi posé par les idées socialistes, dont l’influence croissait parmi les façonneurs d’opinion et la jeunesse. Après la création d’une coalition nationale en septembre 1931, Buchan espéra un poste au cabinet, mais Baldwin en fit plutôt son homme à tout faire personnel pour surveiller l’avis de la population et aider à consolider le gouvernement. Il devint un intellectuel public, engagé dans des campagnes de promotion de causes culturelles. En 1933 et en 1934, le roi George V le nomma haut-commissaire de l’assemblée générale de l’Église d’Écosse. Son succès dans ce poste protocolaire figure parmi les facteurs qui conduisirent à sa désignation comme gouverneur général du Canada.
Buchan et le chef du Parti libéral du Canada, William Lyon Mackenzie King*, s’étaient rencontrés pour la première fois à Londres en 1919. Impressionné par ses idées sur l’autonomie des dominions et son point de vue religieux non conformiste, King en vint à admirer aussi le talent littéraire de Buchan et ses relations au sein des milieux politiques britanniques. Ils firent plus ample connaissance durant les incursions de King en Grande-Bretagne pour affaires impériales dans les années 1920 et, lorsque les Buchan visitèrent l’Amérique du Nord en 1924, King les reçut à Ottawa. Buchan avait récemment publié une biographie de lord Minto [Elliot*] – gouverneur général du Canada quand King occupait les fonctions de sous-ministre du Travail avant la Première Guerre mondiale – et King prit plaisir à corriger certaines de ses affirmations. Il ressentait beaucoup d’affinités avec Buchan, sentiment que ce dernier encourageait activement en envoyant à King des exemplaires personnellement dédicacés de ses livres. En 1926, King indiqua qu’il accueillerait avec bonheur la nomination de Buchan comme gouverneur général. Cette suggestion était inadmissible pour Londres, car elle donnait à entendre que le Canada pouvait choisir son propre gouverneur général. L’occasion se représenta en 1931, après que le statut de Westminster eut formellement reconnu l’indépendance des dominions, tout en conservant l’obligation d’allégeance à la couronne. Les dirigeants politiques britanniques croyaient qu’il fallait tirer parti de l’habileté de Buchan à influencer la culture politique pour faciliter les nouvelles relations de la Grande-Bretagne et du Canada, en encourageant ce dernier à développer une identité nationale plus forte au sein du British Commonwealth of Nations. L’amitié entre les deux hommes joua alors beaucoup en la faveur de Buchan. À l’instigation de King, Richard Bedford Bennett*, premier ministre conservateur depuis 1930, demanda en mars 1935 la nomination de Buchan à titre de gouverneur général ; cette fois, la proposition trouva une oreille attentive. Le Parti libéral prit le pouvoir lors des élections fédérales en octobre de la même année et, le 2 novembre, le premier ministre King accueillit Buchan, nouvellement anobli baron Tweedsmuir, au poste de gouverneur général du Canada.
Au début de son mandat, Buchan eut des démêlés avec King au sujet de l’attribution des honneurs, notamment le titre de chevalier, à des Canadiens. King et certains de ses partisans voulaient que le nouveau gouverneur soit simplement « M. John Buchan », et le premier ministre exprima sa déception quand le souci de « l’Ancien Monde » de Buchan pour la dignité de la fonction – « sorte de complexe de la royauté, condamnable à mes yeux », affirma King – s’interposa entre eux. Néanmoins, leur relation de travail se consolida avec le temps. Appuyant tous deux le libre-échange, ils nourrissaient l’ambition de se libérer de la protection impériale que le gouvernement conservateur avait recherchée lors de la Conférence économique impériale tenue à Ottawa en 1932. Ils collaborèrent à faire du Canada un pont diplomatique entre Londres et Washington. À l’occasion d’une visite officielle à Washington à titre de gouverneur général en mars et avril 1937, Buchan présenta au président Franklin Delano Roosevelt un plan pour rallier les dictateurs grâce à la diplomatie économique. Cette proposition découlait de la conviction de King que l’autarcie était à l’origine des tensions internationales croissantes. Sur un autre front, l’attention particulière que portait Buchan au Canada francophone (il parlait couramment le français) prit de l’importance après la défaite, au Québec, du Parti libéral aux mains de l’Union nationale, dirigée par Maurice Le Noblet Duplessis*, aux élections provinciales de 1936. Buchan se faisait un devoir de rester proche de King sur toutes ces questions. Il fut invariablement le loyal apologiste de King, qui, en retour, lui accorda sa confiance.
L’objectif de Buchan en matière de culture, auquel King souscrivait également, consistait à développer au Canada ce qu’il appelait « un esprit national uniforme ». Sa femme, Susan Charlotte, elle aussi écrivaine, poursuivit ce but en lançant un programme visant à fournir des livres de bibliothèque aux communautés rurales des provinces de l’Ouest et à inciter les Women’s Institutes à recueillir leurs histoires locales. Buchan encouragea en public et en privé les auteurs canadiens : il devint président honoraire de la Canadian Authors Association en 1935 et associa son titre aux prix nationaux récompensant des œuvres de fiction et autres, encore décernés au début du xxie siècle. Il comptait apporter sa propre contribution littéraire, mais il sous-estimait les contraintes protocolaires auxquelles étaient soumises les publications du représentant de la monarchie. Il se lança dans des tournées officielles à travers le Canada, fréquemment accompagné de journalistes avec qui il entretenait de bonnes relations, et prononça de nombreux petits discours devant des clubs et des groupes professionnels. Jamais auparavant un gouverneur général n’avait pris la parole aussi souvent ni atteint un public aussi varié. Buchan voulait que la publicité autour de ses visites et de ses allocutions serve à faire connaître davantage aux Canadiens les différentes régions du pays et la manière dont chacune contribuait à enrichir le tout.
Buchan lança le modèle en 1936 lors d’une tournée des provinces des Prairies, où la grande dépression, combinée à la sécheresse, avait le plus durement sévi. Il sortit des sentiers battus en allant à la rencontre des petits cultivateurs, des immigrants non anglophones et des chômeurs. Des hommes en manches de chemise et des femmes avec leurs enfants dans les bras assistaient à ses réceptions en plein air pour les colons. L’année suivante, il commença par la côte Ouest et visita les régions de l’Alberta frappées par la sécheresse, avant de descendre le fleuve Mackenzie jusqu’à l’Arctique à bord d’un vapeur à aubes à roue arrière. Il s’arrêta dans les missions et les mines du Nord canadien, et traversa à cheval et en canot le parc national en Colombie-Britannique auquel le gouvernement fédéral avait donné son nom. Il se rendit ensuite dans les provinces Maritimes. Durant ses tournées, Buchan chercha aussi à connaître des nations autochtones. À au moins cinq occasions, il reçut le titre de chef honoraire, sous les noms de Scribe, de Conteur d’histoires et de Face d’aigle. Dans ses mémoires, il insérerait une photographie de lui comme chef des Gens-du-Sang. Bien en avance sur son temps, Buchan reconnaissait les cultures autochtones et valorisait leur contribution à la nation moderne.
Buchan adorait son travail. Néanmoins, les déplacements incessants et l’absence de routine exacerbèrent la gastrite dont il souffrait depuis l’échec d’une intervention subie pour traiter un ulcère d’estomac en 1917. Dans l’espoir de combattre sa maladie, il profita de vacances en Grande-Bretagne, à l’automne de 1938, pour passer deux mois dans une clinique spécialisée dans les maladies de l’estomac. Il devint cependant évident, peu après son retour au Canada en novembre 1938, que sa santé s’en trouvait altérée de manière permanente.
Buchan utilisa à bon escient la mystique monarchique, mais, vers la fin des années 1930, cette dernière avait également besoin de protection. À la fin de 1936, il dut affronter la crise provoquée par le souhait d’Édouard VIII d’épouser une Américaine divorcée. À la suite de la ratification du statut de Westminster, le point de vue des dominions valait autant que celui de la Grande-Bretagne, et les rapports de Buchan, en concordance avec ceux de King, sur la stupéfaction de l’opinion publique contribuèrent au rejet de la possibilité, pour Édouard, de se marier avec une femme divorcée tout en restant chef de l’État. De passage en Grande-Bretagne en 1938, Buchan promut l’idée d’une visite au Canada et aux États-Unis des nouveaux roi et reine, George VI et Élisabeth. Pour les démocraties, une telle tournée offrirait une occasion en or de manifester leur solidarité, à l’heure où les dictateurs européens faisaient étalage de leur force. L’événement montrerait aussi qu’en vertu de la nouvelle constitution impériale, la fonction du gouverneur général avait subi une transformation fondamentale : celui-ci ne s’interposait plus entre le souverain et le gouvernement élu du Canada, et il ne représentait que la monarchie, et non le gouvernement britannique. À l’arrivée du cortège royal au Canada en juin 1939, Buchan s’absenta pour que seul le chef du gouvernement élu par le peuple accueille le roi, tout en conseillant le couple royal sur la meilleure manière de s’y prendre avec la presse et d’utiliser le protocole pour gagner les cœurs et les esprits. La tournée connut un énorme succès. Enrichie par les initiatives de Buchan comme gouverneur général, elle attesta que la transition de l’Empire au Commonwealth avait revigoré la relation entre le roi et ses sujets.
