TONGE, WILLIAM COTTNAM, fonctionnaire, juge de paix, juge, officier de milice et homme politique, né le 29 avril 1764 à Windsor, Nouvelle-Écosse, fils aîné de Winckworth Tonge* et de Martha Grace Cottnam ; le 18 février 1793, il épousa à Digby, Nouvelle-Écosse, Elizabeth Bonnell, et ils eurent deux fils et trois filles ; décédé le 6 août 1832 à Georgetown (Guyana).
Bien qu’il soit peu connu aujourd’hui, William Cottnam Tonge fut une figure dominante de la lutte qui opposa la chambre d’Assemblée au lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse au début du xixe siècle et il conserva pendant des décennies, même après sa mort, la réputation d’avoir été le « tribun du peuple ». Tonge était issu d’une grande famille établie en Nouvelle-Écosse depuis longtemps. Son père, venu dans la province en 1746 comme officier de l’armée britannique, était devenu un grand propriétaire terrien, un fonctionnaire de l’Empire britannique et un député influent. Sa mère était la petite-fille d’Edward How*, marchand prospère et membre du conseil qui, à Annapolis Royal, gouvernait la province avant la fondation de Halifax. Tonge lui-même, à titre d’intendant du commerce maritime pour la Nouvelle-Écosse, de juge de paix et de juge à la Cour inférieure des plaids communs dans le comté de Hants, faisait indiscutablement partie de la bureaucratie coloniale. Sa position sociale était si solide que, même pendant sa querelle avec le lieutenant-gouverneur sir John Wentworth*, il resta en bons termes avec l’élite civile et marchande de toute la province.
On sait peu de chose sur l’enfance de Tonge, sinon qu’il la passa probablement dans le vaste domaine de son père, près de Windsor. Selon des chroniqueurs de la fin du xixe siècle, il aurait fait ses études à Dublin, mais rien n’est venu corroborer cette assertion. Des sources plus récentes suggèrent qu’il reçut une formation d’attorney, mais il n’était pas membre du barreau de la Nouvelle-Écosse. Tonge commença sa carrière publique comme adjoint de son père, alors intendant provincial du commerce maritime, et comparut devant l’Assemblée en 1790 pour répondre à des plaintes sur l’administration de celui-ci. Lorsque son père mourut, deux ans plus tard, Tonge se vit confier le poste par Richard Bulkeley*, administrateur de la province. Le nouveau lieutenant-gouverneur, John Wentworth, encore à Londres, proposait de nommer plutôt un loyaliste comme lui-même, peut-être dans l’espoir de résoudre les problèmes du bureau de l’intendant en y donnant un grand coup de balai. Toutefois, Tonge savait se servir des appuis qu’il avait au sein de l’establishment britannique, très probablement grâce à un lointain parent, le duc de Macclesfield qui, en 1772, avait fait pression en faveur de la nomination de Winckworth Tonge en Nouvelle-Écosse. Wentworth échouait donc dans sa première tentative d’user de favoritisme pour placer ses partisans dans l’administration, comme il l’avait fait dans le New Hampshire. En outre, grâce à ses protecteurs anglais, Tonge échappait au pouvoir du nouveau lieutenant-gouverneur, ce qui ne manquait pas de susciter la méfiance de celui-ci.
À la fin des années 1790, Tonge se trouvait dans une situation financière difficile. Le grand domaine dont il avait hérité à la mort de son père était grevé de dettes, et il ne réussit pas mieux que celui-ci à le mettre en valeur à la manière anglaise, soit avec des fermiers. En 1795, une grande partie de la terre familiale située près de Windsor était déjà à vendre. En 1799, Tonge s’installait avec toute sa maisonnée à Halifax, où il avait obtenu de l’armée un contrat d’approvisionnement, probablement par l’entremise de son ami le duc de Kent [Edward* Augustus], commandant en chef des troupes de l’Amérique du Nord britannique.
Apparemment, la querelle qui opposait Tonge à Wentworth et qui allait dominer la scène publique pendant près d’une décennie prit naissance à la fin des années 1790. À plusieurs reprises, dans l’espoir de redresser sa situation financière, Tonge essaya d’obtenir la protection nécessaire pour participer à des projets gouvernementaux et se heurta au refus et à l’opposition de Wentworth qui, semble-t-il, s’attira ainsi son hostilité. Tel fut le cas lorsqu’il s’agit d’établir les Noirs marrons, rebelles jamaïcains déportés en Nouvelle-Écosse en 1796. Wentworth identifia en Tonge l’un des correspondants anonymes qui lui reprochaient de tenter d’installer les Jamaïcains dans des fermes proches de Halifax et affirma que celui-ci les avait soutenus quand ils avaient demandé d’être envoyés sous des cieux plus cléments. Pourtant, Tonge offrit d’employer quelques Noirs marrons dans ses domaines, où ils pourraient être approvisionnés par ses fermiers et ses amis. Cette formule aurait à la fois allégé le fardeau financier de Tonge et embarrassé Wentworth, qui avait reçu l’ordre de restreindre les fonds gouvernementaux affectés aux Noirs marrons. Tenant à son idée première, qui était de les établir à Preston, Wentworth refusa d’appuyer le projet de Tonge en alléguant que celui-ci ne cherchait qu’à éviter la faillite totale et que, de toute manière, dans sa situation, il ne pourrait pas le mener à terme. Déçu de voir cette porte se fermer, Tonge tenta d’obtenir un autre poste au gouvernement, apparemment celui de percepteur des impôts directs. L’opposition qu’il avait manifestée à la façon dont Wentworth entendait résoudre le problème des Noirs marrons lui coûta probablement sa nomination. En lui refusant le poste, le lieutenant-gouverneur aggrava l’inimitié qui régnait entre eux.
Les questions de favoritisme surgirent de nouveau lorsqu’en 1797 la promotion au grade de major dans la milice du comté de Hants échappa à Tonge. Négligeant le fait qu’il était le plus ancien des capitaines, Wentworth nomma John McMonagle, influent député de Windsor. Tonge, que le prince Edward Augustus avait déjà recommandé au grade de commandant de bataillon, pressa les autres officiers d’abandonner leur commission en raison de ce geste, qui allait à l’encontre de la tradition militaire, et aussi à cause de la façon dont Wentworth avait incorporé la milice pour pourvoir les ouvrages de défense de Halifax. En février 1798, voyant qu’il ne recevrait aucun appui, Tonge quitta la milice. Son attitude était particulièrement inquiétante pour Wentworth, qui n’avait pas oublié la déloyauté de la milice coloniale pendant la Révolution américaine. Dans ses comptes rendus de l’incident, le lieutenant-gouverneur employait déjà ce qui allait devenir un leitmotiv dans ses dénonciations de Tonge : les dangers que la conduite de l’intendant du commerce maritime présentait pour la paix et la sécurité de la Nouvelle-Écosse. En temps de guerre, concluait Wentworth, il fallait traiter pareils agitateurs avec sévérité « sans quoi, ce qui [était] aujourd’hui la violence d’un seul [pouvait] en ces temps devenir l’erreur et le malheur du grand nombre ».
L’animosité personnelle qui régnait entre Tonge et Wentworth trouva un exutoire dans le conflit constitutionnel qui déchirait le Parlement de la Nouvelle-Écosse. Dans l’ensemble, les sessions législatives des années 1790 avaient été harmonieuses, l’exécutif et l’Assemblée collaborant pour éliminer la lourde dette provinciale. Dès 1796, leurs mesures d’économie portèrent fruit. Puis, les revenus de la province augmentant grâce à la prospérité du temps de guerre, les députés se mirent à exiger que des fonds plus importants soient alloués aux travaux publics et surtout à la voirie. La construction de routes profitait aux régions rurales non seulement parce qu’elle améliorait l’accès aux marchés et ouvrait des terres à la colonisation, mais aussi parce qu’elle représentait une source stable de numéraire pour les habitants des campagnes. D’un autre côté, la plus grande part des revenus de la province provenait des droits de douane, qui pesaient surtout sur la communauté marchande de Halifax, dont les membres dominaient le conseil de la province. À mesure que les revenus de la province s’accroissaient, le conseil insistait pour réduire les droits de douane, ce qui rendait inévitable l’affrontement entre les deux corps législatifs. L’Assemblée tentait, d’obtenir plus de fonds pour la voirie en différant l’adoption des lois de finances, tandis que le conseil retardait ou modifiait l’affectation des crédits. D’ordinaire, un compromis survenait mais, peu à peu, l’Assemblée affirma son droit d’avoir le dernier mot en matière de finances. Wentworth était étroitement lié au conseil, dont il avait nommé une grande partie des membres et qui, en vertu de son pouvoir exécutif, lui servait de conseiller. Tonge, qui était entré à l’Assemblée en 1792 à titre de député du canton de Newport, joua un rôle de premier plan dans la campagne en faveur d’un plus grand droit de regard sur les finances. En 1799, il suscita la colère de Wentworth en dirigeant l’opposition contre l’affectation de crédits destinés à la construction de la résidence du lieutenant-gouverneur, que Wentworth réclamait depuis longtemps ; au cours des années suivantes, il allait continuer de contrer les projets de Wentworth.
La méfiance de Wentworth à l’endroit de Tonge s’accrut beaucoup pendant la campagne électorale de 1799. Sûr d’être réélu dans la circonscription de Hants, où il habitait, Tonge défia directement le lieutenant-gouverneur en se présentant aussi dans la circonscription de Halifax, dont les quatre sièges étaient auparavant occupés par des partisans de Wentworth. Dans une allusion moqueuse à la liste de candidats de ce dernier, il fit remarquer qu’il se présentait « seul [...], sans relations familiales, sans intérêt particulier ni influence autre que celle qui [lui venait] de l’opinion publique ». En fait, Tonge forma sa propre coalition en persuadant deux personnages importants dans le milieu rural, James Fulton du canton de Londonderry et Edward Mortimer* de Pictou, de se porter candidats avec lui dans la circonscription de Halifax. Il leur promit l’appui des amis qu’il avait dans la communauté marchande de la capitale, en échange de leur aide dans les districts ruraux. Les trois candidats purent compter sur des comités bien organisés qui tinrent pour eux des réunions dans l’ensemble de la circonscription. Ce fut une chaude campagne, marquée par des assemblées houleuses, et généreusement arrosée de rhum. À la clôture du scrutin, il s’avéra que Tonge s’était classé premier, suivi de Mortimer et de Fulton. Parmi les députés sortants, seul Charles Morris fut réélu. La véhémence avec laquelle Wentworth réagit montre à quel point lui-même et sa coterie étaient offensés ; la campagne de Tonge, disait-il, n’avait visé qu’à « troubler la paix et l’harmonie du pays par le recours aux ruses, mensonges et sottises employés dans les élections populaires ». Cependant, Wentworth surestimait peut-être l’influence de Tonge car, selon l’organisateur de Mortimer dans Pictou, les appuis qu’il avait promis à Halifax ne s’étaient pas manifestés.
Comme Tonge ne possédait pas le cens électoral dans la circonscription de Halifax, Michael Wallace, qui s’était classé cinquième au scrutin, contesta son élection dès la première séance de la nouvelle Assemblée. Wallace remporta d’ailleurs une écrasante victoire à l’élection partielle qui eut lieu par la suite. Le parti rural de Tonge n’en avait pas moins réussi à ébranler le lieutenant-gouverneur et ses partisans, que Fulton, reprenant le vocabulaire de l’histoire politique anglaise, appelait le parti « de la cour ». Même si, en raison de cette victoire, l’exécutif se trouva face à une Assemblée dotée d’une opposition plus organisée qu’elle ne devait l’être avant des décennies, il ne s’agissait nullement d’une opposition sous forme de partis politiques structurés. Ceux-ci étaient encore loin d’exister. Les députés formaient plutôt des alliances fragiles pour s’opposer à des mesures précises, et les alliés d’un jour pouvaient facilement devenir adversaires le lendemain.
Élu dans la circonscription de Hants, Tonge fut proposé comme président quand l’Assemblée se réunit, en février 1800. Il fut battu par le titulaire sortant, Richard John Uniacke père, mais son influence prévalut d’une session à l’autre. La question de savoir qui aurait le pouvoir sur les finances préoccupa grandement la huitième législature. Tant l’exécutif que la chambre cherchaient à avoir la haute main sur l’affectation des crédits et sur la nomination des commissaires de la voirie. Pour Wentworth, avoir cette autorité était l’occasion d’étendre son influence sur toute la province. Pour les députés, c’était aussi une question de survie politique, puisque cela leur permettrait de récompenser leurs amis avec de l’argent sonnant. En 1804, le conflit atteignit son paroxysme : Wentworth prit l’initiative sans précédent de déterminer les crédits de voirie et de proposer des commissaires qui relèveraient exclusivement de son autorité. Convaincue de son droit de gérer les fonds de voirie, l’Assemblée passa outre au budget de Wentworth et fixa ses propres crédits, qui furent à leur tour rejetés par le conseil. Wentworth prorogea alors la session sans que des crédits aient été adoptés.
Devant cette impasse, le lieutenant-gouverneur ne convoqua pas l’Assemblée avant la fin de novembre 1805, soit peu de temps avant l’expiration des projets de loi annuels de finances. À l’ouverture de la nouvelle session, Tonge fut élu président à la place d’Uniacke, qui avait démissionné. Il reconnut désirer depuis longtemps ce poste qui, en cette époque où les partis n’avaient pas encore de discipline rigide, faisait de son titulaire le véritable chef de l’Assemblée ; il promit d’ailleurs de défendre les droits que cet organisme avait déjà acquis. Pareille déclaration parut peut-être douteuse à Wentworth, mais la session se déroula dans le calme : l’Assemblée adopta les crédits de l’année précédente après un minimum de débats et accepta telles quelles les propositions du lieutenant-gouverneur sur les dépenses de voirie. Une controverse ne survint qu’à la fin de la session, à cause d’un retard dans l’adoption du projet de loi des finances. Au cours des deux semaines qui s’écoulèrent entre l’expiration de l’ancienne loi et l’adoption de la nouvelle en janvier 1806, huit navires furent déchargés et leurs cargaisons vendues en franchise, ce qui représentait en termes de revenus annuels une lourde perte pour la province. Il semble que Tonge retarda délibérément le projet de loi d’un jour supplémentaire pour permettre à l’un de ses amis d’écouler une cargaison avant que Wentworth n’ait pu apposer sa signature sur le projet. Ce geste constituant une violation évidente de la procédure parlementaire, l’Assemblée envoya Tonge expliquer le retard à Wentworth en compagnie de trois députés.
La conduite discutable de Tonge et le fait qu’il ne paraissait pas avoir l’appui de ses collègues amenèrent Wentworth à dissoudre l’Assemblée en mai, soit un an avant la date prévue. Tonge remporta de nouveau la victoire dans la circonscription de Hants et fut réélu président à l’ouverture de la nouvelle session en novembre. Déterminé à se montrer plus combatif qu’auparavant, Wentworth rejeta l’élection de Tonge au poste de président à cause de ses manœuvres antérieures d’obstruction et parce qu’il n’avait obtenu qu’une voix de majorité. Désuète en Angleterre, cette prérogative royale n’avait jamais été appliquée en Nouvelle-Écosse. Cependant, dans la politique coloniale américaine, d’où Wentworth tirait ses précédents, le rejet d’un président de la chambre par un gouverneur était moins répréhensible. Les députés débattirent la question pendant deux jours et allèrent jusqu’à établir un relevé des précédents parlementaires qui allaient à l’encontre de l’initiative de Wentworth. Toutefois, Tonge ne put rassembler assez de partisans pour faire valoir davantage ce point constitutionnel et, le 20 novembre, l’Assemblée soumit le nom d’un nouveau président, Lewis Morris Wilkins*, à l’approbation de Wentworth.
Les événements de la session de 1806 laissent supposer que l’influence de Tonge avait vraiment décliné. Non seulement l’Assemblée accepta-t-elle que Wentworth rejette le président qu’elle s’était choisi, mais il semble que la plupart des députés se concertèrent pour éviter tout conflit avec le lieutenant-gouverneur et le conseil. Seuls quelques-uns des partisans irréductibles de Tonge, comme Mortimer, William Lawson* et William Hersey Otis Haliburton, se rangèrent de son côté lorsqu’il proposa d’augmenter les crédits de voirie et de réunir l’affectation des crédits en un seul projet de loi ; pourtant, au cours des sessions précédentes, ces mesures avaient été la pierre de touche de la campagne menée par la chambre pour avoir la haute main sur les finances. Tonge continua de siéger dans de nombreux comités, mais la session s’acheva sans controverse majeure.
Depuis longtemps, les lettres que Wentworth adressait aux fonctionnaires de Londres étaient remplies d’accusations contre Tonge. Exploitant la rhétorique de la réaction conservatrice à la Révolution française, il montait en épingle les aspects des activités de Tonge qui inquiéteraient le plus les autorités britanniques. Dans les années 1790, Wentworth l’avait surnommé le petit abbé Sieyès et le Néo-Écossais uni (laissant entendre qu’il avait des liens avec la Society of United Irishmen). L’opposition de Tonge à l’exécutif, insinuait-il, pouvait susciter un vaste mouvement de désaffection, et ce jusque dans les rangs de l’armée et de la marine, où Tonge avait de nombreux amis qui assistaient d’ailleurs aux débats de l’Assemblée. Au dire de Wentworth, l’attitude de Tonge était d’autant plus répréhensible que, en tant que fonctionnaire, il aurait plutôt dû soutenir les actions du gouvernement, surtout pendant la période critique de la guerre. Pareille conduite, concluait-il, pouvait miner l’autorité britannique en Nouvelle-Écosse.
Le lieutenant-gouverneur voyait à ce problème une solution toute simple : infliger à Tonge une correction publique en lui retirant son poste d’intendant du commerce maritime. Il y fit allusion pour la première fois en 1799 et y revint fréquemment dans ses imprécations contre lui. Le silence que les fonctionnaires londoniens observèrent pendant de nombreuses années suggère qu’ils voyaient là une querelle de politique locale et un conflit de personnalités ; c’était là une attitude que, par la suite, Tonge allait encourager. Cependant, dès 1806, la véhémence des arguments de Wentworth et le désordre évident dont souffraient les affaires publiques de la province finirent apparemment par produire quelque effet et, en mai, les fonctionnaires britanniques reconnurent à Wentworth le pouvoir de démettre Tonge de ses fonctions. À la fin de février 1807, peu après que l’Assemblée eut été ajournée pour l’année, l’intendant du commerce maritime, de retour d’un voyage dans l’est de la Nouvelle-Écosse, apprit par les journaux qu’il était expulsé de son poste.
Même s’ils étaient en conflit depuis des années, Tonge n’avait jamais, semble-t-il, envisagé que Wentworth aurait pu le renvoyer, et il lança dans les mois qui suivirent une campagne énergique pour réintégrer ses fonctions. Un groupe d’importants armateurs haligoniens envoyèrent à Londres une pétition en sa faveur ; il était, affirmaient-ils, un « sujet loyal et [un] homme intègre ». Dans les comtés d’Annapolis et de Hants, où sa famille était étroitement liée à des citoyens en vue, on convoqua des assemblées publiques pour rédiger à l’intention du roi des pétitions condamnant les gestes de Wentworth. Sans tarder, le lieutenant-gouverneur annula les assemblées en les qualifiant d’illégales et de provocatrices. Tonge se livra sans réserve à tous les jeux d’influence qu’offrait le système de l’époque pour amener son cas devant les plus hautes instances de Grande-Bretagne. Il se tourna vers les gens qu’il connaissait bien en Angleterre, notamment le duc de Kent, en leur demandant de l’aider à obtenir une enquête officielle sur les accusations qui pouvaient peser sur lui. Il trouva à Londres un autre allié important en la personne du dernier gouverneur de la colonie du New Jersey, William Franklin, ami intime de son beau-père qui était loyaliste. Faisant valoir que Tonge était un personnage public influent, Franklin transmit cette requête au secrétaire d’État aux Colonies, le vicomte Castlereagh, pour qu’il la soumette au roi. Malgré le prestige de ses partisans, ces démarches furent vaines. Même si aucune accusation précise n’avait été portée contre lui, Tonge ne réintégra pas son poste. Estimant qu’il ne fallait pas ébranler l’autorité de l’exécutif, le gouvernement britannique préféra ne pas intervenir.
Tonge n’en demeura pas moins un personnage important sur la scène publique de Halifax. Dès octobre 1807, il était un conseiller écouté du nouveau commandant en chef, le major général John Skerrett*, à qui il remit sur l’état de la défense en Nouvelle-Écosse une analyse détaillée où il accusait Wentworth d’avoir négligé la milice. Skerrett, doutant lui-même de l’efficacité de la milice, expédia le mémoire de Tonge à Castlereagh en vantant le souci de l’intérêt public qui avait présidé à sa rédaction. En outre, Tonge était probablement l’auteur d’une lettre anonyme que reçut Castlereagh et qui condamnait avec véhémence le gouvernement de Wentworth en le disant marqué par le népotisme et la spéculation financière. Ami du vice-amiral George Cranfield Berkeley*, Tonge fut probablement à l’origine de la proposition par laquelle l’Assemblée décida de présenter ses hommages au vice-amiral et de lui remettre un service en argent quand il quitta la Nouvelle-Écosse en 1807. Une chose est certaine, c’est que Wentworth, se méfiant de l’attitude belliqueuse de Berkeley envers les États-Unis, blâma Tonge d’avoir pris l’initiative de la proposition et refusa de débloquer les fonds nécessaires à l’achat du cadeau.
Devant le conflit permanent qui opposait Wentworth à l’Assemblée et les tensions croissantes qui se manifestaient entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, le gouvernement impérial décida de remplacer Wentworth, qui prenait d’ailleurs de l’âge, par un nouveau lieutenant-gouverneur, le lieutenant général sir George Prévost*. Ce dernier débarqua à Halifax au début d’avril 1808, avant même que Wentworth n’ait été officiellement avisé de sa nomination. On raconte que Tonge fut l’un des premiers à apprendre l’arrivée de Prévost et partit sans tarder pour la maison de campagne de Wentworth afin de dire à son vieil adversaire qu’il avait « le plaisir de [lui] annoncer l’arrivée d’un nouveau gouverneur ». La dernière querelle mettant Wentworth et Tonge en cause eut lieu pendant la session de 1808, où Tonge fit systématiquement obstruction à l’Assemblée pendant une journée pour que toute description positive du gouvernement de Wentworth soit rayée de l’adresse de la chambre au lieutenant-gouverneur sortant.
Grâce à ses affinités avec les militaires, Tonge fut d’un grand secours à Prévost. Il le conseilla sur la défense de la province et Prévost s’intéressa à la lutte qu’il livrait pour réintégrer son poste. Tonge prétendait que le lieutenant-gouverneur projetait de l’envoyer en mission secrète aux États-Unis mais, selon les sources, le seul Néo-Écossais que Prévost envoya dans ce pays pour y observer la situation fut John Howe. À la fin de 1808, Prévost nomma Tonge commissaire général adjoint de son expédition militaire aux Antilles. Tonge ne revint jamais en Nouvelle-Écosse.
La carrière de Tonge aux Antilles dura presque deux décennies et rappelle par bien des points celle qu’il eut en Nouvelle-Écosse. Il fut douanier au bureau des douanes de la Martinique pendant plusieurs années, mais il fut congédié à la suite d’une querelle qui l’opposa au vice-amiral sir Alexander Forrester Inglis Cochrane. À la fin de 1815, on le trouve établi à Georgetown, sous la protection du lieutenant-gouverneur John Murray, un vieil ami militaire. Murray le nomma secrétaire adjoint au gouvernement, surintendant des pilotes et drossard (titre de shérif). En 1821, malgré le soutien de Murray, Tonge perdit ces trois postes pour avoir dirigé une campagne contre un juge impopulaire à qui l’on reprochait de demander des honoraires excessifs.
On sait peu de chose des dernières années de Tonge. Après son départ de la Nouvelle-Écosse, sa mère avait pris ses enfants en charge ; en effet, sa femme était morte en mai 1805, probablement en couches. L’aîné, Bonnell, fit son apprentissage auprès d’un oncle paternel, avocat important à la Jamaïque et, dès 1820, il s’installa chez son père. En 1825, la fille de Tonge, Grizelda Elizabeth Cottnam, le « chantre de l’Acadie », mourut en leur rendant visite à Georgetown. La nouvelle de sa mort est la dernière allusion qui soit faite à Tonge dans les documents néo-écossais.
Comme Tonge a laissé peu de documents personnels, il est difficile d’analyser en détail sa personnalité et les motifs de ses actes. La description la plus complète de ses activités se trouve dans la correspondance de Wentworth, qui n’est évidemment pas une source objective. Une lettre écrite pendant la campagne de 1799 offre un rare aperçu de la philosophie politique de Tonge et servit peut-être d’orientation au parti rural auquel il était associé. « Dès mon entrée dans la vie, déclarait-il, j’ai acquis la ferme conviction que les meilleurs promoteurs du bien-être de la province seraient ceux qui y avaient le plus d’intérêt (bien que leurs aptitudes soient peut-être moindres), et que, pour représenter le peuple, nul ne convenait mieux et n’était plus digne de confiance que ceux qui, résidant parmi le peuple, étaient liés par les mêmes intérêts que lui et connaissaient sa situation, ses difficultés, ses objectifs et ses sentiments. » En raison de ses qualités d’argumentateur et de son amère querelle avec Wentworth, Tonge était le rassembleur naturel des éléments diversifiés qui composaient le parti rural et qui se rejoignaient surtout par leur méfiance envers les gens en place à Halifax et la domination qu’ils exerçaient sur la vie politique et économique de la Nouvelle-Écosse. Tant des loyalistes que des non-loyalistes l’appuyaient quand des questions reliées à leurs préoccupations et à celles de leurs électeurs étaient en jeu. Cependant, comme dans les autres colonies d’Amérique du Nord à l’époque, l’opposition au pouvoir exécutif continuait de reposer davantage sur des questions d’intérêts personnels et de personnalité que sur une pensée politique cohérente.
En dépit des accusations de Wentworth, peu d’indices suggèrent que Tonge visait des modifications essentielles à la constitution néo-écossaise. Le lieutenant-gouverneur prétendait bien que Tonge prônait la formation d’un Conseil législatif électif, mais il n’existe. aucune autre mention d’innovation politique véritable, et cette proposition, normale à une époque de conflits entre les organismes élus et nommés, ne donna jamais lieu à des discussions importantes. Le combat politique que connaissait la Nouvelle-Écosse était une manifestation de la dissension assez courante qui opposait d’une part une Assemblée élue cherchant à affirmer son rôle dans le gouvernement et, d’autre part, un conservateur, partisan du statu quo dans les colonies. L’antipathie entre Tonge et Wentworth alimenta cette discorde, et le fait que le ton se calma après qu’ils eurent quitté la scène politique néo-écossaise confirme que la lutte constitutionnelle avait surtout pris racine dans leur aversion mutuelle. Néanmoins, en usant adroitement des tactiques parlementaires pour poursuivre son combat et en soutenant avec ténacité les droits de l’Assemblée, Tonge se tailla une place durable dans l’histoire législative de la province.
La personnalité de William Cottnam Tonge demeure une énigme. Ses nombreuses victoires électorales indiquent qu’il était populaire et savait faire campagne : au cours de sa carrière, il fut toujours élu sans concurrent, sauf en deux occasions. Bien qu’il ait été, au dire de tous, un homme charmant et sympathique, il abandonna ses jeunes enfants qui, pendant des années, n’entendirent parler de lui qu’au hasard des nouvelles venant des Antilles. Les générations suivantes allaient se rappeler ses brillants discours, son imprévoyance et ses imprudences. Le mot de la fin revient à Joseph Howe*, qui concluait ainsi son récit de la carrière de Tonge : « J’ai souvent souhaité avoir vu Tonge, et tous ceux qui ont tenté de me le décrire étaient unanimes à dire que cela valait la peine de le rencontrer. »
L’auteur tient à remercier Brian C. Cuthbertson pour son aide quand il a fallu démêler la suite des événements du conflit militaire et pour ses commentaires sur les relations existant entre Tonge et Wentworth, et Seepersaud Singh, de Georgetown, Guyane, qui a localisé l’acte de sépulture de Tonge. [j. t.]
APC, MG 24, F1, 4.— Harvard College Library, Houghton Library, Harvard Univ. (Cambridge, Mass.), ms Can. 58 (papiers Joseph Howe) (mfm aux PANS).— PANS, MG 1, 472–474A ; 731A ; 950 ; MG 20, 675, no 11 ; RG 1, 33, 50–54, 58, 60–63, 137–141, 171–172, 224–227, 287–288, 302–305, 525 ; RG 5, A, 13 ; RG 22, 27, part. 2.— PRO, CO 111/29–39 ; 217/35–37 ; 217/62–98.— Royal Arch., Windsor Castle (Windsor, Angl.), Add 7/356 : 372 (copie à Canada, Parcs Canada, Halifax Defence Complex, Halifax).— UCC-M, James MacGregor papers.— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1790–1809.— Weekly Chronicle, 23 oct. 1799.— Directory of N.S. MLAs.— J. M. Beck, The government of Nova Scotia (Toronto, 1957).— J. G. Marshall, A brief history of public proceedings and events, legal, – parliamentary, – and miscellaneous, in the province of Nova Scotia, during the earliest years of the present century (Halifax, [1878]).— Murdoch, Hist. of N.S., 3.— [A. G.] Archibald, « Life of Sir John Wentworth, governor of Nova Scotia, 1792–1808 », N.S. Hist. Soc., Coll., 20 (1921) : 43–109.— Margaret Ells, « Governor Wentworth’s patronage », N.S. Hist. Soc., Coll., 25 (1942) : 49–73.— Israel Longworth, « Hon. Simon Bradstreet Robie : a biography », N.S. Hist. Soc., Coll., 20 : 1–15.— W. L. Morton, « The local executive in the British Empire, 1763–1828 », English Hist. Rev. (Londres), 78 (1963) : 436–457.
Judith Tulloch, « TONGE, WILLIAM COTTNAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tonge_william_cottnam_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/tonge_william_cottnam_6F.html |
Auteur de l'article: | Judith Tulloch |
Titre de l'article: | TONGE, WILLIAM COTTNAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |