JOYBERT DE SOULANGES ET DE MARSON, LOUISE-ÉLISABETH DE (Rigaud de Vaudreuil, marquise de Vaudreuil) (elle signait Louise Élisabeth de Joybert avant son mariage et Joybert de Vaudreuil après), épouse de Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France ; mère de 11 enfants dont , qui fut le dernier gouverneur de la Nouvelle-France et le premier Canadien de naissance à occuper ce poste, et François-Pierre*, qui fut gouverneur de Montréal de 1757 à 1760 ; sous-gouvernante des enfants du duc de Berry ; née à Jemseg en Acadie le 18 août 1673 ; décédée à Paris en janvier 1740.

Elle était la fille de Pierre de Joybert* de Soulanges et de Marson, officier dans le régiment de Carignan-Salières et plus tard seigneur et administrateur en Acadie. Sa mère était Marie-Françoise Chartier, fille de Louis-Théandre Chartier* de Lotbinière, lieutenant général de la Prévôté de Québec. Après la mort de son mari en 1678, Mme de Joybert vint s’installer à Québec avec son fils et sa fille. Son mari l’avait laissée à peu près sans ressources mais heureusement le gouvernement lui vint en aide en lui accordant une pension de 300#.

Louise-Élisabeth fit ses études au couvent des Ursulines à Québec. Le 21 novembre 1690, toujours à Québec, elle épousait Philippe de Rigaud de Vaudreuil, commandant des troupes canadiennes. Le contrat de mariage garantissait une dot de 12 000# au marié, lequel reçut une somme de 5 000# de sa belle-mère. En 1703, on hésita à nommer Vaudreuil gouverneur de la Nouvelle-France à cause de ce mariage, car on craignait que les attaches qu’il avait dans la colonie et les nombreuses relations familiales de sa femme ne l’empêchent de gouverner avec impartialité.

En 1709, Mme de Vaudreuil s’embarqua pour la France sur la Bellone en dépit des périls de la navigation en temps de guerre et du peu de sûreté qu’offrait ce navire marchand de 120 tonneaux. Son départ précipité s’explique apparemment par les multiples difficultés que rencontrait son mari tant dans sa vie privée que dans sa vie publique. La guerre de Succession d’Espagne entrait dans sa phase cruciale et il fallait des troupes plus nombreuses et mieux pourvues dans la colonie pour parer à une éventuelle attaque des Anglais. Les relations entre le gouverneur et les intendants Jacques et Antoine-Denis Raudot se détérioraient, et les critiques que ceux-ci formulaient au sujet de son administration pouvaient lui nuire auprès du ministre. En outre, des poursuites avaient été intentées relativement aux domaines de Vaudreuil en Languedoc, et il fallait aussi s’occuper de la carrière des fils aînés. Pour toutes ces raisons Vaudreuil avait besoin d’une personne à Versailles qui pût surveiller ses intérêts, expliquer sa politique au ministre et la défendre au besoin. Si l’on considère qu’en Nouvelle-France les femmes jouaient un rôle actif dans la société, on n’est pas surpris que Vaudreuil ait choisi sa femme pour s’acquitter de cette tâche.

Mme de Vaudreuil réussit très bien à Versailles. Elle gagna rapidement l’amitié de Jérôme de Pontchartrain [Phélypeaux], le ministre de la Marine ; cet homme puissant prit dès lors beaucoup d’intérêt au sort de la famille de Vaudreuil. En 1712, la marquise fut nommée sous-gouvernante des enfants du duc de Berry, le troisième fils du Grand Dauphin, et son mari fut fait commandeur de l’ordre de Saint-Louis la même année. Ses fils reçurent des promotions dans l’armée et dans la marine. En outre, elle se servit avec intelligence de son influence dans le domaine politique, en recommandant la nomination et la promotion de différents Canadiens et en groupant ainsi autour d’elle et de son mari toute une clientèle de protégés. En dernier lieu, elle obtint la permission d’examiner les plaintes que Pontchartrain avait reçues contre Vaudreuil et fut alors en mesure d’identifier les ennemis de son mari et de démasquer les complots et les intrigues que l’on ourdissait contre lui.

