QUESNEL, JULES-MAURICE (baptisé Julien-Maurice), trafiquant de fourrures, officier de milice, homme d’affaires, fonctionnaire, juge de paix et homme politique, né le 25 octobre 1786 à Montréal, quatrième enfant et deuxième fils de Joseph Quesnel* et de Marie-Josephte Deslandes ; décédé le 20 mai 1842 dans la même ville.

Fils d’un marchand cultivé, Jules-Maurice Quesnel, tout comme son frère aîné Frédéric-Auguste*, étudia chez les sulpiciens, au collège Saint-Raphaël de Montréal, mais pendant seulement deux ans (1797–1799). En 1804, il était commis de la North West Company au fort des Prairies ou fort Augustus (Edmonton). Durant l’hiver de 1805, à titre d’assistant de David Thompson*, il transporta des marchandises dans les Rocheuses en prévision d’une expédition vers l’ouest. En octobre 1806, il se trouvait à Rocky Mountain House (Alberta) ; le mois suivant, il dirigea une mission d’exploration dans les montagnes. À la fin de l’été de 1807, on l’affecta au district de New Caledonia (Colombie-Britannique), où il livra des approvisionnements et apporta à Simon Fraser* des instructions qui lui commandaient de suivre le Columbia jusqu’à son embouchure. En 1808, les deux hommes descendirent et remontèrent ce qui s’avéra être non pas le Columbia, mais un autre fleuve, qui reçut le nom de Fraser. Le premier tributaire important qu’ils rencontrèrent sur leur route périlleuse fut baptisé Quesnel ; par la suite, le lac où il prend sa source et le village qui naquit au confluent du Fraser et de la Quesnel prirent aussi son nom.

Quesnel demeura dans le district de New Caledonia jusqu’en 1811. À son ami Joseph-Maurice Lamothe*, il écrivait tristement, en 1809 : « mes Intérêts me forcant de rester dans le Nord longtemps [...] malgré le peu d’espérance qu’il y a pour les jeunes gens apresant dans se Pays ici, je suis Résolu de Continuer jusqu’au bout la Cariere que j’ai eu le Malheur d’Entreprendre ». Condamné à vivre dans l’isolement, à se nourrir de saumon séché et à n’amasser que peu de fourrures, il estimait que le district de New Caledonia était un endroit où « il n’y a[vait] rien a avoire que de la Misère et de L’Ennui ». Après trois ans, affirmait-il, les hommes les plus résistants devenaient quasi incapables de travailler, ce à quoi il ajoutait : « malgré que je suis d’un Excellent tempérament je m’apperçois dejas que ma santé Décline ».

À l’été de 1811, Quesnel quitta la North West Company et regagna l’Est. Devenu enseigne dans le 2e bataillon de milice de la ville de Montréal le 2 avril 1812, il fut promu lieutenant le 14 juillet. Peut-être participa-t-il à la guerre de 1812 mais, si ce fut le cas, il ne négligea pas pour autant ses intérêts commerciaux. En 1813, il habitait Kingston, dans le Haut-Canada, et y faisait du commerce ; un an plus tard, il résidait à York (Toronto), où son frère le mit en garde contre les dangers de spéculer pour son propre compte sur le rhum. De 1815 à 1818, Quesnel partagea son temps entre York et Montréal, mais après son mariage avec Josette Cotté, célébré le 10 juin 1816 à Montréal, il souhaita apparemment s’installer dans cette ville, ce qu’il fit, semble-t-il, au plus tard en 1818. Sa femme était la fille de feu le marchand de fourrures Gabriel Cotté* et la belle-sœur de l’ancien trafiquant de fourrures François-Antoine La Rocque*. Le couple n’eut probablement pas d’enfants.

Quesnel avait déjà travaillé pour la Quetton St George and Company et, au printemps de 1815, avec John Spread Baldwin, frère de William Warren, il s’associa au propriétaire de cette compagnie, Laurent Quetton* St George. La même année, celui-ci retourna dans sa France natale, après avoir confié l’entreprise à Quesnel et à Baldwin, pour ne revenir qu’en 1819. La Quetton St George and Company était petite en comparaison des sociétés montréalaises mais imposante devant les sociétés haut-canadiennes. À Montréal, Quesnel achetait en gros, des importateurs de la ville, une vaste gamme de comestibles, boissons et autres marchandises ; en outre, il vendait des produits haut-canadiens, surtout de la farine et de la potasse, pour un magasin que tenait Baldwin à York et pour un autre à Niagara (Niagara-on-the-Lake). La compagnie ne pouvait éviter de faire crédit et, dès 1819, ses débiteurs, en grande partie des fermiers, lui devaient entre £18 000 et £19 000, soit plus que sa valeur nette.

