SMITH, WILLIAM, officier de milice, fonctionnaire, juge de paix, homme politique et historien, né le 7 février 1769 à New York, fils de William Smith* et de Janet Livingston ; décédé le 17 décembre 1847 à Québec.

William Smith père, grand personnage de la scène politique new-yorkaise, avait été nommé juge en chef de la colonie en 1780, pendant la Révolution américaine. Quand les Britanniques évacuèrent New York, à la fin de 1783, son fils s’embarqua pour Londres, où il le rejoignit. Il doutait fortement des talents du jeune garçon mais, comme c’était son seul fils, il aida le plus possible son apprentissage de la vie. William fréquenta une prestigieuse grammar school, l’abandonna bientôt puis eut un précepteur suisse. Il apprit à parler couramment des langues étrangères, dont le français, et prit goût au latin et aux humanités. Initié par son père à la vie culturelle de la grande ville aussi bien qu’aux subtilités des règles du gouvernement de Grande-Bretagne et du milieu des émigrés loyalistes, William apprit surtout, semble-t-il, que les relations étaient la clé du succès, ce qui n’était pas tout à fait faux dans le monde clos qu’habitait son père.

En 1786, William débarqua à Québec en compagnie de son père, nommé juge en chef de la colonie sous lord Dorchester [Carleton*]. Smith ayant tenté en vain de fonder une université, William poursuivit sa formation surtout en acquérant de l’expérience. Il assuma une part de plus en plus grande de la gestion des vastes propriétés que sa famille possédait dans les états de New York et du Vermont. En 1792, il demanda une concession foncière de 108 milles carrés sur la rivière Saint-François, dans le Bas-Canada. Son père, président du comité des terres de la colonie, veilla à ce qu’on recommande l’acceptation de sa requête mais, finalement, William n’obtint jamais cette concession, d’abord parce que sa demande se perdit dans les dédales de la bureaucratie, ensuite parce qu’elle se trouva en butte à une opposition politique [V. Samuel Gale*]. En 1791, il avait obtenu une commission d’enseigne dans le Quebec Battalion of British Militia. L’année suivante, il connut une cuisante défaite aux premières élections de la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. Comme son père était l’ami de Dorchester, il accéda, le 15 décembre 1792, à la fonction de greffier du Conseil législatif, pour laquelle l’Assemblée alloua en 1793 un salaire de £450 (cours d’Angleterre).

À la mort de son père, en décembre 1793, William hérita les trois onzièmes des biens familiaux. À titre d’unique héritier mâle, il était officiellement le principal dépositaire de l’héritage mais, à compter de 1796, c’est surtout son beau-frère Jonathan Sewell, plus compétent en cette matière, qui administra la succession. Le 6 avril 1803, Smith obtint le poste non rémunéré de maître à la Cour de la chancellerie de la province. Sa principale fonction consistait à servir de truchement entre l’Assemblée et le Conseil législatif ; on avait recommandé sa nomination surtout parce qu’on le considérait comme un homme inoffensif. Pourtant, il avait de l’ambition, et en 1803 il se rendit en Angleterre afin d’obtenir un salaire pour ce poste, de solliciter d’autres charges – et de trouver une épouse. Il se sentait « insuffisamment informé des avantages » du mariage et avait longtemps hésité à quitter le célibat, mais la nécessité le poussa à le faire. « L’argent est tout [...], écrivait-il à Sewell ; si je n’épouse pas une femme fortunée, ce sera la ruine. » Il trouva en Susanna Webber, nièce du riche et influent marchand sir Brook Watson*, une compagne à sa convenance. Elle avait bien des « attraits », dit-il à Sewell dans une lettre digne de Jane Austen. « Elle est jolie, non pas belle, appartient à une très bonne famille, touche présentement £200 par an et en touchera cent de plus à la mort de sa mère – est très gentille, a un caractère égal et du bon sens – et, par-dessus tout, accepte d’aller au Canada, pays [qui], selon les femmes d’[ici, est] le plus barbare et le plus inconfortable au monde. » Smith trouva aussi un protecteur en la personne du duc de Kent [Edward* Augustus], qui avait conçu beaucoup d’admiration pour sa mère à l’occasion d’un séjour au Bas-Canada de 1791 à 1794, et qui l’aida à obtenir un salaire annuel de £81 (cours d’Angleterre) pour son poste de maître à la Cour de la chancellerie. Comme son père l’avait fait au début des années 1780, Smith tint un journal pendant son séjour à Londres.

