BRUYAS, JACQUES, prêtre, jésuite, missionnaire chez les Iroquois, auteur, interprète, orateur et représentant du gouverneur dans des négociations avec les Iroquois et les Anglais, né à Lyon le 13 juillet 1635, décédé à Caughnawaga le 15 juin 1712.
Entré à l’âge de 16 ans au noviciat de la Compagnie de Jésus le 11 novembre 1651, Bruyas se joignit à la mission canadienne en 1666 et arriva à Québec le 3 août à bord du Saint-Joseph. Dès la première année, il fut destiné aux missions iroquoises où les Jésuites retournaient après l’expédition menée par Prouville* de Tracy et Rémy* de Courcelle contre les Agniers et les Onneiouts. Le traité de paix qui suivit cette expédition obligeait les Iroquois à fournir des otages afin de garantir la sécurité des missionnaires qui se rendraient dans leurs cantons. Le 14 juillet 1667, après avoir reçu la bénédiction de Mgr de Laval, le père Bruyas quitta Québec accompagné de « Français et d’Iroquois catéchisés durant leur captivité et qui sont maintenant de très bons chrétiens ». Cependant, une bande de Loups, ennemis des Français, força le petit groupe à séjourner pendant un mois au fort Sainte-Anne, à l’entrée du lac Champlain.
Ce n’est qu’en septembre que le père atteignit le village des Onneiouts. Une chapelle fut bientôt dédiée à saint François Xavier, et la première messe y fut dite le jour de la Saint-Michel. Le nombre des Indiens déjà convertis était suffisant pour permettre au père de jeter les bases d’une mission, mais la plupart des Onneiouts se montraient insolents et hostiles. L’opposition des sorciers et l’attachement des Indiens à leurs anciennes croyances rendaient très difficile la tâche du père Bruyas. Le premier message qu’il fit parvenir à ses supérieurs arriva à Québec, par un courrier huron, le 15 décembre 1667. Dans une autre missive, datée du 21 janvier 1668, le missionnaire indique que l’ivrognerie et le dévergondage des Indiens, de même que des menaces de mort proférées contre lui à la suite de certains rêves auxquels les membres de ces tribus croyaient aveuglément, entravaient son œuvre d’évangélisation. Comme il ne comprenait pas encore la langue iroquoise, il ne pouvait dire d’une façon certaine quelle était l’attitude des Indiens envers les Français et envers le catholicisme. Il croyait que la campagne militaire de M. de Tracy avait rendu les Onneiouts plus dociles aux enseignements de l’Évangile, mais il n’avait réussi à baptiser que 60 enfants malades et quatre adultes. La majorité des Onneiouts, toutefois, traitaient maintenant le père avec respect ; ils lui permettaient d’instruire les catéchumènes et ils l’avaient régalé de « bouïllie de bled d’Inde cuit à l’eau, avec un peu de poisson boucané, et pour dessert un panier de citrouïlles ».
Au cours de son premier séjour à Onneiout, le père Bruyas avait connu un Huron chrétien, François-Xavier Tonsahoten* qui, même s’il ne pratiquait pas ouvertement sa religion, avait demandé à sa femme ériée, Catherine Gandeacteua*, d’assister aux leçons de catéchisme du missionnaire. C’est elle qui lui enseigna le dialecte onneiout.
Les Anglais et les Hollandais n’en continuaient pas moins de fournir de grandes quantités d’eau-de-vie et de vin aux Iroquois ; ces derniers, « continuellement ivres », se battaient et commettaient des meurtres. La Nouvelle-Hollande étant passée aux mains des Anglais, le gouverneur de New York, Francis Lovelace, fit comprendre au père Bruyas et à ses coreligionnaires qu’il ne s’opposait pas à leur travail missionnaire, mais que les Français ne devaient plus trafiquer en territoire iroquois. En avril 1668, le père Julien Garnier, premier jésuite ordonné au Canada, vint seconder le père Bruyas à la mission. La position du missionnaire devint presque intenable, au mois d’août de l’année suivante, lorsque les Indiens apprirent que des Onneiouts avaient été tués, non loin de Montréal, par des traiteurs français qui leur avaient volé leurs fourrures, et qu’en outre un otage avait été fouetté et un autre mis aux fers.
La santé du père Bruyas n’était pas très bonne à la suite de la fièvre tierce dont il avait souffert et de la période de famine durant laquelle il n’avait mangé que des grenouilles séchées. L’arrivée, le 16 août 1669, de 60 barriques d’eau-de-vie en provenance de la Nouvelle-Hollande le décida à se rendre au lac Onneiout afin d’être absent du village quand éclateraient les bagarres et les désordres. La réunion de six jours convoquée pour le 26 août à Onondaga (Syracuse, N.Y.), à laquelle il assista en compagnie des cinq autres missionnaires jésuites des cantons iroquois, et dont le but était de dresser un plan d’action, semble lui avoir redonné force et courage. À son retour à la mission le 6 septembre, la frénésie causée par l’eau-de-vie atteignait son paroxysme. Quelques semaines plus tard, une épidémie frappait le village et plusieurs enfants furent baptisés avant de mourir. Le 20 novembre, le père pouvait écrire : « Le manque de boisson me fait jouir d’un grand repos ». Il n’était toutefois pas au bout de ses épreuves puisque, le 3 avril 1670, des commerçants revenaient avec 40 barriques d’eau-de-vie : « C’est pour troubler nostre devotion des Festes prochaines de Pasque », écrivit-il. Dès le lendemain, il quittait de nouveau le village pour passer deux semaines à Onondaga auprès du père Millet. Par la suite, le père Bruyas travailla chez les Agniers et, en 1670, il fut nommé supérieur des missions iroquoises. Il poursuivit son travail apostolique, toujours en butte à la résistance des Indiens et malgré des déceptions de toutes sortes. Lorsqu’en 1673 le grand chef Togouiroui*, que les Français appelaient le « Grand Agnier », se convertit et alla s’établir sur les rives du Saint-Laurent avec plusieurs membres de sa tribu, les Agniers de Tionnotoguen accusèrent le père Bruyas d’avoir voulu dépeupler les cantons. En signe de bonne foi, il leur remit une ceinture de porcelaine et affirma que ni lui ni le père Garnier n’avaient incité le grand chef à se retirer dans une réserve. L’année suivante fut plus encourageante, et marquée par la conversion d’un sorcier agnier, Pierre Assendasé, homme âgé mais qui exerçait une grande influence sur son entourage. La position du père Bruyas était assez bien établie en 1676 pour qu’il se permît d’ériger une statue à la Vierge et d’introduire des litanies à l’Immaculée Conception dans les offices du samedi et du dimanche. Dans une lettre en date du 31 juillet, il écrit qu’il vient de baptiser 40 personnes « dont la plupart ont déjà pris possession du ciel ». Trois Indiens convertis se joignirent à lui, à titre de catéchistes, au cours de l’été qui suivit.
En 1679 se terminèrent ses 12 années d’apostolat dans les cantons iroquois, lorsqu’on lui confia la mission de Caughnawaga, réserve indienne située à Sault-Saint-Louis, près de Montréal. Le père Chauchetière, qui passa l’année 1681 à la mission, rapporte que le père Bruyas avait à cœur les besoins spirituels de ses ouailles, et ajoute qu’ « il veille à subvenir aux necessitez temporelles et spirituelles des sauvages et a faire a leur egard l’office de pere pour Le corps et po. lame ». Sans relâche, le père Bruyas combattit l’ivrognerie. Il raconte que, 100 Indiens s’étant réfugiés à la mission pour fuir les débauches causées par la boisson dans leurs villages, plusieurs d’entre eux décidèrent de rentrer chez eux aussitôt que les désordres dus à la boisson commencèrent dans la réserve. Une lettre écrite par le père Bruyas au gouverneur Buade* de Frontenac en avril 1691 révèle la grande compréhension qu’il avait des Agniers. Du mois d’août 1693 au mois d’août 1698, il fut supérieur de la mission canadienne et résida à Québec, pour ensuite retourner à Caughnawaga.
Il se montra un négociateur accompli à Boston en 1699 [V. Michel Leneuf de La Vallière de Beaubassin père], et de nouveau en 1700 alors qu’il accompagnait Paul Le Moyne de Maricourt chez les Onontagués pour y discuter de paix. Comme représentant officiel du gouverneur de Callière, il y fut très bien accueilli. Il présenta un collier de porcelaine choisi pour la circonstance et rappela que les missionnaires avaient tenté d’établir des liens amicaux entre les Iroquois et les Français. Il déclara aux délégués des Cinq-Cantons assemblés à Onondaga, le 10 août 1700, que, même si les Hollandais avaient promis de leur envoyer un armurier s’ils acceptaient de rejeter les missionnaires catholiques et de les remplacer par un pasteur protestant (Domine Debelius du fort Orange), le gouverneur Bellomont de New York cherchait en réalité à les réduire à l’esclavage. Sur quoi le représentant hollandais se retira furieux et déconfit. Emmenant 13 prisonniers français, une députation de 19 membres, composée d’Onneiouts, d’Onontagués, de Tsonnontouans et de Goyogouins, prit alors la route de Montréal. Le gouverneur les reçut le 8 septembre, mais ne voulut conclure qu’une paix temporaire, demandant que tous les prisonniers soient relâchés et que toutes les tribus s’unissent pour accepter les termes d’un traité de paix.
En juin 1701, le père Bruyas était de nouveau envoyé chez les Onontagués afin de poursuivre les pourparlers de paix, et principalement de persuader les Agniers et les Onneiouts d’assister à une conférence de paix. Il décida alors de ne pas s’opposer ouvertement à la venue d’un missionnaire anglican chez les Hurons, mais il avertit les Iroquois de ne plus rien attendre du gouverneur français s’ils acquiesçaient aux demandes des agents du gouverneur Bellomont et n’assistaient pas à la conférence de paix de Montréal. Les délégués iroquois se rendirent à Montréal où, au mois d’août 1701, le père Bruyas transmit au chef huron Kondiaronk, le message de bienvenue du gouverneur. Une des clauses du traité conclu à Montréal à cette occasion stipulait la réouverture des missions des Jésuites dans les cantons iroquois : le père Bruyas atteignait ainsi l’objectif qu’il s’était fixé.
Linguiste très doué, Bruyas a laissé une grammaire de la langue des Agniers, Radices verborum iroquaeorum, de même qu’un catéchisme et un livre de prières dans cette langue.
Jusqu’à sa mort, survenue à Caughnawaga le 15 juin 1712, le père Bruyas se dévoua sans relâche à cette mission de Caughnawaga.
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C. J. Jaenen, « BRUYAS, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bruyas_jacques_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/bruyas_jacques_2F.html |
Auteur de l'article: | C. J. Jaenen |
Titre de l'article: | BRUYAS, JACQUES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 21 nov. 2024 |