SULLIVAN, TIMOTHY, dit Timothée Silvain, médecin du roi, né en 1690 ou 1696, fils de Daniel Sullivan, médecin de Cork (république d’Irlande), et de Mary Elizabeth MacCarthy, décédé le 16 juin 1749 à Montréal.
D’après divers récits, Timothy Sullivan aurait vécu au Canada à partir de 1717. L’unique source de renseignements sur sa carrière avant cette date est constituée par un document contradictoire et invraisemblable découvert par l’abbé Cyprien Tanguay*. Il est probable que Sullivan fut l’auteur de cette lettre fantaisiste lui donnant des titres de noblesse.
D’après cette lettre, prétendument écrite à Paris en 1736 par plusieurs pairs irlandais, Timothy Sullivan aurait été le « fils de M. Cornelius Daniel O’Sullivan, Comte de Killarney [...] et Lieutenant Général des Armées du Roy Jacques II » et il aurait « servi [...] en qualité de Capitaine de Dragons pendant seize ans en Espagne [...] Etant parti d’Espagne en mil sept cent seize par Ordre de ses Officiers Généraux pour aller recruter en Irlande pour son Régiment, il fut pris par les Pirates qui le menèrent à la Nouvelle-Angleterre, d’où il passa en Canada pour se conserver dans la Religion Catholique ». Toutefois, lors de son mariage en janvier 1720, Sullivan s’était présenté simplement comme le fils d’un médecin irlandais, âgé de 24 ans. S’il avait eu un titre social ou militaire quelconque, il en aurait sûrement fait état. Les signatures des gentilshommes irlandais (celle de Fitzjames of Berwick apparaît sous la forme « Fitzjam de Barwick») semblent avoir été copiées d’après un livre d’histoire français provenant peut-être de la vaste bibliothèque de Sullivan. Ægidius Fauteux* a relevé la présence de nombreuses erreurs de fait dans le texte de cette lettre.
C’est en raison de son mariage et de sa vanité que Sullivan éprouva le besoin d’avoir une généalogie d’aristocrate. En 1720, c’était un jeune et riche parvenu. Sa fiancée, Marie-Renée Gaultier de Varennes, était une veuve appauvrie âgée de 38 ans et mère de six enfants ; elle était la fille de feu René Gaultier* de Varennes, gouverneur de Trois-Rivières, la sœur de Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye et la veuve du capitaine François-Christophe Dufrost de La Gemerais. La cérémonie de mariage fut célébrée clandestinement à Pointe-aux-Trembles (Neuville), loin de la demeure et de la famille de la mariée. Contrairement à la coutume, le contrat de mariage fut conclu après le mariage. La puissante belle-famille de Sullivan fut assurément apaisée lorsqu’il versa approximativement 20 000 livres tournois au cours des trois année suivantes pour couvrir les dettes accumulées par son épouse. Louise-Élisabeth de Joybert*, l’épouse du gouverneur Rigaud* de Vaudreuil, témoigna que Sullivan s’ [était] « privé de on nécessaire pour élever ces enfants et leur donner toute l’éducation possible ».
Vers la fin de 1721, les nouveaux époux déménagèrent de Varennes à Montréal où ils finirent par s’installer rue Saint-Paul. Tout comme son père, Sullivan exerçait à la fois les fonctions de médecin et de chirurgien. Plusieurs seigneurs et citadins de marque demandèrent qu’il fût officiellement nommé médecin à demeure de la région. Le gouverneur Rigaud de Vaudreuil donna son appui à leur pétition en septembre 1723 et décrivit Sullivan en ces termes : « bon gentilhomme qui s’est etably dans cette ville [Montréal] depuis six ans dont la probité et l’habileté m’est fort connue par le grand nombre de cures considérables qu’il y a faites ». Sullivan, qui était un catholique romain dévot, avait aussi la confiance du clergé.
Le 7 mars 1724, deux lettres patentes furent délivrées par la couronne française : l’une était un brevet de naturalisation que Sullivan avait demandé, et l’autre une nomination officielle sans appointements au poste de médecin dans l’île de Montréal. Sullivan devait visiter les officiers et les soldats de l’île afin de « leur ordonner les remèdes convenables et prendre un soin particulier de leur guérison sous les ordres du sieur [Michel] Sarrazin* », médecin du roi. En vertu de cette commission, Sullivan s’attribua abusivement le titre de « médecin du roi ». En 1727, il se plaignit que Joseph Benoist, chirurgien militaire des troupes de Montréal, le gênait dans l’exercice de ses fonctions officielles. Il fut soutenu dans cette querelle par les religieuses de l’Hôtel-Dieu de Montréal (où il travailla de 1725 à 1730), par des prêtres et par de hauts fonctionnaires de la ville, lesquels envoyèrent des lettres au conseil de Marine.
L’intendant Dupuy* reprit à son compte le soutien que Vaudreuil avait accordé à Sullivan et ajouta qu’il était extrêmement charitable envers les pauvres, « hazardant tous les jours pour aller [les] secourir en passant des rivières dans le temps que les glaces sont très mauvaises ».
Le nouveau gouverneur du Canada, Charles de Beauharnois, ne partageait pas cet enthousiasme, et voici ce qu’il écrivait en 1727 à propos de Sullivan : Il « fait son métier d’une manière assez extraordinaire ; il est tout à la fois médecin, chirurgien et apothicaire. [...] c’est un homme qui donne des remèdes que personne ne connait et que je crois que l’on peut regarder comme empirique, ne faisant jamais aucune ordonnance [...] Il s’est allié dans une famille qui lui a procuré le brevet de médecin ». Étant donné le nombre de personnes qui fournirent des témoignages favorables à Sullivan en 1727 et 1728, Beauharnois estima préférable de réserver son jugement pendant six ans. Il se contenta de suggérer, sans insister, que Sarrazin soumette l’Irlandais à un examen.
