KING, EDWIN HENRY, banquier, né en décembre 1828 en Irlande ; le 22 mai 1856, il épousa à Montréal Agnes Elizabeth Budden ; décédé le 14 avril 1896 à Monte-Carlo, principauté de Monaco.

Le système financier du nouveau dominion du Canada fut façonné en bonne partie par une série d’événements qui se déroulèrent dans la seconde moitié des années 1860. L’un des principaux acteurs de ces événements fut Edwin Henry King, directeur général de la Banque de Montréal de 1863 à 1869, puis président de cette même banque de 1869 à 1873. Son pouvoir était tel en ces années décisives que l’historien Oscar Douglas Skelton* a dit de lui qu’il était « la figure la plus frappante de l’histoire bancaire du Canada ».

Arrivé au pays en 1850, King travailla au bureau montréalais de la Banque de l’Amérique septentrionale britannique, sous la supervision de deux directeurs successifs, David Davidson et Robert Cassels*. Quand il quitta ce bureau, en 1857, il en était le directeur adjoint. Il alla alors rejoindre Davidson, depuis deux ans caissier (directeur général) de la Banque de Montréal. Engagé d’abord à titre d’inspecteur des succursales, il passa au rang de directeur du bureau montréalais le 8 décembre 1857. En 1862, le président de la banque, Thomas Brown Anderson*, fit de Davidson le premier directeur général de l’établissement ; le 23 mars 1863, King succédait à Davidson, qui prenait sa retraite. Par suite de la démission d’Anderson, les actionnaires de la Banque de Montréal élurent King à la présidence le 5 novembre 1869, mais il démissionna trois ans et demi plus tard. De retour en Angleterre, il présida le comité londonien de la Banque de Montréal de 1879 à 1888. Une fois à la retraite, il mena « une vie oisive » et, à sa mort, il laissa une succession de £695 535 (environ 3,5 millions de dollars). Dans son testament, il léguait £20 000 au Montreal General Hospital, £10 000 à la McGill University et £5 000 à la Société bienveillante des dames de Montréal.

La période durant laquelle King joua un rôle de premier plan dans les finances canadiennes fut donc brève, mais il laissa indubitablement sa marque. Ainsi, il imposa un style que son collègue banquier George Hague qualifiait de « tranchant ». Il était « tout à fait indifférent aux opinions et aux sentiments des agents et des directeurs » de la Banque de Montréal et ne se souciait pas davantage de ce que les dirigeants des autres banques pensaient de lui ou de sa gestion. En 1867, après une rencontre « notoire[ment] » orageuse avec des délégués de plusieurs autres banques, George Worts de la Banque de Toronto demanda : « Cet homme est-il un petit Dieu pour oser traiter les représentants de toutes les autres banques de cette façon ? » Même un des alliés de King, sir John Rose*, membre du conseil d’administration de la Banque de Montréal de 1859 à 1867 puis ministre des Finances de 1867 à 1869, concédait que c’était un « type très bizarre ».

L’agressivité de King contribua à raccourcir sa carrière à la Banque de Montréal. Néanmoins, tant qu’il y travailla, il exerça une influence considérable sur les affaires de l’établissement, qui étaient loin d’être saines quand il assuma la fonction de directeur général en mars 1863. À l’assemblée annuelle de la banque, plus tard cette année-là, les actionnaires apprirent qu’on avait réduit la réserve de 100 000 $ pour compenser les pertes. Sous la direction de King, rien ne vint s’ajouter à la réserve en 1864 ni en 1865 mais, de 1866 à 1869, elle reçut un apport de 1,3 million de dollars. Pour réussir ce renversement de situation, King donna un grand coup de balai dans les opérations de la banque au Haut-Canada, où les mauvaises créances étaient trop nombreuses, et améliora la position de la banque par rapport à ses concurrentes en resserrant les liens avec le gouvernement du Canada.

Au moment de son entrée en fonction, King avait la ferme conviction que, dans le Haut-Canada, la plupart des banques canadiennes, dont la sienne, avaient consenti trop de crédit commercial sans obtenir de garanties suffisantes. Il s’employa donc à réduire de façon assez radicale le crédit offert par sa banque dans cette province. Dès 1867, le conseil d’administration pouvait affirmer avoir « fait des virements de un million de dollars dont [il avait perdu] la presque totalité en se dépêtrant du régime commercial qui régnait depuis si longtemps dans le Haut-Canada ». Du point de vue de la Banque de Montréal, il était essentiel qu’il y ait « élimination des services bancaires dans les districts où les transactions commerciales ne présent[aient] pas d’avantages sous forme de garanties légitimes ».

En imposant ces restrictions, King ne se fit guère d’amis dans le Haut-Canada, même parmi les administrateurs torontois de la banque : l’un d’eux, William McMaster*, protesta en démissionnant et fonda la Banque canadienne de commerce. De plus, peu de gens crurent, comme l’affirmait King, que lui et la banque « s’occuper[aient] de [leurs] clients aussi longtemps qu’ils aur[aient] droit à leur appui ». En effet, tout le monde savait que la banque ne retirait son or du Haut-Canada que pour l’offrir sur le marché new-yorkais, où il valait cher à cause de la guerre de Sécession. Par la suite, George Hague expliqua en ces termes la stratégie dont King avait usé sur le marché de New York : « L’or pouvait être prêté à des taux d’intérêt très élevés. À titre de garantie pour l’or, on déposait généralement des fonds à court terme. Ces fonds servaient alors – c’est ce dont m’informa M. King lui-même – à escompter des effets de commerce. »

Tandis que la Banque de Montréal accumulait de gros bénéfices grâce à ces manœuvres, les banques qui étaient toujours enracinées dans le Haut-Canada subissaient la crise financière qu’elle ne faisait qu’aggraver. Incapable de faire face à ses engagements parce que son portefeuille était bourré de mauvaises créances, la Bank of Upper Canada, dont le directeur était l’ancien employeur de King, Robert Cassels, fit faillite en 1866, après que la Banque de Montréal eut exigé qu’elle rembourse ses billets en or. En 1867, ce fut au tour de la Commercial Bank of Canada de se trouver dans une situation précaire. Le 21 octobre, King et d’autres représentants des grandes banques canadiennes rencontrèrent des administrateurs de la Commercial Bank of Canada pour voir s’il y avait moyen d’éviter la suspension de ses opérations. King exigea, comme préalable à toute proposition de soutien, une évaluation indépendante de l’actif de la banque. Lorsque celle-ci fit faillite, bon nombre de contemporains de King estimèrent que, par son refus « brutal et inflexible » d’aider la banque en difficulté, il avait contribué à ce désastre. Bien que l’on puisse comprendre sa prudence, on voit mal pourquoi il exigea, le jour même de la réunion, que la Banque de Montréal retire tout l’argent qu’elle avait à la Commercial Bank of Canada. Sans doute ce geste ne fit-il qu’accroître la méfiance que la banque inspirait et mena-t-il à sa faillite ; qui eut lieu avant la fin de l’année.

La façon dont King réagit à la crise financière du Haut-Canada eut, pour la Banque de Montréal, un double effet : elle réalisa des bénéfices et se fit des ennemis. On peut en dire autant des liens étroits qu’il établit entre la banque et le gouvernement, tant avant qu’après la Confédération. À compter de son accession au poste de directeur général, en mars 1863, King entretint régulièrement des rapports avec le gouvernement de la province du Canada, qui avait toujours besoin de plus de crédit pour s’acquitter de ses lourds engagements envers le Grand Tronc [V. sir Joseph Hickson]. Devenue une créancière de toute première importance, la banque put, à la fin de 1863, exercer des pressions sur le cabinet de John Sandfield Macdonald* et d’Antoine-Aimé Dorion afin de succéder à la vacillante Bank of Upper Canada comme dépositaire officiel du gouvernement [V. Luther Hamilton Holton*].

Vers 1865, les grandes quantités de débentures provinciales détenues par la banque à titre de garantie sur les gros prêts qu’elle avait consentis au gouvernement perdaient constamment de la valeur. Elle était donc réfractaire à l’idée de prêter encore, à moins que de nouvelles conditions ne soient définies. C’est précisément un arrangement de ce genre que conçurent King et son proche associé, le ministre des Finances Alexander Tilloch Galt, et qui fut intégré dans l’Acte pour pourvoir à l’émission de billets provinciaux de 1866. Tous deux préconisaient depuis longtemps une seule monnaie d’État, cautionnée par de solides réserves en numéraire ou sous forme de garanties. Au Canada, les banques étaient libres d’émettre des billets, sans avoir de réserves, jusqu’à concurrence de la valeur de leur capital inentamé. King et Galt étaient convaincus que la facilité avec laquelle les banques pouvaient imprimer des billets était l’un des facteurs qui les avait poussées à trop faire crédit dans le Haut-Canada, et ils cherchaient un moyen de résoudre à la fois deux problèmes : l’émission des billets et les besoins du gouvernement en matière de crédit.

Galt voulait que les banques renoncent au droit d’imprimer des billets. Le gouvernement émettrait alors ses propres billets, qui seraient garantis par des débentures provinciales ; ces débentures constituant la réserve de la monnaie, il espérait qu’il serait plus facile de les vendre. Toutefois, le plan de Galt se buta à une opposition tenace de la part de toutes les banques, sauf la Banque de Montréal qui, elle, détenait beaucoup de débentures provinciales. L’Acte pour pourvoir à l’émission de billets provinciaux n’obligeait pas les banques à renoncer au droit d’émettre des billets, et la Banque de Montréal fut le seul établissement financier à accepter les dispositions de la nouvelle loi. Elle reçut 5 % de la valeur de ses billets en circulation pour les retirer du marché et les remplacer par des billets gouvernementaux obtenus en déposant les garanties jusque-là inutiles du gouvernement. Comme si cela ne suffisait pas, elle touchait aussi une commission de 1 % sur la valeur totale des billets gouvernementaux en circulation, en qualité d’agent gouvernemental de remboursement des billets.

D’autres banquiers se hérissèrent en voyant le gouvernement et la Banque de Montréal resserrer leurs liens, et King était tout à fait conscient de l’hostilité que suscitait sa collaboration étroite avec Galt et le successeur de celui-ci, John Rose. Il n’arrangea pas les choses en dévoilant, en 1867, ses idées sur le système bancaire que le Canada devrait adopter quand les chartes des banques arriveraient à échéance trois ans plus tard. Selon son projet, les banques seraient habilitées à distribuer les billets d’une monnaie unique, celle de l’État, mais seulement s’ils étaient « entièrement [cautionnés] par des garanties gouvernementales ». Quant aux dépôts, « ils devraient toujours être protégés par une réserve suffisante ». Ce système était taillé sur mesure pour la Banque de Montréal, qui avait des ressources assez considérables pour garantir à la fois ses billets et ses dépôts. Quant aux banques plus petites, elles pourraient continuer d’exister mais devraient réduire de beaucoup leurs opérations. Le projet de King suscitait une autre objection, que lui-même avait prévue, à savoir la fixité de l’émission des billets. Les banquiers haut-canadiens, en particulier, s’opposaient à ce qu’on limite leur liberté d’augmenter le nombre de billets émis, car ils recouraient à ce moyen pour favoriser la circulation des produits agricoles.

Comme le projet, tant à cause de son contenu que de son concepteur, soulevait une vaste opposition, Rose en présenta un autre (pourtant très semblable) au Parlement en mai 1869. Les réactions furent si négatives que le premier ministre, sir John Alexander Macdonald, le retira après une seule journée de débat et que Rose démissionna de son poste de ministre des Finances avant la fin de l’année. On avait souvent invoqué, au nombre des objections, le fait que King était personnellement associé à ce projet. Ce reproche indiquait que le moment était venu pour lui de payer pour les années où il avait foulé aux pieds d’autres banquiers canadiens. On en eut un autre indice quand, à l’automne de 1869, il tenta de se porter acquéreur de la Gore Bank d’Ontario, qui était chancelante. Bien que son offre ait été supérieure à celle de la Banque canadienne de commerce, ce fut elle qui, emporta le morceau ; au moins un des actionnaires de la Gore Bank trouvait que « M. King était beaucoup trop malin pour qu’on transige avec lui ». Dans ces deux cas, le fait que l’on considérait King comme un homme d’affaires impitoyable le rendait moins utile à la Banque de Montréal. Ce ne fut donc pas par hasard qu’en octobre 1869 il démissionna de la direction générale pour assumer la fonction, plus honorifique, de président.