C’est avec une colère impuissante que les anciens ennemis du gouverneur la voyaient consolider la position de son mari. « Elle dispose de tous les emplois du Canada », écrivit Ruette d’Auteuil, depuis longtemps la bête noire de Vaudreuil, « elle écrit de toutes parts dans les ports de mer des lettres magnifiques du bien et du mal qu’elle peut faire auprès de lui [Pontchartrain], elle offre sa faveur, elle menace de son crédit ; ce qu’il y a de plus certain [...] c’est qu’elle imprime beaucoup de terreur et qu’elle impose silence à la plupart de ceux qui pourraient parler contre son mari ». Denis Riverin, un autre mécontent, se plaignait en ces termes : « À présent, tout est avily, et ce n’est plus qu’une femme qui règne tant présente qu’absente. »

La marquise revint dans la colonie en 1721, Sa situation avait beaucoup changé depuis le jour où, coloniale à peu près inconnue, elle était débarquée en France en 1709. Grande dame, elle fit le voyage de retour à bord du vaisseau du roi dans le confort du logement du capitaine avec deux de ses filles, leur gouvernante et une femme de chambre. Son comportement avait également évolué au cours des ans : ceux qui l’avaient connue auparavant avaient loué sa modestie ; maintenant, selon l’évêque de Québec, son maintien dénotait une personne importante et puissante.

Elle retourna en France pour un bref séjour en 1723 lorsque le nouveau ministre, Jean-Frédéric de Maurepas [Phélypeaux], remplaça le Conseil de Marine qui avait administré les colonies depuis la mort de Louis XIV. Apparemment elle voulait s’assurer que sa famille n’aurait pas à souffrir du changement de régime. Elle revint dans la colonie l’année suivante, puis retourna en France définitivement à l’automne de 1725, peu après la mort de son mari.

Mme de Vaudreuil s’installa à Paris où habitaient déjà sa mère et trois de ses fils. Son mari lui avait laissé peu de fortune, mais le gouvernement lui versa une pension de 3 000# et loua sa maison à Montréal pour la somme de 1 500#. Grâce à ce revenu et à d’autres rentes qui lui venaient des domaines du Languedoc, il semble qu’elle ait vécu dans un certain confort avec deux de ses filles qui ne s’étaient pas mariées. Elle garda des relations avec ses amis du Canada et continua de s’intéresser activement à la carrière de ses fils. Elle mourut en janvier 1740 après une brève maladie.

Intelligente et extrêmement ambitieuse, elle avait consacré toute son énergie à servir les intérêts de sa famille ; Vaudreuil et ses fils lui doivent en partie le succès de leur carrière.

Yves F. Zoltvany

Archives de la Haute-Garonne (Toulouse), Commune de Revel, BB.13 (administration communale).— AJQ, Greffe de François Genaple, 19 nov. 1690.— AN, Col., B, 27, 32, 34, 44, 55 ; Col., C11A, 21–49 ; Col., D2D, 1 ; Marine, B1, B2, C7.— Correspondance de Vaudreuil, RAPQ, 1942–43 ; 1946–47.— Juchereau, Annales (Jamet), 346, 399s.— Lettres et mémoires de Ruette d’Auteuil, RAPQ, 1922–23 : 50.— [Louis de Rouvroy de Saint-Simon], Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence (21 vol., Paris, 1929), X : 399— G. Frégault, Le grand marquis, Pierre de Rigaud de Vaudreuil et la Louisiane (Montréal, 1952).— F. H Hammang, The Marquis de Vaudreuil ; New France at the beginning of the eighteenth century (Bruges, 1938).— P.-G. Roy, La famille de Rigaud de Vaudreuil (Lévis, 1938) ; La ville de Québec, II : 24s.— Les Ursulines de Québec (1863–1866), I : 484.— G. Frégault, Politique et politiciens au début du siècle, Écrits du Canada français, XI (1961) : 91–208 ; Un cadet de Gascogne : Philippe de Rigaud de Vaudreuil, RHAF, V (1951–52) : 15–44.— Henri Têtu, Le chapitre de la cathédrale de Québec et ses délégués en France (1723–1773), BRH, XVI (1910) : 194, 232, 269s.

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Yves F. Zoltvany, « JOYBERT DE SOULANGES ET DE MARSON, LOUISE-ÉLISABETH DE, marquise de VAUDREUIL (Rigaud de Vaudreuil) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/joybert_de_soulanges_et_de_marson_louise_elisabeth_de_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    20 nov. 2024