RUETTE D’AUTEUIL DE MONCEAUX, FRANÇOIS-MADELEINE-FORTUNÉ (il signe parfois Monceaux et les contemporains le désignent souvent sous ce nom), procureur général au Conseil souverain de Québec de 1680 à 1707, fils de Denis-Joseph Ruette* d’Auteuil et de Claire-Françoise Clément Du Vuault, né en mer, probablement à la fin de 1657, baptisé à Paris le 17 janvier 1658, mort à Québec le 10 juillet 1737.
En 1661, son père et sa grand-mère maternelle, Mme Jean Bourdon, se rendirent en France et le ramenèrent à Québec. Vers 1673, il retourna à Paris pour y poursuivre ses études. Au mois de mars 1678, il obtint sa licence en droit et, le mois suivant, il était reçu avocat au parlement de Paris. De retour à Québec la même année, il travailla avec son père, le procureur général. Ce dernier, victime des mauvais procédés de Frontenac [Buade*] dont l’inimitié ne se démentait pas, était malade depuis plusieurs années et menacé en outre de cécité. Déjà en 1676, l’intendant Duchesneau*, inquiet de l’état de santé de Denis-Joseph Ruette d’Auteuil, avait obtenu de Colbert des lettres de provision pour un substitut du procureur général au cas où celui-ci décéderait. Le nom de ce substitut était laissé en blanc, et Colbert avait autorisé Duchesneau à y insérer celui d’un titulaire de son choix. Le 10 novembre 1679, Ruette d’Auteuil, sentant que sa fin approchait, écrivit à Colbert le priant de nommer son fils à sa succession. Quelques jours plus tard, il s’éteignait. L’intendant proposa au gouverneur d’insérer le nom de Ruette d’Auteuil fils dans les lettres de provision qu’il détenait depuis deux ans. Frontenac ne voulut rien entrendre. Il fit observer, entre autres choses, que le jeune Auteuil était mineur. Aux objections du gouverneur, Duchesneau rétorqua que les dons naturels de son candidat, les brillantes études qu’il avait faites à Paris, les titres qu’il y avait obtenus et l’expérience qu’il avait acquise en travaillant avec son père faisaient de lui, en dépit de sa jeunesse (il n’avait pas 22 ans), l’homme de la colonie le plus propre à exercer les fonctions de procureur général. L’affaire fut portée devant le Conseil souverain. Il fut décidé que l’intendant avait le droit d’insérer le nom de François-Madeleine-Fortuné Ruette d’Auteuil dans les lettres de provision obtenues en 1677, mais que cette nomination ne serait enregistrée que lorsque celui-ci aurait reçu de Louis XIV une dispense d’âge. Ruette d’Auteuil s’empressa d’écrire à Versailles. Au mois de juin 1680, le roi le nommait procureur général en survivance à son père. Il est clair que cette nomination avait été faite en réponse à la supplique de ce dernier et avant que son décès ne fût connu du ministre, car elle n’était pas accompagnée de la dispense d’âge qu’avait demandée son fils. Néanmoins, le conseil enregistra la commission, le 24 octobre 1680, et, le même jour, le nouveau procureur général entrait en fonction.
L’année qui suivit fut marquée par une série ininterrompue de querelles entre le gouverneur et le procureur général. Altier et agressif par nature, et soutenu par l’intendant et par le conseil, François Ruette d’Auteuil qui se souvenait non seulement de l’opposition de Frontenac à sa nomination, mais aussi des avanies que ce dernier avait fait essuyer à son père, ne perdit pas une occasion de contrecarrer ses projets, de poursuivre ses favoris et de protéger ses victimes. En novembre 1681, Frontenac, au comble de la fureur, lui ordonna de passer en France et d’en rapporter (s’il le pouvait) la dispense d’âge qu’il n’avait jamais reçue. Ce faisant, le gouverneur croyait perdre son ennemi et s’en débarrasser une fois pour toutes. Jamais calcul ne s’avéra plus erroné. En dépit des plaintes que Frontenac avait expédiées à la cour, le jeune procureur général y produisit une excellente impression. Muni de sa fameuse dispense, il revint à Québec à l’automne de 1682, au moment où Frontenac rappelé en France s’apprêtait à quitter le Canada.