Rentré au Bas-Canada avec sa femme en 1804, Smith se remit à une histoire de la colonie qu’il avait apparemment commencée en 1800, peut-être pour suivre l’exemple de son père dont The history of the province of New-York [...] avait paru en 1757. John Neilson lui présenta en 1805 et 1809 une estimation des coûts de publication mais, par crainte de l’effet qu’une réaction défavorable des lecteurs pourrait avoir sur sa carrière, Smith n’osa pas publier son ouvrage. En 1810, il reçut une commission de juge de paix et, deux ans plus tard, il commença à manœuvrer pour entrer au Conseil exécutif ; toutefois, il reçut peu d’encouragements, tant de la part de ses amis que du gouvernement. Promu major du 3e bataillon de milice de la ville de Québec peu avant la guerre de 1812, il ne prit part à aucun engagement pendant les hostilités. Il estima alors que le public, au sortir de la guerre, pourrait s’intéresser à son ouvrage, et le fit donc imprimer par Neilson en 1815. La même année, l’un de ses amis, Herman Witsius Ryland, qui soutenait fermement sa candidature au Conseil exécutif, assura à l’une de ses connaissances en Angleterre que le livre, une fois publié, obligerait la couronne à affirmer ses droits devant l’Assemblée ou à y renoncer. Si l’ouvrage avait paru pendant le règne « énergique » de sir James Henry Craig*, poursuivait Ryland, peut-être aurait-il contribué à convaincre les autorités impériales d’accepter les mesures draconiennes que le gouverneur prenait alors pour étendre l’influence de la couronne et réduire le pouvoir de la chambre. Toutefois, depuis le départ de Craig en 1811, le climat était à la conciliation, non à l’affrontement. Pris de doute, Smith retarda la publication de son ouvrage, prétendument pour y faire des corrections et des ajouts ; il partit ensuite pour l’Angleterre à l’été de 1815, peut-être pour mousser sa candidature à quelque poste. Il avait sans doute été sage en différant la parution de son livre, car à son retour d’Angleterre il trouva un homme conciliant, sir John Coape Sherbrooke*, à la tête du gouvernement. Pendant le mandat de celui-ci, Smith fut nommé commissaire chargé d’administrer les biens des jésuites (novembre 1816), devint membre honoraire du Conseil exécutif (3 février 1817) et fut promu lieutenant-colonel du 3e bataillon de milice de la ville de Québec (mai 1817). Il devint membre à part entière du Conseil exécutif, avec droit de vote, le 3 avril 1823.

Smith ne se désintéressa pas pour autant de son ouvrage d’histoire et, au début de 1823, il fit part au gouverneur lord Dalhousie [Ramsay] de son inquiétude devant la détérioration et la disparition des documents historiques de la colonie. En avril, Dalhousie l’invita, avec Sewell et Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal, à participer à la formation d’« une société non pas vraiment archéologique, mais historique plutôt, et canadienne », qui s’emploierait principalement à étudier les « premiers temps du Canada, et surtout ce qui touche les Indiens », ainsi qu’à collectionner « tous les livres, papiers, actes et documents qui [étaient] censés subsister mais [étaient] négligés ». La Société littéraire et historique de Québec vit le jour l’année suivante ; toutefois, Smith n’y joua apparemment qu’un rôle effacé par la suite. Le moment semblait enfin propice au lancement de son ouvrage : en 1826, après avoir longuement négocié avec Neilson le paiement des coûts d’impression, qui remontait à 1815, Smith publia les deux volumes de son History of Canada[...].

