Une nouvelle union
Même si son rôle d’artisan de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique est souvent exagéré, John Alexander Macdonald prit part à sa création de façon déterminante. Au départ sceptique quant à la confédération, il changea d’opinion vers 1864 et la Grande Coalition se forma [V. La Grande Coalition dans la province du Canada]. Cette mutation témoigne tant de sa clairvoyance que de sa flexibilité politique :
L’union fédérale « préviendra[it] l’anarchie [...], réglerait la grande question constitutionnelle de la réforme parlementaire du Canada [et] redorera[it] le blason de la province à l’étranger ». Autrement dit, les provinces, une fois unies, formeraient une collectivité plus nombreuse, plus forte et plus harmonieuse qui pourrait peut-être rivaliser avec les États-Unis. En outre, dans l’immédiat, la coalition permettait à Macdonald d’échapper à de graves difficultés politiques dans sa section du Canada, où le parti réformiste semblait prendre une avance insurmontable. « J’étais alors devant l’alternative [suivante], confia-t-il en 1866, soit de former un gouvernement de coalition, soit de céder l’administration des affaires [publiques] au parti des grits pour les dix prochaines années. »
George-Étienne Cartier, partenaire politique de Macdonald, voyait également la confédération comme une solution aux difficultés qui avaient affligé la province au cours des dernières sessions parlementaires :
Cartier se fit l’apôtre d’une fédération des provinces de l’Amérique du Nord britannique parce qu’elle lui parut le meilleur moyen de sortir des difficultés politiques de l’époque, créées en particulier par la question de la représentation basée sur la population. En effet, le Bas-Canada qui, en 1840, s’était vu attribuer une représentation égale à celle du Haut-Canada moins populeux, profitait maintenant du renversement des proportions. Cartier comprit que le Bas-Canada ne pouvait s’opposer indéfiniment à la représentation basée sur la population et que son acceptation n’aurait pas autant d’inconvénients dans un état fédératif : plusieurs domaines importants pour les Canadiens français tels que l’éducation et la justice relèveraient de la législature locale. Cartier craignait aussi l’annexion aux États-Unis et, en 1865, il déclarait : « Il nous faut ou avoir une Confédération de l’Amérique britannique du Nord ou bien être absorbés par la Confédération américaine. » Afin de consolider cette fédération des provinces, d’en assurer l’expansion et le développement économique, Cartier encourageait fortement la construction de l’Intercolonial qui devait relier le Canada d’est en ouest. Ses liens avec les compagnies ferroviaires et le fait que son cabinet d’avocat représentait le Grand Tronc – à qui le prolongement de la ligne vers les ports de l’Atlantique viendrait en aide – l’avaient sans doute poussé à favoriser un tel projet, qui lui semblait aussi nécessaire pour développer la rive sud du bas Saint-Laurent. Enfin comme homme politique, il était normal qu’il désirât jouer un rôle sur une scène plus grande. De juin 1864 au 1er juillet 1867, Cartier se consacra avec énergie et intelligence à la réalisation du projet fédératif.
Quand vint le moment de rédiger la constitution, la formation juridique de Macdonald s’avéra précieuse [V. Le projet constitutionnel : les Résolutions de Québec] :
Assurément, une bonne partie de l’appareil constitutionnel du dominion était son œuvre. Il ne pouvait pas le crier sur les toits mais, en privé, il affirmait l’avoir conçu presque en entier : il faisait valoir que lui seul avait reçu la formation nécessaire en théorie et en droit constitutionnels. En novembre 1864, en parlant de la « préparation de [la] constitution », il avait confié à son bon ami James Robert Gowan*, juge d’un tribunal de comté : « Je dois le faire seul parce qu’il n’y en a pas un au gouvernement qui ait la moindre idée de la nature du travail. » Son collègue Thomas D’Arcy McGee déclara en 1866 que Macdonald avait rédigé 50 des 72 résolutions adoptées à Québec.
Deux colonies de l’Atlantique, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, s’opposèrent fermement à la confédération, l’Île-du-Prince-Édouard ne s’y joignit qu’en 1873 et Terre-Neuve résista jusqu’en 1949 [V. L’opposition à la confédération]. Au Nouveau-Brunswick, le politicien Albert James Smith mit en garde ses compatriotes contre le plan qui, selon lui, avait « germé dans les “cervelles graisseuses des hommes politiques canadiens” ». En Nouvelle-Écosse, un autre homme politique, Joseph Howe, déplora que « la pauvre vieille Nouvelle-Écosse – que Dieu lui vienne en aide − [soit] assaillie par des ennemis à l’intérieur et par des maraudeurs à l’extérieur ». Sa biographie décrit son opposition à l’union :
Il craignait d’abord que la réalisation de l’union ne portât un coup mortel à son projet d’organisation de l’Empire. Venaient ensuite des raisons d’ordre pratique : il fallait bâtir des chemins de fer, établir des liens entre les populations et procéder à des échanges commerciaux avant de réaliser l’union et d’en faire une réussite ; les Résolutions de Québec, nées de la situation canadienne, conduiraient la Nouvelle-Écosse à la perte de son indépendance et à sa ruine économique. À l’appui de ses dires, Howe apporta des preuves précises mais il employa trop d’arguments, parfois bons, parfois mauvais et quelquefois assez neutres. Pourtant sa prédiction voulant que sous le nouveau régime, l’augmentation des tarifs fût ruineuse pour la Nouvelle-Écosse ne se révéla que trop vraie et, quand il prophétisait qu’il faudrait allier à « la sagesse de Salomon, la force et les connaissances stratégiques de Frédéric le Grand » pour réunir en une « nouvelle nationalité » les différentes populations de la fédération que l’on proposait, il ne se trompait pas beaucoup.
Macdonald répliqua à de tels arguments avec patience et ténacité :
Les fortes visées centralisatrices de Macdonald à l’égard de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du territoire de la Hudson’s Bay Company apparurent dès les premières sessions du Parlement du Canada […] Étant donné la persistance de sentiments anticonfédéraux en Nouvelle-Écosse, le ministre des Douanes, Samuel Leonard Tilley, éprouva en juillet 1868 la nécessité de lui écrire de Windsor, dans cette province, pour lui adresser cet avertissement : « Rien ne sert de crier paix quand il n’y a aucune paix. En ce moment, nous devons agir avec sagesse et prudence. » Macdonald était un réaliste mais, chez lui, le réalisme prenait la forme de perceptions imposées à son tempérament optimiste. Cette étrange combinaison, ajoutée à sa ruse, lui donnait l’élan nécessaire pour s’adapter, changer d’avis, recourir à des expédients. Refusant de s’avouer vaincu, il s’acharnait à trouver moyen de sortir des difficultés. Dans le cas de la Nouvelle-Écosse, il se trouvait dans une situation délicate à cause de la témérité avec laquelle le premier ministre de cette province, Charles Tupper, avait poussé ses concitoyens à adhérer à la Confédération, et en raison de ses propres visées de Canadien du centre du pays. Il réagit tardivement, mais avec compétence, courage et débrouillardise. En août 1868, il se rendit à Halifax afin de trouver, avec Joseph Howe*, des moyens d’apaiser le conflit entre la province et le dominion.
Pour en savoir plus sur Macdonald et la Confédération, vous pouvez consulter les biographies suivantes.