Sous La Barre [Le Febvre*] et Denonville [Brisay], le calme régna. En 1683, M. d’Auteuil épousa Marie-Anne Juchereau de Saint-Denis, fille d’un des citoyens les plus importants de la colonie, veuve de François Pollet* de La Combe-Pocatière, capitaine dans le régiment de Carignan. À partir de cette date, le procureur général fit siens les intérêts de la famille de son épouse.
En 1689, Frontenac revint au Canada. Aucune dissension entre lui et son ancien ennemi ne troubla les premières années de son administration. Toutefois, le procureur général, à l’instar de son père, ne perdait pas de vue les pouvoirs qui avaient été conférés au Conseil souverain en 1663. Il était bien décidé à les protéger contre les empiétements des autorités civiles, voire religieuses.
À l’automne de 1692, il s’éleva avec énergie contre un projet de Mgr de Saint-Vallier [La Croix] qui était déjà en voie de réalisation, celui de fonder un hôpital général dont l’administration serait confiée à des religieuses (les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec). Cette opposition reposait sur plusieurs considérations dont la première touchait directement aux prérogatives du Conseil souverain. À cet égard, M. d’Auteuil faisait observer que le projet de Mgr de Saint-Vallier était « au préjugé » d’un arrêt de 1688 en vertu duquel le conseil avait établi dans chaque paroisse un Bureau des Pauvres administré par des laïcs. De plus, le procureur général ne manquait pas de souligner qu’en remettant son hôpital à des religieuses, l’évêque allait à l’encontre de l’ordonnance royale qui interdisait la fondation de nouveaux couvents dans la colonie sans l’approbation formelle de Sa Majesté. Or, les lettres patentes que Mgr de Saint-Vallier avait obtenues à Versailles en mars 1692 ne contenaient aucune « déclaration particulière » à cet effet. Bien qu’il fût soutenu par Laval, Frontenac et Champigny [Bochart], et bien que tous les directeurs du Bureau des Pauvres, sauf M. d’Auteuil, eussent consenti à faire partie de la direction de l’Hopital Général, Mgr de Saint-Vallier crut plus sage de ne pas attaquer son adversaire de front et de laisser faire le temps.
En 1694, l’affaire du Tartuffe mit fin à la paix assez fragile qui régnait depuis cinq ans entre Frontenac et Ruette d’Auteuil. Ce dernier se rangea avec éclat du côté de Saint-Vallier. Il fit incarcérer Mareuil* que Frontenac soutenait contre les attaques de l’évêque de Québec. Toujours en 1694, le procureur général prit le gouverneur à partie à propos d’une taxe que celui-ci voulait imposer sur les viandes. Les deux adversaires ne se firent pas faute d’envoyer leurs plaintes à Versailles. Pontchartrain [Phélypeaux], évidemment frappé de l’arrogance avec laquelle Auteuil s’exprimait, lui enjoignit (lettre du 8 juin 1695) de faire des excuses à Frontenac. Cet incident n’apporta cependant aucun amoindrissement à la faveur dont le procureur général jouissait à la cour, non plus qu’à l’influence prépondérante qu’il exerçait sur le Conseil souverain. En 1700, le roi lui accorda une pension de 300#.
Au mois d’octobre de la même année, les membres de la Compagnie de la Colonie le désignaient comme un des directeurs de cette entreprise qui venait d’être établie. Le prestige et l’activité du procureur général ne firent que croître au cours des trois années suivantes. En 1703, sous Callière (qu’il avait soutenu contre Vaudreuil [Rigaud] en 1698), on songea à lui pour le poste de premier conseiller. Cette nomination aurait sans doute eu lieu s’il n’avait eu la malencontreuse idée d’exiger que son fils le remplacât comme procureur général. Pontchartrain ayant refusé de consentir à cet arrangement, c’est René-Louis Chartier de Lotbinière qui assuma la charge de premier conseiller.