Au moment de la parution, l’Assemblée, dominée par le parti canadien (d’obédience nationaliste) et son chef Louis-Joseph Papineau*, tentait de plus en plus d’affirmer sa suprématie sur le gouverneur et les Conseils législatif et exécutif, que dirigeaient Sewell et John Richardson*, du parti des bureaucrates. Smith partageait les idées de ce dernier parti et avait ainsi défini le grand thème de son ouvrage : « une colonie de jour en jour plus riche, prospère et heureuse, par bonheur maintenant placée sous la souveraineté de la Grande-Bretagne et dotée d’une Constitution [...] qui, [...] en assignant à ses diverses composantes des droits particuliers à chacune mais nécessaires à la préservation de toutes, s’est révélée, d’après l’harmonie et la coopération qui règnent entre ses pouvoirs [...], la mieux adaptée à la mentalité et au bonheur d’un peuple libre ». Bien qu’aux yeux de Smith ce livre ait été davantage un « récit » qu’une histoire, il révélait un réel effort d’analyse et de synthèse. De toute façon, il était beaucoup plus consistant que le seul autre ouvrage d’histoire paru en anglais, The history of Canada, from its first discovery [...] (Londres, 1804), de George Heriot. Pour parler du Régime français, sujet de son premier volume, Smith recourt à un certain nombre de manuscrits officiels et privés, mais ses opinions, comme les faits qu’il rapporte, ressemblent beaucoup à ce que l’on trouve dans Histoire et description générale de la Nouvelle France [...] (3 et 6 vol., Paris, 1744), de Pierre-François-Xavier de Charlevoix*, et dans « Histoire du Canada depuis l’année 1749 jusqu’à celle 176[0] », de Louis-Léonard Aumasson* de Courville. Il parle avec une relative impartialité des débuts de la colonisation française, mais à mesure qu’il se rapproche de la Conquête ses vues ressemblent de plus en plus à celles du parti des bureaucrates. Ainsi sa vision des relations entre l’Église et l’État devait beaucoup à Sewell, qui s’était longtemps occupé de la question. Dans son deuxième volume, consacré aux années 1763 à 1791, Smith s’efforça peut-être de camoufler ses préjugés, en ne présentant pour ainsi dire qu’une compilation de documents. La plupart d’entre eux avaient un caractère officiel, mais tous visaient à étayer sa conviction que la colonie, pour progresser, devait adopter entre autres le droit, le système d’éducation et le régime foncier anglais.

Sur un tirage de 300 exemplaires de History of Canada, seulement 68 se vendirent en 1826 et 8 autres dans les trois années suivantes. L’histoire, donc, ne passionnait pas le public cultivé ; la Société littéraire et historique elle-même recevait un accueil décevant. L’abbé Thomas Maguire* critiqua allègrement la façon dont Smith parlait de l’Église catholique, mais les chefs du parti canadien choisirent de garder le silence sur l’ouvrage. Joseph-François Perrault s’en inspira pour traiter du Régime anglais dans un manuel scolaire intitulé Abrégé de l’histoire du Canada [...] (5 parties en 4 vol., Québec, 1832–1836), et le fonctionnaire Michel Bibaud* pour écrire Histoire du Canada et des Canadiens, sous la domination anglaise [1760–1830] (1844), mais aucun de ces deux livres ne fit date. Toujours en 1826, Smith avait préparé pour la publication une suite de l’histoire de New York écrite par son père, qui allait jusqu’en 1762.

Après le léger remous que la sortie de son ouvrage avait causé dans la vie de Smith, ce fut le retour au calme. Cependant, en 1835, le gouverneur lord Gosford [Acheson], envoyé dans la colonie pour apaiser un mécontentement toujours croissant dont l’une des causes était le cumul de fonctions incompatibles, le força à choisir entre le prestige de son poste de conseiller exécutif et le salaire de sa fonction de greffier du Conseil législatif. Smith choisit le salaire, mais pour des raisons politiques il demeura conseiller exécutif jusqu’après la rébellion de 1837. Il tenta en vain de décrocher un titre de chevalier. Au moment de l’union du Bas et du Haut-Canada, en 1841, il dut quitter son poste de greffier en se contentant d’une pension égale à la moitié de son traitement et sans parvenir à convaincre les autorités de laisser l’un de ses fils lui succéder. Il vécut ses dernières années dans la tranquillité, tantôt à la maison d’été qu’il avait fait construire à Cap-Rouge, tantôt dans sa demeure de Québec, où il mourut le 17 décembre 1847. Sa femme et lui avaient eu au moins cinq enfants.

