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LETT, STEPHEN, médecin, surintendant d’asile et auteur, né le 4 avril 1847 à Callan (république d’Irlande), fils du révérend Stephen Lett et de Harriette Samson ; en 1874, il épousa à Amherstburg, Ontario, Annie McLeod, et ils eurent un fils et une fille ; décédé le 11 octobre 1905 à Guelph, Ontario.
Né dans une respectable famille anglo-irlandaise, Stephen Lett reçut un enseignement privé puis fréquenta l’Upper Canada College de Toronto. On sait peu de chose sur les débuts de sa vie professionnelle, sauf qu’il entra dans la milice en 1862 et servit à Port Colborne, à Welland et au fort Erie (Fort Erie) au cours des raids féniens de 1866 [V. John O’Neill*]. Il quitta la milice en 1870 et, après quelques mois de stage dans un cabinet de médecin, devint membre du College of Physicians and Surgeons of Ontario. En septembre de la même année, on le nomma médecin assistant au Malden Lunatic Asylum d’Amherstburg, probablement sur l’ordre de John Woodburn Langmuir*, l’inspecteur des prisons, asiles et établissements publics de charité de la province, qui avait aussi servi pendant les raids féniens. Quand on intégra le Malden Asylum à l’asile régional qui ouvrit ses portes à London vers la fin de 1870, Lett accompagna son supérieur, Henry Landor, au nouvel établissement.
Lett apprit aux côtés de Landor la thérapeutique qui s’était imposée au milieu du xixe siècle, soit le « traitement moral ». Régime sain, repos, occupations et distractions, combinés à l’usage judicieux d’appareils de contention et de sédatifs à base d’alcool, étaient considérés comme les meilleurs moyens d’apaiser les comportements maniaques ou hystériques. À la mort de Landor, en 1877, Lett sollicita le poste de surintendant médical, auquel il se préparait depuis sept ans. Toutefois, on lui préféra le docteur Richard Maurice Bucke, du Hamilton Asylum for the Insane, qui s’était un jour montré si arrogant envers lui et Landor que ce dernier avait menacé de démissionner. Le protecteur de Bucke, Timothy Blair Pardee*, commissaire des Terres de la couronne, avait préséance sur Langmuir, protecteur de Lett. Il n’est pas étonnant que Lett, homme susceptible et rancunier, ait été incapable d’établir de bonnes relations de travail avec l’excentrique et moralisateur docteur Bucke. À peine Bucke était-il en fonction depuis deux mois que sa famille et celle de Lett, qui résidaient toutes deux à l’asile, se faisaient la guerre. Langmuir décida donc de muter Lett à l’asile provincial des aliénés à Toronto [V. Daniel Clark*].
Lett profita de l’occasion pour parfaire sa formation médicale à la University of Toronto : en 1878, il obtint son baccalauréat, et en 1879, son doctorat. En juin 1883, il passa à l’asile de Hamilton à titre de médecin assistant. Charles Kirk Clarke*, qui y avait travaillé en 1880, a qualifié de « cauchemar » son expérience dans cet établissement. « Le personnel, disait-il, était une canaille exaspérante et, dans bien des cas, immorale et impossible à maîtriser. » À ce stade de leur carrière, Clarke et Lett connurent bien des difficultés semblables. Comme les asiles accueillaient de plus en plus de malades, les médecins assistants, dont relevait l’administration courante des salles, augmentaient en nombre. Souvent, les promotions étaient impossibles, faute de surintendances ; pour obtenir de l’avancement, il fallait ouvrir de petits asiles privés. Telle fut la voie que choisit Stephen Lett. Quand Langmuir quitta la fonction publique, il l’invita à participer à la fondation de la Homewood Retreat, à Guelph, avec lui-même et, entre autres, Edmund Allen Meredith*, et il lui offrit le poste de surintendant médical. L’établissement, qui ouvrit ses portes en janvier 1884, est aujourd’hui l’asile privé le plus ancien et le plus grand du Canada où l’on traite les maladies mentales, les désordres nerveux, l’alcoolisme et la toxicomanie.
À ses débuts, la Homewood Retreat se trouvait dans une piètre situation financière. Lett était un bon aliéniste mais un médiocre administrateur. Il ne parvint jamais à secouer le joug de ses collègues du conseil d’administration, qui réduisirent son salaire pendant les années de vaches maigres. Il n’arriva jamais non plus à imposer son autorité aux employés. Ainsi, en 1889, lorsqu’il découvrit que l’intendante, Alice Finch, fournissait de l’alcool et des drogues aux patients masculins, il se contenta de noter la chose en morse dans son journal personnel. Sa passivité provenait peut-être en partie des troubles neurologiques à caractère chronique qui l’amenèrent à prendre sa retraite en 1901. Le fait qu’il se soit bien entendu avec un homme aussi autoritaire que Langmuir pourrait indiquer que son caractère était trop malléable pour qu’il soit apte à exercer une surintendance.