En mai 1820, Quesnel et Baldwin achetèrent la part de St George contre quatre versements annuels de £1 000, plus un intérêt de 6 %. Baldwin tenta d’abord d’imposer sa suprématie, puis alla jusqu’à se retirer de la nouvelle association, mais il se ravisa bientôt et la société, réorganisée, prit le nom de Quesnel and Baldwin. Elle poursuivit les multiples activités commerciales et financières de la Quetton St George and Company ; peut-être, à l’occasion, fit-elle directement affaire avec des sociétés britanniques et ajouta-t-elle le bois d’œuvre à ses exportations. En raison de la conjoncture économique difficile, Quesnel fut élu, en août 1821, membre d’un comité de 11 marchands montréalais qui devait faire pression sur Londres afin que le grain et la farine du Bas et du Haut-Canada se vendent sans restriction sur le marché britannique. La compagnie exportait surtout de la farine, mais les fluctuations des prix du marché anglais lui causaient souvent des pertes ; sa marge bénéficiaire sur les importations lui apportait des profits plus constants. Elle prospéra suffisamment pour acquitter des dettes de plusieurs milliers de livres avant 1825, mais elle prit peu d’expansion, et le volume de ses affaires demeura plutôt stable. Ainsi il semble que chaque année elle expédiait de Montréal entre 1 000 et 1 500 barils de farine et entre 75 et 125 barils de cendres. En avril 1825, sa valeur nette s’établissait à £15 200, avec des dettes de £10 642 ; en 1832, cette valeur n’était que de £19 134, dont £9 215 en dettes. De 1820 à 1832, Quesnel retira de la compagnie un revenu annuel moyen de £693.

Quesnel et Baldwin avaient aussi d’autres intérêts. Tous deux étaient actionnaires de la Compagnie des propriétaires du canal de Lachine et de la Bank of Upper Canada. Ils refusèrent cependant de tenir une agence de la Banque du Canada, car Baldwin craignait qu’elle ne nuise à leur réputation. La Quesnel and Baldwin détenait une part dans un bateau à vapeur qui faisait la navette entre Kingston et York ; elle prit aussi une part de un dixième dans un vapeur jaugeant 120 tonneaux qu’on lança à York en 1825 et qui allait desservir la ligne York-Queenston.

L’entente qui avait constitué la Quesnel and Baldwin prit fin en 1832 et ne fut pas renouvelée. Apparemment, Quesnel se retira des affaires et mena dès lors une confortable existence de rentier. Il s’intéressa néanmoins à l’exploitation du port de Montréal et à la navigation sur le Saint-Laurent. De 1830 à 1839, il fut syndic de la Maison de la Trinité de Montréal ; cet organisme, dont les membres étaient nommés par le gouvernement, régissait les lamaneurs, les tarifs de lamanage, les phares et les balises du fleuve. De 1839 à 1842, Quesnel exerça les fonctions d’assistant-maître. Par ailleurs, de 1830 à 1836, il fut membre de la Commission du havre de Montréal aux côtés de George Moffatt*, jadis son associé. Le milieu des affaires réclamait alors une hausse des crédits d’aménagement portuaire, et plusieurs marchands canadiens furent membres de cette commission entre 1830 et 1850. En 1832, Quesnel intervint auprès de son frère Frédéric-Auguste, alors député, en faveur des exploitants de navires à vapeur du Saint-Laurent et des marchands montréalais. Quatre ans plus tard, il remplaça George Auldjo à la présidence du Committee of Trade de Montréal ; Austin Cuvillier lui succéda en 1837.

Dans les années 1830, quiconque voulait promouvoir le développement portuaire devait prendre position dans certains des grands débats politiques. Quesnel penchait du côté du parti des bureaucrates, où les marchands montréalais étaient puissants. Au début de son mandat à la Commission du havre, il vit que la majorité patriote de l’Assemblée refusait d’allouer des crédits à l’aménagement portuaire et crut que sa présence à la commission était l’une des raisons de ce refus ; il manifesta alors son mécontentement en démissionnant de son poste, mais le réintégra peu après. Au début des années 1830, à mesure que les positions du parti des bureaucrates et du parti patriote se radicalisaient, il s’associa à des marchands inquiets, tant britanniques que canadiens (dont Cuvillier, Joseph Masson et Horatio Gates*), pour réclamer le statu quo en matière constitutionnelle. Nommé juge de paix en 1830, il fut, avec Pierre Rastel de Rocheblave, Louis Guy et Pierre-Édouard Leclère*, parmi les magistrats canadiens qui, en novembre 1837, prévinrent les Canadiens que ceux qui les « pouss[aient] aux excès » les abandonneraient et qu’ils devaient plutôt suivre ceux qui les « appel[aient] à la paix ». En janvier 1838, avec Cuvillier, Rastel de Rocheblave et d’autres modérés, il prit parti contre le recours aux armes en fondant l’Association loyale canadienne du district de Montréal. Sa nomination au Conseil spécial, faite en avril 1838 et renouvelée en novembre jusqu’à la dissolution de cet organisme, montre qu’il était bien vu du gouvernement, et sa volonté de servir témoigne éloquemment de ses opinions. Le seigneur James Cuthbert, John Neilson et lui furent les seuls conseillers à voter contre l’union du Bas et du Haut-Canada, que le gouverneur lord Sydenham [Thomson] pressait le conseil d’approuver. Le fait que Quesnel entra au Conseil législatif en 1841 indique cependant qu’il finit par accepter l’union et ne perdit pas ses sentiments proimpériaux.

Depuis son retour à Montréal, Quesnel avait reçu divers honneurs et nominations. Promu capitaine dans le 2e bataillon de milice en 1825, il demeura disponible pour le service au moins jusqu’en 1830. Syndic de la Maison d’industrie en 1829, il devint commissaire chargé du secours aux immigrants pauvres en 1835 et commissaire des enfants abandonnés et des malades indigents en 1841. En 1838, il accepta de Mgr Jean-Jacques Lartigue un poste d’administrateur laïque des revenus de l’Association de la propagation de la foi. Nommé conseiller municipal en 1840, il le demeura jusqu’à sa mort en 1842. Son vieil ami La Rocque, ainsi que le juge Jean-Roch Rolland*, assista à son inhumation en l’église paroissiale Notre-Dame.

Jules-Maurice Quesnel exerça des activités commerciales semblables à celles de nombre de ses contemporains écossais et, tout comme eux, il s’attacha à l’Empire britannique et à ses institutions. Lui-même et certains de ses collègues canadiens ne doutaient pas que le maintien du lien impérial était essentiel à leur réussite. Le radicalisme des chefs petits-bourgeois du parti patriote, de même que l’extrémisme tory de certains marchands britanniques, était donc pure folie à ses yeux.

Peter Deslauriers

L’auteur tient à remercier pour son aide Paulette M. Chiasson du Dictionnaire biographique du Canada.  [p. d.]

ANQ-M, CE1-51, 25 oct. 1786, 10 juin 1816, 23 mai 1842.— ANQ-Q, P-222.— APC, MG 19, A12, 4 ; A16 ; MG 24, L3 : 10792, 11009–11013 ; MG 30, D1, 31 :358 ; MG 55/24, no 152 ; RG 68, General index, 1651–1841 ; 1841–1867.— BVM-G, Fonds Jules Quesnel.— Les Bourgeois de la Compagnie du Nord-Ouest (Masson), 1 : 397.— Simon Fraser, The letters and journals of Simon Fraser, 1806–1808, W. K. Lamb, édit. (Toronto, 1960).— New light on the early history of the greater northwest : the manuscript journals of Alexander Henry [...] and of David Thompson [...], Elliott Coues, édit. (3 vol., New York, 1897 ; réimpr., 3 vol. en 2, Minneapolis, Minn., [1965]).— David Thompson, David Thompson’s narrative of his explorations in western America, 1784–1812, J. B. Tyrrell, édit. (Toronto, 1916), xlix.— Quebec Gazette, 27 août 1821, 4 sept. 1823.— William Notman et [J.] F. Taylor, Portraits of British Americans, with biographical sketches (3 vol., Montréal, 1865–1868).— Turcotte, le Conseil législatif.— Chaussé, Jean-Jacques Lartigue, 219.— E. A. Collard, The Montreal Board of Trade, 1822–1972 : a story ([Montréal], 1972), 53.— Robert Rumilly, la Compagnie du Nord-Ouest, une épopée montréalaise (2 vol., Montréal, 1980) ; Hist. de Montréal, 2 : 192 ; Papineau et son temps.— J.-J. Lefebvre, « les Députés de Chambly, 1792–1967 », BRH, 70 (1968) : 3–20.— É.-Z. Massicotte, « la Famille du poète Quesnel », BRH, 23 (1917) : 339–342.

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Peter Deslauriers, « QUESNEL, JULES-MAURICE (baptisé Julien-Maurice) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/quesnel_jules_maurice_7F.html.

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Auteur de l'article:    Peter Deslauriers
Titre de l'article:    QUESNEL, JULES-MAURICE (baptisé Julien-Maurice)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    21 déc. 2024