En fait, l’année 1703 marque un tournant définitif dans la carrière jusqu’alors si brillante de François Ruette d’Auteuil. Au mois de mai, Callière mourait. Le 1er août suivant, Vaudreuil, qui n’avait aucune raison de se louer de la conduite de Ruette d’Auteuil à son égard, devenait gouverneur. En 1703 également, le roi décida de porter de sept à douze le nombre des membres du conseil. Ce changement eut pour effet de diminuer l’influence que le procureur général y exerçait. Enfin, toujours en 1703, la Compagnie de la Colonie, sur laquelle le gouvernement avait fondé de grandes espérances et dont Ruette d’Auteuil était un des directeurs, périclitait. À la suite d’une enquête, le ministre conclut que les directeurs de la compagnie étaient en grande partie responsables de la situation dans laquelle elle se trouvait.
En 1705, Jacques Raudot et son fils Antoine-Denis débarquaient à Québec. Conformément aux ordres précis qu’il avait reçus à Versailles, le nouvel intendant se mit en devoir d’abolir la compagnie en commençant par le bureau de direction.
Bien qu’il eût été informé par le ministre des mesures que Raudot avait l’ordre d’adopter, le procureur général s’y opposa violemment. Il qualifia sa conduite d’arbitraire et s’efforça d’entraîner les autres directeurs à refuser de démissionner.
Choqué par l’outrecuidance de Ruette d’Auteuil, Raudot entreprit une enquête sur la façon dont il exerçait ses fonctions judiciaires. Il découvrit que, loin de faire preuve d’intégrité et d’impartialité, le procureur général usait des pouvoirs que lui conférait sa charge pour faire avancer ses affaires et celles de sa famille, et qu’il prêtait plus d’attention à ses intérêts personnels qu’à ceux de la justice. Un litige qui était en cours et auquel sa belle-sœur, Charlotte-Françoise Juchereau de Saint-Denis, était mêlée, fit déborder la coupe. Raudot rédigea un long rapport, un Réquisitoire qu’il adressa à Pontchartrain. Il y déclarait que le procureur général, en dépit des obligations de sa charge, avait soutenu et guidé personnellement Mme de La Forest dans ses démêlés avec le conseil. À preuve, les interlignes et renvois de sa main qu’on avait trouvés dans un acte de prise à partie contre l’intendant où elle accusait celui-ci d’avoir « altéré » un registre du conseil.
En dépit des critiques de plus en plus virulentes dont il fut l’objet au cours des années 1705 et 1706, Ruette d’Auteuil ne cessa de s’opposer avec sa vigueur coutumière à ce qu’il appelle « les innovations » de plusieurs curés en ce qui concerne la dîme.
Le 20 janvier 1706, il présenta au conseil ses « Conclusions » sur les « Remarques » que Messires Boullard, ancien curé de Beauport, et Dufournel*, curé de l’Ange-Gardien, avaient remises à cette assemblée quelques semaines plus tôt. Tous deux y affirmaient le droit des curés d’augmenter non seulement le taux habituel de la dîme mais aussi le nombre des produits sur lesquels elle était prélevée.
Les « Conclusions » du procureur général découlent de considérations juridiques et humanitaires. Il soulignait que les « innovations » de MM. Boullard et Dufournel avaient été introduites sans égard aux arrêts du Conseil souverain et sans tenir compte de la situation pénible que les habitants avaient souvent à affronter.
À l’automne de 1706, M. d’Auteuil, pressentant que ses querelles avec Raudot pourraient avoir de graves conséquences, se rendit en France afin de plaider sa cause auprès du ministre comme il l’avait fait avec succès un quart de siècle plus tôt. Ce fut en vain. Le 7 juin 1707, le roi révoquait sa commission de procureur général. Accablé par cette disgrâce, il s’installa à Paris avec son épouse. Il occupa ses nombreux loisirs à rédiger des Mémoires sur le Canada : « Mémoire sur l’État présent du Canada » (l 712) ; sur « les Commerces de M. de Vaudreuil avec les Sauvages » (1715) ; sur « la mauvaise administration de la Justice au Canada » (1715) ; sur « ce qui concerne le commerce des castors... » (1715) ; sur « la monnaie de cartes » (1715) ; « addition au Mémoire fait en 1715 [...] sur l’État présent du Canada » (1719) ; « Mémoire secret à M. le Duc d’Orléans sur les limites de l’Acadie » (7 janvier 1720).