Cela dit, Lett fut un auteur de talent. Il publia des écrits sur la masturbation, l’alcoolisme, la toxicomanie et la « manie » dans l’espoir de se faire une réputation et d’attirer ainsi, à la Homewood Retreat, un grand nombre des alcooliques et toxicomanes dont, affirmait-il, « le Canada et les États-Unis regorge[aient] ». Il écrivit, sur le traitement des « ivrognes », plusieurs articles qui parurent dans des journaux de Guelph, de Toronto et d’Ottawa ainsi que dans des revues spécialisées comme le Canada Lancet, le Quarterly Journal of Inebriety et le Journal de l’American Medical Association. Le discours qu’il prononça en 1897 devant la British Society for the Study and Cure of Inebriety, organisme prestigieux qui l’élut parmi ses membres, dut être l’un des grands moments de sa carrière. Par la suite, le conseil d’administration de la Homewood Retreat publia sa communication sous le titre de « Why do men drink ? » et en distribua 4 000 exemplaires aux médecins généralistes de toute l’Amérique du Nord.
La description que Lett a faite du cocaïnomane dans un autre article illustre la qualité de son style : « La nutrition devient vite déficiente, l’émaciation et l’anémie suivent ; yeux enfoncés et entourés d’une auréole sombre, pommettes saillantes, et pâleur générale font du sujet un spectacle des plus affreux. À mesure que la chronicité du mal augmente, des symptômes mentaux sous forme d’hallucinations et d’illusions surviennent. Les personnes vues ou entendues de loin sont interprétées comme des bandes d’ennemis en train de comploter un vol, des voies de fait ou un meurtre, et il s’ensuit que le patient formule des plaintes et lance des accusations contre des gens innocents. »
Dans la philosophie thérapeutique de Lett, la dépendance était une maladie plutôt qu’un vice et devait être traitée comme telle. Pour lui, boire exagérément était une mauvaise habitude qu’il fallait réprimer par la loi, mais l’alcoolisme confirmé était une maladie qui nécessitait un long traitement dans un établissement de santé. Convaincu de l’existence d’une forte prédisposition héréditaire à l’alcoolisme, il refusait de rendre les alcooliques responsables de leur état. D’ailleurs, il croyait en l’importance de l’hérédité dans toutes les névroses et psychoses.
Stephen Lett fut le premier Canadien à se faire connaître comme spécialiste de la toxicomanie (l’opium était la drogue la plus répandue au xixe siècle). Contrairement au spécialiste britannique Norman Shanks Kerr, qui prescrivait la privation radicale, et au médecin américain Jansen Beemer Mattison, qui préconisait un sevrage très bref, il préférait réduire graduellement « la quantité [d’opiat] de fractions de grain à chaque dose ». Après des semaines, sinon des mois, ses patients en arrivaient à prendre seulement 1/6000e de grain toutes les 24 heures. Lett estimait que cette thérapie, qui nécessitait une longue hospitalisation, était la moins dure pour les toxicomanes aux points de vue physiologique et mental. Pendant leur séjour, il les soutenait avec des toniques, des bromures et du Cannabis Indica (marijuana). Sa méthode était empreinte de compassion et ne s’inspirait pas des préjugés qui coloraient d’autres traitements, plus punitifs, de la toxicomanie.
Stephen Lett est l’auteur de « The relationship of insanity to masturbation », Canada Lancet (Toronto), 19 (1886–1887) : 360–363, et d’un certain nombre d’articles sur l’accoutumance, dont « Treatment of the opium neurosis », American Medical Assoc., Journal (Chicago), 17 (juill.–déc. 1891) : 828–833 ; « Why do men drink ? » Quarterly Journal of lnebriety, (Hartford, Conn.), 19 (1897) : 264–269 ; et « Cocaine addiction and its diagnosis », Canada Lancet, 31 (1898–1899) : 829–832.
Des photographies du docteur Lett et de Homewood Retreat (Guelph, Ontario), prises dans les années 1890 et conservées au Homewood Sanitarium, sont reproduites dans l’article de C. L. Krasnick, « The aristocratic vice : the medical treatment of drug addiction at the Homewood Retreat, 1883–1900 », OH, 75 (1983) : 403–427.
AO, F 1398, et plus particulièrement le journal (1889) du surintendant médical et ses rapports de 1890 et 1896 ; RG 22, Ser. 318, no 5535 ; RG 63, A-1, 230, dossier 6598, Landor à Langmuir, 19 mars, 24 juill. 1876 ; Langmuir à Lett, 9 janv., 25 avril 1877 ; Bucke à Langmuir, 29 mars 1877 ; RG 80-5, no 1874-001307.— Globe, 12 oct. 1905.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— J. D. Griffin et Cyril Greenland, « Psychiatry in Ontario in 1880 : some personalities and problems », Ontario Medical Rev. (Toronto), 47 (1980) : 271–274.— C. [L.] Krasnick Warsh, Moments of unreason : the practice of Canadian psychiatry and the Homewood Retreat, 1883–1923 (Montréal et Kingston, Ontario, 1989).
Cheryl Krasnick Warsh, « LETT, STEPHEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lett_stephen_13F.html.
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Auteur de l'article: | Cheryl Krasnick Warsh |
Titre de l'article: | LETT, STEPHEN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |