GORMAN, CHARLES INGRAHAM, athlète, soldat, serre-frein et homme d’affaires, né le 6 juillet 1897 à Saint-Jean, fils de William John Gorman et de Mary Ann Ingraham ; décédé célibataire le 11 février 1940 dans cette ville.

Fils d’un ingénieur naval, Charles Ingraham Gorman, que l’on surnommait Charlie, grandit dans la partie nord de Saint-Jean, haut lieu du patinage de vitesse depuis de nombreuses années. Après de courtes études dans les écoles publiques de l’endroit, il travailla comme employé de bureau. Athlète-né, polyvalent, il excellait dans le sprint et au baseball. En 1925, il reçut une offre, qu’il déclina, pour jouer professionnellement au baseball avec l’équipe-école des Yankees de New York, les Senators de Hartford. Même s’il continua tout au long de sa carrière sportive à jouer au baseball semi-professionnel chez lui, il acquit une renommée mondiale grâce à son habileté en patinage de vitesse. Pour les Canadiens des Maritimes du début du xxᵉ siècle, le patinage de vitesse sur piste intérieure ou extérieure était un sport d’hiver aussi populaire que le deviendrait le hockey sur glace. Gorman participa à des compétitions de patinage dès son enfance. On dit qu’il remporta sa première course à l’âge de dix ans. Un de ses amis se souviendrait, des années plus tard, que Gorman « [lui] raconta souvent que l’écho du pistolet de départ, ce soir-là, n’était jamais sorti de son oreille ». En 1912, à l’âge de 15 ans seulement, Gorman remporta le championnat de patinage de vitesse des Maritimes, tenu à Saint-Jean.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale, en août 1914, interrompit inévitablement la carrière d’athlète de Gorman. En novembre 1915, il s’enrôla dans le 140th Battalion (Saint John’s Tigers) du Corps expéditionnaire canadien, qui s’embarqua pour l’Angleterre en septembre 1916. Son bataillon s’intégra rapidement dans d’autres unités ; Gorman, devenu caporal dans la 6th Canadian Machine Gun Company, participa à nombre d’actions sur la ligne de front en France. En septembre 1918, il fut gazé, et touché par un shrapnel à la jambe et au pied droits. On l’hospitalisa en Angleterre, le rapatria pour cause de blessures, puis le démobilisa en mai 1919. Il travailla alors comme serre-frein pour la Canadian National Railway Company.

Moins d’un an plus tard, déjouant les pronostics des médecins, Gorman reprit sa carrière de patineur de vitesse. En février 1920, il participa au championnat des Maritimes et remporta deux épreuves. Il se rendit à la compétition internationale sur piste extérieure de Lake Placid, dans l’État de New York, mais ne remporta pas de médaille. En janvier 1921, il se classa troisième au championnat canadien sur piste extérieure à Montréal ; il retourna ensuite à Lake Placid, où il égala le record mondial à la course de 440 verges sur piste extérieure. Le mois suivant, il participa une fois de plus au championnat international sur piste extérieure et termina deuxième. Gorman revint de Lake Placid à temps pour le championnat des Maritimes à Saint-Jean, où il fut le grand vainqueur au classement général. À partir de ce moment, le Commercial Club de la ville commandita et soutint financièrement sa carrière.

En janvier 1922, le championnat national canadien de patinage de vitesse se tint sur le lac Lily à Saint-Jean. Gorman s’entraînait à fond ; un journaliste le compara même à « une balle de fusil qui file à toute vitesse ». Il ne décrocha cependant aucun point. Tout de suite après, il reprit le patinage sur le circuit international aux États-Unis, où il participa avec beaucoup plus de succès à plusieurs rencontres sur des pistes extérieures. Au printemps de 1922, on l’invita à Milwaukee, au Wisconsin, pour une compétition de patinage sur piste intérieure. Ce genre d’épreuves n’était pas le point fort de Gorman, mais il ne pouvait rater l’occasion de s’entraîner avec le champion professionnel du monde Arthur Nels Staff et de recevoir ses conseils. Si, comme l’affirme l’historien des sports Brian Flood, le voyage à Milwaukee constitua « peut-être le tournant de la carrière [de Gorman] », les résultats ne se virent pas tout de suite. Au championnat international sur piste extérieure tenu à Saint-Jean en février 1923, Gorman atteint la quatrième place, 40 points derrière le vainqueur, l’Américain Charles Henry Jewtraw.

Malgré cette performance décevante, on sélectionna Gorman pour représenter le Canada aux premiers Jeux olympiques d’hiver à Chamonix-Mont-Blanc, en France, en janvier 1924. Le style européen de compétition en patinage de vitesse, où seulement deux patineurs se lançaient ensemble dans une course contre la montre, ne plaisait pas à Gorman ; il préférait le style américain, où tous les concurrents s’affrontaient simultanément, ce qui mettait l’accent sur la stratégie et convenait mieux à sa nature combative. Cela dit, Gorman aurait probablement vaincu Jewtraw (avec qui il était jumelé et sur qui il menait) pour la médaille d’or dans le 500 mètres, si sa jambe droite ne l’avait pas lâché peu avant la fin de la course. Il réussit encore moins bien dans le 1 500 mètres (il finit onzième) et dans le 5 000 mètres (qu’il ne termina pas).

Nullement découragé par son échec olympique, Gorman remporta le championnat national sur piste extérieure des États-Unis en février 1924 et gagna ensuite la compétition internationale. En dépit de ces triomphes, Gorman manquait de constance ; il semblait incapable de maintenir son élan entre, ni même pendant, les compétitions. En 1925, il ne parvint à conserver aucun de ses titres importants de l’année précédente. Malgré tout, il se classa deuxième au championnat national canadien. Aux internationaux de Saint-Jean, en janvier 1926, Gorman se racheta en reprenant le titre mondial et en battant le grand favori, le champion olympique Clas Thunberg. Fière et reconnaissante, la ville de Saint-Jean lui accorda le droit de cité.

En 1927, Gorman remporta tous les principaux titres nationaux et internationaux, sauf un : ce fut son annus mirabilis. En 11 jours, il participa à 23 compétitions dans deux pays et en remporta 16. Il prit part à cinq rencontres, décrochant quatre titres majeurs, dont celui de champion du monde, et finissant ex æquo au cinquième ; il fracassa également deux records du monde et en égala un troisième. Pour la première fois, et la seule, il gagna le championnat national canadien sur piste intérieure. Malheureusement, toutefois, la plus grosse déception de sa carrière suivit de peu sa plus importante réussite. Aux Jeux olympiques d’hiver de 1928 à Saint-Moritz, en Suisse, on attendait beaucoup de Gorman, qui avait de très grandes espérances pour lui-même. Durant le 500 mètres, son partenaire tomba devant lui ; alléguant une obstruction, Gorman protesta et demanda, en vain, la reprise de la course. Atterré par sa septième place, il quitta les lieux vexé ; il ne revint qu’au 1 500 mètres, où il se classa à une lamentable douzième position.

L’échec de Gorman à Saint-Moritz l’amena à abandonner immédiatement le sport de compétition. Frustré et plein de ressentiment, il se lança en 1929 dans une affaire de vente d’essence ; il exploita trois stations à Saint-Jean, en association avec l’entrepreneur Kenneth Colin Irving*, dont la carrière connaissait une ascension rapide. En 1935, Gorman fut frappé par la maladie de Hodgkin, dont il mourut prématurément quelques années plus tard, à 42 ans. Survenue le même jour que celle du gouverneur général lord Tweedsmuir [Buchan], sa mort passa quelque peu inaperçue.

En 1955, Gorman figura parmi les premiers athlètes à être intronisés au Temple de la renommée des sports du Canada. Un imposant monument à sa mémoire, conçu par l’artiste et architecte néo-brunswickois Claude Roussel, et érigé en 1962 dans le square King à Saint-Jean, rappelle que Gorman remporta huit rencontres (1924–1927), et battit six records sur piste extérieure (1921–1927) et trois sur piste intérieure (1925–1927). Son succès résulta d’une participation régulière aux compétitions, d’un désir ardent de réussir, d’un entraînement physique rigoureux (particulièrement le vélo, stationnaire et mobile), de tactiques offensives et d’une technique qui lui permit de tirer le meilleur parti de ses aptitudes naturelles et de son expérience de coureur rapide (au début, il avait un style de patinage inégal, qu’il abandonna au profit de foulées longues et fluides).

De son vivant, Charles Ingraham Gorman profita d’une célébrité disproportionnée à sa courte carrière internationale qui, bien que brillante, ne dura que neuf ans. Il se retira avant l’heure, dans un accès de dépit, au sommet de sa forme et avant qu’il n’y soit forcé. Il ne tenta jamais d’effectuer un retour au sport, malgré les tentatives du Toronto Daily Star de le recruter pour les Jeux olympiques d’hiver de 1932 à Lake Placid. Un autre patineur de vitesse de Saint-Jean, William Frederick (Willie) Logan*, y remporta deux médailles de bronze. Pas même le succès de Logan, premier Néo-Brunswickois à rapporter avec lui une médaille olympique, ne réussit à ébranler le mythe de Gorman, celui de la carrière unique d’un athlète justement surnommé « le sans pareil ». Présenté par l’historien Colin Desmond Howell comme « un des meilleurs athlètes que les Maritimes aient jamais produits », Gorman vit toujours dans la mémoire collective des habitants de Saint-Jean. Une rue et un aréna portent son nom, et le cent-treizième anniversaire de sa naissance, le 6 juillet 2010, donna lieu à une cérémonie publique où on érigea une pierre tombale ouvrée en l’honneur de « la dynamo humaine » ; l’originale, modeste et plate, gravée du nom de « Charlie », avait depuis longtemps disparu.

Barry Cahill

Les papiers de Charles Ingraham Gorman n’ont apparemment pas survécu. La plupart des 131 médailles et des 21 trophées qu’il a remportés en patinage de vitesse se trouvent dans le Gorman, Charles Ingraham fonds au Musée du N.-B. (Saint-Jean). W. D. F. Smith, « Charles Ingraham Gorman », N.B. Hist. Soc., Coll. (Saint-Jean), no 17 (1961) : 62–73, constitue le meilleur compte rendu de sa carrière.

APNB, RS71A, dossier 1940-71, Charles Gorman ; RS141A2/2, F14954, 1-2-150-860 ; RS141C5, F19357, no 25752.— BAC, RG 150, Acc. 1992–93/166, boîte 3657-45.— Temple de la renommée sportive du Nouveau-Brunswick (Fredericton), dossiers Charles Gorman.— Daily Telegraph and the Sun (Saint-Jean), 1920–1923.— Evening Times and Star (Saint-Jean), 1920–1923.— Evening Times-Globe (Saint-Jean), 1927–1940.— Evening Times Star (Saint-Jean), 1923–1927.— Saint John Globe, 1920–1927.— Telegraph-Journal (Saint-Jean), 1923–1940.— « 1940 Charles Gorman funeral » : www.youtube.com/watch?v=YoerRt0gLfk (consulté le 8 nov. 2016).— Amateur Skating Union of the United States, Official handbook ([Chicago], s.d.).— Robert Ashe, Even the Babe came to play : small town baseball in the Dirty 30s (Halifax, 1991).— Comité olympique français, les Jeux de la VIIIe olympiade, Paris 1924 : rapport officiel (Paris, [1924 ?]).— Comité olympique suisse, Résultats des concours des IImes jeux olympiques d’hiver ([Suisse, 1928]).— John DeMont, Citizens Irving : K. C. Irving and his legacy : the story of Canada’s wealthiest family (Toronto, 1991).— Nathan Dreskin, « The legend of Lily Lake », Reader’s Digest (Montréal), février 1976 : 42–47.— Brian Flood, Saint John : a sporting tradition, 1785–1985 ([Saint-Jean], 1985).— C. S. Grafton, The Canadian « Emma Gees » : a history of the Canadian Machine Gun Corps (London, Ontario, 1938).— Douglas How et Ralph Costello, K. C. : the biography of K. C. Irving (Toronto, 1993).— C. D. Howell, Northern sandlots : a social history of Maritime baseball (Toronto et Buffalo, N.Y., 1995).— International achievements of Canadians in speed skating, 1897–1979, John Hurdis, compil. (Toronto, 1980).— F. G. O’Brian, « The human dynamo : Charles Gorman », Atlantic Advocate (Fredericton), 56 (septembre 1965–août 1966), no 7 : 24–28.— L. P. Pye, The life of Charles I. Gorman (in verse) ([Saint-Jean, 1961]).— Speedskating in Canada, 1854–1981 : a chronological history, John Hurdis, compil. (Montréal, 1980).— S. F. Wise et Douglas Fisher, Canada’s sporting heroes (Don Mills [Toronto], 1974).

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Barry Cahill, « GORMAN, CHARLES INGRAHAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gorman_charles_ingraham_16F.html.

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Auteur de l'article:    Barry Cahill
Titre de l'article:    GORMAN, CHARLES INGRAHAM
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2020
Année de la révision:    2020
Date de consultation:    20 déc. 2024