Les Acadiens (suite)

La stratégie acadienne avait été élaborée pendant près d’un siècle et s’était avérée fructueuse ; aussi fut-elle confirmée après 1748, ses tenants se fondant sur le postulat qu’ils n’avaient besoin d’y apporter aucun changement d’importance pour faire face à la nouvelle conjoncture. Au cours des années 1660, au temps de Thomas Temple et William Crowne*, les Acadiens avaient été avertis des plans qu’on faisait pour les déporter et qui n’aboutirent à rien. À la suite d’une visite des Anglais, après 1671, on recueillit des serments d’allégeance prêtés à quiconque détenait la couronne anglaise, comme par exemple à Guillaume III et Marie II, ainsi que le rapportait Joseph Robinau* de Villebon au marquis de Chevry, en 1690. À partir de 1710, les Acadiens furent constamment menacés de déportation et constamment invités à prêter des serments qu’ils jugeaient inutilement restrictifs. Les serments qu’ils prononcèrent furent apparemment acceptés par les fonctionnaires britanniques, et ils furent laissés tranquilles sur leurs terres. L’arrivée du gouverneur Edward Cornwallis en 1749 aboutissait aux yeux des Acadiens aux conversations habituelles sur le serment et à la menace prévue de déportation advenant le refus de le prêter ; les Acadiens en répondant qu’ils étaient loyaux mais neutres acceptaient tacitement le serment et croyaient qu’ils obtiendraient ainsi leur tranquillité. Il est vrai que Halifax avait été fondée, mais, pour les Acadiens, c’était une ville très peu attrayante où, selon le mot d’un contemporain, une moitié de la population vivait en vendant du rhum à l’autre moitié. Et ce n’était certes rien en comparaison de Louisbourg. On pouvait aussi négliger facilement les nouveaux venus rassemblés à Lunenburg, puisqu’ils étaient très enclins à quitter leur établissement pour se joindre aux Français et que ceux qui restaient en Nouvelle-Écosse ne paraissaient représenter aucune force. Même quand la violence prit de plus en plus d’ampleur en Acadie, par suite de l’activité de Jean-Louis Le Loutre et de ses Amérindiens, elle restait sporadique et ne semblait pas avoir entraîné de changement majeur dans la ligne de conduite des Acadiens.

Il convient de souligner que les Acadiens, en tant que collectivité, ne dérogèrent pas, durant les années 1740, à l’attitude à laquelle ils en étaient arrivés depuis une génération. Dans une lettre signée le 13 octobre 1744 par les notables des Mines, de Rivière-aux-Canards (près de Canard), de Pisiquid et des « rivières avoisinantes », les troupes sous les ordres de François Du Pont Duvivier se voyaient refuser tout approvisionnement en viande et en grain. Le document ajoutait : « Nous sommes sous un gouvernement doux et tranquille, et duquel nous avons tout lieu d’être contents ; nous espérons que vous voudrez bien ne nous en point écarter et que vous voudrez bien nous accorder la grâce de ne pas nous plonger dans la dernière misère. » On peut douter de la sincérité de cette lettre et se demander si elle n’était guère plus qu’une garantie pour les habitants laissés à la merci des Britanniques après l’échec de Duvivier de s’emparer d’Annapolis Royal. Quoi qu’il en soit, elle servit à la défense au cours de l’enquête sur certains officiers accusés d’incompétence dans la conduite de la guerre contre les Britanniques [V. Michel de Gannes* de Falaise]. Ces officiers alléguèrent que l’expédition n’aurait pu réussir faute du concours des Acadiens, et ajoutèrent que non seulement un tel concours ne s’était point manifesté mais que certains prêtres, tels Jean-Baptiste de Gay* Desenclaves à Annapolis Royal et Claude-Jean-Baptiste Chauvreulx* à Pisiquid, détournaient ouvertement les Acadiens de toute action visant à assister les Français.

Si l’on considère la participation des Acadiens à la cause britannique, au cours des hostilités de 1744 et des années suivantes, à la lumière de ce qu’on vient d’énoncer comme aussi des rapports de Mascarene aux autorités londoniennes, l’action de Joseph-Nicolas Gautier*, dit Bellair, et de Joseph Leblanc, dit Le Maigre, entre autres, apparaît tout au plus comme l’action avortée d’une minorité. Même lorsque des troupes françaises se trouvèrent à Grand-Pré, les habitants du village n’embrassèrent pas inconditionnellement leur cause. En majorité, les fermiers et leurs familles ne comptèrent pas dans les rangs des partisans de Joseph Brossard*, dit Beausoleil, et d’autres. Les Acadiens, un peu comme les habitants de l’Alsace-Lorraine, étaient partagés dans leur allégeance mais, cependant, rassemblés en leur désir de vivre en paix.

Ce que les Acadiens ne comprirent que trop tard, ce fut l’intérêt nouveau que l’on accorda à leurs terres après 1748. Lors des discussions qui suivirent, cette année-là, la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, les Britanniques affirmèrent que les frontières de l’Acadie ou Nouvelle-Écosse constituaient « le point le plus important à fixer pour qu’on établit en Amérique la même tranquillité qui avait été si heureusement rétablie en Europe ». La colonie n’était plus ainsi un simple point de jonction de deux gouvernements, mais elle était maintenant devenue le lieu d’affrontement de deux empires en guerre l’un contre l’autre. Leur incapacité de percevoir l’importance nouvelle de leur territoire s’accompagna, chez les Acadiens, d’une égale incapacité de déceler les différences dans la force et le caractère des hommes qui furent alors chargés du gouvernement de la colonie. Cornwallis, Peregrine Thomas Hopson* et Charles Lawrence* avaient, politiquement, des qualités fort différentes de celles de Philipps, d’Armstrong et de Mascarene. Par-dessus tout, les Acadiens paraissent avoir été impuissants à comprendre ce qu’un gouvernement assumé par le colonel Lawrence, qui n’avait d’autre expérience que celle des champs de bataille, exigerait de leur part en fait de diplomatie. Pendant très longtemps, l’habileté politique de Mascarene avait compté pour une bonne part dans l’expérience vécue par les Acadiens ; pour celui-ci, la politique était l’art du possible, et, en 1744, il pouvait écrire avec une sympathie évidente au sujet des difficultés des Acadiens : « Aussitôt que les Indiens se retirèrent loin de nous, les habitants français nous apportèrent des provisions, et ils continuent de témoigner de leur résolution de rester fidèles aussi longtemps que nous tiendrons ce fort. Deux délégués arrivèrent hier de Mainis [Les Mines], qui m’ont apporté un document créant une association, signé par la plupart des habitants de cet endroit, pour empêcher que le bétail ne soit transporté à Louisbourg, conformément à la défense qui leur a été adressée d’ici. Les habitants français sont certainement dans une situation très périlleuse, ceux qui prétendent être leurs amis et anciens maîtres ayant laissé un groupe de bandits les dépouiller, pendant qu’ils se voient menacés par ailleurs de la ruine et de la destruction s’ils manquent à leur allégeance envers le gouvernement britannique. » Par contre, Lawrence considérait comme de la « présomption » la tradition acadienne de présenter des requêtes et des griefs, et jugeait tout à fait inacceptables les tentatives des Acadiens de l’informer de leur attitude. Mascarene pouvait voir dans les Acadiens un peuple comme les autres dont le comportement n’avait rien de particulièrement complexe. Lawrence était incapable de distinguer chez cette même population aucun autre trait saillant que son refus, équivalant à une trahison, de consentir à une loyauté unique, non équivoque ; pour lui, ce refus était mis en relief par le fait qu’ils parlaient français et professaient la religion catholique, deux éléments qui constituaient un lien naturel avec l’ennemi.

Guy Frégault*, dans la Guerre de la Conquête, a ramené la déportation des Acadiens, en 1755, à un acte de guerre, à une mesure nécessaire pour que la Nouvelle-Écosse, réellement colonisée, devint partie intégrante de l’Empire britannique. Cette mesure s’insérait dans la période décisive de la lutte franco-britannique pour la domination de l’Amérique du Nord. On serait facilement tenté de développer cette théorie et de la raffiner à l’extrême. Il suffit ici de dire que la déportation eut lieu en temps de guerre et que ceux qui la menèrent à bonne fin la présentèrent comme une opération militaire nécessaire à la défense de la colonie.

Pour les Acadiens eux-mêmes, les événements de 1755 fournirent la preuve indéniable de la part des autorités de Halifax d’une nouvelle fermeté dans la poursuite des objectifs et d’une volonté d’engager plus de ressources. Les premiers à subir les effets de cette politique furent les habitants de la région des Mines, de qui un détachement envoyé par le capitaine Alexander Murray*, alors au fort Edward (Windsor), exigea au printemps de cette même année la remise de leurs embarcations et de leurs fusils. Bien qu’ils se soumissent à cette exigence, les habitants adressèrent une pétition à Halifax, le 10 juin, dans laquelle ils en contestaient le bien-fondé. Au cours des sept jours suivants, le fort Beauséjour (près de Sackville, Nouveau-Brunswick) fut attaqué et pris par Robert Monckton ; la garnison française, sous la direction de Louis Du Pont Duchambon de Vergor, s’en retira le 17 juin. Peu de temps après, on exigea des habitants de l’isthme de Chignectou qu’ils remettent leurs armes ; ils s’exécutèrent le 25 du même mois. Le lieutenant-gouverneur Lawrence et les membres du conseil chargés de l’administration de la colonie étaient dès lors suffisamment encouragés par leurs succès pour tenter d’amener, une fois pour toutes, les Acadiens à déclarer de façon non équivoque leur allégeance aux seuls intérêts britanniques. Comme la guerre avait éclaté de nouveau en Amérique, cette décision semble assez raisonnable dans les circonstances.

À l’ordre du jour de sa séance du 3 juillet 1755, le conseil devait discuter la pétition adressée par les habitants des Mines. Pour le conseil, c’était l’occasion dont il avait besoin pour démontrer à une importante partie de la population acadienne la rigueur avec laquelle on entendait maintenant procéder. Le procès-verbal de cette séance a été publié pour la première fois en 1869 par Thomas Beamish Akins* dans Acadia and Nova Scotia. Dans les ouvrages – plus de 200 – parus depuis le milieu du xixe siècle sur la déportation, cette séance est vue non seulement comme un affrontement décisif entre les Acadiens et les autorités de la colonie, mais aussi comme un indice révélateur de la nature profonde de la crise qui s’ouvrait. On présente le colonel Lawrence et les membres du conseil comme des hommes assurés de leur bon droit, au verbe facile, à la politique bien définie et s’exprimant à partir d’une position de force indiscutable. Les Acadiens, d’autre part, sont de « simples paysans », totalement différents par leur façon de raisonner, sinon par leur intelligence, de leurs interlocuteurs et « durement interrogés et malmenés d’une façon inexcusable » pendant la discussion, selon les mots mêmes de Brebner.

Il n’y a aucun doute que cette séance constitua une étape décisive dans l’évolution des événements qui conduisirent à la déportation. Ce qui est moins sûr, c’est l’interprétation que l’on donne de cette assemblée comme étant un affrontement entre deux groupes dont l’un est fort et organisé, et l’autre faible et mal préparé. La position du lieutenant-gouverneur et du conseil reposait sur la peur et non point sur un sentiment de force et d’assurance ; ils savaient alors à quel point la situation générale des Britanniques était précaire. Ils croyaient que la colonie dans laquelle ils vivaient était peuplée essentiellement d’habitants dont la loyauté envers les intérêts britanniques restait toujours sujette à caution. Les Acadiens firent observer qu’ils étaient restés neutres au cours des guerres précédentes et qu’aucun serment ne pouvait les lier s’ils n’avaient pas la volonté de le respecter. En d’autres mots, ils discutaient avec ce sentiment de confiance qui leur venait de leurs droits de propriété, incontestables pour eux, des terres sur lesquelles ils vivaient, de la conviction d’être sur leur propre terre natale et d’un total refus de croire à une menace réelle de déportation.

À mesure que les mois passaient, les Acadiens devinrent moins confiants, contrairement aux autorités coloniales. L’arrivée à Halifax, le 9 juillet 1755, d’une escadre navale sous le commandement du vice-amiral Edward Boscawen* apporta aux autorités de la Nouvelle-Écosse des renforts d’une valeur indéniable. Boscawen et son commandant en second, le contre-amiral Savage Mostyn, assistèrent aux séances du conseil et, le 18 juillet, le lieutenant-gouverneur pouvait écrire à ses supérieurs en Angleterre qu’il était décidé à obtenir des Acadiens un serment d’allégeance sans réserve. Les derniers jours du mois virent les partis opposés en arriver à la position qu’on leur attribue le plus souvent dès les premiers jours de ce mois de juillet : Lawrence et son conseil, pouvant compter sur la flotte, adoptèrent une ligne de conduite définitive dans laquelle ils s’étaient trouvés peu à peu entièrement engagés et qu’ils avaient confiance de pouvoir mettre en œuvre ; les Acadiens, d’autre part, craignaient maintenant pour leur sécurité et pour la première fois étaient troublés devant la perspective d’être déportés. Les dernières pétitions adressées au lieutenant-gouverneur et au conseil, le 25 juillet, répétaient la conviction des Acadiens d’agir avec droiture ; celle des habitants d’Annapolis Royal contenait notamment les représentations suivantes : « Nous avons unanimement consenti à remettre nos armes à feu à M. Handfield [John Handfield*], notre très valeureux commandant, bien que jamais nous n’ayons désiré d’en faire aucun usage contre le gouvernement de Sa Majesté. Nous n’avons donc rien à nous reprocher, soit à ce sujet, soit au sujet de la fidélité que nous devons au gouvernement de Sa Majesté. » Mais pareil argument ne pouvait suffire à convaincre les adversaires de leur loyauté. La dernière rencontre entre les Acadiens et les autorités eut lieu le lundi 28 juillet 1755, au matin ; à l’issue de cette séance, le lieutenant-gouverneur et les membres du conseil résolurent à l’unanimité de disperser les Acadiens « dans les diverses colonies du continent » et de louer « à cette fin, avec toute la diligence possible, un nombre suffisant de vaisseaux ».

La déportation s’organisa au cours des mois suivants, conformément aux instructions précises rédigées par le lieutenant-gouverneur. Dans le détail méticuleux, préparé par le colonel Lawrence, de la quantité de nourriture à mettre à la disposition de chaque Acadien à bord des navires, l’historien français Émile Lauvrière, qui écrivait son histoire d’Acadie au début des années 1920, a vu la marque d’un homme insensible à la pitié : « Seule une âme de criminel, dit-il, pouvait combiner en tous ses détails une pareille machination. » Mais Brebner, qui écrivait en Amérique du Nord à peu près vers la même époque, concluait, de la lecture du même document, que « Lawrence avait tenté, au début, de mettre beaucoup de soin aux préparatifs, et, compte tenu des normes alors acceptées, de veiller à fournir à ses victimes suffisamment d’espace sur les navires, assignant deux personnes pour chaque tonneau que jaugeait le navire et pourvoyant méthodiquement à leur approvisionnement grâce à des stocks de nourriture saisis et à des vivres provenant de Halifax ». Pour les Acadiens, toutefois, quels qu’aient pu être les motifs des auteurs de la déportation, le résultat fut le même : leur société détruite, leurs villages décimés et l’exil en terre étrangère.

On a beaucoup discuté des proportions réelles de ce drame, mais l’ouvrage d’Andrew Hill Clark permet d’en préciser les dimensions probables. L’auteur montre que la population acadienne ne pouvait être, en 1755, inférieure à 10 000 habitants et qu’elle approchait probablement de 12 000. La majorité des exilés, au nombre d’environ 7 000, furent expatriés en 1755 et 2 000 à 3 000 autres le furent avant l’abandon officiel de la politique de déportation. Car, une fois que le lieutenant-gouverneur et le Conseil de la Nouvelle-Écosse eurent finalement décidé de déporter les Acadiens, en 1755, cette décision devint une politique à mener jusqu’à sa conclusion logique. Les rafles d’Acadiens se poursuivirent jusqu’en 1762. À la suite de la chute de Louisbourg, en 1758, on adopta des mesures particulièrement vigoureuses. Quelque 700 Acadiens de l’île Saint-Jean furent mis à bord du Duke William et du Violet à destination de l’Angleterre. Ces deux navires coulèrent dans la Manche, et il semble y avoir eu peu de survivants [V. Jacques Girard].

En 1761, une possibilité survint de mettre un terme à cette politique. Répondant cette année-là à une demande de Jonathan Belcher, successeur de Lawrence au poste de lieutenant-gouverneur, le major général Jefferey Amherst refusa au gouvernement de la Nouvelle-Écosse la permission d’envoyer un certain nombre d’Acadiens en exil au Massachusetts sans l’autorisation de Londres. Toutefois, la nouvelle de la prise de Saint John’s, Terre-Neuve, par Charles-Henri-Louis d’Arsac de Ternay, en juin 1762, suscita tant d’inquiétudes en Nouvelle-Écosse que cela poussa Belcher à ne pas tenir compte de ces instructions. Le 18 août, il envoya des transports, avec quelque 100 Acadiens à leur bord, à Boston, d’où ils furent réexpédiés en Nouvelle-Écosse à la fin de septembre. Cette expédition avortée marqua la fin de la poursuite officielle de la politique de déportation.

En Nouvelle-Écosse, les dispositions du traité de paix de 1763 ne furent pas perçues comme permettant aux Acadiens d’aller s’y installer légalement. Cependant, ce droit leur fut accordé l’année suivante. À son arrivée dans la colonie, en septembre 1763, le nouveau lieutenant-gouverneur, Montagu Wilmot*, apprit qu’un protestant de langue française, Jacques Robin, avait formé le projet de rassembler les restes épars des Acadiens. Il avait écrit aux notables acadiens, selon le rapport adressé à Londres par Wilmot, « pour les inviter, avec la plus grande insistance, de toutes les régions, quelles qu’elles fussent, où ils étaient dispersés, à se regrouper à Mirimichi ». Wilmot fit remarquer aux autorités de Londres que ce plan aurait probablement des conséquences graves pour la sécurité de la province. Le 16 juillet 1764, les membres du Board of Trade informèrent Wilmot qu’il devait autoriser les Acadiens à s’installer en Nouvelle-Écosse, à condition qu’ils prêtassent le serment d’allégeance.

Neuf ans après que les navires eurent pris la mer avec les premiers exilés, il restait encore des Acadiens dans la colonie, constituant un noyau autour duquel pouvait se développer une société acadienne renouvelée. Les représentants de quelque 165 familles se présentèrent pour prêter le serment : ces familles formaient une collectivité de moins de 1 000 personnes, apparemment, dispersées dans toute la colonie. Ces chiffres ne tiennent pas compte des Acadiens qui ne se présentèrent pas, en particulier ceux qui habitaient Saint-Basile, sur le haut de la rivière Saint-Jean, ceux qui étaient installés dans les forêts des environs de la rivière Miramichi et les familles éparpillées dans l’île du Cap-Breton et dans l’île Saint-Jean. Quelque 30 familles étaient encore à Halifax, et environ une dizaine dans chacun des endroits suivants : à la baie de Sainte-Marguerite, Chester, Lunenburg, Dublin, Liverpool, Yarmouth, Barrington, Annapolis Royal, Montagu, Cornwallis, Horton (la région de Wolfville), Falmouth et Newport. Le serment exigé des Acadiens contrastait vivement avec les précédents assortis d’un privilège de neutralité. Le nouveau serment était explicite, assez long et, somme toute, propre à faire comprendre aux Acadiens qu’un profond changement s’était produit dans leur existence. Il était ainsi formulé : « Je jure que je porterai fidèle et loyale allégeance à Sa Très Sacrée Majesté britannique le roi George III et que je la défendrai par tous les moyens à ma disposition contre toute conspiration déloyale et autre tentative quelconque dirigées contre sa personne, sa couronne et sa dignité. Et je m’emploierai de mon mieux à dévoiler et à faire connaître à Sa Majesté et à ses successeurs toute trahison ou conspiration déloyale, ou toute tentative que je sauré être dirigée contre lui ou l’un quelconque de ses successeurs. C’est ce que je promets et jure pleinement et sincèrement, selon les termes exprès que je prononce et selon le sens précis et la signification habituelle de ces mêmes mots, sans équivoque, restriction mentale ou réserve secrète quelconque ; ce que je reconnais et promets de bon cœur, de plein gré et loyalement sur la vraie foi d’un chrétien. Ainsi Dieu me soit en aide. »

Les années à venir allaient montrer à quel point la situation des Acadiens s’était altérée. Désormais, la France n’était plus présente dans la région, et, en même temps, la démographie de la vieille Acadie subissait un bouleversement radical. Formant autrefois la majorité des habitants d’origine européenne, les Acadiens furent submergés par d’autres groupes auxquels on attribua les emplacements les plus avantageux, y compris les anciennes terres acadiennes. Avant 1764, des habitants de la Nouvelle-Angleterre avaient occupé en grand nombre la vallée de l’Annapolis et la côte sud de la Nouvelle-Écosse. À la veille de la Révolution américaine, des colons du Yorkshire s’ajoutèrent à ces nouveaux venus dans l’isthme de Chignectou et des Écossais arrivèrent en masse en Nouvelle-Écosse et dans l’île du Cap-Breton. La guerre d’Indépendance et l’après-guerre entraînèrent un afflux considérable de Loyalistes en Nouvelle-Écosse et dans ce qui allait devenir la province loyaliste du Nouveau-Brunswick. Dans la configuration politique nouvelle du deuxième Empire britannique, les Acadiens se retrouvèrent en minorité dans toutes les colonies, n’ayant de surcroît aucune affinité culturelle et bien peu d’affinités religieuses avec les nombreux groupes de nouveaux colons au milieu desquels ils seraient appelés à vivre dorénavant.

Dans ces conditions nouvelles, la force politique jadis possédée par les Acadiens fut réduite à néant. L’octroi du gouvernement représentatif que Londres fit aux différentes colonies des Maritimes vint augmenter les difficultés des Acadiens. Autrefois, les Acadiens avaient pu négocier avec le gouverneur ou avec les conseillers qu’il avait nommés ; l’apparition des assemblées législatives, dont la première siégea en Nouvelle-Écosse en 1758, signifiait en pratique l’exclusion complète des Acadiens du processus politique ordinaire de toutes les colonies. Leur catholicisme, leur faiblesse démographique et leur ignorance des formes et de la procédure du gouvernement colonial britannique leur fermèrent l’accès aux postes gouvernementaux et les privèrent de toute influence sur les fonctionnaires et les politiciens. Au surplus, pour les membres de l’Assemblée et les conseillers, voués à l’édification de nouvelles sociétés fondées sur le commerce, les Acadiens étaient quantité négligeable, se situant quelque part entre les Européens et les Amérindiens dans l’échelle sociale. Leur destin est illustré par le fait qu’on expulsa sommairement les familles acadiennes des fertiles terres alluviales du Nouveau-Brunswick ; comme l’écrivait Edward Winslow*, en 1785, « de nombreux Français […] ont été fort injustement chassés de leurs terres ». Les familles ainsi évincées, et d’autres comme elles, se retirèrent ou furent refoulées vers les terres situées à la périphérie des colonies, où elles se trouvèrent isolées et vivant en marge des grands courants de la vie coloniale.

Malgré tous les malheurs qu’ils avaient connus et les difficultés qu’ils rencontraient encore, les Acadiens avaient réussi à se reconstituer comme peuple distinct, à la fin du xviiie siècle. Le noyau de la nouvelle société acadienne était formé du petit nombre de ceux qui avaient échappé à la déportation. Certains éléments, comme les familles d’Annapolis Royal et de Halifax, avaient survécu à cause de leur utilité ou simplement à cause des sentiments humanitaires des gens de leur voisinage. Ni les bûcherons d’Annapolis ni les pensionnaires des hôpitaux de Halifax ne représentaient une menace ; on leur permit de rester. Puis il y avait ceux qui, emprisonnés au fort Lawrence (près d’Amherst, Nouvelle-Écosse) à la fin de septembre 1755, par exemple, s’étaient échappés. En octobre de la même année, Monckton racontait leur histoire à John Winslow : « quatre-vingt-six hommes, écrivit-il, ont pris la fuite […] en creusant un tunnel, de la caserne à la courtine sud, sur une distance d’environ trente pieds. Le pire, c’est que ce sont tous gens que leurs femmes n’avaient pas accompagnés et qui viennent de Chipoudi [Shepody], de Pitcoudiack [Petitcodiac] et de Memramcook. » Ce groupe se dirigea vers le nord et s’établit par la suite à Caraquet, vivant, de 1755 à la fin des années 1760, autant dans les forêts que dans l’établissement qu’ils tentèrent de mettre sur pied. La troisième catégorie d’Acadiens échappés à l’exil était composée de ceux qu’on mit effectivement à bord d’un navire, mais qui s’en emparèrent ensuite pour rentrer immédiatement dans la colonie ou qui, une fois sur la terre d’exil, obtinrent un navire et refirent le voyage en sens inverse. D’autres encore, comme Alexis Landry, échappèrent à la capture et trouvèrent refuge dans des régions éloignées.

À ces groupes vinrent s’ajouter les Acadiens qui revenaient chez eux, du Québec, du Massachusetts et d’autres colonies aussi méridionales que la Géorgie, et des îles Saint-Pierre et Miquelon, de même que de l’autre côté de l’Atantique, des îles Anglo-Normandes et de la France. En définitive, le nombre de ces Acadiens rentrés au pays fut pitoyablement bas par rapport au nombre de ceux qui furent expatriés. Un tiers au moins de ceux-ci moururent, entre autres, de la petite vérole, de la typhoïde ou de la fièvre jaune, maladies qu’ils n’avaient pour ainsi dire pas connues avant 1755. Un autre tiers, peut-être, se rendit jusqu’en Louisiane, en passant par la Caroline du Sud et Saint-Domingue (île d’Haïti) ou par la Virginie, l’Angleterre et la France, et s’y établit en permanence. Les autres périrent soit dans des accidents ou à cause des pénibles conditions de l’exil. Néanmoins, une partie importante des Acadiens non seulement survécurent à ce qu’ils ont appelé « le grand dérangement », mais réussirent à revenir en Nouvelle-Écosse. À leur arrivée, ils trouvèrent leurs anciennes terres occupées et le nombre d’endroits pour s’installer limité par le gouvernement. Ils pouvaient aller vers le nord, où ceux qui étaient restés étaient le plus solidement enracinés, s’établir sur des terres beaucoup moins fertiles et soumises à des conditions climatiques plus rigoureuses que celles auxquelles étaient exposées leurs anciennes terres. Ils pouvaient aller se joindre aux minuscules enclaves peuplées d’Acadiens demeurés dans les îles du Cap-Breton et Saint-Jean. Ils pouvaient aussi s’intégrer à ces groupes d’habitants de l’intérieur de la péninsule de la Nouvelle-Écosse, qui vivaient dans des localités qu’on leur avait récemment réservées.

La plus importante de ces localités, créée par ordre du gouvernement en 1767, était située sur la baie de Sainte-Marie, dans le canton de Clare (dans l’actuel comté de Digby). Ses habitants avaient été recrutés dans toutes les parties de la province, particulièrement dans les environs de Halifax. En 1768, le premier de plusieurs groupes venant du Massachusetts se joignit à cette communauté en plein essor ; toutefois beaucoup d’exilés dans cette colonie préférèrent gagner la province de Québec plutôt que de retourner en Nouvelle-Écosse [V. Louis Robichaux]. Pendant la décennie suivante, il y eut un flot continu d’exilés sur la voie du retour [V. Guillaume Jeanson ; Pierre Le Blanc ; Pierre Doucet]. En général, ceux qu’on avait chassés vers les autres colonies de l’Amérique du Nord britannique rejoignirent les établissements de la Nouvelle-Écosse ; ceux qui avaient retraversé l’Atlantique s’installèrent le long du littoral de ce qui devint en 1784 le Nouveau-Brunswick ou se rendirent dans les villages de ce qui serait l’Île-du-Prince-Édouard après 1798 ; quant à ceux qui avaient séjourné dans la province de Québec ou dans le nord du Maine, ils allèrent grossir la population de Saint-Basile. En 1771, on rapportait que le nombre des familles acadiennes vivant dans la péninsule et le long de la rive nord de la baie de Fundy et de la côte atlantique du Nouveau-Brunswick s’élevait à 193. En 1800, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse atteignaient à eux seuls le nombre étonnant de 8 000. Dès lors, l’accroissement démographique des Acadiens dans les Maritimes fut attribuable à l’excédent des naissances sur les décès plutôt qu’au retour des exilés.

Le rétablissement des Acadiens, de 1764 à 1800, supposait l’organisation de ce peuple dans un contexte nouveau et son adaptation à un nouveau milieu politique, social et économique. Ajoutées au traumatisme de la déportation, ces conditions nouvelles occasionnèrent non seulement un changement dans le mode de vie des Acadiens, mais la modification de plusieurs de leurs traits distinctifs d’avant la déportation. Le plus dominant de ces traits était le sentiment qu’ils avaient de former une famille. Les liens de parenté et les exigences en découlant avaient toujours autant d’importance pour le peuple acadien. Mais, alors que ces liens avaient été avant 1755 des moyens d’expansion et de progrès pour les communautés acadiennes, la famille acadienne devint après 1764 une unité fermée, un cercle protecteur. Avant et pendant la déportation, les Acadiens avaient fait montre de leur capacité d’assimiler des gens de diverses origines, intégrant dans leur vie sociale les apports des Anglais et des Amérindiens de même que ceux des habitants venus des nombreuses régions de la France. Après la déportation, ceux qui eurent affaire à eux notèrent, comme Moses Delesdernier*, leur désir de demeurer dans un état « d’isolement quasi inviolable par rapport aux autres groupes de la société ».

De même, leur attitude à l’égard de la religion changea. Avant 1755, leur foi avait été une des nombreuses composantes de leur univers mental. Après 1764, leur confiance dans les institutions catholiques devint de plus en plus marquée. Cela s’explique en partie par le fait que la plupart des villages acadiens furent laissés sans autorité civile, aucun magistrat n’étant nommé et aucune forme de gouvernement municipal n’étant créée pour l’administration de leurs affaires. Pendant le xviie siècle, le gouvernement des établissements acadiens avait abouti à une interdépendance entre les autorités anglaises ou françaises et les habitants de la colonie, ces derniers faisant appel aux liens de parenté pour établir les règles régissant les rapports à l’intérieur de la société acadienne. De 1710 à 1763, l’habitude d’envoyer des délégués aux autorités d’Annapolis Royal et de Halifax faisait partie des institutions du peuple acadien. Mais, après 1763, les nouveaux dirigeants pouvaient se permettre de ne plus tenir compte des Acadiens. L’absence de reconnaissance extérieure de la société acadienne s’accompagnait d’un manque de cohésion à l’intérieur. La vaste majorité des établissements ne comprenaient que des groupes de survivants, réunis par hasard plutôt que par la volonté de fonder une nouvelle communauté, affligés de l’absence d’êtres chers plutôt qu’encouragés par la perspective de refaire leur vie avec un partenaire de leur choix. La fondation de Memramcook au xviie siècle avait été le fait d’un groupe de jeunes couples sachant que les grands-parents qu’ils laissaient derrière étaient bien établis, et convaincus que par leur dur labeur ils allaient bientôt édifier une société qui inspirerait le respect. Rebâtir Memramcook après 1763 voulait dire revenir en apportant le souvenir constant de l’expérience traumatisante de la déportation, avec peu de certitude d’avoir droit aux terres défrichées et sous le coup des souffrances subies par la perte de parents et d’amis. Dans ce contexte, les prêtres en vinrent à jouer un rôle beaucoup plus fondamental au sein de la société acadienne, apportant la consolation spirituelle aux familles brisées et organisant des villages pour régler les querelles intestines.

L’abbé Jean-Mandé Sigogne*, par exemple, fixa des règles de conduite à l’usage des paroissiens de sa propre communauté de la baie de Sainte-Marie. Originaire de France, il avait quitté son pays par suite de la Révolution et, prêtre âgé de 36 ans, il était venu en Nouvelle-Écosse en 1799. Pendant les 45 années suivantes, Sigogne œuvra dans le but d’améliorer les conditions de vie de ses paroissiens. Moins d’un an après son arrivée, il avait rédigé ses « Articles sur les règles de vie », qui traitaient non seulement de la conduite exigée des paroissiens à la messe mais aussi de la meilleure façon de régler les querelles de familles ; en 1809, ses préceptes étaient suivis par les habitants de tous les villages acadiens de la Nouvelle-Écosse. En 1806, Sigogne fut nommé juge de paix de Clare, charge qui l’aida dans sa longue lutte pour procurer des écoles à ses paroissiens et dans l’appui qu’il accorda aux entreprises commerciales acadiennes. Son travail ne fut pas le fait d’un individu isolé. À mesure que le xixe siècle avança, l’œuvre des prêtres occupa une place de plus en plus importante dans la vie des villages acadiens, de sorte que la culture acadienne fut alors axée beaucoup plus à fond sur la doctrine de l’Église qu’elle ne l’avait été par le passé.

De plus, si on considère la vie économique des Acadiens, elle apparaît à la fois liée à leur expérience passée et profondément modifiée. La chasse, la pêche, l’agriculture, l’élevage ainsi qu’une contrebande occasionnelle avaient constitué les bases d’une économie qui avait permis aux Acadiens de maintenir une croissance démographique extraordinaire et de s’estimer riches. Ils continuaient de consacrer leur vie aux mêmes activités, mais obtenaient des résultats bien différents. Avec le développement de l’industrie du bois de construction dans les Maritimes et la croissance d’une société industrialisée et urbanisée, la poursuite de leurs occupations traditionnelles s’avéra pour les Acadiens une source d’appauvrissement. Au lieu d’être des villageois prospères, menant une vie beaucoup plus confortable que les Amérindiens nomades, les Acadiens étaient devenus visiblement moins riches que la plupart de leurs voisins.

Le xviiie siècle tirant à sa fin, toutefois, le fait le plus marquant dans la vie des Acadiens était la déportation elle-même, avec ce qu’ils savaient et croyaient qu’elle avait détruit, avec les nombreuses épreuves qu’elle leur avait fait subir et ce qu’elle signifiait pour leur avenir. Compte tenu du recul du temps et des circonstances dans lesquelles ils étaient maintenant placés, la période antérieure à 1755 leur semblait s’être déroulée non point en Acadie, mais en Arcadie, une espèce de paradis terrestre. Toutes les querelles et les difficultés étaient oubliées, le temps avait toujours été au beau fixe, le soleil des fins d’après-midi rendait la nature splendide, la collectivité n’avait jamais été divisée par les disputes de terrains ni tourmentée par des accusations de sorcellerie : bref, la période d’avant la déportation avait été la belle époque. En outre, et en partie parce que les Acadiens vivaient maintenant au sein d’une population majoritairement anglophone, en partie aussi à cause du fait, véridique, que la majorité de la population acadienne s’était embarquée pour l’exil sans protester violemment, on croyait maintenant avoir injustement perdu ce paradis. La politique de neutralité qu’ils avaient maintenue jusqu’en 1755 les portait maintenant à créer le mythe qu’ils étaient d’innocentes victimes et que les Britanniques étaient en quelque sorte de stupides criminels. Les Acadiens en vinrent rapidement à croire qu’ils n’avaient rien fait qui pût justifier leur expulsion. Pendant le xixe siècle, leur foi accentua la nécessité de pardonner aux ennemis, de même que la gloire accompagnant la souffrance des coups et meurtrissures noblement acceptés. Aussi le mythe acadien de la déportation exigeait-il quelque forme de pardon à ceux qui leur avaient si cruellement et si injustement apporté la souffrance.

Si le sentiment d’avoir injustement perdu le paradis fut l’un des aspects de la réaction des Acadiens à la déportation, un autre aspect tout aussi important fut l’expérience qu’ils partagèrent à cette occasion. Andrew Brown*, prédicateur et médecin d’Édimbourg qui visita la Nouvelle-Écosse à la fin du xviiie siècle et qui rassembla une documentation considérable sur la vie des Acadiens à cette époque, nota l’habitude qu’ils avaient prise de s’assembler le soir pour raconter une fois de plus leurs aventures. Il nota aussi leur sens du théâtre et de la mimique, quand ils comparaient les attitudes et les gestes des pasteurs protestants qui, au Massachusetts, tentaient de les convertir avec ceux des quakers de la Pennsylvanie, également intéressés à leur conversion. Ces pratiques, si elles étaient propres à resserrer les liens entre les Acadiens, élevaient une haute barrière entre eux et les gens d’autres origines. Mais le résultat le plus net de cette activité culturelle fut de permettre aux Acadiens de mieux connaître leur propre capacité de survivre.

Ceux qui étaient revenus de la Caroline du Sud avaient vu mourir, au moment de l’exil, à bord de navires, comme le Cornwallis, plus de la moitié des passagers avant leur arrivée à destination. Ceux qui étaient rentrés de Philadelphie avaient vu la petite vérole tuer plus d’un tiers des Acadiens qu’on y avait envoyés. Ceux qui étaient revenus du Massachusetts avaient été témoins de tentatives pour régler le problème de l’afflux des exilés, tentatives qui allèrent jusqu’à séparer les parents de leurs enfants, les adultes étant envoyés dans des fermes et les jeunes engagés comme domestiques. Ceux qui avaient retraversé l’Atlantique pouvaient raconter leurs manigances pour se tirer d’affaire avec les fonctionnaires, puis avec ceux de plusieurs autres pays successivement, et pour trouver facilement le moyen de correspondre d’un côté à l’autre des frontières, même si les pays en cause étaient en guerre. Quoi que la déportation ait apporté d’autre aux Acadiens, elle leur a à tout le moins inculqué la conviction qu’ils étaient capables de survivre. Et rien encore n’a prouvé la fausseté de cette conviction.

 

Bibliographie

Le CÉA est l’endroit tout désigné pour commencer une étude des Acadiens, soit en y travaillant, soit en utilisant les bibliographies qu’il a publiées. Mis sur pied à la fin des années 1960, à partir des Archives acadiennes qui avaient été léguées à l’université de Moncton par le collège Saint-Joseph, le CÉA a entrepris de réunir tous les documents disponibles (sous forme d’originaux ou de copies) relatifs au peuple acadien. Il a publié en 1975 le premier d’une série de trois volumes intitulée Inventaire général des sources documentaires sur les Acadiens (Moncton, N.-B.). Portant en sous-titre les Sources premières, les archives, ce volume, en plus de décrire les documents que le centre possède, tente de signaler tout ce que l’on peut trouver ailleurs concernant les Acadiens. Malgré son agencement bien particulier, ce volume est propre à faire découvrir au chercheur la richesse des sources manuscrites concernant l’histoire des Acadiens. En 1977 paraissait le second volume, portant en sous-titre Bibliographie acadienne, liste des volumes, brochures et thèses concernant l’Acadie et les Acadiens, des débuts à 1975. Ici encore, il faut un certain temps pour comprendre le plan de l’ouvrage, mais son contenu permet de nous familiariser avec une documentation d’une grande richesse concernant les Acadiens.

Parmi les études thématiques, l’ouvrage de Brebner, New England’s outpost, constitue le récit le plus clair écrit en anglais sur l’histoire politique et diplomatique des Acadiens des débuts à 1755. Le premier volume de l’historien francophone Robert Rumilly, Histoire des Acadiens (2 vol., Montréal, 1955), présente une chronologie lucide des événements. Publié en 1968, Acadia, de Clark, est un ouvrage excellent où l’on trouve, racontée en détail, l’histoire du développement économique de l’Acadie durant les années qui précédèrent la déportation. Naomi Griffiths, The Acadians : creation of a people (Toronto, 1973), trace dans ses grandes lignes l’évolution de l’identité acadienne. L’étude de la linguiste française, Geneviève Massignon, les Parlers français d’Acadie […] (2 vol., Paris, [1962)], constitue une analyse exhaustive des structures et des origines du langage acadien. En plus de se pencher sur les relations entre des dialectes de France, du Québec et de l’Acadie, l’ouvrage présente une excellente analyse des influences historiques qui ont modelé le langage acadien. Antonine Maillet, dans Rabelais et les traditions populaires en Acadie (Québec, 1971), traite des origines d’une grande partie du folklore acadien, et, en introduction, nous donne une excellente vue d’ensemble de trois siècles d’histoire acadienne.

L’histoire religieuse des Acadiens reste encore à écrire, même s’il existe un bon nombre d’études partielles sur le sujet. Des historiens du xixe siècle nous ont laissé des études sur ce thème, tel Henri-Raymond Casgrain, les Sulpiciens et les prêtres des Missions-Étrangères en Acadie (1676–1762) (Québec, 1897), mais, à date, aucun ouvrage complet sur ce sujet complexe n’a été publié. L’Anthologie de textes littéraires acadiens, 1606–1975, Marguerite Maillet et al., édit. (Moncton, 1979), même si elle n’est pas accompagnée d’une étude ou d’une analyse de la littérature acadienne, constitue quand même un précieux instrument de travail sur le sujet.

Plusieurs thèses de doctorat, actuellement en voie de publication, étudient ce qu’on pourrait appeler les relations extérieures des Acadiens, c’est-à-dire les liens qui ont existé entre l’Acadie, d’une part, et la Nouvelle-Angleterre, d’autre part. Celle de Jean Daigle, « Nos amis les ennemis : relations commerciales de l’Acadie avec le Massachusetts, 1670–1711 » (University of Maine, Orono, 1975) traite des relations entre l’Acadie et la Nouvelle-Angleterre à la fin du xviie siècle ; celle de James Gordon Reid, « Acadia, Maine and New Scotland : marginal colonies in the seventeenth century » (University of New Brunswick, Fredericton, 1976) porte sur les premières années du xviie siècle. L’ouvrage de George Alexander Rawlyk, Nova Scotia’s Massachusetts ; a study of Massachusetts-Nova Scotia relations, 1630–1784 (Montréal et Londres, 1973) relate de façon claire les événements survenus au cours de cette période. Les relations entre le Québec et l’Acadie n’ont pas encore fait l’objet d’une étude approfondie, bien que les ouvrages de François-Edme Rameau de Saint-Père, la France aux colonies […] Acadiens et Canadiens (Paris, 1859) et Une colonie féodale en Amérique : l’Acadie (1604–1881) (2 vol., Paris et Montréal, 1889), valent la peine d’être consultés sur ce sujet.

On peut dire que la déportation des Acadiens est, pour de multiples raisons, le thème le plus important de leur histoire. Déjà en 1900, on pouvait dénombrer près de 200 ouvrages publiés sur ce sujet. C’est à Émile Lauvrière que l’on doit l’ouvrage qui a le mieux évoqué l’intensité de cette tragédie : la Tragédie d’un peuple : histoire du peuple acadien, de ses origines à nos jours (3e éd., 2 vol., Paris, 1922). Dans un style coloré, l’auteur condamne sans appel les Britanniques. L’historien acadien Antoine Bernard, en particulier dans le Drame acadien depuis 1604 (Montréal, 1936), présente un jugement moins partisan. Arthur George Doughty est l’auteur du meilleur essai en anglais sur la question, The Acadians exiles : a chronicle of the land of Evangeline (Toronto et Glasgow, 1920). Très récemment, Jean-Paul Hautecœur, dans l’Acadie du discours : pour une sociologie de la culture acadienne (Québec, 1975), a étudié l’historiographie de la déportation des Acadiens. [n.e.s.g.]

 

Griffiths, N. E. S. Dean of arts, Carleton University, Ottawa, Ontario. 

 

N. E. S. Griffiths, « les Acadiens », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 (les Presses de l’univ. Laval, 1980)

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