FAIRBANKS, CHARLES RUFUS, avocat, homme politique, fonctionnaire, juge et homme d’affaires, né le 25 mars 1790 à Halifax, fils de Rufus Fairbanks et d’Anne (Nancy) Prescott ; décédé le 15 avril 1841 dans la même ville.

Charles Rufus Fairbanks naquit au sein de l’élite commerciale de Halifax. Son père était venu de la Nouvelle-Angleterre au milieu des années 1780 pour s’intégrer à une entreprise familiale créée par un oncle en 1749 et avait épousé la fille d’un grand marchand. Trois de ses cinq fils allaient devenir marchands eux aussi tandis que Charles Rufus et Samuel Prescott* choisiraient le droit. Le premier fit ses études au King’s College, établissement anglican de Windsor, et au séminaire de Québec. De retour à Halifax, il entra au cabinet de l’avocat Simon Bradstreet Robie*. En 1815, quatre ans après son admission au barreau, il épousa Sarah Elizabeth Lawson, fille d’un marchand et homme politique éminent, William Lawson. Six de leurs treize enfants parvinrent à l’âge adulte ; leurs mariages, combinés aux liens commerciaux et matrimoniaux contractés par ses propres frères, garantirent à Charles Rufus une place solide au sein du family compact qui domina la société de Halifax tout au long de la première moitié du xixe siècle.

Relations sociales et réputation d’éloquence servirent de tremplin à Fairbanks, qui amorça sa vie publique en 1823 à l’occasion d’une élection partielle dans le canton de Halifax. Après une chaude lutte, il remporta la victoire sur John Young, en grande partie parce que l’élite commerciale de Halifax voulait un représentant pour défendre ses intérêts contre les attaques des députés des petits villages de pêcheurs. Fairbanks se distingua vite à l’Assemblée et, pendant plus d’une décennie, usa de son influence pour mettre de l’avant les aspirations des capitalistes haligoniens. Il prônait des tarifs réduits sur les comestibles d’importation, l’octroi de subventions aux pêches, la constitution juridique de sociétés commerciales à responsabilité limitée, l’inauguration d’un service transatlantique de navires à vapeur et la réduction des échanges entre les petits villages de pêcheurs et les puissances étrangères. Ce faisant, il visait en partie à protéger ses propres investissements. Meunerie, sciage du bois, assurance maritime, chasse à la baleine, extraction du charbon et spéculation foncière – il fut mêlé à tous ces secteurs durant les années 1820 et la décennie qui suivit.

Fairbanks doit principalement sa réputation d’entrepreneur à sa participation aux travaux du canal Shubenacadie. Depuis les années 1790, les marchands de Halifax réclamaient l’aménagement d’une voie navigable qui, en reliant leur port à la baie de Fundy, le mettrait en position de disputer à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, la maîtrise de l’arrière-pays néo-écossais [V. Isaac Hildrith*]. Finalement, en 1826, à la faveur d’une vague de prospérité dans la région, on forma une compagnie pour construire, dans le bassin du lac Grand et de la rivière Shubenacadie, un canal de 8 pieds de profondeur et de 54 milles de longueur. On estimait le coût total à £60 000, et la principale difficulté technique était qu’il fallait construire plusieurs écluses pour combler la dénivellation de 69 pieds entre le lac Grand et le port de Halifax. Fairbanks, secrétaire-trésorier de la compagnie, devint le plus ardent défenseur du projet à l’Assemblée. En faisant valoir que le canal serait comme « une grande route publique », il persuada la chambre, plutôt sceptique, d’octroyer à la compagnie un statut de constitution, une subvention de £15 000 et la garantie d’un rendement de 5 % sur les actions. Les travaux commencèrent pendant l’été de 1826. La Nouvelle-Écosse n’aurait, jusqu’à l’époque du chemin de fer, aucun autre chantier public d’une telle envergure. C’est l’ingénieur écossais Francis Hall qui supervisait la construction et Fairbanks veillait aux finances. Mais les coûts ne tardèrent pas à dépasser les prévisions et, après que l’Assemblée eut refusé que la compagnie émette son propre papier-monnaie, Fairbanks s’embarqua pour Londres dans l’espoir de grossir le fonds de roulement. Les négociations qu’il y mena au long des années 1829 et 1830 furent remarquablement fructueuses. Des investisseurs privés acceptèrent d’acheter des actions pour un total de £27 000, et le gouvernement britannique prêta £20 000 en prenant comme garantie une hypothèque sur le canal.