Des amis gardaient Buchan au fait des tensions grandissantes dans les milieux politiques britanniques au sujet de la montée en puissance de l’Allemagne. On a parfois affirmé qu’il appuyait avec ferveur la politique d’apaisement du premier ministre Arthur Neville Chamberlain, mais cette position n’est pas tout à fait claire. Le réarmement britannique ne faisait que commencer quand Buchan partit pour le Canada. Grâce à son amitié avec Roosevelt, il aida le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Robert Anthony Eden, jusqu’à la démission de celui-ci au début de 1938, à rebâtir la solidarité avec les États-Unis afin de raffermir la démocratie. Il partageait aussi l’avis de Leopold Charles Maurice Stennett Amery, autre célèbre opposant à l’apaisement, sur les horreurs du régime nazi. À titre de parlementaire en Grande-Bretagne, Buchan avait présidé un comité de l’arrière-ban encourageant la création d’un État juif en Palestine. Il avait ainsi communiqué avec des figures éminentes du mouvement sioniste, notamment Chaim Azriel Weizmann. Buchan était très conscient de la violence croissante envers les dissidents et les minorités en Allemagne, qu’il comparait au massacre des huguenots à la Saint-Barthélemy en France au xvie siècle. Il mettait de l’avant l’idée que le Canada devait accueillir des réfugiés, mais le gouvernement canadien se montra prudent sur la question et n’en accepta qu’un nombre limité. Buchan encouragea en effet Chamberlain dans ses efforts de paix à Munich en novembre 1938, même s’il faisait simplement écho à la politique de King, qui avait rencontré Adolf Hitler et exhorté Chamberlain à traiter avec lui. De toute manière, pourquoi ne pas donner une autre chance à la paix, si cela favorisait la solidarité du Canada avec la Grande-Bretagne dans l’éventualité d’une guerre ?
Lorsque le Canada déclara la guerre à l’Allemagne en septembre 1939, le rôle que s’était créé Buchan dans la vie politique du pays prit effectivement fin. Les obligations protocolaires se poursuivirent, mais il y eut désormais beaucoup moins d’intérêt pour l’élaboration de conceptions sur le Canada. Le haut-commissaire britannique à Ottawa décrivit ainsi l’allure de Buchan quand il présida le Sénat canadien à la déclaration de la guerre : « une silhouette un peu frêle à l’air fatigué vêtue de noir sur le trône rouge ». Buchan refusa un second mandat à titre de gouverneur général, faisant valoir qu’il avait besoin d’une longue cure de repos en Grande-Bretagne. Quand il quitta ses fonctions, il préparait la publication de quelques ouvrages, dont un recueil de textes pour enfants sur l’histoire du Canada, intitulé The long traverse, un récit d’aventures dans le Nord de la province de Québec, Sick Heart River, et une autobiographie, Memory hold-the-door.
Le 6 février 1940, six mois avant la fin de son mandat, Buchan tomba dans sa salle de bain à Rideau Hall, résidence du gouverneur général à Ottawa. Un caillot dans une artère du cerveau avait occasionné cette chute ; une commotion cérébrale en aggrava les séquelles. Transporté à Montréal pour y subir une chirurgie d’urgence (l’un de ses médecins était Wilder Graves Penfield*), il mourut à l’Institut neurologique de la McGill University le soir du 11 février. Les milliers de gens ordinaires qui lui rendirent hommage à ses obsèques à l’église presbytérienne St Andrew à Ottawa témoignaient de la relation que Buchan avait nouée avec les Canadiens. Pour sa part, King déclara que sa connaissance de l’histoire et sa compréhension instinctive des institutions britanniques libres avaient fait de Buchan le parfait gouverneur général : « À la conception juste de cette haute fonction, il ne dérogea jamais en pensée, en parole ou en action. » Stanley Baldwin exprima combien son ami « s’était dépensé et avait accompli un travail bien plus difficile et plus épuisant que la tâche protocolaire ordinaire de représentant de Sa Majesté ». On incinéra la dépouille de Buchan à Montréal, puis on envoya ses cendres en Grande-Bretagne pour leur inhumation au cimetière anglican d’Elsfield. Des services commémoratifs eurent lieu à Londres, à l’abbaye de Westminster, et à Oxford, Édimbourg et Glasgow. Sir Dougal Orme Malcolm, qui avait étudié en même temps que lui à Oxford et aussi fait partie du « jardin d’enfants » de Milner, fournit l’inscription latine sur sa pierre tombale : « Qui musas coluit patriae servivit amicis dilectum innumeris hic sua terra tenet » (Ici, sur sa propre terre, repose un homme de lettres qui servit son pays et jouit de l’affection d’innombrables amis).
