HÉBERT, GAUDIOSE, cordonnier-machiniste et dirigeant syndical, né le 27 septembre 1866 à Québec, fils d’Alexandre Hébert, gréeur, et de Philomène Lortie ; le 2 juillet 1894, il épousa au même endroit Malvina Laroche, et ils eurent trois enfants ; décédé le 17 février 1923 à Québec.

Gaudiose Hébert naquit dans le quartier Saint-Roch de Québec d’un père français et d’une mère canadienne-française. Issu d’une famille aux revenus modestes qui compterait 16 enfants, il fréquenta l’école jusqu’à l’âge de 12 ans puis s’initia au métier de cordonnier-machiniste dans l’une des nombreuses manufactures de chaussures de la basse ville de Québec. À la fin du siècle, il joignit l’Union des cordonniers-machinistes, syndicat vigoureux qui adhéra en 1899 à la Fraternité des cordonniers unis de la Puissance du Canada. Cette fédération purement québécoise regroupait également des syndicats de cordonniers-machinistes de Montréal et de Saint-Hyacinthe. Hébert était alors convaincu de la nécessité de l’organisation syndicale pour faire échec à l’exploitation des travailleurs. Dans son cahier personnel, où il consignait ses impressions, il écrit : « Nous étions rendus à un tel degré d’exploitation que nous aurions risqué notre vie pour nous unir. » Il était membre du syndicat lorsque les manufacturiers de chaussures de la ville de Québec, excédés de devoir négocier avec des syndicats, décrétèrent un lock-out en octobre 1900, exigeant que tous leurs employés renoncent, devant notaire, à faire partie d’une organisation ouvrière. Quelque 3 850 ouvriers et ouvrières, dont 1 800 syndiqués, se retrouvèrent sans travail.

Comme le conflit perdurait, Mgr Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec, accepta d’intervenir à la condition que les deux parties consentent à se conformer à sa décision. Sa sentence arbitrale, rendue en janvier 1901, exigeait des manufacturiers qu’ils reconnaissent aux travailleurs le droit de s’associer, des syndicats qu’ils soumettent leur constitution à la révision et des deux parties qu’elles portent leurs futurs litiges devant un tribunal d’arbitrage. L’Union des cordonniers-machinistes, à laquelle appartenait Hébert, se montra particulièrement réticente à soumettre sa constitution à l’examen de l’archevêque ; elle fit même appel au gouvernement fédéral pour qu’il dénonce cet « abus de pouvoir » [V. Arthur Marois]. Devant son refus, Mgr Bégin releva les manufacturiers de leurs obligations. Ces derniers lancèrent alors un ultimatum aux cordonniers-machinistes : ils perdraient leur emploi si leur syndicat ne révisait pas sa constitution. Les syndiqués cédèrent et purent retourner au travail, non sans avoir dû, auparavant, signer individuellement, devant notaire, un affidavit où ils s’engageaient à ne plus appartenir à aucune organisation ouvrière qui n’avait pas l’approbation de l’archevêque. Les syndicats durent aussi accepter la présence d’un aumônier à leurs réunions. Tout en constituant une reconnaissance du droit d’association des ouvriers, la sentence de Mgr Bégin amorçait le processus de confessionnalisation des syndicats de la chaussure de Québec.

Hébert se laissa gagner par l’idée d’une présence grandissante du clergé dans les affaires syndicales. Au début du xxe siècle, il devint membre de la direction de son syndicat, puis délégué au Conseil central des métiers et du travail de Québec, organisme qui chapeautait les syndicats de la ville de Québec. Vers 1910, la question de l’uniformité des manuels scolaires dans les écoles publiques divisait profondément les syndicats de Québec. Traditionnellement, les syndicats nationaux (sans affiliation avec un syndicat international d’origine américaine) et les syndicats internationaux (affiliés à un syndicat international), qui étaient non confessionnels, avaient toujours revendiqué auprès du gouvernement l’uniformité des manuels dans les écoles. La mesure représentait à leurs yeux une économie importante pour les familles ouvrières, obligées souvent d’acheter de nouveaux manuels quand leurs enfants changeaient d’école. Le clergé catholique s’y opposait fortement, car il craignait que cette solution conduise au choix des manuels par l’État. Hébert, qui était délégué de la Fraternité des cordonniers au congrès de la Fédération canadienne du travail à Ottawa en 1910, défendit le point de vue clérical. Cette question joua un rôle important dans le schisme qui divisa le Conseil central des métiers et du travail de Québec l’année suivante. La Fraternité des cordonniers rallia le nouveau Conseil central national du district de Québec et de Lévis, qui adopta une constitution où l’on précisait que ses réclamations allaient s’inspirer des directives de l’Église catholique. Dans un tract distribué en 1914 à l’occasion d’une grève, Hébert rappelait que son syndicat voulait avant tout « agir en chrétien soumis à l’Église ».

À la suite de l’implantation d’un syndicat international à Thetford Mines à l’automne de 1915, les autorités religieuses de Québec voulurent raffermir leur emprise sur les syndicats de Québec. L’abbé Maxime Fortin*, jeune prêtre féru des questions sociales, entreprit d’en faire de véritables syndicats catholiques. Prudemment, il crut nécessaire, dans une première phase, d’inculquer à certains chefs ouvriers les principes de la doctrine sociale de l’Église. En novembre et décembre 1915, il forma dans ce but un cercle d’études réservé à une élite de dirigeants syndicaux, dont Hébert. Un an et demi plus tard, jugeant que son enseignement avait porté fruit, il convoqua, le 10 mai 1917, les membres des conseils de la plupart des syndicats nationaux de Québec pour qu’ils modifient leur constitution et acceptent la présence d’un aumônier. Le Conseil central des métiers et du travail y consentit le 5 février 1918 et plusieurs syndicats suivirent son exemple. Peu après, le conseil fusionna avec le conseil de district pour former le Conseil central national des métiers du district de Québec.

Afin d’élargir l’audience du syndicalisme catholique, le conseil décida de nommer en 1918 un organisateur général (probablement payé par l’Action sociale catholique) et son choix se porta sur Hébert à cause de son talent oratoire, son caractère, son expérience et « le sens catholique qui l’animait ». En deux ans, il aurait amené dans le giron du syndicalisme catholique plus de 30 nouveaux syndicats. Il avait la profonde conviction que l’avenir du syndicalisme résidait dans sa confessionnalité : « C’est cette forme d’union qui, chez nous, a fait notre prospérité. Nous devons notre succès complet au concours bienveillant de l’Église par l’entremise de nos chapelains dévoués », précisait-il en 1920. « Sans l’Église, ajoutait-il, nous n’avons personne pour nous guider, et l’Église dans notre union c’est le chapelain. » Il croyait que l’appui de l’Église au syndicalisme pouvait en favoriser le développement, particulièrement dans un contexte où les patrons en combattaient l’existence.

En septembre 1918, le conseil tint une session d’études de trois jours à Québec à laquelle étaient convoqués tous les syndicats catholiques et nationaux de la province. La rencontre se transforma en assemblée délibérante, dont Hébert fut élu président. Il proposa une motion contre l’uniformité des livres et l’école gratuite et obligatoire. La proposition, qui reprenait en préambule un certain nombre de principes défendus par le clergé catholique, s’élevait contre « toute tentative pour imposer à la province de Québec un système d’écoles neutres » et elle proclamait sa « confiance en la direction actuelle de l’Instruction publique ». Adoptée à l’unanimité, la proposition réjouit certainement les autorités religieuses, qui pouvaient maintenant faire valoir devant le gouvernement que les syndicats ouvriers n’étaient plus unanimes à appuyer la gratuité et l’obligation scolaires. D’ailleurs, quelques mois plus tard, une délégation de représentants des syndicats catholiques soumettait la proposition au gouvernement, le jour même où des délégués de syndicats internationaux le pressaient de légiférer dans un sens tout à fait contraire.

Le 23 septembre 1919, Hébert fut élu président du Conseil central national des métiers du district de Québec et président général des syndicats catholiques à l’occasion de leur congrès à Trois-Rivières. Les 120 délégués, qui venaient d’un peu partout au Québec, cheminaient vers la formation d’une centrale provinciale. Non seulement élirent-ils une direction permanente et votèrent-ils des motions, mais ils donnèrent à leurs dirigeants le pouvoir d’émettre des chartes d’affiliation et d’exiger une cotisation des syndicats affiliés. Sa fonction de président amena Hébert à faire partie de la délégation qui se rendit à Ottawa en janvier 1920 afin de rencontrer le ministre fédéral du Travail, Gideon Decker Robertson*, peu favorable aux syndicats catholiques. Hébert qualifia d’oubli outrageant le fait que les syndicats catholiques n’aient pas été invités à participer à la Conférence industrielle nationale des gouvernements fédéral et provinciaux organisée peu auparavant par le gouvernement fédéral. Robertson répliqua par une longue diatribe dans laquelle il mettait en doute la nécessité de syndicats confessionnels et suggérait de travailler en harmonie avec les autres organisations ouvrières du pays. La réplique vint du bouillant aumônier des syndicats catholiques, l’abbé Fortin, qui soutint que la religion devait être à la base du syndicalisme.

En juin 1920, Hébert participa à la grande manifestation ouvrière au parc Lafontaine, à Montréal, dans le cadre des conférences des Semaines sociales du Canada mises sur pied par les jésuites [V. Joseph-Papin Archambault*]. Orateur invité aux côtés de Victor Morin, Henri Bourassa* et l’abbé Fortin, il insista sur les deux principes à l’origine du syndicalisme catholique : les syndicats ne devaient pas être dirigés de l’étranger et il était essentiel qu’ils correspondent aux idéaux religieux de la population. Au congrès des syndicats catholiques à Chicoutimi en juillet 1920, où se trouvaient plus de 200 délégués, Hébert rendit compte de son administration. Après s’être réjoui des progrès du syndicalisme catholique, il salua l’influence bienfaisante des aumôniers et le courage des pionniers laïques.

Au cours de l’année, la santé de Gaudiose Hébert se détériora. Il fit acte de présence au congrès de fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada à Hull du 24 au 28 septembre 1921, mais c’était pour annoncer qu’il se retirait. Sans cette décision, il aurait probablement été élu premier président de la nouvelle centrale syndicale. Le 19 août 1921, il avait été nommé par le gouvernement provincial inspecteur des établissements industriels et des édifices publics pour la division de Québec. Cependant, il n’occupa cette tâche que quelques mois, atteint de l’asthme et d’une affection générale des bronches. Avant sa mort en 1923, le gouvernement fédéral l’avait nommé membre du comité canadien de la Société des nations.

Jacques Rouillard

ANQ-Q, CE301-S22, 27 sept. 1866 ; S96, 2 juill. 1894.— L’Action catholique (Québec), 3 sept. 1918, 21 juill. 1920, 19 févr. 1923.— Le Soleil, 19 févr. 1923.— J.-P. Archambault, Figures catholiques (Montréal, 1950), 153–192.— M.-A. Bluteau et al., les Cordonniers, artisans du cuir (Montréal, 1980).— Confédération des travailleurs catholiques du Canada, Programme-souvenir du deuxième congrès [...] (Québec, 1923).— Aubert du Lac [Maxime Fortin], l’Œuvre d’une élite (Québec, 1918).— Jacques Rouillard, les Syndicats nationaux au Québec, de 1900 à 1930 (Québec, 1979).— Semaines sociales du Canada, Section française, Semaine sociale du Canada (Montréal, 1920), 162–164.

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Jacques Rouillard, « HÉBERT, GAUDIOSE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hebert_gaudiose_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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