William Blowers Bliss* disait que Fairbanks avait « escroqué John Bull », et la suite des événements allait lui donner raison. Dès l’hiver de 1831–1832, on dut suspendre les travaux, faute de fonds. On attribuait une telle situation à des erreurs techniques, au gel et aux inondations, aux entrepreneurs qui avaient manqué à leurs engagements, et à l’agitation parmi les ouvriers. Malgré des dépenses de £80 000, le canal était loin d’être terminé. À l’Assemblée, des critiques menés par Young tenaient Fairbanks responsable de la débâcle, mais il refusait d’admettre son erreur. Il conserva même son enthousiasme au point d’investir personnellement £1 500 pour prouver, en faisant réaliser des levés, qu’on pouvait achever le canal. À défaut de susciter une reprise des travaux, les pressions qu’il exerça auprès du gouvernement durant les années 1830 lui attirèrent de nombreux éloges : il était, disait-on, d’une « énergie inépuisable et [d’une] persévérance indomptable ». Dans les années 1850, l’un de ses fils, ingénieur civil, supervisa l’achèvement de ce projet auquel Fairbanks avait tant rêvé. Un autre de ses fils acheta le canal en 1870 en croyant, à tort, pouvoir concurrencer les chemins de fer. Ainsi pendant un demi-siècle on associa la famille Fairbanks au canal Shubenacadie.

Fairbanks laissa aussi sa marque comme partisan de réformes politiques. Élevé dans l’orthodoxie conservatrice, il se prit peu à peu d’enthousiasme pour des innovations comme l’instruction obligatoire des masses, la réorganisation des comptes publics, l’érection de Halifax en une municipalité administrée par des conseillers élus et la négociation d’une entente sur la liste civile qui donnerait à l’Assemblée la gestion des revenus publics. Dans sa correspondance personnelle, il allait encore plus loin : on devait éliminer les sinécures de l’administration coloniale, disait-il, et il fallait élargir la représentativité du Conseil législatif tout en nommant les membres pour une durée fixe plutôt qu’à vie. En outre, il pressait Londres de réorganiser le Conseil exécutif en remplaçant les bureaucrates par des entrepreneurs et des députés de premier plan. Ces changements n’auraient pas instauré la démocratie mais, en les prônant, Fairbanks se révélait attentif aux courants de revendication et prêt à sacrifier la tradition au nom de l’efficacité et du progrès matériel.

Non sans raison, des contemporains voyaient l’opportunisme se profiler derrière un grand nombre des actions de Fairbanks. Pendant son séjour à Londres par exemple, il se fit valoir lui-même autant qu’il défendit les intérêts de la compagnie du canal. Il cherchait délibérément, semble-t-il, à gagner les bonnes grâces des whigs, alors en pleine ascension en Grande-Bretagne. Peu après son retour à Halifax en 1831, il parut évident qu’il avait réussi puisque, grâce à l’intervention de Londres, on le nomma solliciteur général et conseiller exécutif. Trois ans plus tard, on le préféra à une masse de candidats pour les postes de maître des rôles et de juge à la Cour de vice-amirauté. Un autre juge, Lewis Morris Wilkins, observait : « Il est extrêmement travailleur, persévérant et porté à la spéculation, mais je crains qu’il n’ait aucun jugement, et il a trop bonne opinion de lui-même, ou trop mauvaise opinion d’autrui, pour rechercher des avis sur quelque question que ce soit. »

En dépit de son arrogance et de sa suffisance, Fairbanks resta longtemps populaire. Comme il se trouvait en Grande-Bretagne en 1830, au moment de la violente querelle législative au sujet du pouvoir financier de la chambre, sa réputation était demeurée intacte. Pendant le débat sur la constitution juridique de la Banque de la Nouvelle-Écosse, deux ans plus tard, puis la controverse sur l’à-propos de permettre la conversion des billets de banque en numéraire, il eut l’astuce de ne s’identifier à aucune faction. Quand, au milieu des années 1830, la crise succéda à la prospérité et provoqua une radicalisation des revendications, il affirma que la Nouvelle-Écosse avait besoin non pas d’une réforme constitutionnelle mais de prêts britanniques pour financer un vaste programme de travaux publics.

Fairbanks n’en finit pas moins par devenir une cible du mouvement réformiste, et ce en premier lieu parce qu’il tarda à démissionner de l’Assemblée après sa nomination comme juge. Des protestataires virent Fairbanks en situation de conflit d’intérêts et se rassemblèrent à Halifax pour une manifestation qui prit finalement à partie l’ensemble du family compact. Que le successeur de Fairbanks à l’Assemblée, Hugh Bell*, ait rejeté l’attitude conciliatrice de type whig et prôné des changements plus profonds, à l’exemple des protagonistes du gouvernement responsable, montre que l’opinion publique avait changé.

Peu après avoir obtenu la majorité aux élections de 1836, les réformistes reprirent l’offensive contre Fairbanks et le visèrent cette fois en sa qualité de juge. Comme la Cour de vice-amirauté était depuis longtemps impopulaire en raison des frais élevés qu’elle imposait aux plaideurs, l’Assemblée adopta un projet de loi tel qu’il lui était interdit de trancher les litiges qui mettaient en jeu moins de £20. Dans l’appel qu’il envoya à Londres pour faire désavouer cette loi, Fairbanks nota que l’action de l’Assemblée était préjudiciable à certaines classes sociales. Ainsi les litiges sur les salaires des marins seraient arbitrés par les tribunaux inférieurs où les magistrats, des marchands, trancheraient sans doute en faveur de leurs collègues employeurs. Cette controverse, dont il sortit finalement vainqueur, confirmait qu’il ne suivait pas la tendance dominante des affaires provinciales.

Éclipsé de la scène politique, Fairbanks n’en conservait pas moins de l’influence à Londres. Ses relations étaient telles qu’il fut l’un des rares coloniaux admis à l’abbaye de Westminster pour le couronnement de la reine Victoria. À Halifax, il vivait à l’aise et demeurait un homme respectable. Son traitement de juge dépassait les £650 par an et on estimait ses biens à environ £13 000. Cependant, ses dépenses étaient lourdes : sa maisonnée était nombreuse (15 personnes en 1838) et il devait tenir son rang d’administrateur du King’s Collège et de membre éminent du Halifax Turf Club. Sa bibliothèque, d’une valeur de £500, était l’une de ses plus grandes passions. Outre des ouvrages de droit, elle contenait des romans, de la poésie, des ouvrages de théologie et d’histoire, des récits de voyage ainsi qu’une vaste collection de livres et de périodiques qui traitaient de chimie, de physique et de génie.

Une attaque soudaine, attribuée au surmenage, mit prématurément fin à la carrière de Charles Rufus Fairbanks. Ses exécuteurs testamentaires découvrirent une succession grevée d’hypothèques et de créances irrécouvrables ; ses créanciers durent se contenter d’un remboursement de 20 %. Sa famille survécut cependant à la crise et plusieurs de ses enfants, dont Catherine, poète, atteignirent la renommée dans le Halifax du milieu de l’époque victorienne. Néanmoins, leur réputation ne surpassa jamais celle de leur père qui, par son esprit d’entreprise et son enthousiasme pour les idées nouvelles, incarna l’« éveil intellectuel » dont la Nouvelle-Écosse était le théâtre au xixe siècle.

David A. Sutherland

Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, n° 126 (C. R. Fairbanks) (mfm aux PANS).— Halifax County Registry of Deeds (Halifax), Deeds, 64 : fo 154 (mfm aux PANS).— PANS, MG 1, 979, folder 7, n° 23 ; 1596, n° 4 ; 1599, nos 1–2, 4, 8–9, 11, 13, 15, 26, 34, 36 ; 1604, n° 25 ; MG 2, 728, nos 504, 514, 543 ; MG 9, 79 : fo 14 ; MG 100, 140, n° 40 ; RG 1, 115 : fo 87 ; 228, n° 124 ; 289, nos 122–123 ; 295, n°51 ; 312, n°86 ; 314, nos 27, 83 ; RG 2, 45 ; RG 40, 11, n° 23 ; 13, n° 25.— PRO, CO 217/149 : 308 ; 217/151 : 130 ; 217/154 :145, 368 ; 217/159 : 183 ; 217/168 : 108, 110, 118, 124, 205 ; 217/172 : 96.— [Charter of the Shubenacadie Canal Company with list of shareholders and act of incorporation (Halifax, 1826)].— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1824–1835.— Acadian Recorder, 1er avril 1815, 15 févr. 1822, 30 août, 13 sept. 1823, 25 févr., 11 mars 1826, 9 mars 1839.— Colonial Patriot, 28 mai 1828.— Halifax Morning Post & Parliamentary Reporter, 20 avril, 13 juill. 1841.— Novascotian, 12 mars 1825, 11 févr., 1er–8 avril 1826, 22–29 mars 1827, 20 mars 1828, 18–25 mars 1830, 1er–8 mars, 19 avril 1832, 7 mars, 12 déc. 1833, 23 janv., 27 mars, 29 déc. 1834, 8 févr. 1838, 17 sept. 1840, 22 avril 1841.— Nova-Scotia Royal Gazette, 26 févr. 1798, 21 avril 1841.— Times (Halifax), 20 avril 1841.— Belcher’s farmer’s almanack, 1824–1840.— W. E. Boggs, The genealogical record of the Boggs family, the descendants of Ezekiel Boggs (Halifax, 1916).— Directory of N.SMLAs. L. S. Fairbanks, Genealogy of the Fairbanks family in America, 1633–1897 (Boston, 1897).— Barbara Grantmyre, The river that missed the boat (Halifax, 1975).— R. V. Harris, The Church of Saint Paul in Halifax, Nova Scotia : 1749–1949 (Toronto, 1949).— Murdoch, Hist. of N.S., 3.

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David A. Sutherland, « FAIRBANKS, CHARLES RUFUS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/fairbanks_charles_rufus_7F.html.

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Auteur de l'article:    David A. Sutherland
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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