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LÉPINE, AMBROISE-DYDIME, cultivateur, chef métis et homme politique, né le 18 mars 1840 à Saint-Boniface (Winnipeg), cinquième des six enfants de Jean-Baptiste Lépine et de Julie Henry ; le 12 janvier 1859, il épousa dans cette localité Cécile Marion, et ils eurent 14 enfants dont 6 survécurent ; décédé au même endroit le 8 juin 1923.
Le père d’Ambroise-Dydime Lépine, engagé de la Hudson’s Bay Company, était né à Saint-Jacques-de-l’Achigan (Saint-Jacques, Québec), de Joseph Chevaudier, dit Lépine, et de Marie-Anne Pellerin. La mère d’Ambroise-Dydime, fille d’un trafiquant de fourrures anglais et d’une Amérindienne, était originaire de Sainte-Agathe, au Manitoba. Lépine fit ses études au collège de Saint-Boniface. Il épousa Cécile Marion, qui était d’ascendance canadienne-française et métisse, et le couple commença à cultiver le lot de grève 119 à Saint-Boniface. Pour arrondir leur revenu, Lépine faisait du transport de marchandises et de la chasse.
Rien n’indique que Lépine ait été actif en politique avant l’annonce, en 1869, du transfert de Rupert’s Land, de la Hudson’s Bay Company au Canada. En rentrant à la colonie de la Rivière-Rouge, au Manitoba, le 30 octobre, après avoir livré des marchandises au fort Pitt (Fort Pitt, Saskatchewan), il apprit que les Métis, dirigés par Louis Riel*, avaient pris des mesures pour retarder ce transfert et forcer le gouvernement canadien à négocier les modalités de l’union avec les habitants de la colonie. À Riel, qui lui demanda apparemment s’il était « pour ou contre les Métis », Lépine répondit qu’il était en faveur des droits des Métis. Riel lui ordonna immédiatement, à lui et à 14 autres hommes, de se rendre à Pembina, le (Dakota du Nord), pour repousser à la frontière le lieutenant-gouverneur désigné, William McDougall*. Le 7 décembre, sur l’ordre de Riel, Lépine dirigea les 100 Métis qui capturèrent les Canadiens en garnison dans la maison de l’un de leurs chefs, John Christian Schultz*. Le 8 janvier 1870, le gouvernement provisoire de Riel le nomma adjudant général chargé de rendre la justice. Quelques semaines plus tard, Lépine fut élu pour représenter Saint-Boniface au congrès de 40 délégués de la colonie. Il fut ensuite nommé chef du conseil militaire, un sous-comité de ce congrès.
Un contemporain a prétendu que Riel avait choisi Lépine comme chef militaire à cause du respect qu’il inspirait aux convoyeurs (tripmen) et chasseurs de bisons métis. Le révérend Roderick George MacBeth* décrit Lépine comme un homme d’une force prodigieuse, « d’un bon six pieds trois et parfaitement proportionné ». On aurait vu en cet habitué des plaines le chef naturel des soldats de la résistance. Cette hypothèse ne se tient cependant pas. Rien ne prouve que Lépine ait été chasseur de bisons et, en mars 1870, le chroniqueur Alexander Begg* faisait état d’une révolte ouverte, parmi les Métis, contre l’autorité de Lépine. Riel calma les esprits, mais somma Lépine d’être moins arrogant. L’explication selon laquelle Lépine devait son avancement dans le parti de Riel à sa loyauté envers celui-ci et à leur liens personnels et familiaux est plus convaincante. En outre, Lépine était allié à l’Église catholique, et beaucoup des conseillers en qui Riel avait le plus confiance en 1869–1870 étaient des prêtres catholiques.
À la mi-février 1870, Lépine et un groupe de Métis arrêtèrent le major Charles Arkoll Boulton* et un certain nombre de ses hommes après l’échec de leur plan pour s’emparer d’Upper Fort Garry (Winnipeg). Parmi les prisonniers se trouvait Thomas Scott*, dont le comportement irrita bientôt ses gardiens métis. Riel ordonna que Scott soit traduit devant le conseil de guerre le 3 mars. En tant que chef militaire, Lépine présidait le tribunal qui déclara Scott coupable de rébellion contre le gouvernement, et c’est lui qui prononça la sentence d’exécution. C’est Riel, toutefois, qui refusa de le gracier.
L’exécution de Scott aurait de profondes répercussions et pour Riel et pour Lépine, qui finirent par craindre les réactions qu’elle provoquerait, surtout dans l’Ontario protestante. L’évêque Alexandre-Antonin Taché* les assura alors d’une amnistie pour toutes les actions commises par la résistance. L’arrivée des troupes du colonel Garnet Joseph Wolseley*, le 24 août 1870, de même que les avertissements selon lesquels leur vie était menacée convainquirent toutefois les deux hommes de s’enfuir. Réfugiés à la mission catholique de St Joseph (Dakota du Nord), ils n’en firent pas moins, au cours de l’année suivante, de nombreux passages à la frontière qui suscitèrent beaucoup d’agitation dans la colonie.
En octobre 1871, Lépine fut choisi capitaine des troupes de Saint-Boniface qui s’étaient portées volontaires pour défendre la colonie de la Rivière-Rouge contre l’invasion des féniens menés par William Bernard O’Donoghue*. En vain, il espéra que sa loyauté lui vaille une amnistie. Quoique le gouvernement se soit montré peu intéressé à traduire Lépine et Riel en justice, de peur de déclencher une tempête de protestations partout au pays, certaines personnes réclamaient vengeance. Leur arrestation devenant imminente, Taché les persuada de s’exiler volontairement aux États-Unis. Lépine y était malheureux. Il s’y morfondait, quand il ne craignait pas pour sa vie, et il s’inquiétait de sa famille. En mai 1873, il résolut de rentrer chez lui.
Lépine retourna dans sa ferme au Manitoba. Son arrestation pour le meurtre de Scott, le 17 septembre, à l’initiative de deux Canadiens qui avaient été prisonniers des Métis pendant les troubles, fit monter la colère au Manitoba. Le procès fut reporté maintes fois, les juges refusant ou étant incapables de décider si la Cour du banc de la reine avait compétence pour le juger. La question fut tranchée en juin 1874 par le nouveau juge en chef de la province Edmund Burke Wood*, qui mit Lépine en liberté provisoire moyennant une caution de 8 000 $.
Le procès eut lieu du 13 octobre au 4 novembre ; le jury, composé de six francophones et de six anglophones, rendit un verdict de culpabilité, mais recommanda la clémence. Wood, qui comparait l’exécution de Scott à une « sauvage atrocité », condamna Lépine à être pendu. Le verdict et la sentence causèrent beaucoup d’émoi et d’indignation à la Rivière-Rouge et dans le reste du Canada. Le Nouveau Monde de Montréal [V. Alphonse Desjardins*] exigea que les ministres fédéraux canadiens-français démissionnent s’ils n’obtenaient pas le pardon, et l’Assemblée législative de la province de Québec adopta à l’unanimité une motion réclamant l’amnistie. Le gouvernement libéral fédéral d’Alexander Mackenzie* en référa au gouverneur général, Lord Dufferin [Blackwood*], espérant que, grâce à l’intervention des autorités impériales, la faction orangiste de l’Ontario accepte la clémence. Dufferin finit par commuer la sentence de Lépine en une peine de deux ans de prison avec privation de ses droits civils. Quelques mois plus tard, en avril 1875, on offrit l’amnistie à Riel et à Lépine, à la condition qu’ils acceptent d’être bannis du Canada pour cinq ans. Contrairement à Riel, Lépine refusa et choisit de purger le reste de sa peine.
Libéré le 26 octobre 1876, Lépine resta en contact étroit avec Riel et Taché, et demeura actif dans la communauté francophone du Manitoba. Soucieux de protéger les intérêts des Métis dans la nouvelle province, il avait participé en 1871 à la formation de l’Union Saint-Alexandre. En 1878, il fut élu vice-président de la Société Saint-Jean-Baptiste. L’année suivante, il se rendit dans le territoire du Montana pour rencontrer Riel, qui voulait le rallier à son projet d’une confédération des Métis et des Amérindiens du Nord-Ouest. Il y passa l’hiver avec les Métis, mais suivant le conseil de Taché qui appréhendait des troubles dans le Nord-Ouest, il revint avant d’avoir vu Riel. Cette décision et le fait qu’il se rangea du côté de Taché plutôt que de Riel marquèrent, semble-t-il, un tournant. À compter de ce moment-là, Lépine se tint à l’écart de la politique métisse.
Lépine et sa famille restèrent à Saint-Boniface jusqu’en 1882, puis s’installèrent à Grande Pointe, à neuf milles au sud-est de Winnipeg. Après l’incendie qui détruisit leur ferme en 1891, ils partirent pour Oak Lake, où ils avaient des parents et des amis. Leur situation ne s’améliora pas. Les mauvaises récoltes les laissaient presque sans ressources et les colons anglophones devinrent bientôt plus nombreux que les Métis. En 1902, Lépine avait une concession foncière près de Forget, (Saskatchewan), non loin de chez ses fils. À la mort de sa femme Cécile, en 1908, il s’y installa avec ses enfants.
En 1909, le Winnipeg Evening Telegram annonçait que Lépine, indigent, se trouvait à Winnipeg, prêt à accepter de l’argent pour révéler l’emplacement de la sépulture de Thomas Scott. Lépine soutenait également, à cette époque, que c’est sur les conseils des prêtres catholiques Jean-Marie-Joseph Lestanc et Noël-Joseph Ritchot* que Riel avait exécuté Scott. L’Église réfuta rapidement ces allégations et fit taire Lépine, qui nia ensuite avoir jamais offert de dire où se trouvait la dépouille de Scott. Quelque temps après 1909, Lépine vendit sa terre près de Forget et acheta un camp d’été à Quibell, en Ontario, près du lac des Bois. Il y vécut avec une de ses petites-filles. Peu avant sa mort, il recouvra ses droits civils et retourna à Saint-Boniface. Il mourut à l’Hôpital de Saint-Boniface en 1923. L’ancien premier ministre de la province, sir Rodmond Palen Roblin*, et d’autres dignitaires assistèrent à ses funérailles, et son corps fut inhumé au cimetière de Saint-Boniface à côté de la tombe de Riel.
Ambroise-Dydime Lépine joua un rôle majeur dans les événements de 1869–1870, mais sa contribution n’y fut pas du même ordre que celle de Riel. Ni à l’aise en politique ni stratège, il s’y trouva mêlé par loyauté envers Riel et envers l’Église. Quand il eut à choisir entre les deux en 1879, il prit parti pour Taché et l’Église. Il avait, disait-il, risqué sa vie une fois pour la cause métisse, et une fois suffisait. Il continua quand même à travailler pour cette cause d’autres façons. Il participa notamment, en 1909, à la formation du comité d’histoire de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, dont le dynamisme permettrait la publication, en 1935, de l’Histoire de la nation métisse dans l’Ouest canadien d’Auguste-Henri de Trémaudan.
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Gerhard J. Ens, « LÉPINE, AMBROISE-DYDIME », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lepine_ambroise_dydime_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lepine_ambroise_dydime_15F.html |
Auteur de l'article: | Gerhard J. Ens |
Titre de l'article: | LÉPINE, AMBROISE-DYDIME |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 2 déc. 2024 |