On se souvient en général de Buchan pour un seul livre, The thirty-nine steps, parfois qualifié de premier roman à suspense. Cependant, cet auteur prolifique – voire obsessif – contribua de manière importante à d’autres genres littéraires. Il écrivit plus d’une douzaine de romans historiques, près de 20 ouvrages de fiction contemporaine – les plus connus sont peut-être ceux qui mettent en vedette Richard Hannay – et plus de 50 nouvelles, dont certaines se déroulent dans un cadre surnaturel, publiées une à une dans des magazines avant leur regroupement en recueils. Dans le domaine non romanesque, Buchan écrivit sur l’histoire contemporaine et fit paraître des biographies historiques, notamment des portraits approfondis d’Oliver Cromwell, de sir Walter Scott et de l’empereur romain Auguste. Il était également essayiste et poète, et son excellente autobiographie, Memory hold-the-door, parut à titre posthume. Il s’intéressa même à la littérature pour enfants, au théâtre et aux scénarios de films. En tout, il signa 70 titres. Le critique moderne Christopher Eric Hitchens décrirait le besoin impérieux d’écrire de Buchan, malgré sa vie publique effrénée et son travail de journaliste et d’éditeur, comme de la « graphomanie ».
Buchan est difficile à situer comme auteur. Une bonne partie de son travail fait preuve de la plus grande qualité, notamment ses descriptions de paysages et du temps ainsi que ses écrits sur l’Écosse en langage courant. Néanmoins, l’ampleur de sa production et la diversité de ses intérêts littéraires nuisirent à son prestige aux yeux de certains critiques. On le présente parfois comme figure de transition entre, par exemple, la décadence littéraire des années 1890 et la fiction bon marché de la première moitié du xxe siècle, et entre Rudyard Kipling et Ian Lancaster Fleming. Il ne se prenait pas pour une personnalité littéraire, et les revenus considérables qu’il tirait de l’écriture faisaient des envieux. On reconnaît de plus en plus que certains livres particulièrement populaires à son époque, visant à remonter le moral des lecteurs et à promouvoir des objectifs culturels et politiques précis, relevaient en fait de la propagande. Buchan avait le talent de rendre la polémique attrayante pour le lectorat, et ces ouvrages ont souvent réussi à transcender leur but original, en raison de leur valeur comme divertissement. Mais c’est dans l’écriture à plus petite échelle, dans les nouvelles et les essais grâce auxquels il apprit son métier, que Buchan se révèle le plus. Un commentateur affirmerait, à la fin des années 1980, que ses meilleures œuvres de fiction « renfermaient un sens du mystère sous le vernis de la civilisation – un monde à la fois fascinant et terrifiant ».
Dans un essai publié en 1968, l’historienne américaine Gertrude Himmelfarb qualifia John Buchan, non sans une certaine admiration, « de dernier victorien ». Des contemporains le traitèrent de snob et d’avide de succès, accusations auxquelles des critiques d’après-guerre ajoutèrent celle d’antisémitisme. Sa réputation, qui souffrit aussi de ses liens étroits avec l’impérialisme, se trouve maintenant en grande partie restaurée. Ses écrits reflètent vraiment les valeurs d’un autre temps. Cependant, ses visées étaient moins littéraires que politiques et ses réalisations, plus en phase avec la seconde moitié du xxe siècle qu’avec le milieu de l’époque victorienne. Sa mission au Canada n’était que son dernier projet pour moderniser des institutions antiques, pour qu’une vieille magie opère au cours des nouvelles générations. Son talent d’écrivain et l’amitié qu’il entretenait avec des personnalités politiques et artistiques influentes représentaient ses outils. Une foi profonde dans les valeurs démocratiques ainsi que le bon jugement et la créativité des gens ordinaires l’animaient. Son grand ami Leopold Amery affirma que Buchan portait un intérêt global aux autres êtres humains : « Quels que soient leur classe [sociale], leurs principes, leur race, leur couleur ou leur place dans l’espace ou le temps, son intense sympathie et sa vive imagination [faisaient qu’il] voyait en eux quelque chose à admirer, en général [quelque chose] à aimer, et toujours [quelque chose] à apprécier. » Chevalier de la culture, Buchan atteignit une rare harmonie entre l’objectif et la façon de l’atteindre. Cet exploit peut aider à expliquer pourquoi on lit encore ses meilleures œuvres de fiction, des décennies après sa mort.
John Buchan est l’auteur de : The African colony : studies in the reconstruction (Édimbourg et Londres, 1903), Prester John (Londres et Toronto, [1910 ?]), Nelson’s history of the war (24 vol., Londres, [1915–1919]), The thirty-nine steps (Édimbourg et Londres, 1915), Greenmantle (Londres et Toronto, 1916), Mr. Standfast (Toronto, 1919), The path of the king (Londres, [1921]), Lord Minto : a memoir (Londres, 1924), The three hostages (Londres, [1924]), Augustus (Londres, 1937), Memory hold-the-door (Londres, 1940), The long traverse (Londres, 1941), et Sick Heart River (Londres, 1941). Sous sa direction a également paru The nations of today : a new history of the world (12 vol., Londres, 1923–1924).
Trois séries d’essais et de courtes biographies, d’abord imprimées dans des revues littéraires, ont été publiées au cours de la vie de Buchan : Some eighteenth century byways and other essays (Édimbourg et Londres, 1908), Homilies and recreations (Londres et Édimbourg, 1926) et Men and deeds (Londres, 1935). Une série d’articles qu’il a écrits pour la Scottish Rev. (Paisley, Écosse, et Londres) a paru en 1940 sous le titre Comments and characters, W. F. Grey, édit. (Londres et Toronto). Canadian occasions : addresses (Londres, 1940) présente une compilation de ses discours à titre de gouverneur général. Une bibliographie de ses textes journalistiques non colligés figure dans l’ouvrage de Roger Clarke, The journalistic career of John Buchan (1875–1940) : a critical assessment of its context and significance (Lewiston, N.Y., [2018]).
La plus vaste collection de documents de Buchan, incluant de nombreux livres issus de la bibliothèque de sa demeure à Elsfield, se trouve à la Queen’s Univ. Library, W. D. Jordan Rare Books and Special Coll. (Kingston, Ontario), John Buchan coll. D’autres documents d’archives sont conservés dans divers fonds et séries à la National Library of Scotland d’Édimbourg (papiers et collections de la famille Buchan recueillis par J. A. Smith, biographe officiel de John Buchan) et à l’Edinburgh Univ. Library, Special Coll., Coll-25 (Records of Thomas Nelson & Sons Ltd), Buchan corr. (Gen. 1728/B/1-14). Buchan possédait un vaste réseau de correspondants dans le milieu de la littérature, de la politique et de l’édition. Ses lettres se trouvent ici et là dans des archives en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, notamment à la Univ. of Cambridge, Churchill College, Arch. Centre (Cambridge, Angleterre), Leopold Amery papers (GBR/0014/AMEL) ; à la Cambridge Univ. Library, Dept. of Manuscripts and Univ. Arch., papers of Stanley Baldwin ; et à la Harvard Library, Houghton Library (Cambridge, Mass.), Ferris Greenslet papers.
R. G. Blanchard, The first editions of John Buchan : a collector’s bibliography (Hamden, Conn., 1981).— Ursula Buchan, Beyond The thirty-nine steps : a life of John Buchan (Londres, 2019).— J. W. Galbraith, John Buchan : model governor general (Toronto, 2013).— Gertrude Himmelfarb, « John Buchan : the last Victorian », dans son ouvrage Victorian minds (New York, 1968), 249–272.— Andrew Lownie, John Buchan : the Presbyterian cavalier (Londres, 1995).— J. P. Parry, « From the “Thirty-nine Articles” to the “Thirty-nine steps” : reflections on the thought of John Buchan », dans Public and private doctrine : essays in British history presented to Maurice Cowling, Michael Bentley, édit. (Cambridge, Angleterre, 1993), 209–235.— Reassessing John Buchan : beyond The thirty-nine steps, Kate Macdonald, édit. (Londres et Brookfied, Vt, 2009).— J. A. Smith, John Buchan : a biography (Londres, 1965).
Michael G. Redley, « BUCHAN, JOHN, 1er baron TWEEDSMUIR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/buchan_john_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/buchan_john_16F.html |
Auteur de l'article: | Michael G. Redley |
Titre de l'article: | BUCHAN, JOHN, 1er baron TWEEDSMUIR |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2023 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |