HEY, WILLIAM, juge en chef de la province de Québec, né vers 1733 en Angleterre, fils de Thomas et d’Elizabeth Hey ; il épousa vers 1783 une demoiselle Paplay, de la Jamaïque ; décédé le 3 mars 1797, à Londres.

William Hey étudia à Eton, au Corpus Christi College, à Cambridge, et au Middle Temple, après quoi il fut admis au barreau en 1756. Sa carrière subséquente découle naturellement des relations qu’il. avait dans le comté de Kent. Une recommandation auprès de lord Hardwicke lui valut en 1763 une double nomination aux postes de recorder adjoint de Douvres et de recorder de Sandwich, dans le Kent. Quand le fils de lord Hardwicke, Charles Yorke, devint procureur général dans le gouvernement de lord Rockingham, la carrière de Hey connut un autre bond en avant. Grâce à l’appui de Yorke et d’un autre whig du Kent, lord Sondes, Hey fut choisi comme juge en chef de la province de Québec. L’ordre royal pourvoyant à sa nomination fut émis le 3 février 1766.

Hey arriva à Québec le 9 septembre de la même année, au terme d’une traversée en compagnie du nouveau procureur général, Francis Maseres*. Bientôt, les causes pressantes provoquées par les dernières péripéties de l’affaire Thomas Walker et par la tentative, faite par la couronne en novembre 1766, de percevoir des droits de douane [V. sir Thomas Mills] l’occupèrent. En refusant un cautionnement à Joseph Howard et à d’autres accusés dans l’affaire de l’attaque perpétrée contre Walker et en tentant d’obtenir du jury un verdict spécial dans la cause relative aux douanes, Hey s’embourba dans des questions d’une importance particulière pour la communauté anglophone de la province de Québec.

Les tentatives en vue de l’établissement d’un système juridique généralement acceptable par toute la population représentèrent, pour Hey, sa plus grande tâche. Le gouverneur Murray avait essayé de créer une structure qui aurait permis l’introduction des lois anglaises sans pour autant causer d’injustices envers les Canadiens, mais plusieurs difficultés surgirent, devant l’immense complexité de la situation. Alors que Hey était encore en Angleterre, les légistes de la couronne avaient recommandé au gouvernement britannique que Maseres et lui « préparassent un plan approprié, adapté à la juridiction des diverses cours de justice et qui convînt aux plaideurs ». La simplicité et la rapidité des procédures devaient en être les objectifs essentiels. Toutefois, le gouvernement ne se pressa pas de donner une réponse à cette recommandation. Le Conseil privé ne se décida que le 28 août 1767 de faire entreprendre une enquête pour déterminer « si des défauts – et lesquels – subsistaient dans l’état actuel de la judicature », quels griefs avaient été exprimés et quels changements demandés par les Canadiens. Cette tâche devait être assumée par une « personne capable et propre » à la mener à bien – Maurice Morgann* – qui, toutefois, n’arriva à Québec que le 22 août 1768.

Hey et Maseres avaient déjà tenté de jeter un pont entre les lois anglaises et les lois françaises. Le juge en chef n’avait aucune connaissance particulière du système juridique français et, quand il siégeait au tribunal, il avait besoin d’un interprète ; mais Maseres croyait que les avis d’un assesseur suffiraient, « Monsieur Hey ayant déjà eu l’occasion de décider de deux ou trois causes qui portaient sur des points de droit français, ce qu’il fit avec beaucoup d’habileté et à la satisfaction générale ». Sur les ponts de détail cependant, on ne pouvait trancher avec autorité et il paraissait impossible de remédier à cette lacune. François-Joseph Cugnet avait récemment rédigé un code des lois utiles, mais, quoique bien fait, il est « très difficile à comprendre, pour monsieur Hey et pour moi, avouait Maseres, à cause de la grande concision et du caractère technique ou des particularités du langage juridique français ».

À son retour en Angleterre, en septembre 1769, Morgann apportait avec lui trois rapports sur la situation juridique : deux présentaient les vues opposées de Maseres et du gouverneur Guy Carleton*, respectivement, et le troisième exprimait la dissidence de Hey relativement au rapport du gouverneur, à la préparation duquel Morgann avait lui-même apporté son concours. Carleton recommandait le maintien de l’ensemble du droit criminel anglais et l’usage du droit civil français, sauf en matière commerciale. S’il ne désirait aucunement imposer un système entièrement fondé sur le droit anglais, le juge en chef croyait qu’une restauration plus restreinte du droit civil français était souhaitable. À son avis, la politique adoptée, quelle qu’elle fût, devait être conçue, avec le « désir de créer un système tel qu’il tende à amener cette province à ressembler d’une certaine manière aux autres dominions de [Sa] Majesté sur ce continent », et les changements devaient être effectués « avec une main de velours ». Les Canadiens ne pourraient s’opposer à ce que le droit anglais constitue l’élément premier d’un gouvernement anglais, « pourvu que ces points qui les touchent d’une façon très sensible, comme la transmission par droit de succession, l’aliénation et les servitudes de leurs biens immobiliers, leurs façons de disposer par testament de leurs biens personnels, de les transférer et d’en faire cession, leurs contrats de mariage et toutes ces dispositions qui tendent à régir leur vie domestique et à maintenir les liens familiaux, fussent entièrement préservés, et que les lois les régissant fussent bien comprises et bien administrées ». Hey n’était pas de l’avis de Maseres, qui désirait un code rédigé ; le juge en chef estimait en effet que le temps manquait pour une telle entreprise.

À Londres, en réfléchissant à l’avenir de la province de Québec, on tint compte des vues de Hey : les rapports des légistes de la couronne comportent de respectueuses références aux recommandations du juge en chef. Ayant obtenu la permission de rentrer en Angleterre, pour un congé, Hey arriva à Londres au début de 1774, à temps pour participer aux dernières étapes de la préparation du projet de loi. Le solliciteur général, Alexander Wedderburn, confia plus tard à lord Dartmouth, secrétaire d’État des Colonies américaines, qu’il avait « beaucoup conversé avec M. Hey » relativement à l’inopportunité du droit criminel français, et qu’il avait trouvé les avis du juge en chef « d’un grand poids ». Quand, dans la première semaine de juin 1774, et alors qu’elle étudiait le projet de loi qui allait devenir l’Acte de Québec, la chambre des Communes entendit des témoignages, Hey, à la suite de Carleton et de Maseres, comparut devant elle. Le leader du gouvernement, lord North, ayant refusé, aux critiques de l’opposition, des copies des rapports de ces messieurs sur les lois de la province de Québec, sous prétexte que ces documents étaient trop longs pour être reproduits, avait privé ses critiques d’utiles sources de renseignements. Aux questions de l’opposition, qui cherchait, en exagérant la situation, à faire voir à quel point les Canadiens avaient été privés des avantages de la constitution et de la loi anglaises, Hey apporta des réponses modérées et réservées. Il n’acceptait pas les affirmations selon lesquelles la majorité des Canadiens réclamait le jugement par jury et une chambre d’Assemblée. S’il croyait pouvoir, avec le temps, maîtriser le droit français, il ne pouvait néanmoins en être certain. Il croyait encore préférable de concilier les lois civiles anglaises et françaises – point sur lequel il s’était au début dissocié de Carleton – mais il admettait que ce plan paraissait moins réalisable qu’en 1769, les Canadiens étant devenus moins soumis. Ils conservaient encore, cependant, le respect de l’autorité hérité de l’ancien régime, se soumettant naturellement et parfaitement à la couronne, plutôt que de souhaiter avec impatience une chambre d’Assemblée ; c’était leur côté attachant, d’être « en général un peuple très empressé et obéissant ». En revanche, ajoutait-il, c’était aussi « un peuple très ignorant – un peuple qui avait de forts préjugés ». Peut-être parce qu’il avait exposé ces vues nuancées, Hey n’appuya ni n’attaqua le projet de loi, lequel, en ce qui concernait le système juridique, suivait essentiellement les recommandations faites par Carleton en 1769.

La dernière semaine de septembre 1774, prématurément et contre toute attente, le parlement fut dissous. Le 27 septembre, Hey présenta sa démission, comme juge en chef, à Dartmouth. Qu’il y eût entre ces deux faits plus qu’une coïncidence, le choix de Hey et son élection sans opposition comme député de Sandwich le démontrent. Il avait offert sa démission en sachant l’imminence de son élection et en croyant qu’il ne pouvait remplir simultanément les fonctions de juge en chef et de député.

Néanmoins, en décembre 1774, Dartmouth écrivit à Carleton pour dissiper tout doute sur le retour de Hey à Québec. Le juge en chef était résolu à reprendre ses fonctions, même s’il lui fallait abandonner son siège au parlement, « ce qui, toutefois, affirmait-il, comme nous l’espérons et le pensons, pourra être évité ». On peut douter que la résolution de Hey ait été pleinement volontaire : sa présence à Québec était requise d’urgence, advenant la création des nouvelles cours de justice rendues nécessaires par la mise en vigueur de l’Acte de Québec le 1er mai 1775.

Alors qu’il était encore en Angleterre, à la fin de 1774, Hey avait préparé le projet d’une ordonnance visant l’établissement de cours de justice dans la province. Mais il ne retourna pas à Québec assez tôt pour que l’ordonnance fût prête à la date fixée. Après son arrivée, le 15 juin 1775, il trouva difficile la tâche que lui confia le Conseil législatif de diriger le comité chargé de mettre au point une nouvelle structure juridique. Hey continua de soutenir sa thèse sur la supériorité du droit commercial anglais et du jugement par jury dans les causes relatives aux dommages personnels. Les instructions de Carleton révèlent que le gouvernement britannique entendait que le gouverneur et, son conseil établissent la procédure, mais Carleton, avec la connivence des seigneurs membres du conseil, présenta une opposition suffisante pour repousser les propositions visant son adoption. La controverse fut, de toute façon, gagnée de vitesse par l’invasion américaine de l’été de 1775.

Face à l’attaque américaine, à l’intransigeance des Canadiens et à l’opposition du gouverneur, Hey n’avait qu’un désir : quitter son poste. « Permettez-moi de dire d’une façon générale », écrivait-il au lord chancelier Apsley, en août 1775, « que ce pays offre [...] au point de vue de la sécurité, et à cause de l’humeur acariâtre et des mauvaises dispositions de ses habitants, [un avenir] aussi sombre qu’on peut l’imaginer. » Aussi croyait-il que ses dix années comme juge en chef méritaient, à titre de compensation, « le premier poste comportant honneurs ou profits que la Couronne [devait] octroyer ». Il n’y avait chez lui aucune ardeur militaire qui l’eût incité à rester. Et quand enfin il ferma sa lettre à Apsley, à la mi-septembre, ce fut sur la prédiction que Saint-Jean, Montréal et Québec tomberaient bientôt aux mains des envahisseurs. « Dans cette conjoncture, je me tiens prêt à m’embarquer pour l’Angleterre, où je serai peut-être de quelque utilité, alors que, Votre Seigneurie me l’accordera, j’espère, je ne peux être utile en rien ici. »

Hey ne resta pas assez longtemps pour voir ses craintes d’une défaite entièrement justifiées. Il fit voile pour l’Angleterre en novembre 1775 ; plus tard, au cours de l’hiver, il fit la seule intervention dont on ait conservé la mention, au cours d’un débat parlementaire. Parlant, le 20 février 1776, contre une motion de Charles James Fox, qui proposait une enquête sur l’échec militaire des Britanniques en Amérique du Nord, Hey se porta à la défense de l’Acte de Québec, qu’on accusait d’avoir contribué à cet échec, et il fit l’éloge de Carleton, qui, déclara-t-il, n’avait pas reçu une aide suffisante. Le Public Advertiser plaça le discours de Hey parmi les trois « plus importants » et qui, sur cette motion, présentèrent les vues « les plus larges ». Grâce à sa connaissance intime de l’état du Canada, « on dit que d’abondants renseignements furent donnés à toute la Chambre ».

Au cours de l’été de 1776, il devint évident que Hey ne retournerait pas à Québec. Il s’en tint fermement à l’entente qui avait précédé son entrée aux Communes : qu’il quitterait Québec peu après et obtiendrait un autre poste. En août, il opposa un refus à la demande de lord Germain, le nouveau secrétaire d’État des colonies américaines, de reprendre ses fonctions. Il démissionna comme juge en chef et « poussa énergiquement » sa demande d’un poste de commissaire de l’accise ou des douanes. Sa nomination au commissariat des douanes, le 31 octobre 1776, l’obligea à abandonner son siège aux Communes et mit fin à ses carrières juridique et politique.

Juge en chef de la province de Québec, Hey s’était acquitté de ses responsabilités avec une application raisonnable. Infiniment plus compétent que son prédécesseur, William Gregory, il ne devint cependant pas, à l’instar de son successeur, Peter Livius, un objet de controverses. Ses efforts se limitèrent, en très grande partie, à présider un système juridique qu’il ne comprenait que partiellement et qu’il ne sut pas modifier. Alfred Leroy Burt a pu conclure que, « à une exception près, peut-être [un aspect du cas Walker], on n’a trouvé aucune faute dans sa façon d’administrer la justice » ; de son côté, Hilda Neatby* a soutenu que le rejet par le conseil de son projet de loi sur la réorganisation des cours de justice, à l’été de 1775, « signifia la perte de la première et de la meilleure chance qu’on avait d’en arriver, en se fondant sur l’Acte de Québec, à un compromis raisonnable entre les marchands anglais et le French party ». Malheureusement, la compétence générale de Hey et sa capacité de contribuer à la révision du système juridique de la province de Québec le cédèrent à son désir d’obtenir un poste sûr en Angleterre.

EN collaboration avec Peter Marshall

Docs. relating to constitutional history, 1759–1791 (Shortt et Doughty ; 1918).— G.-B., Hist. mss Commission, The manuscripts of the Earl of Dartmouth (3 vol., Londres, 1887–1896), I ; II ; Parl., De bates of the House of Commons in the year 1774, on the bill for making more effectual provision for the government of the province of Quebec, drawn up from the notes of Sir Henry Cavendish [...] (Londres, 1839 ; réimpr., [East Ardsley, Angl., et New York], 1966).— Maseres, Maseres letters (Wallace).— Reports on the laws of Quebec, 1767–1770, W. P. M. Kennedy et Gustave Lanctot, édit. (Ottawa, 1931).— Namier et Brooke, House of Commons. Burt, Old prov. of Que.— Bernard Donoughue, British politics and the American revolution : the path to war, 1773–75 (London et New York, 1964).— Neatby, Administration of justice under Quebec Act.

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EN collaboration avec Peter Marshall, « HEY, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hey_william_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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