Lorsque Sullivan alla en France en 1734, le gouverneur et l’intendant Hocquart* craignirent qu’il ne cherchât à obtenir le poste alors vacant de médecin du roi à Québec. En octobre, ils donnèrent au ministre l’avertissement suivant : « Le Sr Silavain qui a obtenu ou pour mieux dire surpris un brevet de médecin à Montréal [...] cet étranger est un fort mauvais médecin, en qui personne n’a de confiance [...] c’est un charlatan que tous les gens senséz et autres ont abandonné. » Leur crainte n’était pas justifiée mais Sullivan fut certainement mis au courant de la piètre opinion qu’ils avaient de lui.
Ce médecin dont on avait vanté auparavant la générosité et la charité devint excessivement vaniteux et maussade. Au cours des années 1740 il se faisait appeler « Timothée Silvain écuyer, sieur O’Sullivan, Médecin du Roi en ce pays » ; c’est probablement à cette époque qu’il forgea sa lettre. Bien qu’il possédât des arrière-fiefs dans les seigneuries de Varennes, Cournoyer et des Plaines, et qu’il prétendît en posséder d’autres à Belœil et Rouville, il ne les ajouta pas à ses titres. Entre 1724 et 1731, il s’était rendu coupable de voies de fait sur trois personnes. À présent qu’il se piquait d’utiliser cette marque de la noblesse qu’était l’épée, il était devenu particulièrement dangereux.
À Noël 1737, après la messe de minuit, Sullivan battit si violemment sa femme que celle-ci craignit pour sa vie. Malgré les promesses qu’il fit aux prêtres, il fut incapable de maîtriser sa colère. Le 10 janvier, le frère de sa femme, le sieur de La Vérendrye, et un de leurs neveux, René Gaultier de Varennes, essayèrent de l’enlever à son mari. Sullivan les tint à distance avec une épée et un tisonnier, gifla sa femme et leur cria des injures à tous les trois. L’abbé François Chèze* parvint à établir une trêve entre eux ; néanmoins, même en sa présence, Sullivan menaça et attaqua sa femme.
Après cette échauffourée, Sullivan essaya en vain de faire traduire en justice ceux qui avaient voulu défendre sa femme, et celle-ci sollicita une séparation judiciaire. Dans une contre-pétition, Sullivan déclara que seule l’Officialité (tribunal ecclésiastique) pourrait le séparer de l’épouse que Dieu lui avait donnée. Finalement – et il nous faut ici admirer le pouvoir de persuasion de Sullivan et la capacité de pardon de sa femme – le couple se réconcilia.
Sullivan continua à manifester un comportement contradictoire. Le 10 janvier, après avoir coupé le doigt de La Vérendrye avec une épée, il s’arrêta pour panser la blessure de ce dernier avant de reprendre la dispute. En février, il attaqua sauvagement un huissier, puis banda les plaies de sa victime ensanglantée et l’obligea à boire avec lui et à lui donner l’accolade avant de s’en aller. Ce même huissier était armé lorsqu’il revint chez Sullivan pour lui remettre une autre citation en justice, mais il fut attaqué par Mme Sullivan lorsqu’il brandit son pistolet.
La querelle la plus notoire de Sullivan mit en cause le lieutenant général civil et criminel de Montréal. Jacques-Joseph Guiton de Monrepos. En décembre 1742, ce magistrat ordonna qu’une des maisons de Sullivan fût évacuée parce qu’elle risquait de prendre feu. Sullivan alla demander une explication et, en guise de geste d’adieu, il frappa d’un coup de canne la poitrine de Monrepos. Les huissiers qui reçurent l’ordre d’arrêter Sullivan eurent la sagesse de demander des renforts militaires. Cependant l’officier alors en fonction, en l’occurrence, Jacques-René Gaultier de Varennes, refusa de fournir de l’aide aux huissiers jusqu’à ce que son beau-frère se fût enfui à Montréal avec ses effets personnels. Monrepos était furieux, et en octobre 1743, l’intendant Hocquart rapporta que le fait de s’être acharné à poursuivre en justice le dénommé Sullivan « dont la femme [appartenait] à toute la colonie [...] avait éloigné de lui beaucoup d’honnestes gens ».
Sullivan se retira au cap de Varennes pour entreprendre la reconstruction de l’ancienne demeure de sa femme. En 1744, le ministre de la Marine, Maurepas, eut vent des détails de l’affaire Monrepos ; il réprimanda le gouverneur Beauharnois, suspendit trois officiers et réforma Varennes afin, déclara-t-il, de maintenir le peu de discipline qui restait encore dans les troupes coloniales. Sullivan demeura à Varennes où il joua le rôle de « Sieur O’Sullivan ». Il mourut le 16 juin 1749 et fut inhumé le lendemain près de son banc dans la chapelle Saint-Amable de l’église paroissiale de Montréal. N’ayant plus d’enfants vivants, il avait laissé sa succession aux descendants de sa femme ; la moitié de sa bibliothèque alla à Marie-Marguerite Dufrost* de Lajemmerais, Mme d’Youville, qui ne l’aimait guère. Sullivan était probablement un immigrant des colonies anglaises qui était venu au Canada pour des motifs religieux. Il était lettré, avait le don de faire de l’argent et possédait des qualités séduisantes, mais ses prétentions et son tempérament passionné le firent tomber en disgrâce.
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Peter N. Moogk, « SULLIVAN, TIMOTHY, dit Timothée Silvain », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sullivan_timothy_3F.html.
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Auteur de l'article: | Peter N. Moogk |
Titre de l'article: | SULLIVAN, TIMOTHY, dit Timothée Silvain |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 13 nov. 2024 |