En 1870, le successeur de Rose, sir Francis Hincks*, présenta un nouveau projet de loi sur les banques. King fit appel au premier ministre Macdonald pour que les dispositions de ce projet de loi garantissent « l’absolue sécurité de la monnaie », mais ce genre de requête avait peu d’effet sur Hincks, très proche des avides intérêts bancaires de l’Ontario [V. William McMaster]. Son projet prévoyait que le gouvernement conserverait le monopole de l’émission des coupures de moins de 4 $. Les banques auraient le monopole des coupures plus grosses et, ce qui importait davantage, pourraient émettre ces coupures jusqu’à concurrence de la valeur de leur capital inentamé, sans être tenues d’avoir une réserve. Quand le projet fut adopté, en 1870, la Banque de Montréal cessa d’être liée de manière privilégiée au gouvernement sur la question de l’émission des billets, comme elle l’était depuis 1866, mais elle en demeura le dépositaire officiel. L’adoption de la loi bancaire de Hincks constituait une victoire éclatante des intérêts haut-canadiens sur les intérêts montréalais, représentés surtout par la Banque de Montréal. Quand le gouvernement envisagea de fonder sa propre banque d’épargne, en 1871, King fut convaincu que ce n’était qu’une étape de la stratégie au terme de laquelle Hincks entendait dépouiller sa banque de son titre de dépositaire officiel.

Après son accession à la présidence de la banque, en 1869, King exerça peu d’influence sur les affaires de l’établissement et sur l’évolution du système financier du nouveau dominion. Son activité, intense comme dans les années où il avait été directeur général, visait plutôt à étendre les opérations étrangères de la Banque de Montréal et, en 1870, il ouvrit un bureau de la banque à Londres. Cependant, il n’était plus dans le feu de l’action, ce qui pourrait expliquer pourquoi il prit sa retraite si jeune.

Edwin Henry King quitta la banque en 1873. En recevant le cadeau des actionnaires – un service d’argenterie d’une valeur de 10 000 $ – il déclara qu’il avait « souvent été la cible de dures critiques ». Il y avait prêté flanc en se conduisant de façon impitoyable avec ceux qui devaient traiter avec lui. Pendant une période importante de son histoire, la Banque de Montréal bénéficia de cette agressivité, mais ce fut probablement en raison de ce trait de caractère que King demeura un temps relativement court dans les hautes sphères financières du Canada.

Ronald E. Rudin

AN, MG 26, A ; MG 27, I, D8 ; MG 28, II 2.— ANQ-M, CE1-63, 22 mai 1856.— Canada, Sénat, Select committee upon the causes of the recent financial crisis in Ontario, Rapport (Ottawa, 1868).— Canada, prov. du, Statuts, 1866, chap. 10.— George Hague, « The late Mr. E. H. King, formerly president of the Bank of Montreal », Canadian Bankers’ Assoc., Journal (Toronto), 4 (1896–1897) : 20–29.— Gazette (Montréal), 15 nov. 1867, 3 juin 1873.— The centenary of the Bank of Montreal, 1817–1917 (Montréal, 1917).— Merrill Denison, Canada’s first bank ; a history of the Bank of Montreal (2 vol., Toronto et Montréal, 1966–1967), 2.— Adam Shortt, « Currency and banking, 1840–1867 », Money and banking in Canada ; historical documents and commentary, E. P. Neufeld, édit. (Toronto, 1964), 132–148.— Skelton, Life and times of Galt (MacLean ; 1966).— D. C. Masters, « Toronto vs. Montreal : the struggle for financial hegemony, 1860–1875 », CHR, 22 (1941) : 133–146.

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Ronald E. Rudin, « KING, EDWIN HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/king_edwin_henry_12F.html.

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Auteur de l'article:    Ronald E. Rudin
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
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