Comme l’indique le titre de ce mémoire, l’attention de Ruette d’Auteuil se portait alors sur l’Acadie. En effet, le 20 mai 1719, il avait obtenu du régent un brevet de concession des îles Madame (huit lieues de superficie) en son nom et au nom de ses associés, MM. Duforillon [Louis Aubert ?] de Québec et Jourdan, secrétaire du roi. Les concessionnaires s’engageaient à installer des « établissements de colonie et pêche sédentaire » à l’entrée du golfe Saint-Laurent et dans le golfe. Cette entreprise était vouée à un échec total. À son arrivée aux îles Madame vers le 20 août 1722, accompagné de 66 colons et pêcheurs, M. d’Auteuil apprit avec stupeur que les Anglais étaient établis à Canseau (Canso) et que l’endroit où il comptait installer ses pêcheries manquait de poissons. Le 15 novembre 1723, il écrivait au cardinal Dubois qu’il vaudrait mieux que les colons s’adonnent à l’agriculture. Cette suggestion n’ayant pas eu de suite, l’ancien procureur général revint à Québec après une absence de 18 années. Il y mourut 13 ans plus tard, le 10 juillet 1737, à l’âge de 80 ans.
Intelligent, brillant peut-être, Ruette d’Auteuil se montra arrogant dès le début de sa carrière et le devint de plus en plus au cours de celle-ci. Indiscipliné, comme l’étaient (bien qu’à un moindre degré) nombre de Canadiens lorsqu’il s’agissait d’obéir aux représentants du gouvernement à Versailles, il fomenta des dissensions parmi eux et soutint avec habileté et entêtement l’autorité locale, celle du Conseil souverain sur lequel il exerça jusqu’en 1703 une grande influence. Apre au gain, fortement attaché à ses intérêts et à ceux de sa famille, il joua un rôle plus que suspect dans les affaires de la Compagnie de la Colonie. Par ailleurs, les circonstances qui entourent son échec aux îles Madame indiquent assez clairement que l’ancien procureur général était dénué de sens pratique.
[Sauf deux longs articles qu’Ignotus [Thomas Chapais] publia dans la Presse (Montréal), 8 et 12 novembre 1902, et sur lesquels la présente biographie est fondée, il n’existe pas de biographie de F.-M.-F. Ruette d’Auteuil. Cependant, les documents originaux (manuscrits ou imprimés) ayant trait à sa carrière abondent. Il en est de même des ouvrages qui mentionnent divers aspects de celle-ci. Dans les deux cas, nous nous bornons à une énumération sommaire. m. l.]
AN, Col., B ; Col., C11A, 3, 5, 6, 7, 13, 30, 33, 36 ; Col., F3.— Correspondance de Vaudreuil, RAPQ, 1938–39 : 12–179.— Documents relatifs à la monnaie sous le régime français (Shortt), I, II, passim.— Jug. et délib., III, IV, passim.— Lettres et mémoires de Ruette d’Auteuil, RAPQ, 1922–23 : 1–114.— RAC, 1885, 1887, 1899.— Taillemite, Inventaire analytique, série B, I.— Cahall, Sovereign Council of New France.— Eccles, Canada under Louis XIV ; Frontenac.— J.Delalande, Le Conseil souverain de la Nouvelle-France (Québec, 1927).— Lanctot, Histoire du Canada, II.— P.-G. Roy, La famille Juchereau Duchesnay.— H.-A. Scott, Une paroisse historique de la Nouvelle-France : Notre-Dame de Sainte-Foy. Histoire civile et religieuse d’après les sources (Québec, 1902), 271 (cet ouvrage contient des détails importants sur la famille Ruette d’Auteuil et sur la seigneurie de Monceaux à Sillery).— Mgr de Saint-Vallier et l’Hôpital Général de Québec.— Guy Frégault, Politique et politiciens au début du xviiie siècle, Écrits du Canada français, XI (1961) : 172ss.
Marine Leland, « RUETTE D’AUTEUIL DE MONCEAUX (Monceaux), FRANÇOIS-MADELEINE-FORTUNÉ », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/ruette_d_auteuil_de_monceaux_francois_madeleine_fortune_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/ruette_d_auteuil_de_monceaux_francois_madeleine_fortune_2F.html |
Auteur de l'article: | Marine Leland |
Titre de l'article: | RUETTE D’AUTEUIL DE MONCEAUX (Monceaux), FRANÇOIS-MADELEINE-FORTUNÉ |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 2 déc. 2024 |