William Smith n’était pas un esprit supérieur. Malgré ses efforts, il ne réussit pas à se hisser au rang de son père. La domination paternelle l’avait même rendu indécis et mou ; Dalhousie l’appelait dédaigneusement « Billy Smith ». Dénué de la largeur de vues de son père, mais formé à la recherche du prestige et de la richesse, il devint, comme le disait Dalhousie (non sans exagération), « un conseiller mesquin [et] intéressé » qui aurait fait ou dit « n’importe quoi pour plaire aux pouvoirs en place ». Néanmoins, sa carrière ressemble beaucoup à celle des autres membres de l’influente oligarchie des fonctionnaires anglophones. Enfin, par ses recherches et par la publication de History of Canada, il fit œuvre de pionnier, promut la conservation des documents historiques et tenta d’intéresser les Bas-Canadiens à l’étude du passé.

J. M. Bumsted

William Smith est l’auteur de History of Canada [...] (2 vol., Québec, 1815). Le journal de sa visite à Londres a été édité par L. F. S. Upton dans CHR, 47 (1966) : 146–155, sous le titre de « The London diary of William Smith, 1803–1804 ». Smith lui-même a édité Continuation of The history of the province of New-York, to the appointment of Governor Colden, in 1762 (New York, 1826) écrit par son père, William Smith.

ANQ-Q, CE1-61, 23 janv. 1815, 20 déc. 1847.— APC, MG 23, GII, 10 : 1658–1661, 1673–1676, 2412–2415 ; MG 24, B1 ; RG 1, El, 37 : 124–125 ; 38 : 429 ; L3L : 142 ; RG 4, A1 : 40690 ; RG 68, General index, 1651–1841.— New York Public Library, Rare Book and mss Division (New York), William Smith papers.— PRO, CO 47/122.— Univ. de Montréal, Service des bibliothèques, coll. spéciales, coll. Melzack, procuration, 5 juill. 1815 ; Ryland à Thomas Amyot, 20 août 1815 ; Ryland à sir John Coape Sherbrooke, 28 sept. 1816.— Ramsay, Dalhousie journals (Whitelaw).— William Smith, The diary and selected papers of Chief Justice William Smith, 1784–1793, L. F. S. Upton, édit. (2 vol., Toronto, 19631965).La Gazette de Québec, 26 oct. 1786, 24 mai, 20 nov. 1792, 25 avril 1793, 1er août 1816, 22 mai 1817, 21 nov. 1822, 11 janv. 1827.— Ginette Bernatchez, « la Société littéraire et historique de Québec (the Literary and Historical Society of Quebec), 18241890 » (thèse de m.a., univ. Laval, 1979), 134, 136.— J. M. Bumsted, « William Smith, Jr. and The History of Canada », Loyalist historians, L. H. Leder, édit. (New York, 1971), 182204.— M. B. Taylor, « The writing of English-Canadian history in the nineteenth century » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1984), 136145.— L. F. S. Upton, The loyal whig : William Smith of New York & Quebec (Toronto, 1969).— Ægidius Fauteux, « le S... de C... enfin démasqué », Cahiers des Dix, 5 (1940) : 231292.— Gustave Lanctot, « les Prédécesseurs de Garneau », BRH, 32 (1926) : 533534.— « Le Premier Manuel d’histoire du Canada », BRH, 46 (1940) : 288.— P.-G. Roy, « William Smith, pluraliste renforcé », BRH, 44 (1938) : 215216.

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J. M. Bumsted, « SMITH, WILLIAM (1769-1847) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/smith_william_1769_1847_7F.html.

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Auteur de l'article:    J. M. Bumsted
Titre de l'article:    SMITH, WILLIAM (1769-1847)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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